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Communiqués de presse Haut-Commissariat aux droits de l’homme

Déclaration de Haut Commissaire des Nations Unies aux Droits de l'homme Navi Pillay, Conférence de presse à l’occasion de l’ouverture du Bureau des droits de l’Homme en Tunisie

14 Juillet 2011

14 juillet 2011

Bonjour,
 
C'est pour moi un plaisir d’être présente parmi vous aujourd’hui ici en Tunisie. Ce plaisir est encore plus grand parce que c’est la première fois dans l’histoire de l’ONU que s’ouvre ici un bureau des droits de l’homme. Ce sera le premier bureau dans l'un des cinq pays nord-africains riverains de la Méditerranée. Je tiens donc à remercier le peuple et le gouvernement de la Tunisie d'avoir accepté l’ouverture de ce Bureau dans la région.
 
Au début de l'année, si quelqu'un m'avait dit que dans sept mois j’aurai l’opportunité d'ouvrir un bureau en Tunisie - ou dans n'importe quel pays de l'Afrique du Nord, à l'exception de la Mauritanie où nous sommes établis depuis l'an dernier - j'aurais pensé que c'était impossible. Depuis des années, les précédents Hauts Commissaires aux droits de l'homme avaient tenté de mettre en place un bureau dans cette région. Cependant, la plupart des pays concernés ne répondaient généralement ni oui ni non, jusqu'à ce que le peuple tunisien décide de modifier radicalement ses priorités.
 
Tout cela a changé en décembre et janvier lorsque le peuple de la Tunisie a dit, en effet: «Assez!! Nous méritons nos droits, nous voulons que nos droits se concrétisent et nous allons les avoir ». Tout d'un coup, avec une rapidité étonnante, nous avons commencé à nous trouver sur un terrain fertile.

La Tunisie, pour être honnête avec vous, n'était pas parmi les pays auxquels nous pensions pour accueillir un bureau du Haut Commissaire aux droits de l'homme. En effet, les droits de l'homme, comme vous le savez mieux que moi, n'étaient pas un sujet que le gouvernement de l'ancien Président Ben Ali encourageait à l'échelle nationale, même si à l’échelle internationale, il donnait une autre idée afin de ne pas décourager le tourisme ou susciter trop de critiques à l'étranger.
 
Mais nous savions tous que l’ancien gouvernement ne voulait pas accepter une présence des droits de l’homme en Tunisie parce que nous aurions poussé les membres de ce gouvernement à faire des choses qu'ils ne voulaient pas faire - pour accepter toutes les libertés énoncées dans la Déclaration universelle des droits de l'homme, et gouverner dans l'intérêt du peuple plutôt que dans leur propre intérêt.

Le monde entier a regardé avec étonnement et respect croissant votre insistance pour obtenir vos droits, tout en refusant de vous laisser intimider par la répression, les arrestations, la torture et toutes les blessures et les pertes de vies tragiques imposées par la réaction du régime de Ben Ali pour combattre en vain pour sa survie.
 
L'impact de vos actions, sur la Tunisie elle-même, sur l'ensemble de la région, et sur le monde entier, est difficile à mesurer et est loin d'être terminé. Mais il a incontestablement été phénoménal et source d'inspiration. Il suffit de le demander au peuple d'Egypte!
 
Ici, en Tunisie, la transition n'est également pas encore terminée et il y a de nombreux obstacles à surmonter avant de pouvoir prétendre au succès sans équivoque. Mais de grands progrès ont déjà été faits.
 
Au cours de ces trois dernières semaines seulement, la Tunisie a ratifié pas moins de quatre traités extrêmement importants, dont trois en une seule journée: ce sont le premier Protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Protocole facultatif à la Convention contre la torture, qui rendent ces deux principaux traités des droits humains beaucoup plus faciles à surveiller et appliquer, et la Convention des Nations unies sur les disparitions forcées. Ces trois ont été ratifiés le 29 juin.
 
Une semaine auparavant, le 24 juin, la Tunisie est devenue le 116e Etat à ratifier le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, et le premier en Afrique du Nord. Cela représente un engagement majeur de la part des nouvelles autorités pour qu'aucune violation future grave des droits humains n’ait lieu en toute impunité. Ratifier le Statut de Rome est l'un des meilleurs moyens de dissuasion pour les crimes graves.
 
En janvier, peu après la chute du gouvernement de Ben Ali, j'ai envoyé une équipe expérimentée de haut niveau ici pour initier des discussions avec les membres du gouvernement intérimaire, la société civile, les membres des médias et d'autres défenseurs des droits humains. La porte s'est ouverte.
 
En février, la nouvelle direction soutenue par des organisations de la société civile a sollicité l’établissement d’un bureau pour aider à ancrer les droits humains dans le nouveau paysage politique et juridique. Il a fallu quelques mois de plus pour réunir l'argent, et remplir toutes les autres exigences bureaucratiques et logistiques nécessaires pour établir un nouveau bureau permanent qui se développera pour accueillir environ 15 employés en tout. Mais nous avons maintenant atteint le moment où cette idée, qui ne figurait même pas dans nos planifications  le premier janvier de cette année, est devenue une réalité.
 
Inutile de dire que nous n'avons pas attendu jusqu'à maintenant pour commencer à aider les autorités dans des projets concrets et constructifs. Nous avons, par exemple, fourni des conseils sur la façon de réformer l'institution nationale des droits humains, de sorte qu'elle puisse atteindre la conformité avec les normes internationales connues comme les Principes de Paris. Nous avons également travaillé en étroite collaboration avec le ministère de la Justice et l'Unité de coordination des droits de l'homme, et avons tenu une série de consultations avec des magistrats tunisiens dans le but de renforcer l'indépendance judiciaire et de les aider à surmonter les défis relatifs à la justice transitionnelle.
 
Nous avons également, il y a quelques jours, conclu une entente avec le ministère de l'Intérieur sur un programme de droits humains de renforcement des capacités dans le secteur de la sécurité, y compris la formation de la police.
 
Les périodes de transition ne sont pas faciles, en particulier les transitions sismiques comme celle qu'a vécue la Tunisie.  Je le sais de par ma propre expérience en Afrique du Sud, où l'on est passé d'un Etat d'apartheid dénigré par la communauté internationale, à une démocratie florissante. Les transitions sont longues et les processus difficiles et souvent d'une lenteur décevante et cahotique. Ils ne sont jamais parfaits.
 
La transition est cependant un domaine où le Bureau du Haut Commissaire aux droits de l'homme a une expérience et une expertise considérables. Nous avons aidé de nombreux pays à réécrire de mauvaises lois, et nous leur avons conseillé comment les appliquer. Nous avons même aidé certains pays à réécrire leurs Constitutions afin de s'assurer qu'elles soient compatibles avec le droit international des droits humains.
 
Dans de nombreux pays à travers le monde, nous avons formé des juges, des policiers, et des services de sécurité sur la façon d'exercer leurs fonctions sans enfreindre les droits de la personne, y compris des groupes marginalisés. Nous allons continuer d'offrir toute l’assistance possible aux autorités tunisiennes et une aide dans d’autres domaines aussi. Droits de l'homme signifie bien plus que critiquer les autorités.
 
Des progrès significatifs ont été réalisés dans des domaines tels que la liberté d'expression et la liberté d'association - deux des principales revendications de ces manifestants courageux. Il y a eu également des progrès dans les domaines de la responsabilisation et de la réforme politique, notamment la création de la toute première Commission électorale nationale indépendante qui a le pouvoir de superviser et surveiller le processus électoral dans son ensemble. Il y a maintenant plus de 80 partis politiques enregistrés, comparativement à sept seulement avant la révolution, et la Tunisie est le premier pays du monde arabe à garantir juridiquement la parité dans les listes électorales pour les prochaines élections.
 
Les femmes ont joué un rôle important dans les manifestations qui ont eu lieu et la parité avec les hommes sera un facteur important dans le développement de la société, en particulier le développement économique et social. Aucun pays ne peut devenir une démocratie adulte, si la moitié de sa population ne benéficie pas de tous ses droits. Il est également essentiel de donner espoir aux jeunes tunisiens pour l'avenir. Ils ont joué un rôle absolument essentiel dans le mouvement de protestation, et leur pleine participation à l'évolution du nouvel Etat est indispensable s’il veut rester avant-gardiste et dynamique.
 
Mais évidemment, ce sont des domaines vastes et complexe et il reste encore beaucoup à faire; il y aura de nombreux obstacles et des revers à surmonter, avant que la Tunisie ne devienne une démocratie stable et prospère avec des lois et des institutions qui fonctionnent pleinement, ancrés dans les droits humains de toute la population. Les vieilles habitudes, la corruption et l'abus de pouvoir sont notoirement difficiles à extirper.
 
Je ne souhaite pas cependant, à cette occasion mémorable, m'attarder trop sur les insuffisances. Avec le travail, la patience et la bonne volonté des autorités, des défenseurs des droits humains, des médias - et des partenaires internationaux dont l'ONU - celles-ci peuvent être surmontées. Je tiens à remercier les donateurs qui ont contribué à la mise en place de ce bureau et leur demander, ainsi qu’à tous les autres, de continuer à apporter leur plein soutien à la Tunisie au cours des années difficiles à venir. Nous avons un grand enjeu devant nous.

La Tunisie est devenue une référence commune pour tous les défenseurs de droits de l'homme, car la dignité humaine et les droits de l'homme sont au coeur de la leçon que nous a donnée la révolution tunisienne. Le grand poète tunisien Abu al-Qasim al-Shabi en donne une claire expression dans ce message:

"Si un jour un peuple désire vivre, le destin assurément entendra son appel
Et sa nuit commencera à pâlir et ses chaînes se briseront et tomberont"

Je vais marquer l'ouverture du premier bureau des droits de l'homme de l'ONU dans cette région par un acte simple et symbolique qui, je le crois, englobe l'ensemble des espoirs que nous éprouvons tous pour la Tunisie nouvelle: je vais planter un olivier.

Les oliviers sont un symbole puissant dans tous les pays méditerranéens. Ils représentent la paix, et sont réputés pour leur endurance. Ils peuvent mettre jusqu'à 20 ans avant de porter des fruits, mais alors ils prospèrent, que ce soit sur un sol fertile ou pierreux . Ils survivent pendant les étés très chauds et les hivers très froids. Comme les droits humains, ils sont pratiquement indestructibles. Même quand ils sont coupés ou brûlés, ils renaissent de leurs racines. Ils peuvent vivre des milliers d'années. Je souhaite donc que l'olivier que je vais planter ici aujourd'hui reflète l'avènement d'une nouvelle ère de droits de l'homme et de démocratie en Tunisie. Et je voudrais que dans 2000 ans à partir de maintenant, tous les deux, cet arbre et la Tunisie, puissent se retourner vers 2011 et la considérer comme l’année magique où tout a commencé.
 
Je vous remercie.

END

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