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Communiqués de presse Organes conventionnels

Le Comité contre la torture examine la rapport de l'Éthiopie

03 Novembre 2010

Comité contre la torture
3 novembre 2010

Le Comité contre la torture a examiné, hier après-midi et ce matin, le rapport initial de l'Éthiopie sur les mesures prises par ce pays pour mettre en œuvre les dispositions de la Convention contre la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Présentant le rapport de son pays, M. Fisseha Yimer, Conseiller spécial auprès du Ministre des affaires étrangères de l'Éthiopie, a souligné que la Constitution de 1996 contient des dispositions importantes pour la protection des personnes contre la torture. Si l'Éthiopie maintient la peine de mort dans ses statuts, on peut considérer qu'il existe dans le pays un moratoire de facto, l'application effective des sentences de peine capitale se produisant rarement. M. Yimer a en outre souligné que l'Éthiopie dispose désormais d'un système qui autorise le libre accès d'individus et d'institutions pour effectuer des visites dans les prisons, sans conditions. Le représentant éthiopien a par ailleurs assuré le Comité que son pays ne dispose pas de lieux de détention secrets. S'agissant d'allégations d'abus et d'excès imputables aux membres de la police et des forces de sécurité et de défense, le Gouvernement a encouragé le lancement d'enquêtes indépendantes sur les incidents visés. Si les rapports d'enquêtes concernant la crise des années 1990 associée aux étudiants de l'université d'Addis Abeba et la violence ayant suivi les élections de mai 2005 ont lavé les agents des forces de l'ordre de tout soupçon d'abus, le rapport concernant le conflit de l'État de Gambella en 2003 a reconnu la participation d'un certain nombre de membres des forces de défense à diverses infractions, ce qui s'est traduit par la condamnation de plus d'une vingtaine de membres desdites forces, a fait valoir M. Yimer.

La délégation éthiopienne, également composée de représentants du Ministère des affaires étrangères, du Ministère de la justice, de l'Administration carcérale et de la Police fédérale, a répondu aux questions que lui ont adressées les membres du Comité s'agissant notamment de la Commission éthiopienne des droits de l'homme; de l'attitude de l'Éthiopie s'agissant des demandes de visites émanant de procédures spéciales; de la législation antiterroriste; de la lutte contre l'impunité; de la définition de la torture; des mesures de prévention et de répression de la torture; des procédures d'expulsion et d'extradition; des questions relatives à l'état d'urgence, notamment s'agissant de la situation dans l'Ogaden. À cet égard, la délégation a déclaré que les faits sur le terrain ne justifient pas l'imposition de l'état d'urgence dans l'Ogaden.

M. Abdoulaye Gaye, rapporteur du Comité pour l'examen du rapport de l'Éthiopie, a exprimé sa préoccupation s'agissant des recommandations adressées à l'Éthiopie par le Conseil des droits de l'homme dans le cadre de l'Examen périodique universel qui n'ont pas été acceptées par le pays. Des informations font en outre état de détentions au secret en Éthiopie et de décès intervenus en prison. À l'instar d'autres membres du Comité, M. Gaye a fait part de ses préoccupations au sujet de la situation actuelle en Ogaden où les forces militaires éthiopiennes se seraient livrées, en 2007, à des meurtres, à des viols, à des actes de torture et de détention arbitraire et à des pillages à grande échelle. Comme plusieurs membres du Comité, la corapporteuse, Mme Essadia Belmir, s'est inquiétée de la confusion et de l'ambiguïté entourant les rôles et missions respectifs de l'armée et de la police. Selon certaines informations, le pouvoir judiciaire est harcelé par le Gouvernement, qui intervient dans ses attributions. La corapporteuse a indiqué avoir reçu des listes de personnes tuées par des militaires, de femmes qui ont été violées et de personnes qui ont été détenues sans bénéficier des garanties adéquates.

Les observations finales du Comité sur les rapports des pays examinés au cours de la session seront rendues publiques à la fin des travaux, le 19 novembre prochain.

Le Comité examinera à partir de cet après-midi à 15 heures le rapport de la Turquie (CAT/C/TUR/3).

Présentation du rapport de l'Éthiopie

M. FISSEHA YIMER, Conseiller spécial auprès du Ministre des affaires étrangères de l'Éthiopie, a souligné que depuis la chute de la junte militaire en 1991, l'Éthiopie a réalisé d'importants progrès en matière de promotion et de protection des droits de l'homme, par le biais de la consolidation de son nouvel ordre constitutionnel et de la gouvernance démocratique. Ce sont des problèmes liées aux capacités et aux contraintes financières qui ont empêché le pays de présenter son rapport dans le délai imparti d'une année après son accession à la Convention en 1994, a-t-il précisé. La coopération entre le Gouvernement et le Haut Commissariat aux droits de l'homme a permis à l'Éthiopie de finaliser et de présenter les rapports qui étaient attendus d'elle par divers organes chargés de la mise en œuvre de plusieurs instruments internationaux dans le domaine des droits de l'homme, a-t-il ajouté. Il a en outre rappelé qu'à travers l'examen périodique universel du Conseil des droits de l'homme, l'Éthiopie a fait l'objet d'une évaluation très réussie de ses performances en termes de droits de l'homme; elle a accepté un grand nombre de recommandations issues de cette procédure, dont bon nombre sont directement ou indirectement liées à la mise en œuvre de la Convention contre la torture, a-t-il fait observer.

L'Éthiopie est un État fédéral doté de constitutions aux niveaux fédéral et régional, a poursuivi M. Yimer. Elle est constituée de neuf États régionaux établis sur la base des cadres linguistiques, culturels et géographiques des nations, nationalités et peuples qui la composent. Le fédéralisme unique qui caractérise l'Éthiopie permet une plus grande liberté ainsi que la reconnaissance des droits et de la diversité des différents groupes qui la composent et qui, par le passé, ont été victimes d'abus et de négligences, a-t-il fait valoir.

L'Éthiopie a émergé d'un passé cruel au cours duquel l'État et ses institutions furent utilisés par le Gouvernement lui-même afin de perpétrer des formes flagrantes d'abus et d'actes de torture à une grande échelle, a déclaré M. Yimer. Accédant au pouvoir en 1991, le Gouvernement de transition et le Gouvernement de la République fédérale démocratique d'Éthiopie ont mené à bien l'un des processus de jugement et d'obligation redditionnelle les plus vastes jamais menés en Afrique, ce qui s'est traduit par la traduction en justice de responsables de l'ancien régime militaire qui avaient été directement impliqués dans les meurtres, les tortures et autres crimes graves perpétrés à grande échelle. Une nouvelle Constitution fédérale a également été adoptée, qui est entrée en vigueur en 1996. Cette Constitution reconnaît la suprématie des instruments internationaux de droits de l'homme auxquels le pays est partie comme sources d'interprétation des dispositions de la Constitution relatives aux droits de l'homme. Chacun, qu'il soit citoyen, étranger ou réfugié, jouit des droits constitutionnellement garantis sans discrimination ni distinction d'aucune sorte, a insisté M. Yimer. La Constitution contient un certain nombre de dispositions importantes directement ou indirectement pertinentes aux fins de la protection des personnes contre la torture et les traitements ou peines cruels, inhumains et dégradants, a-t-il souligné. En outre, elle contient des dispositions traitant spécifiquement des femmes et des enfants en leur accordant une protection contre toute pratique, coutume et loi traditionnelle préjudiciable et cruelle. La Constitution interdit également le châtiment corporel contre les enfants.

La signification de tout cela pour un pays qui, dans son passé récent, a connu une pratique largement répandue de la torture et de la terreur à l'encontre de civils innocents ne saurait être sous-estimée, a insisté M. Yimer. Plus spécifiquement, a-t-il ajouté, la Constitution interdit toutes les formes de torture et de traitements cruels, inhumains et dégradants et garantit le droit de toute personne détenue à un traitement humain. Aucune exception ne saurait être acceptée à la protection de l'individu contre la torture, a souligné M. Yimer. Des dispositions similaires ont été incorporées dans toutes les constitutions régionales, a-t-il précisé.

L'Éthiopie a également pris plusieurs mesures de réforme législative qui ont assuré la compatibilité de ses lois internes pertinentes tant avec la Constitution fédérale qu'avec les dispositions de la Convention contre la torture, a poursuivi M. Yimer. Un Code pénal fédéral révisé a été adopté en 2004 qui a grandement amélioré le Code pénal de 1957 en assurant la compatibilité de ses dispositions avec celles de la Convention, a-t-il notamment précisé, attirant l'attention sur la définition complète du concept et du crime de torture ainsi que sur l'incrimination de tels actes que contient ce nouveau Code. Outre le nouveau Code pénal fédéral, des lois et instruments spécifiques ont également été publiés afin de réglementer la conduite de la police, des procureurs ou de l'administration pénitentiaire, entre autres, a poursuivi M. Yimer. Des législations comme la Proclamation n°313/2003 de la Commission de la police fédérale, par exemple, ont été adoptées dans le but de faciliter le contrôle de la manière dont se conduisent les agents responsables de l'application des lois, a-t-il ajouté, précisant que toute infraction à ces dispositions entraînerait des mesures disciplinaires, un licenciement voire des poursuites pénales.

Comme nombre d'autres pays, l'Éthiopie maintient la peine de mort dans ses statuts, a déclaré le Conseiller spécial. Il a toutefois fait valoir que, dans ce qui peut être considéré comme un moratoire de facto, l'application effective des sentences de peine capitale se produit rarement.

Pour ce qui est des conditions carcérales, M. Yimer a souligné que l'Éthiopie dispose désormais d'un système qui autorise le libre accès d'individus et d'institutions pour effectuer des visites dans les prisons, sans conditions. Les prisonniers jouissent du droit d'accès à leur famille et amis, à un avocat, à un conseiller religieux et disposent de nourriture en quantité suffisante, de médicaments, de sanitaires et d'autres services adéquats. Les allégations faisant état d'un manque d'accès des prisonniers à leur famille et à d'autres s'avèrent souvent sans fondement, a indiqué M. Yimer. Des mécanismes de plaintes et de recours existent lorsque ces allégations s'avèrent correctes et crédibles, a-t-il ajouté.

Le Gouvernement éthiopien est heureux d'informer le Comité que l'Éthiopie ne dispose pas de lieux de détention secrets, a poursuivi M. Yimer. En 2004, le Rapporteur spécial sur les conditions carcérales de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples a effectué en Éthiopie une visite qui s'est soldée par un rapport complet dont certaines recommandations ont été reprises à l'appui des réformes entreprises, notamment pour ce qui est de l'amélioration des conditions de vie des personnes détenues, a d'autre part fait valoir M. Yimer.

Suite aux allégations d'abus et d'excès imputables aux membres de la police et des forces de sécurité et de défense, le Gouvernement a encouragé le lancement d'enquêtes indépendantes sur les incidents visés, a-t-il poursuivi. Si les rapports d'enquêtes concernant la crise des années 1990 associée aux étudiants de l'université d'Addis Abeba et la violence ayant suivi les élections de mai 2005 ont lavé les agents des forces de l'ordre de tout soupçon d'abus, le rapport concernant le conflit de l'État de Gambella en 2003 a reconnu la participation d'un certain nombre de membres des forces de défense à diverses infractions, ce qui s'est traduit par la condamnation de plus d'une vingtaine de membres desdites forces.

Comme d'autres pays, a enfin souligné M. Yimer, l'Éthiopie est confrontée à des graves défis en matière de terrorisme. Le Gouvernement prendra toutes les mesures nécessaires et légales pour protéger la sécurité de ses citoyens, a-t-il ajouté. Les efforts déployés par le Gouvernement en matière de lutte contre le terrorisme sont conformes aux normes internationales, a-t-il assuré. L'arrestation, la détention et l'incarcération des personnes suspectées de terrorisme et condamnées pour terrorisme se font dans le respect de la dignité des individus concernés, a-t-il insisté.

Le rapport initial de l'Éthiopie (CAT/C/ETH/1) souligne que la Constitution fédérale garantit en termes très clairs le droit de chacun d'être protégé de toutes les formes de peines et traitements cruels, inhumains ou dégradants. Elle garantit également le respect de la dignité humaine de tous les détenus et des personnes qui exécutent une peine d'emprisonnement après avoir été reconnues coupables d'actes criminels. Des dispositions similaires ont été inscrites dans les constitutions des régions. Outre la Constitution, qui renvoie aux instruments internationaux relatifs à la question et en incorpore les dispositions, le Code pénal révisé, qui est entré en vigueur en 2005, érige expressément en infraction et punit les actes de torture et les autres formes de peines et traitements cruels, inhumains ou dégradants. L'article 18 de la Constitution, qui interdit la torture et les autres formes de peines et traitements cruels, inhumains ou dégradants, n'est pas susceptible de dérogation, quelles que soient les circonstances. Le bureau d'enquête sur l'état d'urgence a le pouvoir et la responsabilité de veiller à ce qu'aucune mesure prise dans le cadre de l'état d'urgence ne soit cruelle, inhumaine ou dégradante de quelque manière que ce soit; il est habilité à recommander des dispositions correctives pour garantir que les auteurs du crime présumé soient traduits en justice. Contrairement à la Convention, qui définit la torture comme un acte par lequel «une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales» sont infligées, le Code pénal emploie le terme de «torture» sans préciser de quel type de douleur ou de souffrance il s'agit. La responsabilité pénale qu'assument les agents de l'État et les officiels en vertu de cet article s'ajoute à la responsabilité pénale découlant de l'infraction de blessure volontaire. Lorsque, pour une raison ou pour une autre, des faits de torture au sens de la Convention ne sont pas couverts par les articles susmentionnés, la disposition du Code pénal relative à l'abus de pouvoir, dont le champ d'application est plus large que celui de la Convention, s'applique. Le Code pénal érige expressément en infraction la torture sous toutes ses formes et prévoit des peines sévères allant de cinq ans d'emprisonnement à vingt ans de réclusion criminelle et, pour des cas exceptionnels, des peines de réclusion à perpétuité ou de mort.

Même si l'on ne dispose pas de données complètes sur l'état et le degré d'application de la Convention, les organes chargés des enquêtes pénales, les établissements pénitentiaires et les centres de détention ont déployé, dans les limites de leurs moyens, des efforts considérables pour accélérer la mise en œuvre de ses dispositions. Le rapport reconnaît néanmoins que l'application pleine et effective de la Convention sur tout le territoire est encore loin d'être une réalité, notamment du fait du manque de sensibilisation des agents chargés d'appliquer la loi aux règles et aux idéaux consacrés par la Convention; du sentiment qu'ont encore certains de ces agents qu'il est nécessaire, lorsque l'on interroge une personne hostile qui fait l'objet d'une enquête pénale, d'utiliser la contrainte dans des limites raisonnables et proportionnées à la situation pour établir la vérité; d'un manque de compétences dans l'emploi de techniques d'enquête acceptables et de l'absence d'une attitude professionnelle propre à permettre d'obtenir les preuves nécessaires en usant de retenue et sans avoir recours à la violence.

La police fédérale a conçu plusieurs mécanismes pour prévenir les actes de torture et d'autres crimes apparentés dans les circonstances où le risque qu'ils soient commis est important. Il est ainsi procédé à des évaluations hebdomadaires du comportement professionnel des policiers afin de s'assurer qu'ils se conforment aux normes législatives qu'ils sont tenus de respecter, notamment aux dispositions de la Constitution relatives aux droits fondamentaux et des autres lois concernant la police. En outre, les centres de détention font l'objet d'inspections hebdomadaires effectuées par un groupe conduit par des responsables de la police, l'objectif étant de pouvoir prendre les dispositions nécessaires, par exemple les mesures disciplinaires requises en application des lois relatives à la question. Aucune détention secrète par la police n'est autorisée. Les avocats sont libres de s'entretenir avec les détenus. Les visites d'ONG et de personnalités religieuses concernées et d'organisations internationales telles que le CICR sont autorisées. Un bilan sommaire permet de conclure que les mesures prises à ce jour pour prévenir et punir les actes de torture et les crimes similaires sont encourageantes. Aux yeux de l'État, elles n'ont toutefois par permis de réduire le nombre d'infractions de manière suffisante.

Examen du rapport

Questions et observations des membres du Comité

M. ABDOULAYE GAYE, rapporteur du Comité pour l'examen du rapport de l'Éthiopie, a relevé que ce rapport initial de l'Éthiopie était parvenu au Comité avec un retard de 14 ans. À la lecture de ce rapport et du document de base relatif à l'Éthiopie, force est de reconnaître que des efforts importants ont été consentis par le pays dans sa législation pour se conformer aux dispositions de la Convention contre la torture. Cependant, le processus d'examen de l'application de cette Convention exige que soient fournies des informations pratiques, concrètes et chiffrées permettant de se faire une idée précise de la situation dans le pays. À cet égard, le rapport pêche par un excès de théorie car il rappelle les normes qui ont été consacrées, mais ne donne pas une idée précise de l'application pratique de ces normes sur le terrain, a regretté M. Gaye.

Or, la situation en Éthiopie paraît quelque peu préoccupante dans la mesure où d'autres informations parvenues au Comité lui donnent des raisons d'avoir quelques inquiétudes, a poursuivi le rapporteur, faisant référence à des informations en provenance non seulement d'ONG mais également du système des Nations Unies. Il a à cet égard cité un document émanant de l'experte indépendante sur les questions relatives aux minorités, Mme Gay McDougall, qui s'est inquiétée de l'utilisation qui a été faite du fédéralisme à dimension ethnique en Éthiopie en soulignant notamment que certaines des communautés les moins nombreuses du pays risquent de disparaître en raison, notamment, de processus d'assimilation. Dans ce document, l'experte indépendante recommande que les journalistes, opposants et autres aient droit à des procès équitables. Le rapporteur a en outre estimé que les recommandations adressées à l'Éthiopie dans le cadre de l'Examen périodique universel qui n'ont pas été acceptées par ce pays autorisent à s'inquiéter quant à la situation pratique sur le terrain.

Le droit éthiopien distingue-t-il entre garde à vue (policière) et détention décidée par un juge, s'est en outre interrogé M. Gaye? Certes, a-t-il poursuivi, la procédure d'habeas corpus permettant à un juge de statuer sur le bien-fondé d'une détention existe en Éthiopie; mais un complément d'information serait nécessaire quant à l'application pratique de cette procédure. Il serait également opportun que le pays fournisse des informations plus précises concernant des cas de torture, en citant des noms, des chiffres, des sanctions appliquées.

Pour ce qui est des décès en prison, l'Éthiopie affirme qu'ils ne résultent pas des conditions de détention elles-mêmes; mais alors, quelle en est la cause, a demandé M. Gaye ?

M. Gaye a par ailleurs relevé la multiplicité des états d'exception, soulignant qu'il s'agit de l'application de mesures exceptionnelles dérogeant au droit commun de protection des libertés et de protection de la personne. Aussi, le rapporteur a-t-il souhaité savoir si les personnes détenues dans le cadre de ces états d'exception bénéficient des garanties accordées aux personnes privées de liberté pour ce qui est, notamment, de l'accès à un avocat et du droit de prévenir un membre de la famille. Dans le cadre des états d'exception, la détention, en particulier la garde à vue, est-elle limitée dans le temps? Des informations font état de détentions au secret en Éthiopie, s'est inquiété le rapporteur.

M. Gaye s'est par ailleurs enquis de la situation actuelle en Ogaden. Selon certaines informations, en 2007, les forces militaires éthiopiennes se sont livrées à des meurtres, à des viols, à des actes de torture et de détention arbitraire et à des pillages à grande échelle, a-t-il fait observer, avant de s'enquérir des résultats de l'enquête qui a été menée à ce sujet par les autorités.

Le rapporteur a en outre indiqué avoir l'impression d'une certaine confusion, en Éthiopie, pour ce qui est des rôles et missions respectifs de l'armée et de la police – ce qui rend difficile l'établissement des responsabilités lorsque des cas de torture sont allégués. Il ne semble pas y avoir de contrôle indépendant sur les activités de la police et de l'armée, s'est-il en outre inquiété.

L'autorité judiciaire ne semble pas avoir compétence pour intervenir en matière de procédures de renvoi et d'extradition; tout semble se passer au niveau des organes gouvernementaux et l'individu concerné ne semble pas disposer de voie de recours, s'est inquiété M. Gaye. Il a notamment souhaité savoir si la Convention contre la torture avait déjà été invoquée dans une procédure d'expulsion.

MME ESSADIA BELMIR, corapporteuse du Comité pour l'examen du rapport de l'Éthiopie, s'est demandé si dans des régions comme l'Ogaden, on ne se trouvait pas dans une situation d'état d'urgence de fait, étant donné qu'il s'agit de régions en conflit; elle a ajouté que les rôles de la police et de l'armée s'entremêlent sans que l'on sache avec précision les attributions de chacune des deux institutions.

Il semble que le bureau du procureur prenne le pas sur les autres instances judiciaires, s'est par ailleurs inquiétée Mme Belmir. Selon certaines informations, a-t-elle insisté, le pouvoir judiciaire est pris otage par le Gouvernement dans la mesure où il est harcelé par ce dernier et où le Gouvernement intervient dans ses attributions. Il est également dit que les juges craignent pour leur emploi voire pour leur vie, a ajouté la corapporteuse.

Mme Belmir a indiqué que des listes lui ont été transmises de personnes tuées par des militaires, de femmes qui ont été violées et de personnes qui ont été détenues sans bénéficier des garanties adéquates.

Un autre membre du Comité a relevé qu'une ambiguïté persiste quant à la présence ou non dans le pays d'un état d'urgence; il semble que l'état d'urgence ait été déclaré en Ogaden, mais cette déclaration a-t-elle été conforme aux instruments internationaux pertinents, s'est-il interrogé? Il semble qu'il y ait un conflit interne plus ou moins larvé en Éthiopie, a insisté cet expert. Qu'en est-il précisément du droit d'accès à un avocat pour les personnes placées en détention – à quel moment de la détention intervient-il, a par ailleurs demandé cet expert? Il s'est en outre inquiété de l'âge de la responsabilité pénale en Éthiopie, jugé trop bas au regard des normes internationales.

Une autre experte s'est enquise des résultats des visites des lieux de détention qui ont pu être opérées en Éthiopie. Selon certaines organisations non gouvernementales, la torture est répandue en Éthiopie, a par ailleurs fait observer cette experte. Comme plusieurs autres membres du Comité, l'experte a évoqué l'existence d'une nouvelle milice qui – a-t-il été dit – aurait reçu des compétences analogues à celles des militaires.

Le Comité international de la Croix-Rouge est-il autorisé ou non à effectuer des visites dans les lieux de détention en Éthiopie et si oui, quelle est la date de sa dernière inspection dans un lieu de détention, a demandé un membre du Comité, qui a aussi voulu savoir si les inspections peuvent être inopinées. Il s'est également enquis du taux de surpopulation carcérale en Éthiopie.

Plusieurs experts se sont également inquiétés de la législation antiterroriste, en vertu de laquelle, semble-t-il, la police peut arrêter sans mandat toute personne qu'elle soupçonne d'avoir commis ou de préparer un acte terroriste.

Réponses de la délégation éthiopienne

La délégation a indiqué que les principales sources d'information aux fins de l'élaboration du rapport émanaient des organes gouvernementaux, tant fédéraux que régionaux, et des organisations de la société civile. Le projet de rapport, rédigé par un comité de rédaction et un comité interministériel national, a ensuite été présenté devant une conférence nationale à laquelle ont participé des organes fédéraux et régionaux ainsi que des organisations de la société civile, de manière à intégrer les commentaires et suggestions faits durant et après la conférence nationale.

La Commission éthiopienne des droits de l'homme, créée en juillet 2000, met en œuvre divers programmes ayant trait à l'éducation aux droits de l'homme, à la protection des droits de l'homme et à l'examen de plaintes, à la surveillance des droits de l'homme - au notamment niveau des lieux de détention - et à la recherche en matière de droits de l'homme. La délégation a indiqué que la Commission conseille également le Gouvernement sur la législation existante, sur les politiques et pratiques ainsi que sur les lois proposées. Récemment, la Commission a surveillé plus de 35 lieux de détention, tant au niveau fédéral qu'au niveau régional, et a présenté des conclusions assorties de recommandations à des fins d'amélioration.

La délégation a indiqué que l'Éthiopie a adopté sa loi antiterroriste sur la base de ses intérêts de sécurité nationale et en respectant ses obligations en vertu de différentes résolutions des Nations Unies visant la lutte contre le terrorisme mondial. La législation dans ce domaine est fondée sur les meilleures pratiques internationales en la matière et conformément aux obligations juridiques nationales et internationales pertinentes, a insisté la délégation. Elle a ajouté que ceux qui critiquent la législation antiterroriste éthiopienne ne mentionnent pas vraiment spécifiquement de disposition qui poserait problème, a-t-elle constaté. Pour ce qui est de la définition du terrorisme, il est clair qu'il n'existe pas de définition largement et universellement acceptée que l'Éthiopie serait censée adopter, a rappelé la délégation. Les inquiétudes et préoccupations exprimées par de nombreuses critiques soupçonnent généralement le Gouvernement de pouvoir utiliser à mauvais escient les dispositions de cette législation, a poursuivi la délégation, affirmant qu'il s'agissait là d'une préoccupation infondée, qui ne saurait être étayée par aucun fait ni aucune preuve. La législation antiterrorisme est déjà en vigueur et opère jusqu'ici sans problème, a assuré la délégation.

Répondant à leurs questions, la délégation a assuré les membres du Comité que le Gouvernement éthiopien n'avait aucun problème avec l'idée de recevoir des demandes de visites émanant des procédures spéciales de l'ONU en matière de des droits de l'homme. Ces demandes de visites sont généralement examinées au cas par cas, a-t-elle précisé. Soulevant la question de la véracité des informations reçues par le Comité émanant d'autres sources que celles du Gouvernement, la délégation a affirmé que les autorités éthiopiennes prennent toujours très au sérieux toutes les allégations dont elle a connaissance, notamment dans son dialogue avec les procédures spéciales. Il n'en demeure pas moins qu'il convient d'être très prudent s'agissant des informations émanant des organisations non gouvernementales.

Le Gouvernement éthiopien suit une politique de tolérance zéro à l'égard de l'impunité, sous quelque circonstance que ce soit, a par ailleurs assuré la délégation.

S'agissant de la définition de la torture, la délégation a indiqué que l'Éthiopie s'attend à être félicitée de ce point de vue, car la définition de la torture retenue par l'Éthiopie est celle prévue par la Convention. En cas de conflit entre la loi nationale et le droit international, ce sont les dispositions de ce dernier qui prévalent, a souligné la délégation.

Certains experts s'étant inquiétés d'éventuels conflits de juridiction entre les différentes instances intervenant dans les affaires de torture, la délégation a rappelé que la Constitution fédérale mentionne clairement quelles sont les compétences de chacun des gouvernements – aux niveaux national et régional. C'est la compétence fédérale qui s'exerce pour les questions pénales, a précisé la délégation. Prenant un exemple concret, la délégation a indiqué que lors des problèmes d'ordre public qui ont surgi dans la région de Gambella en 2003, il est apparu que cette région n'était plus en mesure de gérer la situation sur la base de sa législation régionale; elle a donc fait appel au Gouvernement fédéral, qui a réglé le conflit.

En ce qui concerne les questions relatives à l'état d'urgence, la délégation a indiqué que diverses dispositions constitutionnelles portent sur la question. Ainsi, lorsque le Parlement déclare un état d'urgence, une commission est aussitôt établie, a notamment souligné la délégation. L'interdiction de la torture est absolue et ne souffre aucune exception, a précisé la délégation.

En ce qui concerne l'Ogaden, certains – y compris Human Rights Watch – affirment qu'il s'agit d'un conflit de faible intensité car de manière sporadique, des groupes attaquent, par exemple, des commissariats, a poursuivi la délégation. Le Gouvernement a signé un accord avec ces groupes armés et désormais, le conflit s'est considérablement réduit, a-t-elle déclaré. Du point de vue constitutionnel, prendre ce conflit comme base de la déclaration d'un état d'urgence ne serait pas approprié, sans compter que les faits sur le terrain ne justifient pas la déclaration de l'état d'urgence, a insisté la délégation.

L'Éthiopie ne considère pas qu'elle se trouve en état de guerre, a ensuite déclaré la délégation. Nous ne sommes pas dans une guerre contre le terrorisme; il y a certes des actes de terrorisme dans le pays, mais il s'agit d'une question interne et nous la gérons comme telle, a-t-elle insisté.

Pour ce qui est des procédures d'expulsion et d'extradition, la délégation a rappelé que l'Éthiopie a conclu des traités bilatéraux avec certains pays concernant l'extradition, laquelle se fait conformément auxdits traités. Le pays compte actuellement plus de 120 000 réfugiés - en provenance essentiellement du Soudan, de la Somalie et de l'Érythrée, a ajouté la délégation. Elle a assuré que les autorités éthiopiennes n'ont pas connaissance d'un seul cas où un réfugié en Éthiopie aurait été forcé de retourner dans un pays où il encourait le risque d'être soumis à la torture.

L'Éthiopie a autorisé le Comité international de la Croix-Rouge à visiter des centres de détention lors, par exemple, de son conflit avec l'Éthiopie, a par ailleurs rappelé la délégation. Néanmoins, elle n'autorise pas aujourd'hui le CICR à procéder à de telles visites dans les prisons au niveau interne car elle considère qu'il ne s'agit pas là d'une obligation internationale. Pour autant, les autorités éthiopiennes autorisent des organisations de la société civile à procéder à de telles visites.

L'habeas corpus est intégré dans le système juridique éthiopien en vertu de la Constitution, a par ailleurs rappelé la délégation.

La délégation a par ailleurs rappelé que l'Éthiopie a accepté 98 des recommandations qui lui ont été adressées dans le cadre du processus d'examen périodique universel du Conseil et n'en a rejeté que 32. Il s'agit là d'une proportion d'acceptation tout à fait respectable et il serait bon de ne pas se concentrer uniquement sur les 32 recommandations non encore acceptées – dont il n'est pas possible à l'heure actuelle de dire quand elles pourront l'être, a souligné la délégation.

En réponse à d'autres questions des membres du Comité, la délégation a assuré que le Gouvernement éthiopien prenait très au sérieux le problème du viol. Le viol est pénalisé et est passible d'une peine pouvant aller jusqu'à 25 années d'emprisonnement, a-t-elle précisé.

Questions complémentaires des membres du Comité

M. Gaye, rapporteur pour l'examen du rapport de l'Éthiopie, a réitéré son point de vue selon lequel l'essentiel du rapport présenté par l'Éthiopie se borne à décrire le cadre normatif du pays sans aborder la mise en œuvre pratique de ce cadre normatif. Il s'est en revanche réjoui que la délégation ait indiqué que la Convention contre la torture prime sur les dispositions du droit interne. Rappelant que l'Éthiopie dispose de juridictions fédérales et de juridictions locales, il a réitéré sa préoccupation concernant le manque de clarté quant à la ligne de démarcation entre les compétences des tribunaux dans chacune de ces juridictions et a demandé comment étaient déterminées les compétences respectives en cas de conflit de juridiction?

Réitérant également sa préoccupation quant aux rôles respectifs de l'armée et de la police, le rapporteur a souhaité savoir laquelle de ces deux institutions était chargée des fonctions d'enquêtes et de recherche dans les affaires pénales. Selon des informations transmises au Comité, il semble y avoir une confusion des rôles en la matière, a-t-il indiqué.

La garde à vue peut durer au maximum quatre jours, ce qui semble long, a par ailleurs souligné M. Gaye, rappelant que c'est généralement durant la période de garde à vue que sont perpétrés les cas de torture ou de maltraitance.

Le rapporteur a souligné que nombre de questions qu'il a posées au début du dialogue avec la délégation n'ont pas trouvé de réponses.

La corapporteuse, Mme Belmir, a pour sa part souligné que contrairement à ce qu'a affirmé la délégation dans ses réponses, les critiques dont fait l'objet la législation antiterroriste adoptée par l'Éthiopie sont fondées sur des aspects concrets, comme l'a montré le Comité des droits de l'homme, qui s'est dit préoccupé par la portée trop large de la notion d'incitation au terrorisme retenue dans la législation éthiopienne ainsi que par le fait que les témoignages de témoins inconnus sont pris en considération dans les procès.

Un autre membre du Comité a réitéré les préoccupations exprimées s'agissant des compétences assimilables aux pouvoirs des militaires que semble avoir reçu une milice, en particulier dans la région de l'Ogaden.

Un expert a relevé l'information, fournie par la délégation, selon laquelle le CICR n'est pas autorisé à effectuer des visites dans les prisons éthiopiennes, alors que le rapport affirme le contraire. Alors que des allégations font état de nombreux cas de torture imputables à la police ou à d'autres institutions de niveau fédéral, la délégation serait-elle en mesure de fournir un exemple où une organisation de la société civile a effectué une visite dans une prison ou un lieu de détention en Éthiopie.

Une experte a insisté pour en savoir davantage au sujet des causes des décès en détention enregistrés dans le pays. Elle a fait observer qu'il y a un lieu de détention dans une région d'Éthiopie où 33 décès se sont produits en six mois. Elle a aussi relevé le nombre élevé de disparitions de personnes ayant été portées à l'attention du Comité et s'est enquise des résultats des enquêtes qui pourraient avoir été menées s'agissant de ces cas.

L'Éthiopie envisage-t-elle de recevoir le Rapporteur spécial sur la torture, a demandé une autre experte ?

Un membre du Comité a demandé à la délégation si elle était en mesure de transmette une liste des personnes ayant été condamnées pour torture ainsi qu'une liste de celles ayant été condamnées pour torture.

Réponses complémentaires de la délégation

La délégation a indiqué qu'elle n'est pas en mesure, humainement parlant, de fournir, à ce stade, des réponses à toutes les questions posées par les experts; cela requiert en effet que soient menées des consultations entre les membres de la délégation ainsi que des recherches.

S'agissant de la disposition du pays à recevoir le Rapporteur spécial sur la torture, la délégation a indiqué ne pas être en mesure de répondre à cette question.

La Constitution prévoit que la charia s'applique à certaines questions, ayant trait notamment aux questions familiales, a par ailleurs indiqué la délégation; mais elle prévoit également que la charia et les lois coutumières doivent respecter les droits de l'homme.

En conclusion, la délégation a regretté que des personnes venues de l'extérieur s'efforcent de définir l'Éthiopie comme un État de fédéralisme ethnique, alors que la population partage des objectifs et des valeurs communs. À cet égard, a déclaré la délégation par la voix de M. Yimer, le rapport qu'a présenté Mme McDougall à l'issue d'une visite de six jours dans le pays a laissé un goût amer aux autorités éthiopiennes, car l'experte indépendante se prononce sur le système fédéral éthiopien en affirmant qu'il ne marche pas et en forgeant de toute pièce cette notion de «fédéralisme ethnique».

La législation antiterroriste de l'Éthiopie a été reprise des législations occidentales similaires et en l'occurrence, s'inspire de la loi britannique en la matière, a par ailleurs ajouté M. Yimer.

Le Conseiller spécial auprès du Ministre éthiopien des affaires étrangères a d'autre part rejeté les allégations de l'organisation Human Rights Watch qui a publié ces dix dernières années 11 rapports concernant l'Éthiopie mais aucun sur le Soudan ni sur la Somalie. L'Éthiopie occupe à plein temps Human Rights Watch, a-t-il constaté. M. Yimer a estimé que le cas de cette ONG était désespéré.

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