Skip to main content

Communiqués de presse Multiple Mechanisms FR

COMMISSION DES DROITS DE L'HOMME: DÉCLARATIONS DE MINISTRES IVOIRIEN, ALBANAIS, SUD AFRICAIN, LUXEMBOURGEOIS ET AUTRICHIEN

20 Mars 2002



Commission des droits de l'homme
58ème session
20 mars 2002
Matin



La Haut-Commissaire aux droits de l'homme présente son rapport ;
la Commission entend également
le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés


La Commission des droits de l'homme a entendu, ce matin, les Ministres des affaires étrangères de l'Afrique du Sud, de l'Albanie, du Luxembourg et de l'Autriche, ainsi que le Ministre de la justice de Côte d'Ivoire. Le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, M. Ruud Lubbers, a également fait une déclaration. La Commission a par ailleurs entamé l'examen du rapport de la Haut-Commissaire aux droits de l'homme.
Mme Mary Robinson a déclaré, à l'intention de ceux qui suggèrent qu'il n'est pas possible d'éradiquer efficacement le terrorisme tout en respectant les droits de l'homme, que cette suggestion est fondamentalement erronée. À long terme, la seule garantie de sécurité réside dans le respect des droits de l'homme et du droit international, a-t-elle souligné avant de se dire "particulièrement préoccupée par le fait que les stratégies anti-terroristes mises en œuvre après le 11 septembre ont parfois sapé les efforts visant à améliorer les droits de l'homme".
Mme Lydie Polfer, Vice-Premier Ministre et Ministre des affaires étrangères du Luxembourg, a souligné que son pays, qui assurera de mai à novembre la présidence du Conseil des ministres du Conseil de l'Europe à Strasbourg, a retenu parmi ses priorités la lutte internationale contre le terrorisme dans le respect des droits de l'homme. La Ministre des affaires étrangères de l'Autriche, Mme Benita Ferrero-Waldner, a pour sa part déclaré que la meilleure façon de contribuer à la lutte contre le terrorisme est de créer une véritable culture des droits de l'homme.
M. Ruud Lubbers, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, a quant à lui mis l'accent sur la nécessité de veiller à ce que la lutte mondiale contre le terrorisme international n'affaiblisse pas le régime de protection internationale des réfugiés. Il s'est en outre dit particulièrement inquiet que du personnel humanitaire, y compris du personnel du HCR, ait éventuellement pu être impliqué dans des actes d'exploitation sexuelle contre de jeunes réfugiés en Afrique de l'Ouest comme cela a été allégué. L'ampleur de l'implication éventuelle de travailleurs humanitaires dans de tels actes est encore floue et la liste des allégations est peut-être exagérée; mais un seul cas avéré serait un cas de trop, a déclaré M. Lubbers.
Le Ministre de la justice et des libertés publiques de Côte d'Ivoire, M. Siene Oulaï, a mis l'accent sur la volonté d'ouverture de son pays et la vocation de terre d'accueil de la Côte d'Ivoire - pays qui compte 26% d'étrangers sur son sol. Mme Arta Dade, Ministre des affaires étrangères de l'Albanie, a expliqué que son pays a mis en oeuvre une stratégie nationale de lutte contre le trafic de migrants qui a permis de réduire de 60 % les flux de migrants clandestins partant d'Albanie ou transitant sur son territoire.
Mme Nkosazana Dlamini-Zuma, Ministre des affaires étrangères d'Afrique du Sud, a exhorté les États à mettre en oeuvre les engagements pris à Durban, à confronter le fléau du racisme et, surtout, à allouer les ressources nécessaires pour réaliser cet ambitieux projet.
Les représentants du Pakistan (au nom de l'Organisation de la Conférence islamique), de la Thaïlande, de la Chine, de la Fédération de Russie, de Cuba, du Mexique et de l'Espagne (au nom de l'Union européenne) sont intervenus au titre de l'examen du rapport de la Haut-Commissaire aux droits de l'homme.
La représentante du Canada a fait une déclaration au titre de l'organisation des travaux.
Cet après-midi, à 15 heures, la Commission entendra des déclarations du Ministre des affaires étrangères et de la coopération du deuxième Gouvernement transitoire du Timor oriental, ainsi que des Ministres des affaires étrangères du Portugal, de la Pologne et de l'Allemagne et du Ministre des droits de l'homme du Maroc. Elle poursuivra en outre l'examen du rapport de la Haut-Commissaire aux droits de l'homme.

Déclarations de hauts dignitaires
M. RUUD LUBBERS, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, a souligné que la protection des réfugiés est l'un des droits de l'homme les plus fondamentaux. Il a rappelé que l'an dernier, une réunion des Ètats parties à la Convention de 1951 sur les réfugiés et à son protocole s'est déroulée à Genève à laquelle ont assisté 162 Ètats. À l'issue de cette réunion, a été adoptée une déclaration qui met l'accent sur l'importance de la Convention de 1951 comme premier instrument international de protection des réfugiés. Il y a quelques années, cette Convention était attaquée par certains qui la jugeaient dépassée; mais aujourd'hui, plus personne ne remet en cause la pertinence de cet instrument, a souligné M. Lubbers.
Le Haut Commissaire a par ailleurs attiré l'attention sur les nouveaux défis que représentent des questions telles que les allégations d'exploitation sexuelle de jeunes réfugiés en Afrique de l'Ouest. M. Lubbers s'est dit particulièrement inquiet que du personnel humanitaire, y compris du personnel du HCR, ait éventuellement pu être impliqué dans de tels actes. L'ampleur de l'implication éventuelle de travailleurs humanitaires dans des actes d'exploitation sexuelle est encore floue et la liste des allégations est peut-être exagérée; mais un seul cas avéré serait un cas de trop, a déclaré le Haut Commissaire. En la matière, le degré de tolérance zéro s'impose et il faut faire en sorte que les travailleurs humanitaires aient un comportement irréprochable. Le HCR a engagé, conjointement avec Save the Children (Royaume-Uni) une étude sur la violence et l'exploitation sexuelle et le Bureau des services de contrôle interne des Nations Unies va mener une enquête pour vérifier les allégations qui ont été faites.
Les événements tragiques du 11 septembre ont donné une nouvelle dimension aux travaux du HCR, a poursuivi M. Lubbers. Il a rappelé que le HCR appuie totalement les efforts déployés par les gouvernements afin d'éviter que les responsables de crimes terroristes n'abusent du système d'asile, conformément à la Convention de 1951 qui exclut les personnes ayant commis des crimes non politiques graves. Pour autant, il faut veiller à ce que les gouvernements, dans le cadre des mesures anti-terroristes qu'ils prennent, évitent de faire l'amalgame entre réfugiés et terroristes et il faut veiller à ce que la résolution 1373 des Nations Unies (qui demande aux Ètats d'œuvrer de concert à la suppression du terrorisme) ne soit pas utilisée pour bafouer les droits de personnes innocentes. Il ne faut pas que la lutte mondiale contre le terrorisme international affaiblisse le régime de protection internationale des réfugiés.
Il est essentiel que la Conférence de Monterrey permette une meilleure réalisation du droit au développement. Il s'agit là, en effet, d'une question de sécurité tant il est vrai qu'il sera difficile de vivre dans un monde exempt de terrorisme si des réponses adéquates ne sont pas apportées au fléau de la misère. L'injustice, la pauvreté, les conflits, l'ignorance et la maladie sont autant de facteurs qui contribuent à l'instabilité générale, a rappelé M. Lubbers.
M. OULAI SIENE, Garde des Sceaux, Ministre de la justice et des libertés publiques de la Côte d'Ivoire, a dressé un bilan des avancées de son pays dans les différents domaines de la vie publique. Le ministre s'est d'abord félicité du lancement prometteur du processus de réconciliation nationale entamé par le Président Gbagbo voici une année, après une période de troubles issus du coup d'Ètat de 1999. Sous son égide, un large processus de concertation vient en effet de rassembler toute la population ivoirienne - anciens dirigeants et opposants compris - dans la recherche d'un compromis indispensable à la renaissance de la Côte d'Ivoire, et ce malgré le scepticisme initial d'une partie de l'opinion publique. M. Siene a cependant souligné qu'il n'était pas question pour son gouvernement de garantir l'impunité aux auteurs d'actes criminels, et que la justice (par ailleurs renforcée par la création, entre autres instances, d'un Comité de juristes) enquêterait sur les troubles antérieurs.
Au plan de la politique régionale, le ministre a confirmé la volonté d'ouverture de son pays et la vocation de terre d'accueil de la Côte d'Ivoire : le pays compte en effet 26% d'étrangers sur son sol, originaires de la région pour l'essentiel. La Côte d'Ivoire a donc à cœur de s'impliquer dans le règlement des conflits voisins. Au plan international, le ministre a annoncé que son pays avait repris des relations suivies avec les grandes institutions internationales (FMI, BM, BAD et Union européenne), dans la perspective de retour à une gestion efficace des affaires publiques.
Une préoccupation inlassable du Gouvernement ivoirien demeure la protection des droits de l'homme et la mise en œuvre des instruments internationaux qui s'y rapportent. À cet égard, le Gouvernement ivoirien a pris des une série de mesures très énergiques contre des cas de trafic d'enfants dans certaines plantations du pays, actions accompagnées de mesures juridiques en faveur des droits de l'enfant : signature des conventions de l'OIT et accords bilatéraux avec les pays de la région. Le ministre a, enfin, tenu à porter à l'attention du public que la mise en place d'une Commission nationale des droits de l'homme serait discutée dans quelques semaines par le parlement ivoirien.
MME NKOSAZANA DLAMINI-ZUMA, Ministre des affaires étrangères d'Afrique du Sud, a félicité Mme Robinson pour son travail à l'occasion de la Conférence mondiale contre le racisme. Estimant qu'il fallait saluer l'adoption d'un Programme d'action pour lutter contre la pauvreté et la discrimination, elle a a insisté sur le fait qu'il importait désormais de mettre en oeuvre les engagements pris à Durban. Elle a donc demandé aux États d'allouer les ressources nécessaires pour réaliser cet ambitieux projet. Par ailleurs, elle a fait savoir que l'Afrique du Sud avait proclamé le mois de mars 2002, mois des droits de l'homme. Dans ce cadre, des volontaires vont s'employer à faire connaître ses droits à la population, à assurer la mise en oeuvre de programmes visant à assurer l'égalité des sexes, qui doit être recherchée de manière systématique et déterminée.
S'agissant des événements tragiques du 11 septembre 2001 Mme Dlamini-Zuma a souligné la nécessité de traduire les auteurs de ces actes en justice, tout en respectant les droits de l'homme. La communauté internationale doit s'abstenir de toute action précipitée qui ne respecterait pas les libertés fondamentales, a-t-elle mis en garde. Abordant ensuite la situation au Proche-Orient, elle s'est déclarée préoccupée par l'escalade de violence et a estimé que tout recours systématique à la force aura pour seul effet d'empirer la situation. Il convient maintenant de donner espoir aux enfants de Palestine et d'Israël et de leur permettre de grandir dans la paix. Elle a espéré qu'il sera rapidement possible de voir la coexistence pacifique d'un État palestinien et d'Israël. Par ailleurs, la ministre a mis l'accent sur le droit au développement et a espéré que la Conférence sur le financement du développement et le Sommet mondial sur le développement durable permettront d'obtenir des engagements concrets dans ce sens.
Examinant ensuite la situation sur le continent africain, elle a rappelé l'importante décision qui avait permis la transformation de l'Organisation de l'unité africaine (OUA) en une Union africaine qui tiendra sa première session en Afrique du Sud. Cette institution devrait permettre d'accroître la coopération en faveur de l'intégration économique du continent. Les questions relatives aux droits de l'homme occuperont une place importante dans les travaux de cette nouvelle institution, a-t-elle ajouté. La ministre s'est aussi félicitée de l'adoption, l'année dernière à Lusaka, du Nouveau Partenariat pour le développement en Afrique, qui témoigne de la volonté des Africains de prendre leur destin en main et de mettre au centre de leurs préoccupations le développement, la stabilité, le règlement des conflits et le respect des droits de l'homme. Mais, pour ce faire, il importe que la communauté internationale aide l'Afrique à surmonter les obstacles au développement, a-t-elle observé.
MME ARTA DADE, Ministre des affaires étrangères de l'Albanie, a fait valoir la consolidation de la démocratie dans son pays. Elle est revenue sur les dernières élections et sur les progrès accomplis grâce à la réforme du système judiciaire et pénitentiaire. Elle a également fait part de l'élaboration d'une stratégie nationale en vue de garantir les droits des minorités, notamment les Roms. S'agissant du problème posé par le trafic d'êtres humains, Mme Dade a indiqué que la stratégie nationale de lutte contre ce trafic avait permis de réduire de 60 % les flux de migrants clandestins partant d'Albanie ou transitant sur son territoire. Des mesures importantes pour la réintégration des victimes de ce trafic ont également été prises avec l'appui de l'Organisation internationale pour les migrations, a-t-elle ajouté.
La ministre albanaise a ensuite réaffirmé l'engagement de l'Albanie à présenter régulièrement ses rapports périodiques sur l'application des instruments des Nations Unies. Ainsi, l'Albanie est maintenant prête à présenter son rapport sur la Convention pour l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW). Abordant la situation dans la région, elle a applaudi les développements positifs au Kosovo, notamment la tenue des élections qui marque un pas décisif dans l'application de la résolution 1244 du Conseil de sécurité. S'agissant de la situation dans l'ex-République yougoslave de Macédoine, elle a rappelé que son pays avait clairement condamné les actes de violence et l'extrémisme qui ont marqué l'année passée. Par ailleurs, elle s'est félicitée que les autorités serbes avaient remis M. Milosevic au Tribunal international de la Haye. En dernier lieu, le Ministre a indiqué que l'Albanie achèverait dans quelques jours sa Présidence du Processus de coopération économique en Europe du Sud-Est, lors du Sommet de Tirana qui se réunira le 28 mars prochain, qui donnera aux chefs d'États et de gouvernements de la région l'occasion de réaffirmer leur engagement en faveur de la paix, de la stabilité, de la démocratie et de la protection des droits de l'homme.
MME LYDIE POLFER, Vice-Premier Ministre et Ministre des affaires étrangères du Luxembourg, a déclaré que "lorsque nous avons dénoncé l'année dernière la folie destructrice du régime taliban, on ne pouvait pas imaginer la suite des événements". Pourtant, a-t-elle poursuivit, cette folie destructrice a enhardi, dans son impunité, ceux qui s'en sont pris à travers les attentats contre New-York et Washington à une société ouverte et libérale. "La terreur comme la torture ont pour seul but l'anéantissement de l'autre: il n'y a dans leur exercice aucune circonstance atténuante", a-t-elle poursuivi. "Il ne s'agit pas là d'un conflit de civilisations, d'un fait culturel ou religieux: nous sommes de nouveau confrontés à la tentation totalitaire qui, sous d'autres formes, a déjà ravagé d'autres endroits du globe au cours du XXe siècle", a affirmé la Vice-Premier Ministre. Depuis que le régime taliban a été renversé, la situation des femmes en Afghanistan connaît enfin des perspectives d'évolution, s'est-elle félicitée. Le Luxembourg, qui assurera de mai à novembre la présidence du Conseil des ministres du Conseil de l'Europe à Strasbourg, a retenu parmi ses priorités la lutte internationale contre le terrorisme dans le respect des droits de l'homme.
Mme Polfer a souligné que l'impasse terrible à laquelle sont aujourd'hui acculés les peuples israélien et palestinien montre à satiété qu'il n'y a pas d'alternative à une solution politique, à l'existence côte à côte de deux Ètats, palestinien et israélien, avec des frontières reconnues et sûres, et qu'il faut l'appui sans équivoque de la communauté internationale pour y parvenir. Avec la résolution 1397, le Conseil de sécurité ouvre une perspective pour l'ensemble de la région: c'est un appel au changement, a assuré Mme Polfer.
La Vice-Premier Ministre luxembourgeoise a rappelé que l'année dernière, Mme Mary Robinson, Haut-Commissaire aux droits de l'homme, disait espérer mieux defender, ailleurs, la promotion des droits de la personne humaine. Cette année, cette décision semble se confirmer. "Je la regrette d'autant plus amèrement que je comprends le fait de renoncer au mandat de Haut-Commissaire aux droits de l'homme comme un acte politique", a déclaré Mme Polfer.
MME BENITA FERRERO-WALDNER, Ministre fédérale des affaires étrangères de l'Autriche, a déclaré que la meilleure façon de contribuer à la lutte contre le terrorisme est de créer une véritable culture des droits de l'homme. Un dialogue franc et constructif entre les civilisations doit ainsi s'engager en vue de la création d'une société capable de garantir à chacun le respect de ses droits imprescriptibles. Ce dialogue ne doit cependant pas être réducteur, il doit fédérer les spécificités de chaque civilisation. Pour la ministre, il n'est de meilleure cadre pour un tel dialogue que, précisément, la Commission des droits de l'homme. Cette dernière doit s'attaquer avec détermination aux causes du terrorisme, et émettre des recommandations qui soient autant de points de repères indiscutables pour la condamnation des abus de toute nature.
Toute action en faveur des droits de l'homme, et en particulier celle du Gouvernement autrichien, a poursuivi la ministre, doit accorder une place toute particulière aux femmes. Celles-ci sont souvent les premières victimes - matérielles et morales - des violations des droits de l'homme, notamment en zones de crise, où elles doivent assurer, outre leur propre survie, celle de la cellule familiale. En règle générale, elles sont aussi les mieux placées dans une perspective de conciliation par la dialogue grâce au rôle important qu'elles jouent dans la cohésion familiale et communautaire.
L'Autriche continuera à suivre de près la situation en Asie centrale et surtout au Proche-Orient, où le climat de violence actuel doit absolument trouver une solution négociée. À cet égard, Mme le Ministre a indiqué que son gouvernement soutient les initiatives de paix américaine, onusienne et, avec une satisfaction particulière, celle de l'Arabie saoudite.
Mme Ferrero Waldner a enfin relevé que le discours sur la sécurité ne doit pas occulter le discours plus fondamental sur les valeurs dont notre civilisation est porteuse. Ces valeurs de tolérance et de respect mutuel, il est important de les diffuser et de les enseigner dans les écoles, les commissariats, les casernes et les administrations. C'est dans cette optique de prévention plutôt que de réaction que l'Autriche soumettra plusieurs motions concernant, en particulier, la protection des minorités et l'assistance aux populations déplacées.

Présentation du rapport de la Haut-Commissaire aux droits de l'homme
MME MARY ROBINSON, Haut-Commissaire aux droits de l'homme, a précisé que son rapport (E/CN.04/2002/18 et Add.1 et 2) comporte deux additifs relatifs, l'un, aux droits de l'homme des handicapés et, l'autre, à la question de la tolérance et du pluralisme en tant qu'éléments indissociables de la promotion et de la protection des droits de l'homme. Certains ont suggéré qu'il n'est pas possible d'éradiquer efficacement le terrorisme tout en respectant les droits de l'homme, a rappelé la Haut-Commissaire. Or cette suggestion est fondamentalement erronée, a-t-elle affirmé. À long terme, la seule garantie de sécurité réside dans le respect des droits de l'homme et du droit international, a-t-elle insisté. Mme Robinson a tenu à souligner qu'en tant que Haut-Commissaire, elle partage la préoccupation légitime qu'ont les Ètats de faire en sorte que ceux qui planifient, soutiennent ou commettent des actes terroristes ne puissent trouver refuge nulle part, qu'ils ne puissent se soustraire aux poursuites, qu'ils ne puissent accéder librement à des fonds et qu'ils ne puissent mener à bien de nouvelles attaques. "Je suis particulièrement préoccupée par le fait que les stratégies anti-terroristes mises en œuvre après le 11 septembre aient parfois sapé les efforts visant à améliorer les droits de l'homme," a affirmé Mme Robinson. Des mesures excessives ont été prises dans plusieurs parties du monde qui suppriment ou restreignent les droits des individus, a-t-elle ajouté. La Haut-Commissaire a rappelé que dans la déclaration qu'elle a faite devant la Commission lundi dernier, elle a invité la Commission à réfléchir à l'opportunité qu'il y aurait pour elle à créer un mécanisme chargé d'examiner, sous une perspective soucieuse des droits de l'homme, les mesures anti-terroristes prises par les Ètats. Peut-être la Commission voudra-t-elle engager son propre dialogue avec le Comité de lutte contre le terrorisme à cet égard, a-t-elle précisé.
Il ne fait aucun doute que les gens, aujourd'hui, ne se sentent pas en sécurité du fait des menaces procédant du terrorisme, a déclaré Mme Robinson. Mais l'insécurité humaine résulte d'autres sources, a-t-elle rappelé avant de mentionner, au nombre de ces dernières, les conflits armés, la discrimination raciale, la détention arbitraire, la torture, le viol, l'extrême pauvreté, le VIH/sida, l'insécurité de l'emploi et la dégradation de l'environnement. L'impunité des auteurs de violations massives et flagrantes des droits de l'homme - encore largement répandue - alimente une atmosphère de crainte et de terreur et produit des sociétés instables tout en portant atteinte à la légitimité des gouvernements. À cet égard, l'entrée en vigueur du Statut de Rome de la Cour pénale internationale renforcera incontestablement la capacité du droit international à répondre à l'impunité, a souligné la Haut-Commissaire. Elle a par ailleurs rappelé que le racisme et l'intolérance peuvent tous deux être à la fois une cause et une conséquence de la violence et, partant, de l'insécurité. Répondre aux défis que pose l'insécurité requiert de renforcer la coopération internationale, de prendre sérieusement en considération la prévention, de renforcer l'égalité et le respect et de respecter les engagements pris en matière de droits de l'homme, a affirmé Mme Robinson.
Dans son rapport, la Haut-Commissaire aux droits de l'homme affirme que - outre qu'il s'agit d'actes terroristes - les attentats du 11 septembre peuvent être qualifiés, en raison de leur ampleur et du fait qu'ils étaient dirigés contre la population civile, de crimes contre l'humanité. Tous les États victimes de crimes contre l'humanité peuvent recourir à diverses mesures légales pour en poursuivre les auteurs et leurs complices. Le droit international précise que les crimes contre l'humanité sont imprescriptibles, rappelle par ailleurs le rapport. En conséquence, toute personne suspectée d'un tel crime pourrait faire à tout moment l'objet de poursuites dans l'avenir. Les crimes contre l'humanité relèvent aussi de la compétence universelle, ce qui signifie que tout État peut rechercher, arrêter et poursuivre les personnes soupçonnées d'être impliquées dans les attentats du 11 septembre. Pour être efficace, une stratégie internationale de lutte contre le terrorisme devrait utiliser les droits de l'homme comme cadre fédérateur, souligne le rapport. Il est faux de dire que des violations des droits de l'homme peuvent être admises dans certaines circonstances, poursuit-il.
Le rapport affirme en outre que le terrorisme naît souvent de la haine extrême et engendre encore plus de haine. Le recours au terrorisme repose sur l'idée d'une moindre humanité de ses victimes. Le Programme de lutte contre la discrimination adopté à Durban offre un antitode au terrorisme. La Déclaration de Durban affirme la richesse de la famille humaine dans sa diversité et donc le respect de toute vie humaine. Elle affirme que tous les peuples et tous les individus ont contribué au progrès de la civilisation et des cultures qui constituent le patrimoine commun de l'humanité. Elle reconnaît en outre que la promotion de la tolérance, du pluralisme et du respect de la diversité peuvent conduire à des sociétés moins exclusives. "À cause des attentats terroristes et des événements qui ont suivi, certains adoptent une position qui ne fait que creuser les divisions entre les civilisations. Ce n'est pas la bonne approche.", affirme le rapport.
MME TEHMINA JANJUA (Pakistan, au nom de l'Organisation de la Conférence islamique - OCI), a vivement déploré que l'incapacité de la communauté internationale à faire respecter les droits de l'homme ait pour conséquence immédiate la perte de millions de vies humaines, en particulier des musulmans, au cours de graves conflits en Bosnie-Herzégovine, au Kosovo, en Palestine, au Jammu et Cachemire et en Azerbaïdjan. L'OCI craint que si des mesures ne sont pas prises, les actes de terrorisme récents ne perpétuent cette situation
Mme JANJUA a déclaré que l'OCI condamne le terrorisme sous toutes ses formes et estime que la lutte contre le terrorisme est certes une priorité absolue, mais qu'elle ne doit pas servir de prétexte à des menées systématiques contre les droits de l'homme en général, et contre la religion musulmane et ses adaptes en particulier. Il est donc indispensable de commencer par donner une définition très précise des actes de terrorisme, et de les distinguer clairement de ceux des mouvements de libération nationale. Dans cette tentative de définition, il conviendrait également de qualifier les actes terroristes commis par des Ètats ou des puissances occupantes. L'OCI a demandé la tenue d'une conférence de l'ONU à ce sujet, qui fera par ailleurs l'objet d'une très prochaine session spéciale de l'OCI.
M. VIRASAKI FUTRAKUl (Thaïlande) a rappelé que son pays condamne le terrorisme sous toutes ses formes. Une condamnation qui ne vise aucune religion ni aucune société, en particulier a-t-il précisé. Toutefois, dans la mesure où le terrorisme porte atteinte au droit fondamental à la vie, le représentant a estimé qu'il était de la responsabilité des États de s'engager et de coopérer en vue d'éradiquer ce fléau. Abordant ensuite la question de l'accueil des réfugiés, il a expliqué la politique de son pays dans ce domaine en faisant valoir que la Thaïlande avait toujours cherché des solutions humaines et durables à la situation des nombreux réfugiés qu'elle reçoit. Dans cette optique, le représentant a mis l'accent sur la coopération entre les États, mais aussi entre les diverses institutions des Nations Unies et les ONG qui travaillent dans ce domaine.
Rappelant que les conflits et le terrorisme trouvent souvent leur source dans les frustrations nées de la pauvreté et des discriminations, il a fermement appuyé toutes les politiques qui placent l'être humain au centre du développement et a insisté sur la nécessité d'adopter des stratégies à long terme. Parallèlement, les États doivent s'engager, tout en respectant les droits de l'homme, à réprimer le terrorisme, à condamner les criminels. La communauté internationale doit établir un équilibre entre la sécurité humaine et le respect de la souveraineté des États. En outre, il importe d'examiner les conséquences négatives de la mondialisation et d'établir des politiques mondiales concertées pour venir à bout du racisme et de l'intolérance, y compris de l'islamophobie actuelle. C'est pourquoi il importe tout particulièrement de renforcer le dialogue entre les civilisations et d'instaurer un climat de respect et de compréhension mutuels. Se félicitant du travail du Haut Commissariat aux droits de l'homme, il l'a encouragé à faire une contribution importante au prochain Sommet mondial pour le développement durable.
M SHA ZUKANG (Chine) a souligné que la question du terrorisme est inséparable de celle des droits de l'homme. Le terrorisme est un crime contre des innocents ; c'est une violation flagrante des droits de l'homme à laquelle il faut s'opposer résolument, et ce, quels qu'en soient les manifestations, les agents et les cibles.
M. Sha a cependant ajouté qu'il faut se garder, en matière de définition des actes terroristes, de pratiquer la politique des deux poids, deux mesures : cela reviendrait à justifier le terrorisme. De plus, la portée de la lutte contre le terrorisme ne doit pas être arbitrairement élargie ; il convient surtout de ne pas associer le terrorisme avec un groupe ethnique particulier, et de garder à l'esprit que sa solution ne peut être trouvée que dans le cadre d'une réflexion sur ses causes profondes.
Le représentant chinoisa aussi évoqué les récentes initiatives de son pays en matière de politique d'information interne au sujet des droits de l'homme, notamment en direction des forces de police, culminant avec la signature fin 2001 d'un mémorandum d'accord avec le Haut-Commissariat aux droits de l'homme :
M.SERGUEI TCHUMAREV (Fédération de Russie), reconnaissant que la responsabilité du respect des droits de l'homme incombe au premier chef aux États, a souligné l'importance de la coopération internationale dans ce domaine sous l'impulsion De la Haut Commissaire, qui a un rôle important de catalyseur et peut, par ses programmes d'assistance technique, aider les États à faire évoluer leur législation relative aux droits de l'homme. S'agissant de la lutte contre le terrorisme, il s'est déclaré d'avis que la protection des droits et des libertés était un élément important de la prévention du terrorisme.
Le représentant russe a regretté que le rapport de la Haut Commissaire aux droits de l'homme ne donne pas une vision globale de son action puisqu'il se concentre chaque année sur un thème. Le représentant a estimé qu'il serait plus utile de pouvoir évaluer l'action du Haut-Commissariat par domaine d'activité. Il a également regretté que le personnel du Haut-Commissariat ne reflète pas la diversité mondiale.

M. IVAN MORA GODOY (Cuba) a rappelé que son pays a toujours été favorable à une réforme de la Commission qui consisterait à rationaliser et à simplifier les mécanismes de cet organe tout en visant la dépolitisation de la Commission et l'abandon de toute sélectivité en son sein. Il a par ailleurs insisté sur la nécessité de corriger le déséquilibre géographique qui existe ? au détriment des pays en développement ? dans la composition du personnel du Haut Commissariat aux droits de l'homme. Dès le lancement du processus de révision des mécanismes de la Commission, en l'an 2000, il était clair que la coopération ne pouvait être imposée. Or, Les difficultés rencontrées aujourd'hui dans le domaine de la coopération ne sauraient, pour l?essentiel, être interprétées comme un manque de volonté politique de la part des Ètats. L'origine politique et le caractère sélectif et discriminatoire de nombreuses résolutions par pays ne sauraient en effet être favorables à la coopération, a souligné le représentant cubain.

MME MARIE-CLAIRE ACOSTA. (Mexique) a engagé les États à faire les efforts nécessaires pour que la Commission puisse contribuer efficacement à l'élaboration et à l'application des instruments internationaux en matière de droits de l'homme. Pour ce faire, il importe de créer un climat de collaboration et non de confrontation. Il faut que les États puissent avoir confiance dans les mécanismes internationaux et que la communauté internationale s'efforce de faire tous les efforts possibles pour assurer un traitement objectif des droits de l'homme et des travaux de cette Commission. Dans ce contexte, elle a estimé que l'action de Mme Robinson avait contribué à dépasser la condamnation stérile pour venir réellement en aide aux États, notamment grâce aux programmes d'assistance technique qui, dans le plein respect de la souveraineté des États contribuent à trouver le meilleur moyen d'assurer un meilleur exercice des droits fondamentaux de la personne.

Dans le contexte actuel, la représentante mexicaine a estimé qu'il fallait porter une attention particulière au respect des groupes particulièrement vulnérables, notamment les migrants et les réfugiés,. Ainsi, elle s'est félicitée de l'appel lancé par la Haut-Commissaire aux droits de l'homme pour que la Convention internationale pour la protection des travailleurs migrants et de leur famille entre en vigueur rapidement. Par ailleurs, elle a fait savoir que son gouvernement avait fait une priorité de la protection des personnes handicapées et attendait avec impatience les résultats de l'étude commandée par le Haut Commissariat dans ce domaine. À ce propos, elle a rappelé que le Mexique était favorable à l'élaboration d'une convention internationale sur la promotion et la protection des droits et de la dignité des personnes handicapées.

M. JOAQUIN PÈREZ-VILLANUEVA Y TOVAR (Espagne, au nom de l'Union européenne) a rappelé que dès le Conseil extraordinaire de l'Union européenne, qui s'est tenu le 21 septembre 2001, l'Union européenne a souligné que la lutte contre le terrorisme devait être menée à bien dans le plein respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales qui constituent le ciment de notre civilisation commune. Les actes terroristes ne constituent pas des violations des droits de l'homme, a affirmé le représentant espagnol; il s'agit de crimes injustifiables. La prise en compte des causes qui, in fine, se trouvent à l'origine des actes de terrorisme ne saurait en aucun cas aboutir à une justification de ces actes, a souligné le représentant. Rappelant que la résolution 1373 du Conseil de sécurité insiste sur la nécessité de veiller à ce que le statut de réfugié ne soit pas invoqué pour empêcher l'extradition d'une personne impliquée dans des activités terroristes, le représentant espagnol a néanmoins lancé un appel pour que les dispositions de la Convention de 1951 sur les réfugiés continuent d'être respectées.
.
L'Union européenne est en outre d'avis que l'entrée en vigueur du Statut de Rome de la Cour pénale internationale renforcera la capacité du droit international à apporter une réponse au problème de l'impunité.

S'exprimant sur l'organisation des travaux de la Commission (point 3), MME MARIE GERVAIS-VIDRICAIRE (Canada) est revenue sur la question de la participation des organisations non gouvernementales pour signifier que le Groupe des États occidentaux n'appuierait aucun effort visant à réduire les ONG au silence, car la liberté d'expression doit rester un des principes de base des travaux de la Commission. S'agissant de la distribution d'une liste d'ONG n'ayant pas obtenu le statut consultatif auprès de l'ECOSOC, elle a indiqué que rien ne prévoyait la circulation d'une telle liste et que le Groupe de travail du Comité des ONG n'était pas parvenu à un accord sur ce point. En outre, elle a fait savoir que le Groupe des États occidentaux ne saurait être d'accord avec la note du Secrétariat qui remet en question des pratiques bien établies concernant la participation des ONG. En conclusion, elle a demandé que l'on adopte une approche pragmatique visant à améliorer le dialogue avec les ONG.




* *** *

VOIR CETTE PAGE EN :