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Communiqués de presse Organes conventionnels

Le Comité contre la torture entend les réponses de la délégation Suisse

03 Mai 2010

3 mai 2010
 

Le Comité contre la torture a entendu, ce matin, les réponses apportées par la délégation de la Suisse aux questions que lui ont adressées vendredi après-midi les membres du Comité s'agissant des mesures prises par le pays pour mettre en œuvre les dispositions de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Dirigée par M. Bernardo Stadelmann, Vice-Directeur de l'Office fédéral de la justice de la Suisse, la délégation a notamment apporté des précisions sur la formation des agents de police. Depuis 2005, les policiers obtiennent un brevet fédéral après des études comprenant notamment des modules d'enseignement de l'éthique et des droits de l'homme. Un Commissaire à la déontologie vérifie les modalités relatives aux arrestations telles qu'elles sont enseignées aux policiers. La délégation a aussi précisé que les policiers engagés dans des opérations de refoulement font l'objet d'une formation spécifique. En réponse aux questions des experts, la délégation a expliqué que le pistolet à impulsion électrique n'était utilisé que dans les interventions où la vie des agents et des victimes est en danger imminent et n'est en aucun cas employé dans les opérations de refoulement. La délégation a également répondu à des questions sur la détention administrative en attente de refoulement; sur la garantie des droits des requérants d'asile dans l'attente d'une décision; sur le fonctionnement de la commission de prévention de la torture désignée conformément au Protocole facultatif; et sur la liste des «États sûrs» sur la base de laquelle l'Office des migrations peut ne pas donner suite à une demande de droit d'asile. Elle a également apporté des précisions sur le suivi donné au décès d'un ressortissant nigérian qui devait faire l'objet d'un renvoi par vol spécial, une affaire qui avait préoccupé les experts vendredi lors de l'examen du rapport de la Suisse.

En fin de séance, le rapporteur du Comité pour l'examen du rapport de la Suisse, M. Abdoulaye Gaye, a souligné qu'il était indispensable de traiter la torture comme une infraction spécifique, notamment afin que tous les types de torture et de mauvais traitements soient adéquatement couverts par la législation, ce qui ne semble pas être le cas pour la Suisse s'agissant par exemple de la torture psychologique. Le corapporteur, M. Fernando Mariño Menéndez, s'est pour sa part félicité que des éléments tels que les mutilations génitales féminines ou les mariages forcés soient pris en considération dans la décision en matière de refoulement et a souhaité savoir si le danger pour la santé du requérant est également pris en compte. D'autres membres du Comité ont notamment déploré que la majorité des cantons suisses ne disposent pas de mécanismes indépendants pour enquêter sur les plaintes d'abus commis par les forces de police. Il a aussi été rappelé à la délégation que le Comité estimait que le pistolet à impulsion électrique est une arme dangereuse.

Le Comité adoptera en séance privée ses observations finales sur le rapport de la Suisse avant de les rendre publiques à la fin de la session, le vendredi 14 mai prochain.

Cet après-midi, à 15 heures, le Comité entamera l'examen du rapport initial de la Syrie (CAT/C/SYR/1).

Réponses de la délégation de la Suisse

La délégation suisse a fourni des précisions quant à la question d'une disposition spécifique sur la torture dans la législation suisse. Elle a assuré que même en l'absence d'une telle disposition, le système suisse était apte à incriminer les actes de torture. Ces actes sont passibles de peines appropriées en fonction de leur gravité. La délégation a également attiré l'attention sur l'article 10, alinéa 3 de la Constitution fédérale qui stipule que la torture ou tout autre traitement ou peine cruels, inhumains ou dégradants sont interdits. Cette norme est un droit fondamental absolu qui ne peut être restreint en aucune manière, a-t-il insisté. Concernant un éventuel ordre illégal d'accomplir un acte de torture, la délégation a précisé qu'un tel ordre engagerait non seulement la responsabilité pénale du supérieur, mais aussi celle du subordonné.

S'agissant du respect de l'article 3 de la Convention, relatif au principe de non-refoulement, la délégation a rappelé que le Tribunal administratif fédéral s'est prononcé dans plus de 3000 cas, entre 2007 et 2009, sur la question de savoir s'il y a des motifs sérieux de croire que la personne faisant l'objet d'une décision de renvoi risquait d'être soumise à la torture. Cette question est examinée d'office par le Tribunal et par toute autorité ayant à décider sur un renvoi, une expulsion ou une extradition.

Quant aux mesures prises pour lutter contre la traite des êtres humains, la délégation a expliqué que le droit interne suisse prévoit des mesures spécifiques pour les victimes de la traite des êtres humains, y compris en matière de permis de séjour. Le droit suisse prévoit un temps de réflexion d'une durée minimale de 30 jours qui doit permettre à la victime de stabiliser sa situation et permettre aux autorités de prendre des mesures de soutien médical, psychologique ou juridique. Durant cette période, la victime ne pourra en aucun cas être renvoyée, a garanti la délégation. Quant aux mesures de protection, les victimes bénéficient par exemple de l'anonymisation de leur témoignage ou d'un déplacement dans un lieu sûr. Ces mesures relèvent pour l'instant des polices cantonales, mais un projet de loi est actuellement élaboré pour renforcer le mécanisme de protection par un service fédéral, a ajouté la délégation. Enfin, concernant le nombre de cas signalés, en 2008, 26 procédures pénales ont été ouvertes dans le domaine de la traite des êtres humains. Ces dernières années, le nombre de cas oscille entre 20 et 30 cas.

En ce qui concerne le décès d'un ressortissant nigérian peu avant le départ d'un vol spécial pour le renvoi d'une quinzaine de personnes, la délégation a assuré que la Suisse déplore ce tragique décès, intervenu le 17 mars 2010. Elle a précisé que suite à ce décès, l'Office des migrations a ordonné sans délai la suspension des vols spéciaux tant que la lumière ne serait pas faite sur cette affaire. Les causes exactes du décès ne sont pour l'heure pas encore établies; l'enquête pénale suit son cours; diverses auditions ont été conduites pour établir les responsabilités. Par ailleurs, l'Office des migrations a examiné les processus en vigueur lors des rapatriements forcés; il compte tirer des enseignements sur la manière dont sont conduites ces opérations, afin de les améliorer. Quant à la mise en place d'observateurs indépendants -une proposition formulée par les experts vendredi- cette question est examinée dans le cadre de l'adoption de la directive européenne sur le retour dans l'espace Schengen, a précisé la délégation. Des discussions sont en cours au Parlement.

Certains experts ayant demandé un complément d'informations sur la détention administrative en attente du refoulement, la délégation a expliqué que la loi sur les étrangers prévoyait des mesures de contraintes, comme la détention en vue du renvoi ou la détention pour insoumission. La détention n'intervient que si l'un des motifs prévus par la loi est satisfait, a-t-elle précisé. Chaque cas doit être présenté à un juge indépendant et ce, dans les 96 heures. En vertu du principe de célérité, le canton chargé du renvoi doit entamer des démarches rapides en vue du renvoi; s'il ne le fait pas, la décision de détention peut être levée. Enfin, un délégué suisse a indiqué que la durée maximale de la détention administrative diminuera de 24 à 18 mois avec l'adoption de la directive européenne sur le retour. En ce qui concerne les recours, la délégation a indiqué que toute décision formelle de renvoi est assortie d'un délai de recours. Dans le cadre des procédures accélérées, les garanties sont identiques; le délai de recours est toutefois plus court.

Lors de l'examen du rapport suisse, plusieurs experts s'étaient inquiétés de la situation d'une femme ayant demandé le divorce pour cause de violences, et par ce fait perdu son titre de séjour. Sur ce point, la délégation a indiqué que l'autorisation de séjour n'est pas liée à l'époux mais au mariage. Il peut toutefois être reconduit lorsque l'intégration est avancée ou pour des motifs personnels majeurs, comme la violence conjugale ou une réintégration compromise dans le pays d'origine. La loi n'est pas exhaustive et laisse aux autorités une marge d'appréciation humanitaire, a assuré la délégation.

Pour ce qui est de la liste des «États sûrs», la délégation a rappelé que l'Office des migrations peut ne pas donner suite à une demande de droit d'asile si la personne provient d'un État considéré comme sûr. Le Conseil fédéral établit la liste des pays sûrs selon un ensemble de critères: la situation politique et des droits de l'homme dans le pays considéré; l'application des normes des droits de l'homme selon le Pacte relatif aux droits civils et politiques; la stabilité politique; les progrès au regard des droits de l'homme; et l'acceptation d'une surveillance par des organisations indépendantes. En outre, un grand nombre de ces demandes d'asile doivent avoir été traitées jusqu'à présent comme manifestement infondées.

Interrogée sur la garantie des droits des requérants d'asile, la délégation a indiqué que l'Office des migrations informe les requérants de leur possibilité de faire appel à un conseiller juridique ou représentant légal. Dans les aéroports de Genève et de Zurich, les requérants peuvent se déplacer librement dans les zones interdites au public. Dans ces deux aéroports, l'Office des migrations a mis en place de nouvelles structures d'encadrement et construit des logements modernes et fonctionnels comptant des pièces séparées pour les femmes seules, les femmes avec enfants et les mineurs. À Genève, les requérants bénéficient d'un accès à l'air libre 24 heures sur 24.

En réponse à une question, la délégation suisse a assuré qu'aucun retrait de nationalité ne peut mener à l'apatridie. Tout retrait de nationalité est conditionné au fait que la personne détienne une autre nationalité.

Répondant aux questions portant sur l'usage du pistolet à impulsion électrique, la délégation a indiqué que onze cantons ont introduit l'usage de ces armes; elles sont uniquement destinées à équiper des spécialistes de groupes d'intervention. À ce jour, aucun décès n'a été enregistré après l'utilisation d'un «taser», a précisé un représentant de la délégation. Il a rappelé que cette arme est utilisée dans plus de 40 pays. Selon des études menées auprès de six forces de police américaines, sur 962 engagements de cette arme entre 2006 et 2007, dans 99,7% des cas, les personnes n'ont subi aucune blessure ou des blessures légères. Sur 647 tests réalisés en Suisse avec des volontaires, 6, soit moins de 1%, ont présenté des blessures légères; aucun problème cardiaque n'a été constaté. La délégation a précisé que le «taser» n'a été utilisé qu'à deux reprises à Genève depuis 2009: cette arme n'est utilisée que dans les interventions où la vie des agents et des victimes est en danger imminent; elle n'est jamais utilisée dans les opérations de refoulement.

S'agissant de la formation des agents de police, la délégation a expliqué que depuis 2005, les policiers obtiennent un brevet fédéral après des études comprenant notamment des modules d'enseignement de l'éthique et des droits de l'homme. Un Commissaire à la déontologie vérifie les modalités relatives aux arrestations qui sont enseignées aux policiers. La délégation a également précisé que les policiers engagés pour les opérations de refoulement font l'objet d'une formation spécifique; ils sont les seuls à participer à ces opérations.

Répondant à des questions sur la détention des mineurs, la délégation a notamment indiqué que les jeunes peuvent exécuter une peine de prison jusqu'à quatre semaines ou sous la forme d'une semi-détention jusqu'à une année. Les jeunes qui sont en détention provisoire doivent être placés dans un établissement spécifique ou, séparés des adultes, dans une unité particulière.

En ce qui concerne la surpopulation carcérale constatée en Suisse romande, la délégation a expliqué que si le taux d'occupation de certains établissements dans le canton de Vaud est élevé, il ne s'agit pas pour autant d'un problème de surpopulation: c'est avant tout la détention provisoire qui cause ces taux élevés. Dans la prison de Champ-Dollon, à Genève, la situation est en revanche hors norme. Plusieurs projets sont en cours pour faire face à ce problème, et notamment un projet visant la réalisation d'un établissement d'exécution de mesures thérapeutiques institutionnelles pour le traitement des troubles mentaux; la construction d'un établissement de détention avant jugement; et la création de 45 places de détention au Palais de justice.

La délégation a par ailleurs donné quelques précisions sur la commission de prévention de la torture désignée conformément au Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture. Cette commission a un accès sans restriction à tous les établissements où sont placées des personnes privées de liberté; elle formule des recommandations à l'intention des autorités compétentes et fait des observations et propositions sur la législation en vigueur; elle est indépendante; et elle publie un rapport à l'attention du public. La délégation a également souligné que les données confidentielles qui lui sont transmises bénéficient d'un traitement privilégié. Enfin, elle a indiqué que le budget annuel de la Confédération alloué au fonctionnement de cette Commission s'élève à 360 000 francs.

Un expert ayant déploré que la Suisse semble considérer que l'établissement d'une institution nationale des droits de l'homme est prématuré, la délégation a mentionné que le Conseil fédéral a, en 2009, décidé de soutenir la création d'un centre de compétences dans le domaine des droits de l'homme. Ce centre sera créé par une ou plusieurs universités et bénéficiera d'un financement de la Confédération.

S'agissant du traitement des plaintes pour mauvais traitements de la part de la police, la délégation a indiqué que ces plaintes sont traitées par un juge d'instruction ou par le procureur. Dans les cantons de Bâle-Ville, de Bâle-Campagne et de Zoug, les victimes peuvent s'adresser à un Ombudsman. Des mécanismes indépendants existent dans les cantons de Genève, de Zurich et de Fribourg.

Un membre du Comité s'étant demandé si une initiative contraire à la Constitution peut être soumise à votation, la délégation a expliqué que les critères de validité d'une initiative populaire sont fixés dans la Constitution. L'un des critères est que l'initiative doit respecter les règles impératives du droit international, le ius cogens. S'intéressant plus précisément à une initiative sur les renvois prévoyant que des étrangers qui commettent des délits ou qui ont perçu abusivement des prestations sociales soient privés de leur droit de séjour, la délégation a précisé que le Conseil fédéral a estimé que cette initiative peut être interprétée de sorte que le principe du non-refoulement soit respecté. Dans son message, le Conseil fédéral a aussi constaté que l'initiative est contraire à plusieurs dispositions de la Constitution et du droit international qui ne sont pas impératives au sens du ius cogens. Pour cette raison, il a recommandé le rejet de l'initiative.

Invitée à donner des précisions sur l'internement à vie, la délégation a précisé que pour des décisions de ce type, le juge doit se fonder sur des expertises réalisées par au moins deux experts indépendants. L'auteur doit avoir commis une des infractions les plus graves du Code pénal, comme par exemple un assassinat, un viol, un enlèvement ou un génocide; l'auteur a voulu porter une atteinte particulièrement grave à l'intégrité d'autrui; et il est hautement probable que l'auteur commette à nouveau un crime. D'autre part, l'autorité compétente examine, d'office ou sur demande, si de nouvelles connaissances scientifiques pourraient permettre de traiter l'auteur de manière qu'il ne représente plus de danger pour la collectivité. En outre, le juge peut libérer conditionnellement de l'internement à vie l'auteur qui, à cause de son âge, d'une maladie grave ou pour une autre raison ne présente plus de danger pour la collectivité. La délégation a également souligné que cette disposition ne s'applique pas aux mineurs; ceux-ci restent soumis au droit pénal des mineurs qui prévoit comme peine la plus sévère une peine privative de liberté de 4 ans.

Questions supplémentaires des membres du Comité

M. ABDOULAYE GAYE, rapporteur du Comité pour l'examen du rapport de la Suisse, a fait observer que la consécration de la torture comme infraction spécifique est indispensable, notamment afin que tous les types de torture et de mauvais traitements soient correctement couverts par la législation. Sur ce point, il a souhaité savoir ce qui, dans le droit interne suisse, permet de sanctionner la torture psychologique prévue par l'article 1er de la Convention.
Prenant note des précisions données par la délégation s'agissant de l'établissement de la liste des États sûrs, le rapporteur a souhaité savoir s'il est possible de remettre en cause cette décision du Conseil fédéral.

Enfin, M. Gaye s'est dit rassuré par les informations fournies par la délégation s'agissant de l'internement à vie des délinquants extrêmement dangereux et non amendables.

M. FERNANDO MARIÑO MENÉNDEZ, corapporteur, a souhaité savoir si la Suisse tenait compte du statut des demandeurs d'asile, par exemple s'ils ont déjà obtenu le statut de réfugié dans un autre pays.

Le corapporteur s'est par ailleurs enquis du type de recours offert aux requérants d'asile sur la base du non-refoulement. Il a demandé des précisions sur le degré de preuve exigé pour statuer sur ce recours. Il s'est félicité que des données comme les mutilations génitales féminines ou les mariages forcés sont pris en considération dans la décision du refoulement et a souhaité savoir si le danger pour la santé est également pris en compte.

M. Mariño Menéndez a également requis davantage de détails sur les différentes pratiques dans chaque canton. Il a souhaité savoir s'il y a des régimes plus protecteurs que d'autres.

Une experte a demandé davantage de renseignements sur la procédure que doit suivre la police en cas de mauvais traitements; elle a demandé à la délégation de préciser les limites à partir desquelles la conduite de la police constitue un abus.

Revenant sur l'initiative sur les renvois, un expert a estimé difficile de concilier l'idée d'expulsion automatique et le respect du ius cogens. Il a souhaité savoir si une initiative qui est apparemment contraire à la Constitution peut faire l'objet d'un référendum.

Un autre membre du Comité a déploré que la majorité des cantons suisses ne disposent pas de mécanismes indépendants pour enquêter sur les plaintes d'abus commis par les forces de police.

Enfin, il a été rappelé à la délégation que le Comité estime que le pistolet à impulsion électrique est une arme dangereuse.

Déclaration de conclusion de la délégation

M. BERNARDO STADELMANN, Vice-Directeur de l'Office fédéral de la justice de la Suisse, a réaffirmé la tolérance zéro de son pays à l'égard des actes de torture. De nombreux chantiers sont ouverts actuellement pour améliorer la mise en œuvre de la Convention, a-t-il souligné. La Suisse renouvelle en outre son engagement à poursuivre le dialogue avec le Comité, auquel elle fera parvenir sous peu un complément d'informations en réponses à ses questions complémentaires.

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Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas un document officiel

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