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Communiqués de presse Organe subsidiaire de la Commission des droits de l’homme

LA SOUS-COMMISSION DES DROITS DE L'HOMME EXAMINE LE RAPPORT PRÉLIMINAIRE SUR LE FORUM SOCIAL

07 août 2002



Sous-Commission de la promotion et
de la protection des droits de l'homme
54ème session
7 août 2002
Matin



La lutte contre l'extrême pauvreté et la question des privatisations
des services publics au centre du débat



La Sous-Commission de la promotion et de la protection des droits de l'homme a poursuivi son débat sur les questions se rapportant aux droits économiques, sociaux et culturels. Elle a été saisie dans ce cadre du rapport préliminaire sur le Forum social qui s'est tenu les 26 juillet et 2 août derniers à Genève. Les débats ont porté en particulier sur la responsabilité des États de garantir des conditions socio-économiques favorables au développement et sur le problème connexe du nombre croissant de privatisations des services publics.
M. José Bengoa, Président-rapporteur du Forum social et membre de la Sous-Commission, s'est félicité qu'un dialogue ait pu s'instaurer à cette occasion entre délégués des organisations non gouvernementales, représentants des pauvres et représentants gouvernementaux chargés des affaires sociales. Le projet de rapport du Forum social souligne notamment que des mesures doivent être prises pour assurer la cohérence du droit et des politiques économiques avec les droits de l'homme, notamment les normes du droit international du travail. Le Forum préconise l'adoption de stratégies nationales en vue de la réalisation du droit à une alimentation adéquate, et que des fonds publics soient débloqués pour renforcer la recherche en vue d'améliorer la productivité des petites exploitations agricoles.
Plusieurs membres de la Sous-Commission ont commenté la présentation de M. Bengoa : M. David Weissbrodt, M. Abdul Sattar, M. Vladimir Kartashkin, M. El-Hadji Guissé,
Mme Florizelle O'Connor. Tous ont reconnu la pertinence des analyses présentées au cours du Forum social, et relevé avec M. Bengoa les risques que représente, sur le plan social, une mondialisation incontrôlée. La dimension volontairement participative du Forum social a aussi été saluée par les experts. Pour M. Vladimir Kartashkin, le rapport du Forum social est important car il détaille les mesures à prendre au niveau international pour éradiquer la pauvreté, mais il faudra songer à établir un mécanisme de surveillance de l'application des mesures.
Le représentant de la Banque mondiale s'est aussi exprimé sur le sujet de la lutte contre la pauvreté, qui fait partie du mandat de la Banque. Son intervention a été l'occasion d'un échange sur les difficultés et les avantages des programmes de privatisations des services publics. Des membres de la Sous-Commission ont généralement mis l'accent sur les risques que ces décisions font courir au tissu économique et social des sociétés concernées. Pour M. Soli Jahangir Sorabjee, cependant, il ne saurait être question d'émettre des jugements généraux en la matière, chaque pays ayant des conditions qui lui sont propres.
Le Mouvement indien «Tupaj Amaru» et Mouvement international ATD Quart monde ont également pris part à l'échange de vues qui s'est noué autour de la présentation du rapport sur le Forum social.
M. Yozo Yokota, M. Soo Gil Park et Mme Lammy Betten, membres de la Sous-Commission, ont présenté des commentaires sur le rapport sur l'extrême pauvreté présenté mardi 6 août par M. José Bengoa. M. Abdul Sattar, membre de la Sous-Commission, a notamment approuvé l'idée d'une étude sur la corruption et le blanchiment d'argent que pourrait entreprendre la Sous-Commission. M. Asbjørn Eide a pour sa part rappelé que la conformité aux normes des droits de l'homme n'avait rien de facultatif, et qu'il convenait donc de placer les sociétés commerciales devant leurs responsabilités à cet égard. Des obligations claires doivent les inciter à respecter ces normes, et c'est aux États qu'il incombe d'édicter de telles règles.
Un représentant de l'Organisation internationale du travail a fait une déclaration dans le cadre du débat, ainsi que les organisations non gouvernementales suivantes : Association américaine de juristes; Avocats du Minnesota pour les droits de l'homme; Banquemondiale; Mouvement indien «Tupaj Amaru»; Mouvement international ATD Quart monde; Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples; Congrès du monde islamique.
La Sous-Commission poursuivra ses débats sur les droits économiques, sociaux et culturels cet après-midi, à 15heures.

Présentation du rapport sur le Forum social
M. JOSÉ BENGOA, Président-rapporteur du Forum social de la Sous-Commission, a présenté le rapport préliminaire sur le Forum social qui s'est tenu les 26 juillet et 2 août derniers (E/CN.4/Sub.2/2002/18, à paraître en français). Ce que montre le rapport, a dit M. Bengoa, c'est l'aboutissement d'une initiative pour faire entendre les voix de différents acteurs. Il s'est félicité qu'un dialogue ait pu s'instaurer entre délégués des organisations non gouvernementales, représentants des pauvres, et représentants gouvernementaux chargés d'affaires sociales de l'Inde, de l'Afrique du sud, du Brésil. La participation de ces derniers aux débats a été fructueuse, étant donné que leurs activités sont très concrètes et proches des préoccupations des pays. Il s'agit là de la partie centrale du rapport.
Le document reprend également une partie importante du contenu des débats, étant entendu que les limites de pages imposées ne permettent pas de tout reproduire. Il a fallu se mettre d'accord sur le rôle du Forum social. Des propositions ont été faites, qui sont reprises dans le document. Le Forum a permis aux organisations non gouvernementales de faire entendre leur voix, ce qui s'inscrit dans le cadre du mandat confié au Forum social par la Sous-Commission, a dit M. Bengoa.
Dans le cadre du débat général, le Forum a proposé des thèmes de discussions, avec des variantes. La majorité des interventions ont confirmé que le prochain Forum devra se pencher sur la pauvreté rurale, et notamment sur les impacts de la mondialisation sur le monde rural (exode, chute des revenus) et les droits des ruraux.
Le projet de rapport du Forum social souligne que des mesures doivent être prises pour assurer la cohérence du droit et des politiques économiques avec les droits de l'homme, y compris les normes du droit international du travail. Il rappelle que la mondialisation, si elle n'est pas réglementée, peut conduire à de profondes inégalités; il faut donc que des mesures soient prises pour garantir le respect des droits économiques et sociaux de chacun. Le Président-rapporteur suggère donc les thèmes de discussion suivants pour la prochaine édition du Forum: développement rural durable et droits des paysans et pêcheurs; droit des peuples pastoraux et droit à l'eau potable; pauvreté urbaine et droits des sans-abri et squatters. Le projet de rapport propose également une série de recommandations à l'usage des instances internationales. Ainsi, le système des Nations Unies et ses institutions devraient incorporer les normes universellement reconnues des droits de l'homme, y compris le droit à l'alimentation, dans les activités et les systèmes de valeurs qu'ils déploient dans le cadre de leurs mandats respectifs. Au niveau des États, le Forum préconise que des stratégies nationales soient adoptées pour une réalisation du droit à une alimentation adéquate. Enfin, des fonds publics devraient être débloqués à travers la coopération internationale pour renforcer la recherche agricole liée à l'augmentation de la productivité des petites exploitations agricoles.

Suite du débat sur les droits économiques, sociaux et culturels
M. YOZO YOKOTA, membre de la Sous-Commission, a commenté le rapport sur l'extrême pauvreté et les droits de l'homme présenté hier par M. José Bengoa en rappelant que, lors d'un séminaire tenu à Tokyo en février 2002, il a été décidé d'inclure la question de la corruption dans les sujets à étudier dans le cadre des travaux futurs de la Sous-Commission. En outre, lorsqu'il s'agit de définir les responsables de violations des droits de l'homme en rapport avec l'extrême pauvreté, il faut aussi tenir compte des acteurs non étatiques. Comme le rappelle le document de travail de M. Bengoa, les sociétés transnationales devraient contribuer aux programmes sociaux en faveur des communautés locales concernées.
M. SOO GIL PARK, membre de la Sous-Commission, s'est félicité de ce que le droit à l'éducation soit évoqué dans l'étude sur l'extrème pauvreté. La pauvreté est en effet à considérer sous deux angles: l'incapacité d'acquérir les produits de base, et l'incapacité d'améliorer le bien-être des individus. Il ne s'agit donc pas que d'une carence matérielle. Le rôle de l'éducation prend ici toute son importance, notamment au regard des risques de «fracture numérique» qui pourraient encore marginaliser les plus pauvres.
M. JAIRO SANCHEZ (Association américaine de juristes) a fait observer que dans son dernier rapport, le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) souligne que le monde est plus divisé que jamais entre riches et pauvres. Le représentant a attiré l'attention de la Sous-Commission sur la situation qui prévaut en Colombie, où se déroule un véritable génocide des syndicalistes. La situation dans ce pays fournit un exemple de plus de la participation active des sociétés transnationales aux violations des droits de l'homme, en particulier en ce qui concerne le droit au travail et la liberté syndicale. Le représentant a fait observer que le projet de document du Groupe de travail créé par la Sous-Commission en 1998 pour étudier les effets des activités des sociétés transnationales sur la jouissance des droits de l'homme a «mis entre parenthèses», pour une durée indéterminée, la question de l'application aux sociétés transnationales des lois nationales et internationales de droit positif actuellement en vigueur.
MME LAMMY BETTEN, experte de la Sous-Commission, a rappelé les efforts incessants de l'Organisation internationale du travail (OIT) dans l'humanisation des relations commerciales. Une conférence internationale du travail en 1999 a fixé des normes de conduite, tandis que le Secrétaire général de l'OIT proposait lui aussi des principes directeurs. En novembre 2000, un premier rapport sur l'examen des possibilités de protection des droits sociaux des travailleurs a été présenté. La Sous-Commission ne peut pas traiter ces sujets sans tenir compte de tout ce travail déjà accompli. Mme Betten a estimé utile de parvenir à des accords avec les organisations concernées pour déterminer les conditions d'une protection sociale étendue; elle a aussi estimé nécessaire pour la Sous-Commission de rompre un certain isolement et de collaborer plus étroitement avec d'autres organismes des Nations Unies.
MME PENNY PARKER (Avocats du Minnesota pour les droits de l'homme) a proposé d'inclure à l'ordre du jour du Forum social un nouveau point consacré à la mortalité infantile. En effet, onze millions d'enfants meurent chaque année à travers le monde de causes qui auraient pu être prévenues. Elle s'est félicitée des efforts déployés par M. José Bengoa pour faire de ce Forum social une réalité. Elle a exprimé l'espoir que ce Forum puisse permettre de donner une voix aux pauvres et a préconisé qu'il consacre une partie de ses travaux à de nouvelles approches des problématiques en jeu.
M. DAVID WEISSBRODT, membre de la Sous-Commission, a commenté le projet de rapport du Forum social présenté par M. Bengoa en se réjouissant qu'il soit envisagé, pour la prochaine session du Forum, de mettre l'accent sur la pauvreté rurale. M. Weissbrodt a par ailleurs relevé que, dans l'esprit de nombreux juristes et de nombreux gouvernements, le droit commercial international a créé une hiérarchie de facto en vertu de laquelle le droit commercial est jugé plus important que les droits de l'homme. Pour leur part, la Sous-Commission, les défenseurs des droits de l'homme et certains gouvernements ont reconnu la primauté des droits de l'homme. Bien que l'on puisse argumenter que les États souverains peuvent toujours ignorer une décision de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), le coût des amendes auxquelles s'exposent alors les États en représailles et la menace qu'une telle attitude ferait planer sur l'ensemble du système de l'OMC et de l'économie mondiale d'exportation milite contre l'adoption d'une telle posture, a fait observer l'expert.
M. Weissbrot a d'autre part souligné que la recherche éperdue de débouchés sur les marchés d'exportation signifie que les pays réduisent leurs dépenses par tous les moyens, y compris en sacrifiant des vies, le bien-être et l'environnement. L'expert a par ailleurs relevé que l'un des problèmes fondamentaux posés par la création de l'OMC réside dans son incapacité de résoudre le conflit fondamental qui peut apparaître lorsqu'un État a ratifié un traité qui entre en conflit avec les obligations qu'il a contractées auprès de l'OMC. En effet, l'OMC ne prévoit aucune méthode systématique d'interprétation du droit commercial à la lumière des obligations émanant d'autres traités non commerciaux. Le groupe d'experts (panel) et les organes d'appel de l'OMC se concentrent simplement sur le contrôle de la légalité des mesures adoptées au niveau national au regard du droit de l'OMC et sont presque exclusivement composés d'experts en droit commercial n'ayant que peu, voire pas de connaissance ni de sympathie à l'égard des droits de l'homme et des autres droits non commerciaux liés par exemple à l'environnement ou au travail, a poursuivi M. Weissbrodt. Il en découle une disproportion frappante entre la force juridique du droit commercial international et celle des droits de l'homme et autres droits liés à l'environnement et au travail.
M. Weissbrodt a indiqué que l'une des réponses qui pourraient être apportées au conflit existant entre droits nationaux et droit de l'OMC serait de promouvoir un cadre d'interprétation plus généreux à l'égard des exceptions, exceptions d'ailleurs prévues par l'article XX de l'Accord du GATT. Dans le contexte du système actuel de l'OMC, il pourrait également s'avérer judicieux de créer un organe judiciaire plus transparent.
M. ASBJØRN EIDE, membre de la Sous-Commission, a déclaré que le plein respect des droits de l'homme doit être la réponse aux dangers de la mondialisation économique. Il est donc souhaitable d'assurer l'adoption du Protocole facultatif au Pacte sur les droits économiques, sociaux et culturels, qui habilite le Comité à examiner des plaintes pour violations de dispositions du Pacte. Concernant le rapport sur la propriété intellectuelle du Haut-Commissaire, M Asbjørn Eide a déclaré que des discussions ont bien eu lieu avec l'OMC en ce qui concerne l'Accord général sur le commerce des services (AGCS), en particulier la libéralisation du commerce des services. Cependant, l'OMC n'est évidemment pas un organe des droits de l'homme, il faut donc que la Sous-Commission parvienne à lui faire prendre en compte cette dimension. Le cas de l'OIT est à cet égard bien différent, et son expérience dans l'application de la promotion et la protection des droits de l'homme en relation avec le commerce doit être prise en compte. M. Eide a d'autre part indiqué qu'il présenterait une résolution sur la question des investissements étrangers directs, qui risquent d'instaurer un système social inadéquat en accordant une place excessive au secteur privé, au détriment des services publics.
M. Eide a rappelé que la conformité aux normes des droits de l'homme n'avait rien de facultatif, et qu'il convenait donc de placer les sociétés commerciales devant leurs responsabilités à ce titre. Des obligations claires doivent les inciter à respecter ces normes, et c'est aux États qu'il incombe d'édicter de telles règles. Les exigences contraignantes des conventions internationales semblent toutefois susciter un déficit régulatoire de la part des États. La Sous-Commission pourrait ici fournir une aide technique à certains pays en difficulté.
M. ABDEL SATTAR, membre de la Sous-Commission, a exprimé l'espoir que le rapport du Forum social sur la mondialisation, la réduction de la pauvreté et la réalisation des droits de l'homme permettra de convaincre la Commission des droits de l'homme et le Conseil économique et social de l'opportunité d'autoriser la poursuite des travaux de ce Forum pour les années à venir. M. Sattar a souligné que, dans une déclaration qu'il a faite devant le Forum social, il avait mis l'accent sur la nécessité pour le Forum de se pencher sur l'impact de la corruption et du blanchiment d'argent sur les droits de l'homme, en particulier sur le droit au développement et la démocratie. La corruption est un cancer qui détruit les droits de l'homme et sape le développement, a insisté M. Sattar avant de souligner que les corrompus et les corrupteurs siphonnent les ressources nationales. L'expert a estimé que les pays qui ont mis en place ou laissé proliférer des paradis fiscaux devraient être priés de démanteler ces infrastructures. Les lois bancaires qui garantissent le secret bancaire et facilitent, voire encouragent la corruption devraient être revues, a par ailleurs estimé M. Sattar. Aussi, l'expert a-t-il indiqué qu'il approuvait la suggestion visant à ce que la Sous-Commission entreprenne, à titre prioritaire, une étude sur le thème de la corruption et du blanchiment d'argent au regard de leur impact sur les droits de l'homme.
M. VLADIMIR KARTASHKIN, membre de la Sous-Commission, a déclaré que la mondialisation peut accroître les inégalités entre les peuples si elle ne s'accompagne pas d'une démocratisation elle aussi mondialisée. Une condition pour l'élimination de la pauvreté réside dans l'aide que les pays riches apportent aux pays pauvres, notamment pas l'annulation de la dette et l'abaissement des barrières aux échanges commerciaux; les moyens existent, a insisté M. Kartashkin. Il faut également éliminer les causes des inégalités internes aux pays, à savoir, le sous-développement économique de certaines régions. Certains pays, après leur accession à l'indépendance, n'étaient pas prêts à assumer la démocratie, par manque de cadres et de culture politique. La corruption a donc pu faire des ravages, comme des jugements récents l'ont montré.
Dans de nombreux pays du monde, les mesures appropriées ont toutefois été prises pour lutter contre la corruption, comme une récente initiative africaine. L'ensemble du système international doit être démocratisé. C'est à ce titre que le rapport de M. Bengoa sur le Forum social est si important, puisqu'il détaille les mesures à prendre au niveau international pour éradiquer la pauvreté. Ces propositions, estime M. Kartashkin, ne constituent toutefois qu'une première étape. Il faudra par exemple songer à établir un mécanisme de surveillance de l'application des mesures.
M. ALFREDO SFEIR-YOUNIS (Banque mondiale) a commenté le rapport sur le Forum social présenté ce matin par M. Bengoa en soulignant qu'il est fondamental de permettre aux gens de mieux comprendre quels sont leurs problèmes. S'agissant de la pauvreté, le représentant a affirmé qu'il s'agit d'une question qui doit incontestablement être placée dans le contexte des droits de l'homme. Il est important que le Forum social amorce un débat non seulement conceptuel mais aussi stratégique sur la question, a-t-il ajouté. Récemment, la Banque mondiale a beaucoup collaboré avec le Haut Commissariat aux droits de l'homme sur la question des droits de l'homme et de la pauvreté, a précisé le représentant. Il a affirmé que l'une des questions essentielles que pose la problématique de la pauvreté réside dans la difficulté que rencontrent les pauvres à accumuler du capital. En ce qui concerne la question de la privatisation des services, le représentant a insisté sur la nécessité de poursuivre l'objectif de l'universalité de l'accès à des services durables et de qualité. Il a affirmé que l'on ne saurait prétendre que seul le service public peut assurer la fourniture de services et que l'important est plutôt d'assurer que chacun puisse avoir accès aux services.
M. EL-HADJI GUISSÉ, membre de la Sous-Commission, a fait remarquer au représentant de la Banque mondiale qu'une évaluation de la pauvreté n'a que peu de sens face à l'augmentation rapide du nombre des pauvres. Quant aux privatisations, force est de constater qu'elles ont plutôt défavorisé les populations locales. L'eau et l'électricité, les secteurs les plus rentables, sont transférés à des sociétés transnationales privées. Des pans entiers du secteur économique échappent ainsi aux gouvernements des pays les moins riches. Ainsi, au Sénégal, les ressources en eau ont été livrées à un groupe industriel français, a poursuivi M. Guissé. Le résultat concret en a été la pollution de l'eau, avec la complicité coupable des dirigeants locaux. Il faut maintenant en revenir à une dé-privatisation de ce qui l'a été, et surtout songer à éviter une privatisation de l'agriculture, qui pourrait entraîner de véritables catastrophes.
M. ALFREDO SFEIR-YOUNIS (Banque mondiale) à tenu à souligner que l'on ne saurait accuser la Banque mondiale en tant que seule responsable des situations que M. Guissé évoque dans son intervention. Le mandat de la Banque mondiale est essentiellement d'éliminer la pauvreté dans le monde, a rappelé le représentant. Il a admis que la Banque mondiale ne possède pas les recettes contre la pauvreté car si elle les avait, elle les appliquerait incontestablement. Il n'en demeure pas moins qu'elle est présente dans les pays pour améliorer leur situation globale, y compris parfois du point de vue de l'accès des pauvres à la justice. L'une des erreurs que la Banque a faites par le passé fut de croire qu'elle savait ce que les pauvres souhaitaient. En outre, la Banque mondiale ne promeut pas la privatisation, a assuré son représentant, qui a toutefois tenu à souligner l'incapacité fréquente du secteur public à rendre des services aux pauvres, notamment dans le secteur de l'énergie.
M. SOLI JAHANGIR SORABJEE, membre de la Sous-Commission, a déclaré qu'il est difficile de déterminer si la privatisation des secteurs publics est, en soi, une bonne chose ou non. Dans le cas de l'Inde, on peut argumenter qu'elle a eu une influence positive. La réalité semble indiquer qu'une solution globale n'est pas envisageable à ce propos. Il ne faut pas de dogmatisme en la matière, et il ne faut prendre en compte que les conditions locales pour juger.
M. ASBJØRN EIDE, membre de la Sous-Commission, a rappelé que la question qui est aujourd'hui posée est celle de la privatisation de services nationaux au bénéfice de sociétés transnationales.
MME FLORIZELLE O'CONNOR, membre de la Sous-Commission, a estimé, avec M. Guissé, que l'on ne saurait accepter de passer de situations où les droits de la population sont violés par ses propres représentants, à des situations où la violation de ces droits seraient le fait d'agents extérieurs.
M. LAZARO PARY (Mouvement indien «Tupaj Amaru») a souligné qu'en ce qui concerne les questions de développement et de droits de l'homme, il n'est pas dans l'intention des organisations non gouvernementales d'accuser la Banque mondiale car, comme d'autres institutions, cette dernière a été créée pour éliminer la pauvreté dans le monde. Il n'en demeure pas moins que ces institutions ont échoué et ne sont pas parvenues à atteindre leurs objectifs. Le mouvement qui, de Seattle à Barcelone, s'est opposé à la mondialisation et à la privatisation entend notamment faire savoir au monde que la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) sont au service des grandes puissances mondiales, et en particulier des États-Unis.
M. THIERRY VIARD (Mouvement international ATD Quart monde ) a regretté que le groupe spécial sur l'extrême pauvreté ait adopté une approche limitée au droit à la vie, réduisant ainsi le champ d'étude au droit à l'eau potable, à l'alimentation, à un abri. Or, partout dans le monde, les familles en situation d'extrême pauvreté rappellent que, dans leur vie, ce sont tous les droits de l'homme qui sont mis en cause, sans que l'on puisse établir de hiérarchie entre eux. Il faut donc élargir le champ du programme de travail proposé par l'adoption d'une démarche fondée sur le respect de l'ensemble des droits de l'homme.
M. ALFREDO SFEIR-YOUNIS (Banque mondiale) a dit partager pleinement l'idée qu'il est nécessaire de disposer d'une stratégie en vertu de laquelle chacun participerait à la conception et à la mise en œuvre des plans de développement. Le représentant a souligné que la Banque mondiale tient depuis plusieurs années un forum des organisations non gouvernementales. Il a souligné qu'à la Banque mondiale, aucun pays ne dispose d'un droit de veto, et les États-Unis ne disposent que de 16% des votes au Conseil d'administration, a-t-il indiqué. Le représentant de la Banque mondiale a par ailleurs fait observer que l'aide publique au développement ne s'élève plus aujourd'hui qu'à 15 milliards de dollars contre 50 milliards de dollars il y a sept ans. Or, la consommation de cigarettes en Europe équivaut à 50 milliards de dollars par an et les subventions publiques à l'agriculture représentent un milliard de dollars par jour.
M. JOSÉ BENGOA, Président-rapporteur du Forum social, a déclaré que le lien entre corruption et pauvreté devrait être incorporé aux discussions du Forum social. En ce qui concerne la pauvreté, il est indéniable que certaines sommes destinées aux plus pauvres sont parfois détournées. Les services publics, d'autre part, ne sont pas dans la même situation que les autres biens du marché, car on ne peut pas vraiment choisir de consommer ou non de l'air ou de l'électricité. Le lien entre croissance économique et élimination de la pauvreté mérite quant à lui un véritable débat. L'expérience semble montrer que ce lien n'est pas nécessaire ni direct. Le fait d'éliminer la pauvreté ne dépend pas que de seuls facteurs économiques.
M. Bengoa a déclaré que le droit à l'éducation pourrait peut-être être faire partie du droit à la vie, comme il a été suggéré au cours du débat. Cependant, cette approche nécessite un examen approfondi, d'autant plus que, si le respect des droits de l'homme dans leur globalité est ce qui permet de sortir les peuples de leur misère (c'est l'idée de l'«empowerment», ou le renforcement des capacités), il est peut-être nécessaire d'en passer d'abord par l'établissement de normes de respect de droits minimaux pour arriver à une réalité juridique sur le plan international. Ceci pour répondre aux critiques formulées par ATD-Quart-Monde.
M. MARTIN OELZ (Organisation internationale du travail, OIT) a indiqué que chacun est conscient du fait que la mondialisation a aggravé la situation de nombreux individus. Lorsque les normes de travail internationales et nationales ne sont pas appliquées, les travailleurs n'ont pas la possibilité de se défendre, a-t-il par ailleurs souligné. Cela est particulièrement vrai pour les travailleurs temporaires, les travailleurs migrants et ceux travaillant dans des zones franches d'exportation ou dans le secteur informel. Ces dernières années, ont beaucoup été explorées les solutions qui pourraient être apportées aux problèmes de la mondialisation, a indiqué le représentant avant de rappeler que l'OIT a créé cette année un comité sur les dimensions sociales de la mondialisation composé de 25 experts et coprésidé par la Finlande et la Tanzanie. La prochaine réunion de ce comité se tiendra en octobre prochain.
MME ROLANDE BORRELLY (Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples - MRAP) s'est interrogée sur le rapport existant entre le projet de contrôle ou de surveillance des méthodes et des activités des sociétés transnationales que la Sous-Commission entend élaborer et le Pacte mondial proposé par l'Organisation des Nations Unies. La philosophie du Pacte mondial est éloignée, très éloignée même, de celle qui oriente les travaux de la Sous-Commission, a-t-elle affirmé. Le Pacte mondial est en effet un partenariat que M. Kofi Annan a proposé aux sociétés transnationales – aux plus grosses d'entre elles, faut-il le préciser – et c'est sur la base du volontariat qu'elles sont «invitées» à faire respecter les droits de l'homme; nul ne viendra contrôler qu'elles remplissent bien leurs engagements. Il paraît donc indispensable que la Sous-Commission précise comment se situe son projet par rapport à celui de l'ONU étant donné que leur compatibilité n'est pas donnée a priori. Le problème de l'identification des entreprises visées n'est pas un simple problème de définition, a par ailleurs souligné la représentante du MRAP.
Tout en affirmant bien comprendre pourquoi le groupe de travail sur les activités des sociétés transnationales a jugé utile de modifier la dénomination des catégories d'entreprises concernées par les règles de conduite qu'il juge nécessaires à la protection des droits de l'homme, la représentante a estimé que ce n'était pas là un choix pertinent. Il conviendrait de distinguer soigneusement deux niveaux dans les responsabilités en jeu. Il y a d'abord les responsabilités à l'égard des individus concernés par les activités des sociétés transnationales et, ensuite, les responsabilités à l'égard de la collectivité dans laquelle elles opèrent, c'est-à-dire leur rôle dans le développement économique et social du pays, leur impact sur les ressources naturelles, sur le tissu économique, sur les structures sociales et politiques. Au premier niveau, celui des droits individuels, on peut intervenir ex-post, c'est-à-dire corriger les comportements coupables et instaurer des règles qui suppriment la possibilité de violer ces droits. Au deuxième niveau, c'est ex-ante qu'il faut agir.
M. KAUSER TAQDEES GILANI (Congrès du monde islamique) a déclaré que l'«impérialisme indien» au Cachemire menaçait gravement le développement économique, et donc humain, de la population locale. En effet, l'Inde poursuit une politique de pillage économique dans la région. L'économie cachemirie était basée sur le tourisme; or, le tourisme a cessé, étant donné l'insécurité régnante. Les activités économiques sont réduites à bien peu de choses, les étudiants sont coupés du reste du monde, privés de liens internet et condamnés au chômage. Le Gouvernement indien prévoit de plus l'exploitation hydroélectrique de la région sans contrepartie pour les habitants, et même à leur détriment, comme dans le cas précis de la vallée de Gurez. Sans droits fondamentaux il ne saurait y avoir de paix, a conclu le représentant, qui en a appelé à la Sous-Commission pour qu'elle inscrive la question du Cachemire à son ordre du jour.



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