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Communiqués de presse Organes conventionnels

Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale examine le rapport du Cameroun

23 Février 2010

23 février 2010
 

Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale a examiné, hier après-midi et ce matin, le rapport du Cameroun sur les mesures prises par ce pays pour mettre en œuvre les dispositions de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale.

Présentant le rapport de son pays, M. Joseph Dion Ngute, Ministre délégué chargé du Commonwealth auprès du Ministre des relations extérieures du Cameroun, a rappelé que le Cameroun compterait plus de 250 ethnies. Pour prévenir toute discrimination fondée sur un critère ethnique, les documents d'état civil – carte d'identité, passeport ou carte d'électeur – ne comportent aucune information discriminatoire autre que le sexe. Le Ministre délégué a ensuite souligné que dans le domaine de l'éducation, la priorité du Gouvernement est de réduire les disparités en termes d'accès et d'offre, et a fait valoir que le Cameroun avait atteint un taux de scolarisation net de 82%. M. Dion Ngute a reconnu que son pays restait particulièrement préoccupé par certaines situations, notamment s'agissant de l'accès des populations marginales - pygmées et Mbororos - à la propriété foncière. Du fait de leur tradition de nomadisme et de la mise en valeur précaire des espaces, il n'est pas facile aux autorités publiques de sécuriser juridiquement le patrimoine foncier de ces populations, a précisé le Ministre délégué.

La délégation camerounaise était également composée du Représentant permanent du Cameroun auprès des Nations Unies à Genève, M. Anatole Fabien Marie Nkou, ainsi que d'autres représentants du Ministère des relations extérieures et du Ministère de la justice. Elle a répondu aux questions soulevées par les membres du Comité s'agissant, entre autres, des raisons pour lesquelles le Conseil constitutionnel ne fonctionnait toujours pas; de la situation des étrangers résidant au Cameroun; des définitions s'agissant des peuples autochtones, des groupes marginalisés et des groupes vulnérables; de la situation des pygmées, notamment du point de vue de leurs droits fonciers; du phénomène de la justice populaire.

Le rapporteur du Comité pour l'examen du rapport du Cameroun, M. Kokou Mawuena Ika Kana Ewomsan, a salué les avancées en matière de promotion et de protection des droits de l'homme au Cameroun et la volonté manifeste des autorités d'aller de l'avant. Le Cameroun, d'une manière générale, n'est pas particulièrement marqué par l'existence de conflits interethniques, mais les autorités doivent faire preuve de volonté politique quant à l'application des politiques de bilinguisme et faire en sorte que la population anglophone du sud du pays ne se sente pas victime d'inégalités, a recommandé le rapporteur. Il a par ailleurs relevé que les pygmées, les Mbororos et autres groupes autochtones sont confrontés à de nombreux problèmes liés notamment à la sous-scolarisation, à la pauvreté, à l'exploitation, à la dépossession de terres. Le Comité souligne la nécessité pour le pays d'adopter des mesures spéciales en faveur de ces populations victimes de discrimination raciale.

Le Comité adoptera en séance privée des observations finales sur le rapport du Cameroun, qu'il rendra publiques à la fin de la session, le vendredi 12 mars 2010.

Cet après-midi, à 15 heures, le Comité entamera l'examen du rapport des Pays-Bas (CERD/C/NLD/18).

Présentation du rapport du Cameroun

M. JOSEPH DION NGUTE, Ministre délégué chargé du Commonwealth auprès du Ministre des relations extérieures du Cameroun, a indiqué que le rapport couvrait la période comprise entre août 1997 et septembre 2008, durant laquelle auraient dû être présentés des rapports en 2000, 2002, 2004, 2006 et 2008, et a présenté les excuses du Cameroun pour le retard accumulé dans la présentation de ses rapports. Le pays prendra des dispositions pour respecter le calendrier de soumission de ses rapports à l'avenir, a assuré M. Dion Ngute. Au cours de la période sous examen, a-t-il souligné, le Gouvernement camerounais s'est attelé à améliorer la conformité de sa législation avec la Convention et à assurer à tous les Camerounais, à toute personne présente sur le territoire national, la jouissance dans des conditions d'égalité de tous les droits garantis. En outre, le Gouvernement met un point d'honneur à traduire dans les faits les recommandations formulées par le Comité en mars 1998 à l'occasion de l'examen du dernier rapport périodique du Cameroun, a-t-il ajouté.

M. Dion Ngute a ensuite attiré l'attention sur l'adoption, au plan national, d'un certain nombre de lois au nombre desquelles figurent les lois de 2005 portant respectivement sur le statut des réfugiés et sur la lutte contre le trafic et la traite des enfants ou encore le Code de procédure pénale entré en vigueur en janvier 2007 et la loi de 2009 relative à l'assistance judiciaire. Ces instruments, conformément à la Constitution, qui garantit à tous l'égalité en droits et en devoirs sans discrimination de race, de religion, de sexe ou de croyance, s'appliquent indistinctement à toute personne sur le sol camerounais, a-t-il souligné.

M. Dion Ngute a par ailleurs rappelé que le Cameroun compte plus de 250 ethnies déterminées par le dialecte et que le souci de faire barrage à toute discrimination fondée sur un critère ethnique a présidé à la décision des autorités de ne faire figurer sur les documents d'état civil – carte d'identité, passeport ou carte d'électeur – aucune information discriminatoire autre que le sexe.

Évoquant les mesures prises par le Gouvernement pour concrétiser, dans les faits, ses options politiques et normatives contre toutes les formes de discrimination, le Ministre délégué a notamment souligné que dans le domaine de l'éducation, la priorité du Gouvernement est de réduire les disparités en termes d'accès et d'offre et a donc attiré l'attention sur l'adoption, en 2006, du document de Stratégie sectorielle de l'éducation qui articule la politique éducative nationale autour de quatre grands axes prioritaires, à savoir: universalisation de l'enseignement primaire, amélioration de l'accès et de l'équité, amélioration de la qualité et de la pertinence des enseignements, et amélioration de la gestion et de la gouvernance. Ainsi, sur la base des indicateurs d'accès et de rendement, le Cameroun a défini des zones d'éducation prioritaires vers lesquelles s'orientent en priorité les efforts du Gouvernement dans ce domaine. Dans ces zones comme partout ailleurs dans le pays, l'accent est mis sur l'accès à l'éducation des filles, des personnes handicapées et des populations marginales, a précisé M. Dion Ngute. Des mesures de discrimination positive (bourses, exemption de frais d'inscription, dons de matériels scolaires…) sont également appliquées à l'égard des filles, des enfants handicapés et des populations marginales, a-t-il ajouté. Tout ceci est encadré par le Plan d'éducation pour tous adopté par le Gouvernement et qui prévoit la gratuité pour tous de l'éducation primaire et consacre son caractère obligatoire, a-t-il indiqué. Comme résultat de ce train de mesures, s'est-il réjoui, le Cameroun a atteint un taux de scolarisation net de 82%, l'un des plus élevés d'Afrique sub-saharienne.

Dans le domaine de la santé, a poursuivi M. Dion Ngute, le profil épidémiologique du pays est dominé par les maladies infectieuses et parasitaires, aggravé par la pandémie de l'infection du VIH/sida dont la prévalence nationale est aujourd'hui de 5,5%. En ce qui concerne particulièrement la prise en charge des personnes atteintes du VIH/sida, le Cameroun a retenu l'option de l'accès universel au traitement, a-t-il précisé, indiquant que le nombre de patients sous antirétroviraux est passé de 600 en 2001 à 50 005 personnes en 2008. Par ailleurs, les antirétroviraux sont, depuis mai 2007, distribués gratuitement à tous les malades dans les centres de traitement agréés. Parallèlement, des actions sont entreprises en vue de la protection des droits des personnes vivant avec le VIH/sida, par la lutte contre la stigmatisation et les plaidoyers pour le changement de comportement.

Le souci de lutter contre la discrimination raciale apparaît également dans d'autres secteurs sociaux, a poursuivi le Ministre délégué. Il a ainsi attiré l'attention sur l'adoption de la loi sur l'assistance judiciaire qui vise à garantir les droits de la défense des personnes indigentes et la possibilité offerte aux justiciables d'invoquer les traités internationaux, dont la présente Convention, devant les tribunaux. Les traités ou accords internationaux régulièrement approuvés ou ratifiés ont, au Cameroun, une autorité supérieure à celle des lois, a rappelé M. Dion Ngute. Par ailleurs, a-t-il souligné, toute propagande «anti-raciale» est prohibée au Cameroun et réprimée tant par le Code pénal que par la loi de 1990 sur la communication sociale.

Les réfugiés et les demandeurs d'asile reçoivent les soins médicaux sans discrimination aucune, a ajouté M. Dion Ngute; ils bénéficient à ce titre et comme les nationaux de la gratuité des antirétroviraux, a-t-il notamment souligné.

Le Gouvernement camerounais est fier des avancées susmentionnées réalisées dans le domaine de la lutte contre la discrimination, a déclaré M. Dion Ngute. Ce faisant, il s'est rapproché des exigences de la Convention et a mis en œuvre les recommandations présentées par le Comité à l'issue de l'examen du dernier rapport du Cameroun. Le pays reste toutefois particulièrement préoccupé par certaines situations qui persistent, notamment l'accès des pygmées et des Mbororos, populations marginales, à la propriété foncière. Le droit foncier camerounais ne contient aucune disposition discriminatoire, a assuré M. Dion Ngute; il soumet tout individu ou communauté aux mêmes droits et aux mêmes obligations. Toutefois, a-t-il expliqué, du fait de leur tradition de nomadisme et de la mise en valeur précaire des espaces, il n'est pas facile aux autorités publiques de sécuriser juridiquement le patrimoine foncier de ces populations. Toutes choses qui rendent difficiles les mécanismes de dédommagement prévus par la loi en cas d'expropriation pour cause d'utilité publique.

La Commission nationale des droits de l'homme et des libertés jouit de l'indépendance technique et financière requise par les Principes de Paris, a ajouté le Ministre délégué. Toutefois, le droit de vote reconnu aux représentants de l'administration au sein de cette instance constitue un sujet de préoccupation pour le Gouvernement, qui étudie les modalités d'amendement du cadre normatif de la Commission pour leur donner un rôle essentiellement consultatif, conformément aux Principes de Paris. Enfin, M. Dion Ngute a rappelé que le Cameroun a accepté la majorité des recommandations qui lui ont été adressées à l'issue de l'Examen périodique universel auquel le pays s'est soumis l'an dernier devant le Conseil des droits de l'homme.

Le rapport périodique du Cameroun (CERD/C/CMR/15-18, document regroupant les quinzième à dix-huitième rapports périodiques) indique que deux importantes mesures dénotant une politique pour l'interdiction de la discrimination dans le domaine de l'éducation ont été prises par le Cameroun au cours de ces dernières années. Premièrement, suivant les dispositions de l'article 7 de la loi de 1998 sur l'orientation de l'éducation au Cameroun «L'État garantit à tous l'égalité de chances d'accès à l'éducation sans distinction de sexe, d'opinion politique, philosophique et religieuse, d'origine sociale, culturelle, linguistique ou géographique». Deuxièmement, il s'agit de la décision du Chef de l'État rendant l'enseignement primaire gratuit sur l'ensemble du territoire depuis l'année scolaire 2000/2001. Le rapport attire l'attention sur la garantie de l'équité dans l'offre d'éducation par la création des établissements secondaires tant dans les zones frontalières, les zones enclavées que dans les grandes agglomérations (2294 salles de classes ont ainsi été construites en 2007 et 1458 ont été programmées pour l'exercice 2008) et sur le recrutement des enfants des réfugiés dans les établissements secondaires. Le rapport fait également état de l'adoption de mesures de discrimination positive pour encourager les jeunes filles à entreprendre ou poursuivre des études (excellence au féminin, bourses, aides spéciales aux filles des filières scientifiques et technologiques, etc.). Il souligne en outre que la scolarisation des enfants baka/bakola représente 0,5 % des effectifs des élèves dans la province de l'est, soit 150 enfants scolarisés. De même, les enfants baka sont admis dans les lycées et collèges sans concours dans la province de l'est du Cameroun, insiste le rapport.

Dans son préambule, la Constitution reconnaît l'égalité de tous les Camerounais en droits et en devoirs, il y est clairement affirmé que «l'État assure la protection des minorités et préserve le droit des populations autochtones conformément à la loi», poursuit le rapport. Parmi les missions assignées au Ministère des affaires sociales, figurent en bonne place la lutte contre l'exclusion sociale et plus singulièrement l'élaboration, la mise en œuvre, le suivi et l'évaluation des programmes et politiques relatifs aux droits sociaux et à l'intégration socio-économique des populations marginales. C'est ainsi que plusieurs actions sont entreprises par le Gouvernement en faveur des populations marginales pour éliminer toutes formes de discriminations envers ces groupes, notamment dans les domaines scolaire, sanitaire, hydro-électrique, alimentaire et agro-pastoral, indique le rapport.

Malgré les actions multiformes de l'État du Cameroun visant à promouvoir la justice sociale, certains problèmes constituent une entrave à la manifestation des droits fondamentaux des populations marginales, reconnaît le rapport. Ces problèmes concernent: l'accès aux services sociaux de base, l'accès à la sécurité foncière, la protection des aires écologiques et des sanctuaires, le besoin d'une meilleure protection juridique, le besoin d'un mieux être à travers la formation professionnelle et la reconnaissance et le respect de leur différence. Afin d'assurer durablement la protection des droits des populations marginales, le Gouvernement s'est engagé à élaborer une loi relative à la protection et la promotion des populations marginales. Un appel d'offre a d'ores et déjà été lancé en vue de l'élaboration de ce projet de loi, précise le rapport. D'une manière générale, la protection des droits des peuples autochtones et plus particulièrement des Baka et Bagyéli de l'est et du sud du Cameroun, a fait l'objet au plan normatif d'une attention particulière: le préambule de la Constitution du 18 janvier 1996 consacre la protection des populations autochtones. Dans les faits et s'agissant de l'implication de ces populations dans la gestion des forêts, il a lieu de relever que chaque fois qu'un projet a porté atteinte aux droits de ces populations, un plan de compensation a été prévu. À titre d'exemple, lors du tracé du pipeline Tchad- Cameroun, un plan de compensation a été arrêté et mis en œuvre, suite à la déforestation causé par cet ouvrage. Quant à la question foncière, la loi de 1994 portant régime des forêts autorise la rétrocession aux populations riveraines pygmées et bantoues, une quote-part des redevances forestières et fauniques annuelles équivalentes à 12 %.

Examen du rapport

Questions et observations des membres du Comité

M. Kokou Mawuena Ika Kana Ewomsan, rapporteur du Comité pour l'examen du rapport camerounais, a remercié le Cameroun pour avoir renoué le dialogue avec le Comité. L'expert a salué les avancées en matière de promotion et de protection des droits de l'homme au Cameroun. Le rapport est présenté plus de dix ans après l'examen du précédent rapport, a poursuivi M. Ewomsan, se réjouissant d'apprendre que le pays a pris la résolution de présenter désormais ses rapports selon la périodicité requise par la Convention.

M. Ewomsan a relevé que le Cameroun a opté pour le système moniste en vertu duquel le droit international a une autorité supérieure sur le droit interne. Pour autant, a-t-il fait observer, aucun cas jurisprudentiel n'a été évoqué en la matière. Sur le plan institutionnel, le Cameroun est doté des mécanismes de nature à promouvoir la démocratie, a poursuivi l'expert. Il s'est toutefois enquis des raisons du retard dans la nomination des membres du Conseil constitutionnel, dont les attributions sont actuellement exercées par la Cour suprême. M. Ewomsan a en outre encouragé le Cameroun à redoubler d'efforts pour renforcer, sur la base des Principes de Paris, la Commission nationale des droits de l'homme instituée en 2004, en vue de consolider son indépendance fonctionnelle et budgétaire. L'État camerounais envisage-t-il de donner une base constitutionnelle à cette institution, a-t-il demandé?

Tout en regrettant que le rapport ne fournisse pas d'informations sur la composition de la population, M. Ewomsan s'est réjoui que le Cameroun reconnaisse la diversité ethnique. Il a toutefois relevé que le rapport reconnaît l'existence au Cameroun de difficultés liées à la diversité ethnique, ce qui retarde l'application des dispositions de la Convention, et a fait état de conflits interethniques. Il est évident que la résolution de ces conflits passe par la mise en œuvre de la Convention, a souligné M. Ewomsan. Le Cameroun, d'une manière générale, n'est pas particulièrement marqué par l'existence de conflits interethniques, a déclaré l'expert; mais les autorités doivent faire preuve de volonté politique quant à l'application des politiques de bilinguisme et faire en sorte que la population anglophone du sud du pays ne se sente pas victime d'inégalités, a-t-il recommandé. Il semble que le français soit privilégié dans le pays et il conviendrait de veiller à appliquer le bilinguisme afin qu'aucune partie de la population ne se sente frustrée, a-t-il insisté.

M. Ewomsan a par ailleurs rappelé qu'il y a lieu pour tout État partie à la Convention de pénaliser les actes de discrimination et a souligné que le nouveau Code de procédure pénale entré en vigueur en janvier 2007 n'a pas véritablement pris en compte les préoccupations liées à la discrimination raciale. L'absence de plaintes ne signifie pas qu'il n'y ait pas de discrimination raciale, a rappelé M. Ewomsan. Pour que les actes de discrimination soient dûment pénalisés, il y a nécessité d'harmoniser le Code pénal avec les dispositions de la Convention, a-t-il insisté.

Abordant ensuite les questions relatives à la scolarisation des enfants des peuples autochtones, M. Ewomsan a indiqué que selon plusieurs organisations de la société civile, il n'existe aucune loi ni pratique qui garantissent que les enfants de ces peuples puissent accéder à l'enseignement secondaire sans concours, l'accès à un tel enseignement dépendant en fait du bon vouloir des chefs d'établissements. Il subsiste de nombreux obstacles qui rendent difficile la réalisation du droit à l'éducation des enfants des peuples autochtones, a insisté le rapporteur; pour l'inscription scolaire, par exemple, il faut présenter un acte de naissance, alors que l'on sait les difficultés que cela représente pour les populations autochtones. Aussi, M. Ewomsan s'est-il enquis des mesures envisagées par l'État camerounais pour éliminer les obstacles à la réalisation du droit des enfants autochtones à l'éducation.

M. Ewomsan a aussi attiré l'attention sur les populations très vulnérables pour lesquelles il faut assurer une protection contre la discrimination sur le plan social. Il a fait observer que la Commission nationale des droits de l'homme affirme qu'au Cameroun, les pygmées, les Mbororos et autres groupes identifiés comme des groupes autochtones, sont confrontés à de nombreux problèmes: sous-scolarisation, pauvreté, exploitation, dépossession de terres, identification. Le Cameroun peut-il fournir des renseignements précis sur ces populations identifiées comme autochtones, a demandé l'expert, constatant que le pays utilise le terme – peu heureux – de populations marginales pour désigner ces groupes. Ce n'est qu'au paragraphe 85 de son rapport que le Cameroun parle de protection des droits des peuples autochtones pour désigner les Baka et Bagyéli, a-t-il ajouté. Aussi, a-t-il souhaité que la délégation fournisse des explications à ce sujet.

Selon plusieurs organisations de la société civile, les pygmées ne sont pas reconnus dans leur spécificité par les pouvoirs publics et par les acteurs impliqués dans la gestion des forêts et sont victimes de discriminations de fait caractérisées par des sévices corporels et des humiliations de la part des autres groupes ainsi que de discriminations du fait de l'absence de dispositions législatives et réglementaires spécifiques à leur égard. Les tribunaux coutumiers ne prennent pas en compte les spécificités des peuples autochtones, a poursuivi M. Ewomsan; pour les pygmées, en particulier, les coutumes ne sont pas prises en compte par ces tribunaux.

S'agissant des conflits interethnique survenus à Bawock et à Bali Nyonga, quelles sont les mesures que le pays envisage de prendre pour la sensibilisation des différentes communautés à la tolérance et à la nécessité de la coexistence pacifique entre ces diverses communautés, a demandé l'expert?

M. Ewomsan s'est en outre enquis de la situation des réfugiés et des mesures envisagées par le Cameroun pour résoudre les difficultés auxquelles ils sont confrontés.

S'agissant de l'égalité en matière d'emploi, le rapporteur a fait état d'allégations de pratiques de différence de rémunération fondée sur l'origine ethnique dans certaines entreprises. Quelles mesures le pays envisage-t-il de prendre pour mettre un terme à ces pratiques, a-t-il demandé?

Un autre membre du Comité a souhaité savoir si la délégation était en mesure de présenter des statistiques permettant de mieux appréhender la portée des mesures d'action affirmative qui ont été prises au Cameroun en matière d'éducation. Cet expert s'est enquis de la situation des albinos, qui se heurtent à une situation préoccupante dans de nombreux pays africains, où ils sont fréquemment assassinés, parfois même massivement. L'expert a par ailleurs relevé les chiffres peu encourageants sur la mortalité infantile au Cameroun et a demandé des précisions à cet égard.

Une experte a indiqué avoir l'impression que le rapport présenté par le Cameroun abordait davantage la discrimination d'une manière générale que la discrimination raciale telle qu'énoncée à l'article premier de la Convention, qui intéresse plus particulièrement le Comité. Elle a déploré le manque de statistiques concernant la composition démographique du pays. Les différentes ethnies ne sont pas quantifiées, de sorte qu'il est difficile de se faire une idée de leur place dans les divers domaines de la vie camerounaise, a-t-elle souligné. Elle a indiqué qu'elle serait intéressée d'être informée de l'abrogation du décret permettant aux hommes de s'opposer au travail de leurs épouses en invoquant l'intérêt supérieur des enfants.

Un autre membre du Comité a souhaité en savoir davantage sur l'origine des quelque 4 millions d'étrangers qui vivent au Cameroun ainsi que sur leur situation économique et sociale.

Un expert s'est enquis des raisons pour lesquelles le Cameroun hésite à utiliser les termes de «peuples autochtones», alors même que le pays avait participé activement au processus d'adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Pour ce qui est de la question de la propriété foncière des populations autochtones, l'expert a relevé que des informations indiquent que la protection de ces populations n'était pas assurée dans ce domaine alors que le lien de ces populations à la terre était essentiel à leur existence même.

Un membre du Comité a relevé la subsistance, au Cameroun, de pratiques traditionnelles préjudiciables pour la femme telles que les mutilations génitales féminines, les mariages forcées voire la polygamie. Il a ensuite salué la mesure prise par le Cameroun concernant l'introduction du port de l'uniforme dans les écoles du pays, tout en soulevant que cette mesure peut ouvrir un débat en termes de garantie de non-discrimination entre les enfants. En effet, si on peut considérer qu'une telle mesure est favorable à l'intégration de tous les enfants, on peut également penser qu'il s'agit d'une mesure pouvant faire perdre aux enfants leur sentiment d'appartenance communautaire, a-t-il expliqué.

Renseignements complémentaires fournis par la délégation

En ce qui concerne les raisons pour lesquelles le Conseil constitutionnel ne fonctionne toujours pas, tout a été fait pour qu'il fonctionne et il ne reste plus qu'à en désigner les membres, a expliqué la délégation. Le problème qui subsiste est qu'il faut revoir les lois portant création de ce Conseil constitutionnel. En effet, des amendements ont été apportés à la Constitution en avril 2008: la disposition constitutionnelle qui limitait les mandats du chef de l'État a été abrogée, ce qui s'est répercuté sur les postes au Conseil constitutionnel dont les membres étaient censés occuper leurs mandats pendant neuf ans sans possibilité de renouvellement, alors qu'ils peuvent désormais occuper leurs postes pour une durée de six ans renouvelable. Il convient donc d'amender la loi afin de l'aligner sur les dispositions constitutionnelles en vigueur. C'est ce qui explique la période de transition dans laquelle le pays se trouve actuellement dans ce domaine, a indiqué la délégation.

S'agissant de la composition ethnique de la population et de la représentation des différents groupes ethniques au sein du Gouvernement, la délégation a rappelé que le Cameroun est un pays en paix avec lui-même et avec ses voisins. Dans sa longue histoire, il a connu deux conflits interethniques: l'un au début des années 1990 et, l'autre, ultérieurement, dans la région du nord-ouest. Ces incidents, extrêmement rares, ont été traités dans un cadre administratif, a indiqué la délégation. Dans le cas le plus récent, un problème s'était posé autour de la question des cultes ancestraux, un groupe ayant accusé l'autre de profanation. Ce conflit, issu d'un malentendu, a été rapidement maîtrisé, a souligné la délégation: le Gouvernement a lancé une enquête et des mesures administratives ont été prises. La situation actuelle est donc caractérisée par une coexistence pacifique entre les différents groupes, a insisté la délégation.

Le Cameroun n'identifie pas ses citoyens sur la base d'une appartenance ethnique, a par ailleurs rappelé la délégation. Ainsi, aucun recensement ne permet de connaître le nombre de personnes appartenant à tel ou tel groupe ethnique, a-t-elle souligné, ajoutant qu'il en va de même pour la répartition ethnique des postes administratifs, impossible à appréhender.

S'agissant des questions de terminologie, la délégation a indiqué que si la notion de «peuples autochtones» est définie dans la terminologie des droits de l'homme, elle reste pour le Cameroun une notion relativement nouvelle. Ce n'est qu'en 1996 que l'on a commencé à utiliser ce terme et la population commence à peine à savoir de quoi il retourne, a-t-elle ajouté. Si une disposition constitutionnelle mentionne certes ce terme, ce sont surtout les intellectuels qui la connaissent, a insisté la délégation. Aussi, le Cameroun recourt-il de manière interchangeable aux termes de «peuples autochtones», de «populations marginalisés» voire de «personnes vulnérables» - même si cette dernière notion renvoie davantage à des groupes tels que les enfants et les personnes handicapées.

Au Cameroun, a poursuivi la délégation, deux groupes sont généralement reconnus comme étant autochtones: les pygmées et les Mbororos. Ces deux groupes s'autodéfinissent en tant que tels et présentent effectivement les caractéristiques de populations ayant un mode de vie différent de celui des autres groupes: ils ont donc été définis comme constituant des peuples autochtones.

La Constitution stipule que l'État garantit les droits des peuples autochtones: la notion de peuple autochtone existe donc dans l'ordre juridique camerounais, a souligné la délégation.

Certaines communautés pygmées sont plus ou moins sédentarisées, mais d'autres continuent d'avoir un mode de vie nomade et il est très difficile de protéger les droits fonciers de ces personnes qui ne s'établissent pas à un endroit particulier, a ensuite expliqué la délégation. Elle a toutefois exposé le projet d'amélioration du cadre de vie des pygmées, exécuté en collaboration avec le Gouvernement belge, soulignant que ce projet a permis de sensibiliser la population cible à l'importance de l'acquisition des documents d'identité, nombre d'enfants ayant ainsi pu avoir accès à leurs actes de naissance. Ce projet a également permis l'amélioration de la situation nutritionnelle et sanitaire de la population cible.

Les consultations en vue de l'adoption d'une loi sur les droits fonciers ont été engagées et se poursuivent actuellement, a par ailleurs indiqué la délégation.

Toutes les terres non enregistrées au cadastre sont considérées comme terres nationales, c'est-à-dire appartenant à l'État, a également souligné la délégation.

Pour ce qui est des étrangers qui résident au Cameroun, et notamment les Nigérians, la délégation a rappelé que le Cameroun se trouve au centre d'une sous-région extrêmement agitée, avec le Tchad au nord, la République centrafricaine à l'est, et le Nigéria et le Congo au sud-est; nombreux sont, parmi ces pays, ceux qui ont rencontré des difficultés ces 30 dernières années, a souligné la délégation. Il y a quatre millions d'étrangers au Cameroun; nombre d'entre eux sont des réfugiés, mais d'autres ne le sont pas et ont de la famille de l'autre côté de la frontière, a indiqué la délégation. Historiquement, beaucoup de Nigérians, originaire de l'est du Nigéria, s'étaient établis dans le sud du Cameroun à l'époque où cette zone était administrée en un seul et même territoire associant une partie de l'actuel territoire nigérian. Après l'indépendance, nombreux sont les Nigérians qui ont choisi de rester sur ces terres désormais camerounaises. Les statistiques affirment qu'il y a trois millions de Nigérians au Cameroun, a ajouté la délégation. Lorsque l'on évoque le nombre de Nigérians qui vivent au Cameroun, il ne s'agit pas de ceux qui ont été naturalisées car ceux-là sont des Camerounais, a-t-elle précisé. Il est faux de dire que les Nigérians seraient persécutés au Cameroun, a tenu à préciser la délégation.

S'il est difficile d'apporter des statistiques concernant la jurisprudence relative à l'application de la Convention, il est en revanche possible d'indiquer que des sanctions disciplinaires ont été prises à l'encontre de fonctionnaires de la police et de la gendarmerie convaincus d'actes discriminatoires à l'encontre d'étrangers, a par ailleurs souligné la délégation.

Le phénomène de la justice populaire a pris de l'ampleur au Cameroun, a reconnu la délégation, indiquant que les autorités ont opté pour un renforcement de la présence des agents de l'autorité pour contrer cette tendance.

Selon la législation en vigueur, a par ailleurs indiqué la délégation, lorsqu'un homme s'oppose à l'exercice d'une activité professionnelle par sa femme, celle-ci peut contester l'opposition de son mari en saisissant un tribunal qui examinera la situation. Mais dans la réalité, très peu de maris recourent à la disposition législative qui les autorise à s'opposer à ce que leur femme exerce une activité professionnelle, a-t-elle souligné.

L'égalité salariale entre les deux sexes est, au Cameroun, une réalité, a affirmé la délégation: à travail, qualification et expérience égaux, que ce soit dans le secteur public ou privé, femmes et hommes gagnent le même salaire. C'est là une donnée bien inscrite dans la réalité du pays, a insisté la délégation

En ce qui concerne les albinos, la délégation a indiqué que cette caractéristique est considérée par de nombreux Camerounais d'un point de vue mystico-religieux; avoir au sein de la famille un albinos est généralement considéré, au Cameroun, comme un signe qui portera chance à la famille. Ce qui se passe dans la Corne de l'Afrique est tout à fait différent et la situation est tout autre au Cameroun, a rassuré la délégation. Elle a indiqué ne pas avoir connaissance de discriminations dont souffriraient les albinos, dont certains sont magistrats ou encore journalistes.

Observations préliminaires

Le rapporteur du Comité pour l'examen du rapport du Cameroun, M. KOKOU MAWUENA IKA KANA EWOMSAN, a jugé très riche le rapport présenté par le Cameroun, qu'il a remercié pour ses efforts en faveur de la promotion et de la protection des droits de l'homme. Ce qui est essentiel, c'est la volonté manifeste des autorités camerounaises d'aller de l'avant; l'avenir est donc prometteur.

M. Ewomsan a relevé qu'au cours du dialogue, l'attention s'est portée sur les populations autochtones et sur la nécessité pour le pays d'adopter des mesures spéciales en faveur de ces populations victimes de discrimination raciale. Des membres du Comité ont également insisté sur la nécessité de maintenir le bilinguisme et d'éradiquer les pratiques coutumières discriminatoires à l'égard des femmes, a-t-il rappelé. C'est au Cameroun de faire progresser sa législation afin que l'ensemble de la société camerounaise soit en mesure de jouir de ses droits, a conclu M. Ewomsan.

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