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Communiqués de presse Organe subsidiaire de la Commission des droits de l’homme

LA SOUS-COMMISSION ENTAME L'EXAMEN DES QUESTIONS RELATIVES AUX DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS

03 août 2004



2 août 2004

Elle se penche en particulier sur les questions relatives au droit à l’eau potable, aux conséquences de la dette, à l’extrême pauvreté et à la non-discrimination


La Sous-Commission de la promotion et de la protection des droits de l'homme a entamé ce matin l'examen des questions relatives aux droits économiques, sociaux et culturels. Elle a dans ce cadre été saisie de rapports et de documents de travail concernant respectivement la réalisation du droit à l'eau potable et à l'assainissement; les conséquences de la dette sur les droits de l'homme; l'application de normes et critères relatifs aux droits de l'homme dans le contexte de l'extrême pauvreté; et le principe de non-discrimination en matière de droits économiques, sociaux et culturels.

Présentant son rapport final sur la promotion de la réalisation du droit à l'eau potable et à l'assainissement, le Rapporteur spécial sur la question, M. El-Hadji Guissé, a notamment rappelé le mouvement de privatisation des points d'eau qui s’est manifesté il y a quelques années dans les pays en développement, au seul profit de sociétés transnationales, et a préconisé de résilier les contrats par lesquels les pays en développement ont vendu leurs points d'eau.

Présentant également un document de travail sur les conséquences de la dette sur les droits de l'homme, M. Guissé a souligné que depuis plus d'un demi-siècle, les pays en développement sont confrontés à de graves problèmes politiques, économiques et sociaux qui menacent l'existence de leurs populations et entravent donc la réalisation des droits humains des individus. Ces problèmes sont engendrés par la dette et son service, a-t-il affirmé. La dette est devenue un instrument efficace pour pousser les pays dans l'extrême pauvreté et les y maintenir, a-t-il ajouté. Il a rappelé que la solution première reste l'annulation de la dette.

La Sous-Commission a ensuite entendu la présentation du document intérimaire sur l'application de normes et critères relatifs aux droits de l'homme dans le contexte de la lutte contre l'extrême pauvreté, présenté par M. José Bengoa, qui a regretté que l'intérêt accordé par la communauté internationale à la lutte conte la pauvreté ne soit malheureusement que de pure forme. Il est urgent de se saisir de cette question de manière efficace, a-t-il déclaré.

Présentant son document de travail sur le principe de non-discrimination énoncé au paragraphe 2 de l'article 2 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, M. Emmanuel Decaux a notamment estimé qu'à côté des discriminations raciales et des discriminations sexuelles, y compris en matière d'orientation sexuelle, il convient de prendre pleinement en compte les groupes vulnérables qui ne figurent pas toujours explicitement dans les énumérations classiques. Il s'est demandé si, au-delà des groupes déjà bien identifiés, il ne fallait pas faire toute leur part à des discriminations négligées.

Au cours de la présente séance, les experts suivants ont pris la parole : M. Vladimir Kartashkin, Mme Chin Sung Chung, M. Ibrahim Salama, M. Gudmuntur Alfredsson, M. José Bengoa, M. Miguel Alfonso Martínez, Mme N.U.O Wadibia-Abyabwu, M. Yozo Yokota, M. Mahamed Abib Chérif, Mme Florizelle O'Connor, Mme Iulia-Antoanella Motoc et Mme Halima Embarek Warzazi.

En début de séance, le Président de la Sous-Commission, M. Soli Jehangir Sorabjee, a indiqué que le Président du Comité pour l'élimination de la discrimination raciale et un autre membre du Comité participeront aux travaux de la Sous-Commission le vendredi 6 août à 15 heures. En outre, le jeudi 5 août, un membre de la Commission du droit international participera au débat sur les réserves aux traités relatifs aux droits de l'homme.


La Sous-Commission poursuivra, cet après-midi à 15 heures, l'examen des questions relatives aux droits économiques, sociaux et culturels.


Présentation du rapport sur le droit à l'eau potable et à l'assainissement

Présentant son rapport final sur le droit à l'eau potable et à l'assainissement (E/CN.4/Sub.2/2004/20, à paraître en français), M. EL-HADJI GUISSÉ, Rapporteur spécial sur la question, a indiqué avoir reçu des informations émanant de l'Autriche, de l'Azerbaïdjan, de la Bolivie, de la Grèce, du Mexique et de la Suisse ainsi que de la Division du développement rural du Département des affaires économiques et sociales de l'ONU et de plusieurs organisations des Nations Unies traitant des questions relatives à l'environnement et à l'agriculture.

La garantie de l'accès à une eau convenable pour l'agriculture ne peut pas être comparée à la garantie de l'accès à une eau potable, a souligné M. Guissé. Il a précisé que le Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE) avait fait valoir que, lors de l'examen des questions liées à l'accès à l'eau potable, il importe d'invoquer l'environnement afin de faire comprendre que si l'eau est utilisée de façon nuisible, il est difficile de faire valoir la garantie d'un accès à l'eau potable. L'OMS, qui a utilement œuvré à la réalisation du droit à l'eau potable, a indiqué qu'elle était en train d'établir son manuel sur le droit d'accès à l'eau, qui devrait être prêt dans le courant de cette année. L'intérêt que ces organisations de l'ONU portent à la question de l'accès à l'eau confirme l'importance du droit à l'eau potable et de l'eau en tant que source de vie.

Les obligations qui pèsent sur les États dans ce domaine sont positives, a souligné M. Guissé. À partir du moment où une norme juridique sert de base à un droit, ce droit peut être exigible devant une instance juridictionnelle, a-t-il précisé. Il a rappelé que des inquiétudes étaient apparues il y a quelques années face au mouvement de privatisation des points d'eau qui se manifestait dans les pays en développement, au seul profit de sociétés transnationales.

Aussi, a-t-il préconisé de revoir, et même de résilier les contrats par lesquels les pays en développement ont vendu les points d'eau à des sociétés transnationales. Il faut stopper l'évolution vers l'appauvrissement de cette denrée indispensable pour l'existence humaine qu'est l'eau potable, a conclu M. Guissé.

Dialogue interactif

M. VLADIMIR KARTASHKIN, expert de la Sous-Commission, s'est félicité de la qualité du rapport présenté par M. El-Hadji Guissé. Il a ajouté qu'il était revenu de ses à priori de départ concernant l'étude sur le droit à l'eau potable, et qu'il était aujourd'hui convaincu de son importance. L'expert a estimé que c'est avec justesse que le rapport insiste sur le fait que la faiblesse des ressources en eau dans certaines régions du monde est susceptible de dégénérer en conflit, et il a souligné à cet égard l'importance particulière de la partie du rapport concernant le régime juridique national qui réglemente le droit à l'accès à l'eau potable.

M. Kartashkin a toutefois regretté que le rapport n'aborde pas suffisamment la question de l'adoption de règles concernant la responsabilité en cas de pollution de l'eau potable. M. Guissé devrait inclure des mesures portant sur la responsabilité des États en cas de pollution de l'eau potable dans un prochain rapport, a-t-il estimé. M. Kartashkin s'est enfin demandé s'il ne serait pas opportun d'élaborer une déclaration sur le droit de chacun à un accès à l'eau potable. Le moment n'est-il pas venu de la faire ?

MME CHIN SUNG CHUNG, experte de la Sous-Commission, a regretté que le rapport sur l'accès é l'eau potable ne vise que les pays en développement. Il faudrait s'attacher davantage aux questions relatives au développement durable et à la pollution de l'eau, problème très grave dans les pays industrialisés. En outre, la question de la responsabilité en cas de pollution de l'eau devrait être davantage abordée dans le rapport.

M. IBRAHIM. SALAMA, expert de la Sous-Commission, a demandé que soient apportées des précisions s'agissant de l'accès à l'eau potable pour les groupes vulnérables. Il a également appelé de ses vœux un éclairage sur les conditions de la privatisation des services en eau dont les effets peuvent être néfastes.

M. GUDMUNTUR ALFREDSSION, expert de la Sous-Commission, s'est interrogé sur la question de l'accès à l'eau potable lorsqu'elle se trouve à la frontière entre deux États ou lorsqu'elle traverse une frontière.

M. JOSÉ BENGOA, expert de la Sous-Commission, a souligné que la privatisation des investissements dans le domaine de la fourniture d'eau potable et la privatisation des entreprises qui assurent l'accès à l'eau potable ne retirent en rien les obligations qui incombent à l'État de garantir l'accès de la population à l'eau potable.

M. IBRAHIM SALAMA, expert de la Sous-Commission, a noté que le rapport aborde la question du droit à l'eau potable en rapport notamment avec les questions relatives aux eaux internationales. Or, il faut que la Sous-Commission, qui n'est pas l'OMS ni la Commission du droit international, se concentre sur la valeur ajoutée qu'elle peut apporter en s'en tenant strictement aux aspects droits de l'homme de tel ou tel problème qu'elle examine.

M. MIGUEL ALFONSO MARTÍNEZ, expert de la Sous-Commission, a relevé que l'on s'apercevra bientôt que l'eau est plus précieuse que le plus précieux des métaux. Déplorant la pénurie croissante de cet élément indispensable à la vie, il a souligné que le droit d'accès à l'eau potable est lié à d'autres droits tels que le droit à la vie et le droit à l'alimentation.
M. Alfonso Martínez a indiqué que d'après des sources fiables, les réserves les plus importantes en eau potable qui n'ont pas encore été polluées se trouvent sur des terres ancestrales de populations autochtones, en particulier en Amérique du Nord; or, ces eaux vont faire l'objet d'accords entre gouvernements pour être acheminées au-delà des frontières entre États de cette région.

MME WADIBIA-ABYABWU, experte de la Sous-Commission, a insisté sur la nécessité d'élaborer une déclaration énonçant certains principes de base concernant le droit d'accès à l'eau potable. L'experte a appuyé les conclusions du rapport présenté par M. Guissé, en particulier sur le fait que l'eau peut être une source de conflit.

M. YOZO YOKOTA, expert de la Sous-Commission, a déclaré que le droit à l'eau potable est si essentiel qu'il recoupe un grand nombre de droits de l'homme, à commencer par le droit à la vie. L'expert a appelé de ses vœux l'élaboration d'une déclaration sur le droit à l'eau potable.


Présentation du document de travail sur les conséquences de la dette sur les droits de l'homme

Présentant son document de travail sur les conséquences de la dette sur les droits de l'homme, M. GUISSÉ, expert de la Sous-Commission, a souligné que depuis plus d'un demi-siècle, les pays en développement sont confrontés à de graves problèmes politiques, économiques et sociaux qui menacent l'existence de leurs populations et entravent donc la réalisation des droits humains des individus. Ces problèmes sont engendrés par la dette et son service, a affirmé l'expert. La dette est devenue un instrument efficace pour pousser les pays dans l'extrême pauvreté et les y maintenir, a-t-il ajouté.

La dette a permis d'établir une autre forme de colonisation, plus pernicieuse que la précédente, a poursuivi M. Guissé. Certains ont pu être amenés à dire que nous sommes en fait sortis d'une colonisation publique pour entrer dans une colonisation privée où le profit est roi. La dette contribue à un déséquilibre chronique de l'économie mondiale au détriment des pays en développement. M. Guissé a rappelé que la dette des pays en développement résulte en partie de la prise en charge indue des dettes des États colonisateurs, prise en charge imposée par ces derniers aux jeunes États au moment de leur accession à la souveraineté. En 1960, la dette publique extérieure de ces États en développement était déjà de 59 milliards de dollars et était grevée d'un taux d'intérêt de 14% exigible de suite, avant même que les jeunes États n'aient eu le temps d'organiser leurs économies. Dès lors, les pays en développement devaient s'endetter non pas pour investir mais pour rembourser les intérêts de leurs dettes, a expliqué M. Guissé. La dette contractée par l'État colonisateur et qui fut automatiquement transmise aux nouveaux États l'a été en violation de certains principes de droit, a-t-il souligné. Aujourd'hui, la dette est un fantastique instrument de domination, a insisté M. Guissé. Il a rappelé que la solution première reste l'annulation de la dette. L'annulation de la dette ne sera que justice si l'on considère qu'aucun des pays concernés, sur le plan du droit, ne pouvait engager son peuple pour la simple raison qu'il n'était pas encore né, a déclaré l'expert. Pendant plus de trente ans, les pays en développement ont supporté des taux d'intérêt usuriers, a-t-il poursuivi.

M. Guissé a indiqué que son étude aboutirait peut-être à préconiser un audit de la dette afin de déterminer combien a été prêté et combien a déjà été payé, ce qui permettra peut-être d'aboutir à la conclusion évidente qu'il s'agit d'une dette injuste. Les institutions de Bretton Woods se sont parfois transformées en agences de recouvrement de dette des pays du tiers-monde, a-t-il enfin rappelé.



Le document de travail de M. Guissé sur les conséquences de la dette sur les droits de l'homme (E/CN.4/Sub.2/2004/27) rappelle que la dette empêche tout développement humain durable, toute stabilité politique et toute sécurité. L'histoire de la dette du tiers monde est celle d'une formidable ponction opérée par la finance internationale sur les peuples les plus démunis. Une ponction programmée pour être indéfinie, grâce à un mécanisme infernal de reproduction de la dette à une échelle de plus en plus vaste, mécanisme que l'on ne pourra briser que par l'annulation de la dette.

En raison du rôle qu'elle joue de nos jours, la dette est un fantastique instrument de domination que les sociétés transnationales manient dangereusement contre les pays en développement, ajoute M. Guissé dans son document de travail. Les États du tiers monde sous le fardeau de la dette ne peuvent faire face aux nombreuses sollicitations de leurs peuples, conclut-il.

Dialogue interactif

M. IBRAHIM SALAMA, expert de la Sous-Commission, s'est demandé s'il ne fallait pas traiter la question de la dette en se limitant à l'élément «droit de l'homme», au lieu de traiter de la dette en tant que telle. Pourquoi ne pas se poser la question de la justice et de l'équité dans le cadre d'un contrat contenant des clauses relatives aux droits économiques, sociaux et culturels. L'expert a appelé de ses vœux une approche contractuelle de la dette : Pourquoi ne pas se demander si dans certains cas la dette n'est pas le résultat de la mauvaise gouvernance ?

M. MOHAMED HABIB CHÉRIF, expert de la Sous-Commission, a affirmé que le fardeau de la dette constitue une grave entrave à la réalisation des droits de l'homme. La dette, a souligné le représentant, pousse les pays pauvres vers encore plus de pauvreté. La dette, a-t-il ajouté, empêche le développement humain et provoque une instabilité sociale et politique. Certains pays sont pris dans un véritable cercle vicieux, contraints d'emprunter pour rembourser la dette. L'expert a souligné que le droit d'option n'a pas été accordé aux pays en développement nouvellement indépendants, qui ont dû souffrir du poids des dettes contractées par les anciens régimes.

M. VLADIMIR KARTASHKIN, expert de la Sous-Commission, a appuyé la réflexion faite par M. Ibrahim Salama, qui a appelé de ses vœux la recherche d'un équilibre politique dans le document de travail. À cet égard, il a estimé que la mondialisation ne constitue pas un obstacle à la constitution d'un ordre financier international juste, au contraire. La mondialisation est un processus contradictoire mais il semblerait que les avantages de la mondialisation dépassent largement ses conséquences négatives.

M. YOZO YOKOTA, expert de la Sous-Commission, a mis l'accent, à l'instar de M. Kartashkin, sur l'importance d'établir une claire distinction entre les effets négatifs et les effets positifs de la mondialisation. Le financement de projets visant à promouvoir l'accès à l'eau potable ne devrait pas s'effectuer sous forme de prêts de la Banque mondiale mais sous forme de dons. Tout projet de droits de l'homme appuyé par des institutions internationales devrait, d'une manière générale, se faire sous forme de dons et non de prêts, a insisté M. Yokota.

MME FLORIZELLE O'CONNOR, experte de la Sous-Commission, a déclaré que la notion d'égalité qui est à la base de la notion de droits de l'homme a été considérablement erronée voire ignorée lorsqu'ont été établis des accords entre gouvernements du monde développés ou encore dans le cadre d'institutions internationales, sans le consentement des pays en développement. La notion de souveraineté est pratiquement réduite à néant lorsque des gouvernements sont placés devant le fait accompli d'une situation où pour chaque dollar gagné, 89 cents contribuent au service de la dette. Mme O'Connor a jugé nécessaire de revoir les contrats et accords passés qui ont entraîné cette situation de la dette. Il faut stopper la création de nouveaux pauvres qui découle de cette situation, a-t-elle insisté.
MME IULIA-ANTOANELLA MOTOC, experte de la Sous-Commission, a salué la vigueur avec laquelle M. Guissé défend les idéaux des pays du Sud. Étant donné l'existence d'un Rapporteur spécial de la Commission chargé de la question de la dette, comment M. Guissé appréhende-t-il la poursuite de son travail, a demandé Mme Motoc?

MME HALIMA EMBAREK WARZAZI, experte de la Sous-Commission, a rappelé qu'avec son collègue Louis Joinet, elle avait il y a plusieurs années préconisé l'annulation de la dette comme mesure compensatoire aux pays victimes de l'esclavage par le passé. Au taux de 14% mentionné par M. Guissé dans la présentation de son rapport, la dette a été largement payée et ceux qui réclament aujourd'hui la dette aux pays en développement sont des vampires. Aujourd'hui, les pays en développement ne paient pas la dette, qu'ils ont déjà remboursée depuis longtemps, mais le luxe des pays développés.


Présentation du document de travail sur l'application des normes et critères relatifs aux droits de l'homme dans le contexte de la lutte contre l'extrême pauvreté

M. JOSÉ BENGOA, expert de la Sous-Commission et coordonnateur des cinq membres de la Sous-Commission chargés de l'établissement d'un document de travail intérimaire sur l'application des normes et critères relatifs aux droits de l'homme dans le contexte de la lutte contre l'extrême pauvreté, a déploré que la lutte contre la pauvreté ne figure pas au rang des priorités de la communauté internationale. On n'accorde à cette question qu'un intérêt de pure forme, a-t-il estimé. Consacrer 900 milliards de dollars aux budgets militaires et seulement 50 à 60 milliards à l'aide au développement est une aberration à laquelle il convient de remédier, a estimé l'expert. La pauvreté est un obstacle à la paix et il est urgent de traiter la question de la pauvreté. Tout le monde en reconnaît l'importance, mais peu de choses sont faites dans la pratique. M. Bengoa a souligné la richesse de l'approche de la question de la pauvreté du point de vue des droits de l'homme.

Le rapport relatif à l'application des normes et critères relatifs aux droits de l'homme dans le contexte de la lutte contre l'extrême pauvreté (E/CN.4/Sub.2/2004/25) indique que sur la base des travaux antérieurs du Groupe spécial d'experts, des échanges de vue entre les membres de la Sous-Commission, dont trois membres du Groupe spécial, qui ont eu lieu à Pune, en Inde, à la fin janvier 2004, et à l'issue de consultations avec divers homologues, un accord s'est dégagé sur la nécessité d'élaborer un texte sur les droits de l'homme et l'extrême pauvreté. Le moment était donc venu d'étudier les éléments qui pourraient être incorporés à ce document. À l'occasion de la réunion de Pune, un certain nombre de principes fondamentaux et de thèmes et questions à prendre en compte pour l'élaboration d'un document de cette nature ont été examinés et une méthode fondée sur des consultations a été proposée. Le présent rapport contient un aperçu des débats, suivi de conclusions et recommandations. Suite à la réunion de Pune, conclut le rapport, le groupe d'experts considère qu'un texte éventuel sur la mise en œuvre des normes et critères relatifs aux droits de l'homme existant dans le contexte de la lutte contre la pauvreté serait d'un très grand intérêt. Le Groupe d'experts estime qu'un texte de cette nature, solidement ancré dans des critères juridiques applicables à tous les êtres humains, donnerait des moyens d'agir aux personnes qui vivent dans la pauvreté et à celles qui travaillent à leurs côtés.

L'étude devrait reposer sur une approche globale et tenir compte de la situation en matière de droits de l'homme des personnes qui vivent dans la pauvreté et l'extrême pauvreté. Le Groupe d'experts recommande à la Sous-Commission de poursuivre d'amples consultations; de préciser la manière de traiter les questions qui restent à régler (nature du document, définition de la pauvreté, distinction éventuelle entre pauvreté et extrême pauvreté, indivisibilité de tous les droits de l'homme ou priorité à accorder à certains droits dans le contexte de l'élimination ou de la réduction de la pauvreté..); et de soumettre à la Sous-Commission, à sa prochaine session, un rapport final contenant des conclusions et recommandations sur la nécessité d'élaborer des principes directeurs relatifs à la mise en oeuvre des normes et critères relatifs aux droits de l'homme existants dans le contexte de la lutte contre l'extrême pauvreté.

Dialogue interactif

M. EMMANUEL DECAUX, expert de la Sous-Commission, a souligné que le travail de pionnier de la Sous-Commission s'agissant des questions relatives à la lutte contre l'extrême pauvreté doit rester une référence à travers le rapport de M. Leandro Despouy, dont il faut regretter qu'il n'ait toujours pas été largement publié dans toutes les langues officielles alors même que des initiatives récentes tendent à remettre en cause cet acquis. Le Haut Commissariat aux droits de l'homme a publié une étude de trois éminents experts sur un cadre conceptuel concernant les droits de l'homme et la lutte contre la pauvreté qui non seulement ne se réfère à aucun moment au rapport Despouy, mais prend même le contre-pied de ses thèses les plus fondamentales. La désignation de M. Arjun Sengupta, à qui il faut rendre hommage pour son remarquable travail sur le droit au développement, pour succéder à Mme Anne-Marie Lizin comme Rapporteur spécial sur l'extrême pauvreté ne marque-t-elle pas inéluctablement un changement d'approche, passant d'un paradigme juridique à une priorité économique, s'est interrogé M. Decaux? Ces deux exemples montrent la nécessité pour la Sous-Commission de maintenir le cap. La pauvreté n'est pas seulement un concept; c'est un scandale, dans tous les pays. Indiquant qu'il avait été demandé à chacun des cinq membres du groupe d'experts de préparer une étude régionale, M. Decaux a souligné qu'il était disposé à le faire lorsqu'il a appris que le secrétariat demandait une demi-page à intégrer dans un rapport collectif. Or, une telle étude n'aurait de sens que si elle allait au fond des choses. Au Haut Commissariat de savoir, là aussi, où sont ses priorités, a déclaré M. Decaux.

MME IULIA-ANTOANELLA MOTOC, experte de la Sous-Commission, a rappelé qu'elle fait partie des cinq membres auxquels a été confiée la réalisation du document de travail présenté ce matin par M. Bengoa. On assiste aujourd'hui, au sein du Haut Commissariat aux droits de l'homme lui-même, à diverses approches de la question des droits de l'homme et de l'extrême pauvreté, a-t-elle souligné. Le rapport final du groupe d'experts devrait établir la liste des droits de l'homme (civils et politiques, tout comme économiques, sociaux et culturels) remis en cause par l'extrême pauvreté, a-t-elle suggéré.

MME FRANÇOISE JANE HAMPSON, experte de la Sous-Commission, a appuyé les propos tenus par Mme O'Connor sur la question de la dette, ainsi que les vue exprimées par M. Decaux.

M. EL-HADJI GUISSÉ, expert de la Sous-Commission, a déclaré que la définition de la notion de pauvreté soulève bien des questions. Il faut partir du cadre social et non pas à partir des droits individuels. Pour M. Guissé, on peut estimer que certains droits sont essentiels, sans la jouissance desquels on peut considérer qu'une personne est pauvre. Ces droits sont : le droit à l'eau, le droit à la nourriture, le droit à la santé et le droit au logement. Si un de ces droits fait défaut, alors on peut considérer qu'une personne est pauvre.

M. CHEN SHIQIU, expert de la Sous-Commission, a souligné que l'extrême pauvreté favorise le crime et les conflits. Elle constitue par ailleurs un facteur important conduisant au terrorisme. L'expert a en outre souligné que la population de l'Afrique sub-saharienne qui souffre d'extrême pauvreté augmente, si bien que cette question devrait être traitée de manière prioritaire. M. Chen a affirmé qu'il faut continuer à élaborer des principes directeurs sur la façon de mettre en œuvre les normes actuelles de lutte contre l'extrême pauvreté.




MME CHIN SUNG CHUNG, experte de la Sous-Commission, a appelé de ses vœux la convocation de réunions régionales sur la question de la lutte contre l'extrême pauvreté qui permettraient d'assurer la participation des plus pauvres. Elle a par ailleurs plaidé en faveur de l'inclusion du droit à l'autodétermination dans les principes directeurs. Mme Chung a en outre souhaité que soit engagée une réflexion plus approfondie sur les causes de l'extrême pauvreté et la mise en œuvre d'une approche sexospécifique.


Présentation du document de travail sur le principe de non-discrimination énoncé dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels

M. EMMANUEL DECAUX, expert de la Sous-Commission, a présenté son document de travail sur le principe de non-discrimination énoncé au paragraphe 2 de l'article 2 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Il a rappelé que c'est le Comité des droits économiques, sociaux et culturels qui avait lui-même demandé l'établissement d'une telle étude. Précisant les paramètres qu'il juge nécessaire de prendre en compte à ce stade exploratoire de son étude, il a souligné que le premier paramètre vise la source de la discrimination. Le terme «source», qui est volontairement vague, a été retenu de préférence à celui de «cause», qui pourrait avoir un sens objectif, ou de «motif», qui serait lui trop subjectif. Dans certaines situations, la discrimination peut être réelle sans que sa cause soit objective et encore moins que son motif soit justifié, a fait observer M. Decaux.

Rappelant que le paragraphe 2 de l'article 2 du Pacte contient une énumération de critères de discrimination, il a souligné qu'à côté des discriminations raciales et des discriminations sexuelles, y compris en matière d'orientation sexuelle, il convient de prendre pleinement en compte les groupes vulnérables qui ne figurent pas toujours explicitement dans les énumérations classiques, qu'il s'agisse des étrangers et des travailleurs migrants ou encore des peuples autochtones. C'est le statut social, la situation économique ou l'isolement culturel d'un individu ou d'un groupe qui constituent le plus souvent l'obstacle majeur à une véritable égalité des droits, a rappelé M. Decaux. Il s'est demandé si, au-delà des groupes déjà bien identifiés, il ne fallait pas faire toute leur part à des discriminations négligées. Les textes récents peuvent à cet égard constituer de bons révélateurs: ainsi, la Convention relative aux droits de l'enfant évoque l'incapacité et la Convention sur les droits des travailleurs migrants mentionne l'âge pour la première fois, semble-t-il.

Le deuxième paramètre concerne l'objet de la discrimination et ne soulève pas en soi de question particulière, a poursuivi M. Decaux. La difficulté principale se trouve dans l'articulation des droits visés par le Pacte avec la notion même de discrimination. En effet, il est déjà peu aisé d'appliquer de manière abstraite le principe d'égalité en matière de droits civils et politiques, mais il est encore plus difficile de mettre en œuvre de manière concrète le principe de non-discrimination dans tous les domaines des droits économiques, sociaux et culturels. C'est, me semble-t-il, le nœud de l'étude, a insisté M. Decaux. Concluant sur une note personnelle, il a fait part de son souhait de passer le témoin si la désignation d'un rapporteur spécial devait être suggérée par la Sous-Commission à la Commission. Il s'agit d'abord d'éviter tout reproche de cumul, au moment où certains voudraient nous imposer le principe «un expert, un rapport». «Mais c'est surtout un élément positif qui me détermine, avec le retour au sein de la Sous-Commission de M. Marc Bossuyt, qui connaît cette problématique mieux que quiconque et qui vient d'enrichir sa réflexion au contact du Comité pour l'élimination de la discrimination raciale», a déclaré M. Decaux.

[Le paragraphe 2 de l'article 2 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels stipule que les États parties au Pacte s'engagent à garantir que les droits qui y sont énoncés seront exercés sans discrimination aucune fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l'opinion politique ou toute autre opinion, l'origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation.]
Dans son document de travail relatif à l'étude sur le principe de non-discrimination énoncé au paragraphe 2 de l'article 2 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (E/CN.4/Sub.2/2004/24), M. Decaux suggère qu'à ce stade exploratoire de l'étude, trois séries de questions doivent être prises en compte. Elles concernent d'abord ce que l'on pourrait qualifier de «source» de la discrimination. Elles visent ensuite l'objet de la discrimination. Elles portent enfin sur la portée de la discrimination. Au terme de cette étude préliminaire, il apparaît que plusieurs hypothèses de travail mériteraient d'être précisées : l'étendue du principe de non-discrimination consacré par le paragraphe 2 de l'article 2 du Pacte; l'articulation des clauses générales et des clauses spécifiques des différents instruments pertinents, en mettant l'accent sur les types de discrimination négligés; l'application concrète des dispositions du paragraphe 2 de l'article 2 dans les différents domaines des droits économiques, sociaux et culturels tels que définis dans le Pacte, pour mesurer les «points aveugles» des discriminations; la responsabilité des États pour compléter le cadre juridique international et interne, le cas échéant, et pour garantir une justiciabilité effective du principe de non-discrimination consacré par le paragraphe 2 de l'article 2; la recherche de bonnes pratiques pour favoriser le respect de cette disposition dans les relations entre personnes privées, et notamment entre entreprises et particuliers; le développement du rôle des institutions nationales de promotion et de protection des droits de l'homme, et notamment des ombudsman ou des autorités administratives indépendantes, en la matière.

Le paragraphe 22 du document de travail de M. Decaux porte sur les discriminations sexuelles et l'expert y suggère que la discrimination peut viser également des hommes, ajoutant que la référence au sexe en matière de discrimination est interprétée de plus en plus souvent comme englobant la prise en compte de l'orientation sexuelle.

Dialogue interactif

MME KALLIOPI KOUFA, experte de la Sous-Commission, s'est réjouie que M. Decaux ait consacré une partie de son étude à l'identification des travaux complémentaires accomplis par d'autres organes des Nations Unies sur l'action positive, les droits des ressortissants, ou encore la discrimination dans les systèmes de justice pénale. L'experte s'est également réjouie que M. Decaux ait passé en revue les travaux pertinents du Comité des droits économiques, sociaux et culturels. Mme Koufa a prié M. Decaux d'identifier les principes de non-discrimination pris en compte par le droit coutumier dans on prochain document de travail.

MME FRANÇOISE JANE HAMPSON, experte de la Sous-Commission, a appuyé les propos de Mme Koufa sur la question de l'identification des principes de non-discrimination contenus dans le droit coutumier. Elle s'est demandé dans quelle mesure l'article 3 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels couvrait la discrimination directe ou indirecte. Elle a enfin appelé de ses vœux une étude plus approfondie de la question de la discrimination fondée sur l'âge et de la question des cas de renversement de la charge de la preuve.

M. EL-HADJI GUISSÉ, expert de la Sous-Commission, a souhaité que les auteurs de l'étude tiennent compte du rapport de Mme Hampson sur les discriminations auxquelles pourraient se trouver confrontées les personnes en provenance d'États menacés de disparition pour des raisons environnementales.

MME HALIMA EMBAREK WARZAZI, experte de la Sous-Commission, a indiqué son désaccord avec l'article 22 du document de travail présenté par M. Emmanuel Decaux.

M. N.U.O WADIBIA-ABYABWU, experte de la Sous-Commission, a appuyé les propos de Mme Warzazi s'agissant du paragraphe 22 du document de travail de M. Decaux.

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