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Communiqués de presse Organes conventionnels

Le Comité contre la torture examine la rapport de la Turquie

04 Novembre 2010

Comité contre la torture
4 novembre 2010

Le Comité contre la torture a examiné, hier après-midi et ce matin, le rapport de la Turquie sur les mesures prises par ce pays pour mettre en œuvre les dispositions de la Convention contre la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Présentant le rapport, M. Kaan Esener, Directeur général adjoint pour le Conseil de l'Europe et les droits de l'homme au Ministère des affaires étrangères de la Turquie, a notamment souligné qu'en vertu d'une modification constitutionnelle récente, les accords internationaux relatifs aux libertés et droits fondamentaux priment, en cas de conflit, sur les dispositions de la législation nationale. En outre, suite aux amendements constitutionnels adoptés par référendum en septembre 2010, les droits de l'homme et les libertés fondamentales ont été encore étendus et le système constitutionnel mis en conformité avec les obligations internationales de la Turquie. Ainsi, le droit de porter plainte est désormais défini comme un droit constitutionnel; l'obstacle constitutionnel qui entravait l'établissement d'un bureau de l'ombudsman est levé; le droit de l'individu d'ester en justice auprès de la Cour constitutionnelle est reconnu; des civils ne peuvent plus être jugés par des tribunaux militaires, sauf en temps de guerre. M. Esener a en outre affirmé que le Gouvernement avait adopté une politique de «tolérance zéro à l'égard de la torture», dont le succès a été reconnu par le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) dès 2004. Il a aussi rappelé que la Turquie avait aboli en juin 2004 les tribunaux de sûreté de l'État et que la peine de mort a été abolie en 2001.

La délégation turque était également composée d'autres représentants du Ministère des affaires étrangères et du Ministère de la justice. Elle a répondu aux questions que lui ont adressées les membres du Comité s'agissant notamment des poursuites engagées et condamnations prononcées pour des actes de torture et de mauvais traitements; des délais de prescription des actes de torture; du taux d'occupation des prisons; de la situation des réfugiés et requérants d'asile; de la violence contre les femmes; ou encore de la question des personnes disparues à Chypre.

M. Alessio Bruni, rapporteur du Comité pour l'examen du rapport de la Turquie, a relevé qu'en dépit de la politique de «tolérance zéro» proclamée par les autorités turques à l'égard de la torture, des allégations de torture et de mauvais traitements persistent. D'après des informations reçues d'organisations non gouvernementales, les cas de torture et de mauvais traitements auraient connu une augmentation en Turquie ces dix-huit derniers mois, en particulier dans les lieux de détention de la police et lors du transfert de détenus vers des établissements carcéraux. M. Bruni a par ailleurs déploré que la Turquie n'ait toujours pas éliminé la prescription pour les actes de torture. La corapporteuse, Mme Felice Gaer, a pour sa part déclaré qu'après les progrès constatés lors de la présentation du précédent rapport de la Turquie, en 2003, elle avait aujourd'hui l'impression qu'un certain retour en arrière en termes de protection des droits individuels et de prévention de la torture. Le Comité a reçu une quantité importante d'informations concernant des personnes victimes de violences policières ces trois dernières années. Les allégations de torture, de disparitions forcées, l'impunité de la police, de violences contre les femmes sont autant de sujets de préoccupation qui amènent à s'interroger sur l'état de droit qui prévaut actuellement en Turquie, a insisté Mme Gaer.

La Turquie est fermement engagée dans l'éradication de la torture, a assuré la délégation, ajoutant que le pays avance constamment dans ce domaine. Elle a ajouté que si le pays avait connu des problèmes en la matière dans les années 1980 et 1990, ces temps sont révolus.

Le Comité adoptera, dans le cadre de séances privées, des observations finales sur le rapport de la Turquie qui seront rendues publiques à la fin de la session, le vendredi 19 novembre prochain.

Cet après-midi, à 15 heures, le Comité entamera l'examen du rapport de la Bosnie-Herzégovine (CAT/C/BIH/2-5).

Présentation du rapport de la Turquie

M. KAAN ESENER, Ministre plénipotentiaire, Directeur général adjoint pour le Conseil de l'Europe et les droits de l'homme au Ministère des affaires étrangères de la Turquie, a déclaré que depuis la présentation de son précédent rapport, examiné par le Comité en mai 2003, la Turquie a poursuivi un processus complet de réformes visant à protéger et à promouvoir les droits de l'homme. Toute une série de réformes ont été introduites dans la législation dans un bref laps de temps, y compris un certain nombre de modifications à la Constitution et une révision complète des lois fondamentales. La modification la plus importante de la Constitution concerne l'article 90, aux termes duquel les accords internationaux relatifs aux libertés et droits fondamentaux priment, en cas de conflit, sur les dispositions de la législation nationale en la matière. M. Esener a par ailleurs rappelé qu'un moratoire sur la peine de mort avait été instauré à compter de 1984 et que la peine de mort a finalement été abolie en 2001. L'adoption du nouveau Code civil, du nouveau Code pénal et du nouveau Code de procédure pénale visant à aligner le cadre juridique de la Turquie sur les critères et principes européens a permis de consolider efficacement les modifications de la Constitution, a-t-il poursuivi.

Plus récemment, suite aux amendements constitutionnels adoptés par référendum en septembre 2010, les droits de l'homme et les libertés fondamentales ont été encore étendus et le système constitutionnel mis en conformité avec les obligations internationales de la Turquie, a ajouté M. Esener. Les amendements apportés ont fait disparaître plusieurs lacunes qui avaient été mentionnées dans les jugements de la Cour européenne des droits de l'homme et ont permis la mise en œuvre de plusieurs recommandations faites par des organes de contrôle régionaux et internationaux. Ainsi, la récente réforme constitutionnelle inclut la discrimination positive au nombre des droits constitutionnels auxquels peuvent prétendre les personnes ayant besoin de protection spéciale – comme les enfants, les personnes âgées et handicapées ou encore les femmes pour parvenir à une égalité de facto entre hommes et femmes. Cette réforme a également défini le droit de porter plainte comme un droit constitutionnel. Elle a en outre éliminé l'obstacle constitutionnel qui entravait l'établissement d'un bureau de l'ombudsman et a introduit le droit de l'individu d'ester en justice auprès de la Cour constitutionnelle s'agissant des droits et libertés fondamentaux reconnus par la Constitution. Enfin, cette récente réforme a instauré la garantie constitutionnelle empêchant que des civils ne soient jugés par des tribunaux militaires, sauf en temps de guerre.

M. Esener a également indiqué que la loi contre le terrorisme a été amendée au mois de juillet dernier afin d'assurer que tous les enfants suspects, sans distinction d'âge, soient traités en vertu du même régime par les tribunaux juvéniles pertinents. Selon ces nouveaux amendements, les mineurs qui participent à des réunions ou des manifestations illégales ou qui distribuent des matériels de propagande pour le compte d'organisations déclarées illégales ne peuvent pas être jugés sur des accusations de terrorisme par des cours d'assises. De plus, la loi réduit les peines appliquées aux enfants accusés de délits en rapport avec le terrorisme.

La lutte contre la torture et les mauvais traitements a occupé une place prioritaire sur l'agenda du Gouvernement, a poursuivi M. Esener. La Turquie est déterminée à prévenir et à éliminer la torture et autres peines et traitements inhumains ou dégradants, dans lesquels elle voit des actes qui ne sauraient se justifier en aucune circonstance, a-t-il déclaré. Le Gouvernement a adopté une politique de «tolérance zéro à l'égard de la torture» et, conformément à cette politique, il a apporté différentes modifications à la législation; il ne ménage aucun effort pour appliquer les réformes et les modifications. Le succès de cette politique de «tolérance zéro» a été reconnu par le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) dès 2004 et les résultats enregistrés par la Turquie ont également été reconnus par la société civile. Le cadre juridique ainsi que cette politique de «tolérance zéro» ont eu l'impact souhaité sur le terrain, comme l'atteste la constatation du CPT selon laquelle «les faits sur le terrain sont encourageants», a insisté M. Esener. Les progrès de la Turquie sont désormais cités en exemple par le CPT à l'intention d'autres pays, a-t-il fait valoir.

Le Directeur général adjoint pour les droits de l'homme a en outre attiré l'attention sur la modification constitutionnelle de mai 2004 qui a abouti à la suppression des tribunaux de sûreté de l'État en juin 2004. Les infractions dont ces tribunaux étaient saisis relèvent désormais de la compétence de hautes instances pénales (dont la juridiction porte sur des affaires pouvant emporter de lourdes peines). Le nouveau Code pénal qui a été adopté par le Parlement le 26 septembre 2004 accorde une place particulière à la protection des libertés et droits fondamentaux de la personne, a ajouté M. Esener. Il frappe les auteurs d'actes de torture de peines allant de 3 à 12 ans d'emprisonnement. Les actes de torture commis sous forme de harcèlement sexuel sont punis de peines allant de 10 à 15 ans d'emprisonnement. Les peines prévues pour des actes de torture avec circonstances aggravantes ont été alourdies compte tenu de la gravité des conséquences, lourdes ou permanentes, de ces actes. En outre, le Code pénal interdit expressément la réduction de la peine quand l'infraction est commise par négligence.

M. Esener a d'autre part rappelé que son pays avait signé le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture en septembre 2005. Le processus de ratification de ce Protocole est en cours et devrait être finalisé très prochainement, car cette question figure au premier rang de celles qui doivent être examinées par la Plénière de la Grande Assemblée nationale, a-t-il ajouté.

Le troisième rapport périodique de la Turquie (CAT/C/TUR/3) fait valoir que dans son rapport suite à la visite que ses représentants ont effectuée en Turquie en décembre 2005, le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) a déclaré que les nouveaux Codes pénal et de procédure pénale, ainsi que le texte révisé du Règlement relatif à l'arrestation, la garde à vue et l'interrogatoire qui est entré en vigueur le 1er juin 2005 ont consolidé les améliorations apportées ces dernières années et a estimé que, plus que jamais auparavant, le placement en détention par les forces de l'ordre s'inscrivait désormais dans un cadre législatif et réglementaire permettant à leurs agents de lutter efficacement contre la torture et les autres formes de mauvais traitements. S'agissant du droit des détenus à une assistance juridique, poursuit le rapport, les dispositions du nouveau Code de procédure pénale concernant le droit des suspects ou des prévenus aux services d'un avocat ont établi un système d'assistance juridique efficace, qui s'est concrétisé par des résultats positifs. Le nouveau Code pénal a alourdi les peines imposées pour actes de torture et, en conséquence, a allongé le délai de prescription pour ces actes, le portant à 15 ans. Quand l'acte de torture cause la mort de la victime, l'auteur est puni d'une peine de réclusion à perpétuité, et le délai de prescription est de 40 ans. La suppression de la prescription pour une seule infraction, et son maintien pour d'autres, n'est pas jugée conforme à la Constitution et aux principes fondamentaux du droit pénal. Par ailleurs, comme le nouveau Code pénal a alourdi les peines infligées pour torture, il n'est plus possible de suspendre ou de commuer les peines prononcées à l'encontre des agents de l'État reconnus coupables d'actes de torture ou de mauvais traitements, indique le rapport.

Les établissements pénitentiaires en Turquie font l'objet d'inspections régulières et ad hoc, si besoin est, par les représentants des mécanismes d'inspection de l'administration, de la justice, des ONG, du Parlement et des organisations internationales. Sur les plans administratif et judiciaire, les prisons reçoivent aussi la visite d'inspecteurs du Ministère de la justice, de représentants de la Direction générale des établissements pénitentiaires, s'il en existe, et des procureurs. Les mesures prises pour remédier aux déficiences susceptibles d'être décelées lors des inspections font l'objet d'un suivi par la Direction générale. Des inspections judiciaires sont également menées par les services du juge de l'application des peines, créés en application de la Loi sur le Bureau du juge de l'application des peines. En cas de problème, les condamnés et les détenus peuvent saisir le juge de plaintes concernant l'exécution de leur peine ou les conditions carcérales et peuvent faire appel de sa décision devant la Cour d'assises. L'article 5 de la Loi sur l'exécution des peines et les mesures de sécurité confère aux procureurs généraux le pouvoir d'inspecter et de surveiller les prisons. Leurs visites régulières et inopinées constituent un facteur dissuasif et, par conséquent, une garantie supplémentaire pour tous les condamnés contre les comportements abusifs éventuels des personnels carcéraux. Dans les affaires qui ne relèvent pas de la juridiction de la haute instance pénale, la durée maximale de la détention provisoire est de six mois. Cependant, s'il existe des motifs péremptoires, cette durée peut être prolongée de quatre mois, et la décision doit être motivée. Dans les cas qui relèvent de la juridiction de la haute instance pénale, la durée maximale de la détention provisoire est de deux ans. S'il existe des motifs péremptoires, cette durée peut être prolongée, et la décision doit être motivée; cependant, la durée totale de la détention ne doit pas excéder trois ans.

Le Bureau spécialisé dans les enquêtes sur les allégations de violation des droits de l'homme a été créé au sein du Comité d'inspection du Ministère de l'intérieur en mars 2004. Les allégations de violation des droits de l'homme que les services centraux et locaux du Ministère reçoivent sont transmises au Bureau, qui procède aux investigations. S'il le juge nécessaire, il charge des inspecteurs publics de mener une enquête, avec le concours des agents inspecteurs de la gendarmerie et de la Direction générale de la sûreté. Le Centre d'enquête et d'évaluation des violations des droits de l'homme de la Gendarmerie, qui a été créé le 26 avril 2003, est spécialement chargé de procéder aux enquêtes et aux évaluations concernant les plaintes pour violations présumées des droits de l'homme survenues dans la sphère de responsabilité de la gendarmerie ou de violations qui surviennent dans l'exercice des fonctions du personnel de la gendarmerie. Afin de protéger et d'améliorer la situation des droits de l'homme, les conseils provinciaux et infraprovinciaux des droits de l'homme sont chargés de visiter les institutions et les organisations pertinentes pour y surveiller directement les pratiques suivies en la matière, examiner les commissariats de police et les formulaires d'inspection des locaux, formuler, en cas d'anomalie, des recommandations afin d'améliorer les conditions matérielles dans les cellules pour les rendre conformes à la loi, et procéder à des recherches et examens pour assurer le respect effectif des droits du prévenu. Les conseils des droits de l'homme comptent près de 14 000 membres, représentants d'organisations de la société civile, de syndicats, de chambres des métiers, d'universités, de la presse locale et des partis politiques ainsi que des spécialistes des droits de l'homme.

Examen du rapport

Questions et observations des membres du Comité

M. ALESSIO BRUNI, rapporteur du Comité pour l'examen du rapport de la Turquie, a souhaité savoir si, étant donné qu'elle prime sur le droit interne, la Convention contre la torture peut être invoquée directement devant les tribunaux turcs et peut servir de fondement pour les décisions de justice, et si, dans ce cas, la délégation peut fournir des exemples.

Le rapporteur a en outre demandé des précisions sur la façon dont une personne arrêtée est informée des motifs de son arrestation. Il a aussi voulu savoir combien de temps une personne arrêtée peut être détenue sans être présentée devant un juge.

En dépit de la politique de «tolérance zéro» de la torture proclamée par les autorités turques, des allégations de torture et de mauvais traitements persistent, en particulier dans des lieux autres que les lieux de détention officiels. En outre, les auteurs de tels actes jouiraient largement de l'impunité, a souligné M. Bruni.

M. Bruni s'est par ailleurs enquis des conditions de prise en charge des détenus souffrant de troubles psychiatriques et a demandé si ces détenus sont-ils séparés des autres détenus.

Le Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d'Istanbul) fait-il partie de la formation des personnels chargés de l'inspection des lieux de détention, a par ailleurs demandé le rapporteur. Il a aussi demandé des précisions sur les inspections les plus récentes de lieux de détention en Turquie.

M. Bruni a relevé un certain nombre de contradictions entre les informations fournies par la Turquie et celles présentées par des ONG qui ont déploré le manque de mécanisme indépendant permettant de faire des enquêtes sur les violations de droits de l'homme, ainsi que le manque de système indépendant de surveillance des lieux de détention. Quel est le taux d'occupation actuel des lieux de détention en Turquie et comment est réglé le problème de la surpopulation carcérale? Le rapporteur a aussi demandé quelles sanctions disciplinaires sont prévues pour les détenus qui violent les règles de la prison. Il a aussi voulu savoir s'il existe-t-il des cellules de détention en isolement.

Relevant qu'entre janvier et mars 2008, les Conseil provinciaux et infraprovinciaux des droits de l'homme ont réalisé des visites de locaux de garde à vue de la gendarmerie et de la police et ont constaté que 654 étaient conformes aux normes alors que 333 locaux présentaient des problèmes, M. Bruni a souhaité savoir quels étaient ces problèmes de non-conformité. Quelles ont été les mesures prises pour y remédier et quels ont été les effets de ces mesures?

D'après des informations reçues d'ONG, a poursuivi M. Bruni, les cas de torture et de mauvais traitements auraient connu une augmentation en Turquie ces dix-huit derniers mois, en particulier dans les lieux de détention de la police et lors de transfert de détenus vers des établissements carcéraux.

M. Bruni a par ailleurs relevé que la Turquie n'a toujours pas éliminé la prescription pour les actes de torture. Or l'imprescriptibilité du crime de torture permettrait de s'assurer qu'une personne responsable d'un acte de torture n'échappe jamais à la justice, a-t-il souligné; en outre, cela correspondrait davantage à la politique de «tolérance zéro» à l'égard de la torture prônée par la Turquie.

D'après des informations émanant d'ONG, a poursuivi M. Bruni, persistent en Turquie des cas où des personnes placées en garde à vue sont torturées avant d'être dûment enregistrées. Ainsi, ces personnes se trouvent-elles temporairement en dehors de toute protection par la loi tant qu'elles ne sont pas encore inscrites au registre des gardes à vue: durant ce laps de temps, ces personnes pourraient être transférées vers des lieux non officiels de détention – ce qui, selon certaines ONG, serait assez fréquent. S'agissant de la détention provisoire, M. Bruni a relevé que sa durée maximale est de deux années, prorogeables dans certaines circonstances. Or, selon certaines informations, il existe des cas où cette détention a duré une dizaine d'années, s'est-il inquiété.

Le Médiateur est-il habilité à recevoir des plaintes pour torture et mauvais traitements et, le cas échéant, peut-il en saisir le pouvoir judiciaire, a par ailleurs demandé le rapporteur?

MME FELICE GAER, corapporteuse du Comité pour l'examen du rapport de la Turquie, a souligné que si des progrès pouvaient indéniablement être notés lors de la précédente présentation de la Turquie devant le Comité, elle avait aujourd'hui l'impression d'un certain retour en arrière dans ce pays en matière de protection des droits individuels et de prévention de la torture. Le Comité a été submergé d'informations concernant des personnes victimes de violences policières ces trois dernières années, a-t-elle déclaré.

Mme Gaer s'est inquiétée des modifications qui ont été apportées à la législation turque et qui permettent que les personnes suspectées de terrorisme puissent être privées de toute assistance juridique dans les premières 48 heures de leur garde à vue. En outre, la loi actuellement en vigueur semble menacer la confidentialité entre le prévenu et son avocat, tout comme elle restreint l'accès des parlementaires aux personnes suspectées de terrorisme.

Les allégations de torture, de disparitions forcées, l'impunité de la police, les violences contre les femmes sont autant de sujets de préoccupation qui amènent à s'interroger sur l'état de droit qui prévaut actuellement en Turquie, a insisté Mme Gaer.

La corapporteuse a fait état de plusieurs allégations d'abus commis en dehors des lieux de détention officiel. Elle a souhaité savoir s'il existe en Turquie un mécanisme permettant d'assurer la supervision des lieux de détention provisoire. Elle s'est en outre enquise des efforts déployés par le Gouvernement pour fournir des informations sur les cas de disparitions.

La Turquie ne dispose pour toute l'étendue de son territoire que d'une cinquantaine de centres d'accueil pour les femmes victimes de violence, a par ailleurs relevé Mme Gaer. Elle s'est enquise du nombre d'enquêtes menées par les autorités au sujet d'actes de violence sexuelle. Elle a également demandé à la délégation de fournir des informations sur les crimes d'honneur et le nombre de condamnations prononcées pour de tels crimes.

Un autre membre du Comité a souhaité savoir si une décision prise en première instance de débouter un requérant d'asile de sa demande peut entraîner une expulsion immédiate de cette personne ou si le requérant dispose toujours d'un recours.

Une autre experte s'est inquiétée que des informations émanant de médecins indiquent que, ces dernières années, il semblerait qu'il y ait en Turquie des cas de femmes exposées à des violences sexuelles dans les prisons. Elle a par ailleurs attiré l'attention sur la double discrimination dont sont victimes les femmes kurdes – en tant que femmes et en tant que Kurdes.

Un autre membre du Comité a relevé qu'au mois de mai 2010, la Turquie comptait 250 enfants en détention provisoire, âgés de 12 à 14 ans et en attente de jugement et a voulu savoir quelle était l'âge de la responsabilité pénale en Turquie.

Faisant état d'allégations concernant des mauvais traitements dont auraient été victimes des Chypriotes grecs, une experte a souligné que la Turquie ne semble pas s'être acquittée de son obligation d'ouvrir une enquête lorsque de telles accusations sont portées concernant de tels actes sur tout territoire relevant de sa juridiction.

Selon Amnesty International, a fait observer un membre du Comité, les juges et les procureurs refusent d'appliquer certains articles de lois comme le nouvel article 90 de la Constitution aux termes duquel les accords internationaux relatifs aux libertés et droits fondamentaux priment, en cas de conflit, sur les dispositions de la législation nationale. Les juges semblent plus à l'aise avec la législation nationale et c'est pour cela que la formation des juges au droit international revêt une importance capitale, a souligné cet expert. La torture est un crime international; or un crime international ne souffre aucune prescription, a en outre rappelé l'expert.

Réponses de la délégation turque

La délégation a rappelé que la ratification par la Turquie du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture ne devrait pas tarder, de sorte que la Turquie devrait prochainement disposer d'un mécanisme national adéquat de prévention de la torture conforme au Protocole facultatif. Un projet de loi a été élaboré à cet effet, a précisé la délégation. L'organe de contrôle des lieux de détention qui sera ainsi créé permettra d'assurer une meilleure surveillance.

Les dérogations à la loi prévues en cas d'état d'urgence, de loi martiale et de période de guerre – par exemple pour ce qui est des délais de garde à vue – ne sont pas précisées dans la loi et il appartiendrait au Gouvernement et au Parlement d'en préciser les contours si elles venaient à s'appliquer, a par ailleurs indiqué la délégation.

Certes, des cas individuels de recours disproportionné à la force, par exemple contre des manifestants, peuvent se produire, mais il convient de garder à l'esprit que les autorités turques ne manqueraient pas de poursuivre comme il se doit toute personne qui aurait ainsi recours à une force disproportionnée, a d'autre part affirmé la délégation.

Il existe cinq centres de réinsertion pour les détenus souffrant de troubles psychiatriques dans le cadre des institutions pénitentiaires, a par ailleurs indiqué la délégation. Ces détenus sont donc séparés des autres détenus, a-t-elle insisté.

La délégation a reconnu que la Turquie connaît un problème en ce qui concerne le taux d'occupation des lieux de détention. Le pays compte une population carcérale d'environ 120 000 personnes – pour moitié des personnes condamnées et pour moitié des personnes placées en détention préventive, a-t-elle indiqué. Il est clair qu'il n'est pas acceptable qu'une personne puisse être détenue pendant dix ans avant son procès, a par ailleurs admis la délégation, reconnaissant qu'il y a dans ce domaine de la détention avant procès un grand problème que les autorités ont la ferme intention de résoudre. Il est vrai que les prisons turques sont engorgées et surpeuplées, a déclaré la délégation, précisant que le personnel pénitentiaire turc s'élève à 27 000 personnes.

La Turquie est un pays de transit et de destination des migrations et il est vrai qu'elle fait face à un problème dans ce domaine, a par ailleurs admis la délégation. Elle a notamment précisé qu'un projet de loi a été préparé qui vise la création au sein du Ministère de l'intérieur d'un bureau qui s'occupera uniquement des réfugiés et requérants d'asile. Cela devrait permettre de remédier aux violations des droits de l'homme qui ont été détectées en la matière par la Cour européenne des droits de l'homme, a ajouté la délégation.

Interrogée sur le nombre de condamnations prononcées à l'encontre d'auteurs d'actes de torture et mauvais traitements après 2008, la délégation a estimé que toutes les dispositions légales adoptées et en vigueur pour que de tels actes fassent l'objet d'enquête sont assez efficaces. Entre février 2005 et avril 2010, a-t-elle précisé, le nombre de personnes contre lesquelles une action disciplinaire a été engagée s'est élevé à 191; s'agissant des actions judiciaires entreprises en vertu des articles pertinents du Code pénal, il y en a eu 265 durant cette même période.

Le délai maximal de prescription pour les actes de torture est le même que celui qui prévaut pour les crimes contre l'humanité, soit 40 ans, a par ailleurs souligné la délégation.

Les autorités travaillent actuellement à la création d'un mécanisme indépendant de plaintes contre la police, a d'autre part indiqué la délégation. Elle a aussi indiqué que le médiateur sera élu par le Parlement.

La Turquie est fermement engagée dans l'éradication de la torture, a assuré la délégation, ajoutant que le pays ne fait désormais qu'avancer dans ce domaine. Le pays avait des problèmes en la matière dans les années 1980 et 1990, mais ces temps sont révolus, a insisté la délégation. Lorsque l'on compare les arrêts passés et les arrêts actuels de la Cour européenne des droits de l'homme, a-t-elle souligné, on constate qu'il y a indéniablement eu un déclin des arrêts se référant au droit à la vie et au droit de ne pas être soumis à la torture. Lorsqu'il en subsiste, il s'agit généralement de questions de procédure.

En ce qui concerne la violence contre les femmes, la délégation a souligné que c'est une question qui se pose dans tous les pays. Les autorités turques sont conscientes du problème et s'efforce de trouver des solutions, a-t-elle ajouté, faisant notamment part de programmes de formation dispensés à cette fin.

En réponse à l'intervention d'une experte qui avait soulevé une question à propos de Chypre (la délégation affirmant qu'il n'était «pas difficile de deviner de quel pays elle venait»), la délégation a déclaré que le Comité sur les personnes disparues à Chypre avait obtenu de bons résultats pour ce qui est d'éclaircir les cas de disparitions. En revanche, a ajouté la délégation, affirmer qu'il y a des personnes disparues en Turquie relève d'un mythe.

La délégation a par ailleurs estimé que la procédure suivie par le Comité, qui pose un jour une multitude de questions auxquelles l'État partie est censé répondre dès le lendemain, ne laissait pas suffisamment de temps à ce dernier pour préparer ses réponses.

Questions complémentaires des experts

Le rapporteur du Comité pour la Turquie, M. BRUNI, s'est dit heureux d'apprendre que le mécanisme de prévention de la torture serait mis en place en consultation avec la société civile et conformément aux Principes de Paris. Il s'est en outre réjoui qu'il soit contraire à la loi de procéder à l'examen médical d'un détenu en présence d'un policier.

Le rapporteur a toutefois souhaité savoir si les rencontres entre les détenus et leurs avocats se déroulent en toute confidentialité. En outre, la détention au secret est-elle prévue comme sanction disciplinaire et, si oui, comment se déroule-t-elle? Le rapporteur a par ailleurs regretté le manque d'informations s'agissant des résultats des visites des lieux de détention auxquelles il est procédé et des recommandations qui en découlent.

La corapporteuse, Mme GAER, a rappelé que le Comité avait transmis il y a plus d'un an au Gouvernement turc une liste complète de points à traiter dans le cadre du présent examen du rapport; or, au cours de cet examen, des informations et des réponses n'ont pas été apportées à nombre de points soulevés dans cette liste de questions pourtant adressée à la Turquie il y a de nombreux mois, de sorte que l'argument avancé par la délégation selon laquelle elle n'avait pas disposé de suffisamment de temps depuis hier pour préparer ses réponses n'est pas recevable.

Mme Gaer a par ailleurs souligné que si certains cas examinés par la Cour européenne des droits de l'homme sont certes anciens, il n'en demeure pas moins que des questions de procédure continuent à se poser à leur sujet.

Mme Gaer a insisté pour connaître la suite qui a été donnée à des cas de disparitions, s'agissant en particulier d'enquêtes, de poursuites, de sanctions, voire d'indemnisations.

La corapporteuse a d'autre part souhaité savoir si les autorités turques ont eu des rencontres avec le Comité sur les personnes disparues à Chypre et s'il y avait eu des enquêtes à ce sujet.

Un autre membre du Comité a rappelé que les réfugiés et requérants d'asile sont des personnes vulnérables et qu'il convient de respecter à leur égard le principe de non-refoulement vers un pays où ils encourent le risque d'être soumis à la torture. Il y a en Turquie des minorités reconnues, en vertu du Traité de Lausanne; mais qu'en est-il des droits des minorités non reconnues, a demandé l'expert, relevant en outre que la Turquie maintient sa réserve à l'égard de l'article 27 de la Convention.

Une experte a rappelé la position du Comité selon laquelle les châtiments corporels doivent être interdits en toute circonstance, y compris au sein de la famille.

Les crimes internationaux ne se prescrivent pas et créent une compétence universelle, a encore rappelé un membre du Comité.

Réponses complémentaires de la délégation

La délégation turque a précisé que la présence des forces de l'ordre lors de l'examen médical d'un détenu est illégale, sauf si elle est demandée par le médecin pour une raison ou une autre.

La détention au secret est une mesure disciplinaire qui s'effectue dans une cellule dont la superficie est généralement de 6 mètres carrés voire davantage, a par ailleurs indiqué la délégation. Les personnes ainsi détenues au secret sont privées de certains privilèges; elles peuvent notamment voir leurs activités sociales limitées, a-t-elle précisé.

Le CPT effectue régulièrement des visites en Turquie et les autorités turques coopèrent pleinement avec ce Comité européen, a par ailleurs souligné la délégation.

Comme c'est le cas dans de nombreux autres pays, les autorités turques ne recueillent pas de statistiques ethniques, a d'autre part rappelé la délégation.

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