Skip to main content

Communiqués de presse Organes conventionnels

Le Comité contre la torture entame l'examen du rapport de la Suisse

30 Avril 2010

Comité contre la torture
30 avril 2010

Le Comité contre la torture a entamé, cet après-midi, l'examen du sixième rapport périodique de la Suisse sur les mesures prises par ce pays pour donner effet aux dispositions de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Présentant le rapport de son pays, M. Bernardo Stadelmann, Vice-Directeur de l’Office fédéral de la justice de la Suisse, a tenu à réaffirmer la tolérance zéro de la Suisse envers tout acte de maltraitance ou torture. Il a indiqué au Comité que suite à l’adhésion de son pays au Protocole facultatif se rapportant à la Convention, une commission nationale de prévention de la torture a été instaurée à titre de mécanisme national de prévention. D’autre part, une procédure pénale unifiée entrera en vigueur le 1er janvier 2011; elle est appelée à remplacer les 26 codes cantonaux de procédure pénale et permettra de mieux respecter les principes de l’égalité devant la loi et de la sécurité du droit. Une nouvelle procédure civile entrera aussi en vigueur le 1er janvier 2011, qui doit simplifier l’accès à la justice et contribuer à la transparence et la prévisibilité des règles.

La délégation suisse était également composée de représentants de diverses sections du Département fédéral de justice et police et du Département fédéral des affaires étrangères. Elle était complétée par le Chef-adjoint de la police cantonale genevoise.

Le rapporteur du Comité pour l'examen du rapport de la Suisse, M. Abdoulaye Gaye, a estimé qu'au regard des allégations de violences policières dans ce contexte, il y a urgence pour la Suisse à mettre en place des dispositifs garantissant la présence d'observateurs indépendants et de médecins lors des opérations d'éloignement d'étrangers par voie aérienne. Il y a des allégations de violences dans ce contexte - si ce n'est de torture, du moins d'actes cruels, inhumains ou dégradants, a-t-il insisté.

Plusieurs membres du Comité ont évoqué le problème de la surpopulation carcérale, surtout en Suisse romande et en particulier dans la prison de Champ-Dollon à Genève. La situation dans cette dernière prison s'est considérablement détériorée en 2010, a souligné un expert, ajoutant que la situation humaine de cette prison est devenue explosive, tant pour les prisonniers que pour le personnel pénitentiaire.

Le Comité entendra lundi matin, à 10 heures, les réponses de la délégation suisse aux questions formulées cet après-midi par les membres du Comité.

Présentation du rapport de la Suisse

Présentant le rapport de son pays, M. BERNARDO STADELMANN, Vice-Directeur de l’Office fédéral de la justice de la Suisse, a souligné que la Suisse s’associe pleinement aux efforts du Comité pour le respect des termes de la Convention et tient à réaffirmer sa tolérance zéro envers tout acte de maltraitance ou de torture. Il a précisé que ce rapport couvre la période allant du 1er juillet 2000 au 30 avril 2008. Concernant les principaux développements intervenus depuis l’été 2008, il a indiqué que la Suisse a ratifié, le 24 septembre dernier, le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture. M. Stadelmann a rappelé à cet égard que c’est le Genevois Jean-Jacques Gautier, fondateur de l’actuelle Association pour la prévention de la torture, qui avait lancé l’initiative d’un tel instrument. Une commission nationale de prévention de la torture, qui est entrée en fonction le 1er janvier 2010, a ainsi été instaurée par le Gouvernement suisse à titre de mécanisme national de prévention, a poursuivi M. Stadelmann. Cette commission se compose de douze membres experts des domaines médical et juridique.

M. Stadelmann a par ailleurs indiqué que le Comité européen pour la prévention de la torture a publié, en novembre 2008, le rapport qui a fait suite à sa cinquième visite en Suisse. Ce rapport, a-t-il précisé, a porté son attention sur la situation des personnes interpellées par la police ou à l’encontre desquelles une mesure d’internement a été ordonnée, de même que sur les conditions de détention dans les unités de haute sécurité. Le Comité européen s’est aussi intéressé à la situation des mineurs dans les foyers d’éducation; à l’issue de cette visite, il n’a relevé aucun indice de torture ni de mauvais traitements graves dans les établissements visités, a fait valoir M. Stadelmann, ajoutant que ce Comité européen avait toutefois émis des recommandations qui, en partie, ont déjà été mises en œuvre par les autorités suisses.

Sur le plan interne, le Vice-Directeur de l’Office fédéral de la justice a attiré l’attention sur la procédure pénale unifiée qui entrera en vigueur le 1er janvier 2011. Cette procédure, a-t-il précisé, est appelée à remplacer les 26 codes cantonaux de procédure pénale et la loi fédérale sur la procédure pénale. Le nouveau code prévoit, notamment, un renforcement des droits de la défense, des droits plus étendus pour les victimes et une extension des mesures de protection pour les témoins. Une loi séparée règlera la procédure applicable aux mineurs, en mettant l’accent sur leur protection et les mesures d'éducation. Le fait de mettre fin à la dispersion du droit pénal permettra de mieux respecter les principes de l’égalité devant la loi et de la sécurité du droit ainsi que de lutter plus efficacement contre la criminalité, a indiqué M. Stadelmann. Il a également souligné qu’une nouvelle procédure civile entrerait en vigueur le 1er janvier 2011, qui doit simplifier l’accès à la justice et contribuer à la transparence et la prévisibilité des règles.

Enfin, M. Stadelmann a indiqué que dans le cadre d’un projet de révision partielle de la loi sur l’asile, engagé en janvier 2009, plusieurs organisations consultées ont signalé un manque de clarté dans la systématisation des motifs de non-entrée en matière; il a été suggéré de substituer une procédure matérielle accélérée à la procédure de non-entrée en matière, a-t-il précisé. La commission d’experts mandatée par le Département fédéral de justice et police a élaboré un projet de modification qui établit une distinction entre la procédure de non­-entrée en matière, assortie d’un délai de recours de cinq jours (comme jusqu’à présent), et une procédure matérielle d’asile uniformisée assortie d’un nouveau délai de recours de quinze jours, au lieu de trente actuellement. Ainsi, les décisions de non-entrée en matière devraient-elles être réservées aux cas provenant d’un État tiers sûr, de même qu’aux procédures de transfert dans le cadre de l’application du Règlement de Dublin de l’Union européenne. La non-entrée en matière ne serait dès lors plus appliquée aux requérants qui ne fournissent pas de documents d’identité.

Le sixième rapport périodique de la Suisse (CAT/C/CHE/6) indique notamment que le 20 mars 2008, le Parlement a adopté la loi fédérale sur l’usage de la contrainte et des mesures policières dans les domaines relevant de la Confédération. Cette loi a pour objectif de régler de manière uniforme l’usage de la contrainte policière, en particulier dans le cadre des rapatriements d’étrangers, ainsi que d’assurer que tout recours à la contrainte soit proportionné. L’usage de la force physique, de moyens auxiliaires et d’armes doit être proportionné aux circonstances et préserver de la manière la plus large possible l’intégrité de la personne concernée. L’usage des dispositifs incapacitants («Taser») a été admis à de strictes conditions. En revanche, les techniques d’utilisation de la force physique susceptibles d’entraver les voies respiratoires ou de causer une atteinte importante à la santé des personnes concernées ne sont pas autorisées. Seules des personnes spécialement formées peuvent être engagées par les autorités pour des opérations nécessitant l’usage de la contrainte.

Le rapport donne également quelques détails sur la nouvelle loi sur l’asile qui compte, notamment, des dispositions relatives au principe de l’État tiers sûr, une procédure d’asile entière dans les centres d’enregistrement et les aéroports y compris un recours éventuel, et le nouveau statut des personnes admises à titre provisoire. Certaines dispositions sont déjà entrées en vigueur en janvier 2007 ; il s’agit notamment de la nouvelle formulation du motif de non-entrée en matière en cas d’absence de documents de voyage ou d’identité. Le rapport précise aussi que cette nouvelle loi apporte des améliorations de la protection des requérants d’asile mineurs: désormais, les mineurs non accompagnés bénéficieront de l’assistance d’une personne de confiance désignée pour les aider à accomplir toutes les démarches déterminantes dans la prise de décision. Enfin, le rapport souligne que toute décision négative ou décision de non-entrée en matière rendue par l’Office des migrations peut faire l’objet d’un recours auprès du Tribunal administratif fédéral.

En ce qui concerne la formation du personnel et des agents travaillant avec des personnes privées de liberté, le rapport fait part de la mise sur pied d’un examen professionnel d’agent de détention qui ponctue une formation pratique et théorique de trois ans et permet d’obtenir le brevet fédéral d’agent de détention. Il s’agit d’une formation poussée qui se concentre principalement sur les quatre branches suivantes: psychologie, univers carcéral, droit et psychiatrie/médecine. Dans tous les établissements privatifs de liberté, des cours internes sont régulièrement dispensés, entre autre sur les thèmes «proximité – distance», «gestion des personnes atteintes de troubles psychiques», «prévention de la violence», «prévention du suicide» et «intervention de crise».

S’agissant de la rapidité et de l’impartialité des enquêtes en cas de torture, le rapport mentionne que les autorités pénales engagent les procédures pénales sans délai et les mènent à terme sans retard injustifié. Lorsqu’un prévenu est placé en détention, la procédure doit être conduite en priorité. Afin d’éviter tout risque de partialité dans l’instruction du dossier ou dans le cadre de la procédure de jugement, le Code de procédure pénale prévoit différents motifs de récusation. Ainsi, toute personne exerçant une fonction au sein d’une autorité pénale est tenue de se récuser notamment lorsqu’elle a un intérêt personnel dans l’affaire, lorsqu’elle a agi à un autre titre dans la même cause, en particulier comme membre d’une autorité, conseil juridique d’une partie, expert ou témoin ou encore lorsque d’autres motifs sont de nature à la rendre suspecte de prévention.

Répondant, enfin, à une préoccupation du Comité relative à l’utilisation abusive des «assurances diplomatiques», le rapport assure que la Suisse a toujours condamné le recours à des assurances diplomatiques pour contourner l’interdiction absolue de la torture, y compris dans le contexte actuel de la lutte contre le terrorisme. Dans la pratique, les assurances diplomatiques ne peuvent constituer un moyen approprié que dans des cas d’extradition parce que l’État qui demande l’extradition a un intérêt crucial à respecter les assurances fournies. Avant l’extradition d’une personne, la Suisse procède à une analyse des risques soigneuse à chaque fois que la personne concernée invoque le danger d’être soumise à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants ou si des circonstances particulières ou la situation générale des droits de l’homme dans le pays concerné le requièrent. Lorsque cette analyse mène à la conclusion que le risque d’une violation des droits de l’homme ne peut pas être exclu, la possibilité d’éliminer ce risque par l’obtention d’assurances diplomatiques est examinée.

Examen du rapport

M. ABDOULAYE GAYE, rapporteur du Comité pour l'examen du rapport de la Suisse, a tenu à remercier la contribution de la Suisse au fonctionnement du système des Nations Unies, en général, et des organes de traités, en particulier. Il s’est félicité de l’adhésion de la Suisse au Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture, ainsi qu’au Statut de Rome de la Cour pénale internationale.

En droit interne, a rappelé M. Gaye, il est nécessaire que la notion de torture soit consacrée par une incrimination spécifique. La Suisse devrait donc expressément consacrer cette notion dans sa législation, a-t-il affirmé. Les dispositions de la Convention ne peuvent être mises en œuvre efficacement que si cette notion de torture est consacrée en droit interne, a-t-il insisté. De ce point de vue, a-t-il déclaré, la Suisse n'a donc pas encore rempli toutes ses obligations.

M. Gaye a par ailleurs indiqué être attentif aux informations émanant d'ONG qui ont fait état de situations où il est clair qu'il y a eu des risques que le principe de non-refoulement ne soit pas respecté. S'intéressant au suivi des plaintes visant des agents chargés de l’expulsion de migrants, M. Gaye a estimé que les peines décidées ont été très légères par rapport à la gravité objective des faits allégués.

Au regard des allégations de violences policières dans ce contexte, il y a urgence pour la Suisse à mettre en place des dispositifs garantissant la présence d'observateurs indépendants et de médecins lors des opérations d'éloignement d'étrangers par voie aérienne, a souligné M. Gaye. Il y a des allégations de violences dans ce contexte - si ce n'est de torture, du moins d'actes cruels, inhumains ou dégradants, a-t-il insisté. La Suisse est-elle disposée à mettre en place un tel dispositif de surveillance, a-t-il demandé? Il a rappelé le cas d'un Nigérian décédé par asphyxie dans le cadre d'une opération de renvoi par voie aérienne.

Le rapporteur a en outre souhaité obtenir davantage d'information au sujet de l'utilisation en Suisse des pistolets à impulsion électrique. L'expérience a montré que l'usage de ces armes peut aboutir à des accidents voire être mortel lorsqu'elles sont utilisées par une personne non expérimentée.

Selon le rapporteur, la procédure d’asile pose plusieurs problèmes. Il s’est notamment étonné que certains recours soient payants. Il a également déploré le traitement différencié accordé au requérant d’asile selon les cantons, plaidant pour une harmonisation de la réglementation au niveau fédéral. Plus généralement, sur la question des flux migratoires, le rapporteur a fait remarquer que s’il n’y a pas de cas concret à invoquer, le risque de violation fréquente du principe de non-refoulement est indéniable.

L'expert s'est en outre enquis de ce qu'il en est de la possibilité pour un agent qui recevrait un ordre illégal de refuser de le suivre sans être inquiété sur le plan professionnel. Il s'est également enquis de l'éventuelle utilisation de l’espace aérien suisse à des fins de transfert de prisonniers.

M. FERNANDO MARIÑO MENENDEZ, corapporteur du Comité pour l'examen du rapport de la Suisse, s'est enquis des différentes étapes de l’arrestation d’une personne et de la distinction entre la détention préventive, la détention à des fins d’interrogatoire et l'arrestation elle-même. À quel moment le prévenu a-t-il droit d'accéder à un avocat; des chefs d’accusation doivent-ils déjà être prononcés à son encontre ?

A l’instar du rapporteur, le corapporteur s'est inquiété que les procédures d’expulsion d’étranger soient menées sans la présence d’un observateur indépendant, attirant l’attention sur les risques de mauvais traitement et de violences induits par cet état de fait. Il a souhaité savoir si la Suisse comptait élaborer des directives à cet égard. Revenant également sur le cas du Nigérian décédé par asphyxie lors de son renvoi, l’expert s’est demandé si cette triste affaire avait encouragé la Suisse à mettre sur pied des cours spéciaux à l’attention des forces de police et de sécurité.

M. Mariño Menendez s’est par ailleurs demandé si l’expulsion immédiate pour raison de sécurité existe en Suisse. Plus généralement, il a souhaité que la délégation explique comment la Suisse veille au respect de l’article 3 de la Convention, relatif au principe de non-refoulement.

S’intéressant ensuite à la question des violences domestiques, le corapporteur a constaté que lorsqu’une femme étrangère mariée avec un homme bénéficiant d’un titre de séjour divorce, elle voit son autorisation de séjour retirée; pour rester dans le pays, la femme doit démontrer la violence qu’elle a subie, ainsi que la difficulté qu’elle aurait à se réinsérer dans son pays d’origine - une preuve qu'il est très difficile d'apporter. M. Mariño Menendez a ici évoqué le cas « Zorica » - une femme mariée à un ressortissant suisse, qui a divorcé parce qu’elle était victime de violence et qui risque maintenant de devoir retourner dans son pays d’origine où son ex-mari la menace de mort.

La délégation suisse a d’autre part été invitée à fournir des détails sur les conditions de détention, ainsi que sur les formations dispensées au personnel des établissements pénitentiaires.

Une experte s'est enquise de la procédure que doit suivre la police dans les affaires de mauvais traitements. Cette experte a fait référence à l’affaire Kadhafi, qui a vu l’arrestation de Hannibal Kadhafi et de sa femme suite au dépôt d’une plainte pour mauvais traitements émanant de leurs domestiques. Dans une telle situation, quelle est l’obligation de la police; est-elle obligée de procéder à une arrestation, a demandé l'experte ?

Des précisions ont également été demandées quant au fonctionnement de la commission nationale de prévention de la torture instituée en vertu du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture. Un membre du Comité a constaté que cette commission doit soumettre un rapport annuel sur ses activités; aussi, a-t-il souhaité savoir si ce rapport contient les constatations découlant des visites de cette commission et s’il est accessible au public.

Plusieurs membres du Comité ont évoqué le problème de la surpopulation carcérale, surtout en Suisse romande et en particulier dans la prison de Champ-Dollon à Genève. La situation dans cette dernière prison s'est considérablement détériorée en 2010, a souligné un expert: en effet, cette prison, prévue pour accueillir 270 détenus, comptait 523 détenus en février dernier et 567 le mois dernier, soit un taux moyen d'occupation supérieur à 200%. La situation humaine de cette prison est devenue explosive, tant pour les prisonniers que pour le personnel pénitentiaire, a insisté cet expert.

Les autres questions des membres du Comité ont porté sur les indemnisations prévues pour les victimes de torture; sur les modalités du regroupement familial; sur l’application du Protocole d’Istanbul dans le cadre de l’accueil de requérants d’asile; sur des cas de disparitions de requérants d’asile mineurs non accompagnés; et sur la possibilité qu’une initiative manifestement contraire à la Constitution soit soumise à votation.
__________

Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas un document officiel

VOIR CETTE PAGE EN :