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Communiqués de presse

Conférence de presse de M. Louis Joinet, expert indépendant des Nations Unies pour les droits de l’homme en Haïti

07 Juin 2007


Mercredi 30 mai 2007

Conférence de presse de M. Louis Joinet, expert indépendant des Nations Unies pour les droits de l’homme en Haïti, en compagnie de Sophie Boutaud de la Combe, porte-parole de la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en Haïti (MINUSTAH).

Bonjour,

J’ai indiqué l’autre jour dans quel contexte je venais ou je revenais après une longue absence due à la maladie – qui n’en était pas une vraie – donc je vais très bien. Ce qui me donne le plaisir d’être parmi vous. Je n’ai pas fait une mission tout à fait comme les autres d’investigation, spécialement sur les violations. Je ne suis pas allé visiter toutes les prisons comme d’habitude, en tout cas de la Capitale pour les raisons suivantes : en ce qui concerne les violations, il y a un travail excellent qui a été fait par les ONGs, il y a un travail tout à fait remarquable qui a été fait par la section des droits de l’homme, dont les rapports sont de plus en plus accessibles au public. J’ai estimé que cela ferait un double emploi d’autant plus qu’il vous suffit de lire mon rapport de l’an dernier, vous verrez que l’inventaire des violations quotidiennes, banales, mineures, graves est à peu près le même. Alors faut-il en déduire que rien n’a changé ? Pour m’en acquérir, j’ai d’abord vu les autorités. Donc, j’ai été reçu par le président Préval, à deux reprises. J’ai eu deux réunions de travail avec les ministres : l’une sur la réforme de la justice à laquelle ils semblent manifestement donner la priorité et la seconde étant la lutte contre la corruption. Nous avons rencontré bien évidemment les ONG et en particulier, j’ai apprécié le dynamisme des ONG-femmes. Je suis allé au Parlement et j’ai rencontré les deux présidents. J’ai bien évidemment rencontré les différentes agences de l’ONU et la MINUSTAH. Comme seule visite dans les régions, je me suis rendu au Cap-Haïtien et je vous dirai pourquoi. J’ai visité Cité Soleil et en parlerai si vous souhaitez poser des questions à ce sujet.

J’ai donc donné priorité à ce qui change. Pourquoi ? Je vous l’ai dit lors du dernier point de presse : depuis 2002, à la fin de mes rapports, au chapitre “conclusions-propositions”, je fais des recommandations que j’ai chaque année recopié d’un rapport à l’autre, dans la mesure où aucune suite significative ne leur était donnée. Lors de mes rencontres avec les différentes personnalités du gouvernement, du secteur militant, de la société civile et des agences des Nations Unies, j’ai repris une à une mes recommandations et je me suis rendu compte que si un long chemin restait à parcourir cela va de l’avant et que la dynamique s’inversait, ce que je n’avais jamais constaté auparavant. Ma première recommandation portait sur la priorité d’inspection. Pourquoi ? Il ne suffit pas de faire des réformes encore faut-il s’assurer qu’elles sont mises en œuvre. Et pour qu’elles soient mises en œuvre, il ne suffit pas que soit adopté un texte, une loi, un décret, encore faut-il que les esprits changent. Cela est l’un des rôles des corps d’inspection.

L’inspection générale de la police a fait de gros efforts en ce qui concerne sa réorganisation. Elle a commencé à mettre en œuvre une opération « de vetting », qui sera progressivement généralisée à l’ensemble des services de police sous forme d’une certification délivrée à chaque policier après évaluation, effectuée par référence à des critères qui sont sur le point d’être approuvés tels que la demande de rapport aux services des douanes, des impôts, de la police... Il est en outre prévu d’effectuer une enquête de voisinage à laquelle je ne suis pas très favorable parce que la rumeur est parfois à l’origine de très graves et profondes injustices. Autre critère essentiel: l’évolution du patrimoine. Vous avez tout de suite compris qu’il y a là un lien direct avec la détection de la corruption.

Avant même que cette opération ne soit lancée l’inspection a mené des enquêtes. Je ne vous citerai pas toutes les statistiques, je vous donne la plus importante : suspensions 57, révocations 35, rétrogradations 2 etc. Donc, cela bouge du côté de la police. Hélas, cela bouge beaucoup moins du coté de l’Inspection de la Justice. Il est vrai que trop souvent, la Justice est en retard d’une guerre. Ou peut être la justice attend-elle de voir ce que cela donne avec à la Police ? Et cela non sans crainte car dans le projet de loi sur le statut des magistrats, j’ai découvert avec satisfaction qu’était également prévue une procédure de “vetting” car il n’y a pas de raison de traiter différemment les divers corps de l’Etat. À titre transitoire, les magistrats en fonction occuperont leur poste jusqu’à ce qu’ils aient été évaluées leur compétence et leur intégrité morale et que leur ait été délivrée une certification, sous contrôle du Conseil Supérieur de la Magistrature. Evidemment, cela peut paraître choquant. Certains ne manqueront pas, y compris dans la magistrature, d’invoquer l’indépendance des juges, leur inamovibilité ou la “majesté” de la fonction. Je pense que le métier de juge n’est pas plus majestueux que celui de policier. S’il y a bon juge, il y a bon policier. Il n’y a donc pas de raison que cette opération nationale historique ne s’applique qu’à certains et pas à d’autres.

La priorité donnée par le président à la Justice s’est traduite par la création d’une Commission qui comptera beaucoup de monde en assemblé générale, (prés de 150 personnes). L’idée c’est d’associer le maximum de secteur de la société. Cette Commission a fait un rapport dont je vais vous lire quelques extraits à titre d’exemple car elles confirment ce que j’écrivais dans mes précédents rapports, ce que d’autres ont écrit. Je dirais même avoir été parfois plus nuancé pour le dire mais cela est extrait d’un rapport haïtien et non d’un expert : « Certains commissaires, même des juges au plus haut niveau de la chaîne sont affiliés à des cabinets d’avocats dont ils en sont eux-mêmes les titulaires. Souvent ce sont les avocats des partis en procès qui rédigent eux-mêmes le jugement ». Cela je l’ai vu plusieurs fois. « Il y en a même qui ont oublié la copie de leur manuscrit. La Justice galvaudée est devenue une marchandise vendue au plus offrant. Il y a même des mandats qui se vendent. Les plaidoiries sont souvent interminables, des décisions tardent à être rendues ». J’ai quelques autres exemples à vous donner. Le taux très élevé des magistrats absentéistes constitue une nuisance au bon développement de la Justice. J’ai même un collègue magistrat qui m’a dit « c’est trop souvent une profession à mi-temps au mieux, à tiers de temps au pire, mais moi je suis à plein temps ». Il y a des raisonnements juridiques souvent absents. Une école de droit que je ne citerai pas a pris certains jugements comme modèle, pour ses étudiants, d’ignorance et d’incompétence …Bref, j’en ai d’autres. Ce document, je crois va être public puisqu’au cours de la réunion d’hier avec le président il a été dit qu’il faut lui donner la plus grande notoriété. Evidemment, n’oubliez pas de lire le reste. Je vous ai lu les critiques. Mais l’importance de ce document c’est qu’il est très constructif dans ses propositions. Je dirais même plus constructif que mes précédents rapports. C’est la raison pour laquelle je pense que, là encore comme je l’ai dit tout à l’heure, les lignes bougent même dans la Justice.
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Outre le statut des magistrats est préparée une deuxième loi, c’est la création d’un Conseil Supérieur de la magistrature qui sera chargé de garantir l’indépendance des magistrats. Je ne rentre pas dans les détails. Le troisième projet concerne le statut de l’Ecole de la Magistrature (EMA). Donc, je constate ce que je n’avais jamais vu avant, à savoir une dynamique qui se développe sur des problèmes concrets. C’est souvent par des petites questions qu’on règle que l’on fait avancer les grandes. Je cite quelques exemples : c’est-ce qu’ ‘on appelle prouver le mouvement en marchant. Mise en place de toute une procédure pour les parquets, pour l’inspection des juges de paix, qui ont été doté récemment d’un règlement intérieur. Je me suis aperçu que beaucoup de mes critiques étaient souvent virulentes à l’égard de certains juges de paix mais je me suis rendu compte lors d’une réunion avec certains d’eux qu’ils n’avaient pas de règle fixées. Maintenant c’est en cours. Et c’est très important et cela a été suivi de cycles de formation dans la plupart des provinces. Et il y a un comité de suivi de toute cette opération concernant les juges de paix.

Deuxième initiative prise sans attendre : On a dit et redit dans toutes les études que la comparution immédiate était un des moyens efficaces de lutter contre la détention prolongée. C’est quoi ? Cela s’applique à quelqu’un qui a commis un petit vol pour éviter de faire une enquête qui va durer quinze jours, que la DCPJ transfert au Parquet qui saisit un juge d’instruction , qui a tendance à se dire , eh bien comme ce n’est pas quelque chose d’important occupons-nous des dossiers importants. Résultat : la personne reste détenue. Donc, la comparution immédiate est simple : je suis arrêté à 20 heures, je suis au garde à vue. Dès le lendemain, on le signale au Parquet qui me défère devant le Tribunal qui prend une décision adaptée à l’importance du délit qui doit nécessairement correspondre à de petites infractions. Mais, combien de gens sont détenus longuement pour de petites infractions. Pour faciliter le travail, il y a maintenant des formulaires types, ce qui n’existait pas. Donc, chaque juge faisait un peu à sa manière. Exemple : il y a en cours une réorganisation du Parquet de la capitale. Je suis allé visiter le Parquet et je vous invite, si le commissaire du gouvernement le souhaite, à aller voir les changements.
Il s’agit d’un projet pilote pour l’instant. On souhaiterait que cela se fasse dans d’autres Parquets. Par exemple, vous le savez peut-être, il y a désormais une permanence du Parquet jour et nuit. Il y a une ligne téléphonique. Je suis donc allé voir. Cela marche bien effectivement jour et nuit. Et je me suis fait donné le rapport de la dernière permanence. C’est extrêmement intéressant, on voit à 11 heures tel événement, à 11 heures 10 tel appel de gens exposant de petits problèmes ou de gros problèmes et des policiers qui commencent à demander des instructions. Et cela je n’imaginais pas le voir, il y a encore un an.

Tout ce qui concerne le fonctionnement est public. Le roulement : on peut savoir quel est le magistrat qui sera en fonction le dimanche pour la permanence et qui sera là jusqu’à 13 heures.

Il a été également créé une Cellule d’Administration et de Traitement CAT) qui est un instrument efficace de bonne gestion et de lutte contre la corruption. C’est quoi ? C’est ce qu’on appelle dans mon pays un bureau d’ordre. Dès qu’une affaire, un dossier rentre, il y a un lieu placé sous la responsabilité du commissaire qui enregistre le dossier et va controller son cheminement au sein du Parquet.
Une fois que l’affaire est bouclée, […..] on fait une fiche visant la décision prise. Pourquoi c’est important parce qu’il y avait dans ce Parquet une espèce de tractations où certains avocats choisissaient tel substitut plutôt que tel autre, ou bien on lui disait aller plutôtvoir ce substitut là. Je ne rentre pas dans le détail financier, de la main à ma main, que cela présentait. C’est désormais devenu impossible. Delà on voit que la transparence est généralement un des meilleurs moyens de lutte contre la corruption.

Autres avancées qui ne nécessitent pas de loi, j’en avais parlé la dernière fois, il y a un rapport remarquable du Réseau national de défense des droits de l’homme (RNDDH). Grâce au Doyen de Port-au-Prince où les assises criminelles sans jury siègent maintenant à des cadences normales, ce qui permet d’accélérer les jugements des affaires de criminalité grave. Autre chose, l’Ecole de la magistrature : on demande sa réouverture. La loi précitée va la doter d’un statut clair, précis et d’un conseil d’administration. Il n’est pas nécessaire d’attendre le vote de la loi pour la faire fonctionner. Il y a des locaux à peu près corrects, il suffirait de faire une inauguration officielle et cela peut faire même avancer la loi plus vite. Autre recommandation que je faisais et ce n’était pas la seule, au sujet de ce qu’on appelle pudiquement la détention prolongée – en réalité, la détention illégale – Il y a toute une stratégie globale qui doit se mettre en place, dont la comparution immédiate précitée est l’un des éléments clefs, mais surtout, a été créée une Commission de la détention qui était demandée depuis très longtemps. C’est peut-être un des points majeurs de mes constatations : composée de six membres, elle aura pour rôle de prévoir cinq catégories de personnes en situation de détention prolongée. Je les cite rapidement : 1ère catégorie : c’est quelqu’un qui est mis en liberté mais dont on n’exécute pas la décision, ou une décision de non-lieu que l’on n’exécute pas ou bien une personne détenu pour une infraction dont la condamnation maximum relève à trois mois et qui n’est pas encore jugé alors qu’elle est en détention déjà depuis six mois (cela veut dire que même s’il avait été jugé au maximum de la peine, cela n’aurait pas dépassé trois mois ; c’est de la logique imperturbable, à mon avis : on doit la libérer). Deuxième catégorie : c’est les catégories protégées ; je prends prioritairement en considération les mineurs, les femmes enceintes, les femmes qui allaitent, les personnes âgées, les malades. La troisième catégorie, considérablement plus nombreuse que je l’imaginais, ce sont des gens en détention dont on ne retrouve pas le dossier ou dont le dossier n’a jamais été ouvert. On a même constaté, dans des registres de greffe, que quelqu’un est condamné à deux ans et on ne retrouve pas la trace du dispositif du jugement qui l’a condamné. Quatrième catégorie : c’est lorsque l’instruction est terminée, tout est terminé, l’enquête est faite. Que se passe-t-il ? L’audience de jugement n’arrive pas. Et la dernière catégorie : c’est tous les autres. Ce qui est intéressant et réaliste, c’est que cette opération va se faire d’abord dans le département de l’Ouest et c’est progressivement qu’on la fera avec un plan de montée en charge au plan national.

Cinquième recommandation : l’assistance légale. Le ministre de la justice avec qui je m’en suis entretenu a élaboré un programme à cet effet dans son Plan d’action pour la justice , mais il faut savoir que mettre en œuvre un plan d’assistance légale publique dans n’importe quel pays, est toujours très compliqué. Très compliqué du point de vue budgétaire, les avocats sont généralement d’un enthousiasme modéré sauf ceux qui croient vraiment en leur métier. Donc j’ai proposé – je ne suis pas le seul – sans attendre cette loi hypothétique que l’on parte de l’existant déjà réalisée par des Haïtiens et qu’on le développe en l’espèce. Je me suis donc rendu au Cap-Haïtien parce qu’il y a un bureau d’aide juridique que je connais depuis 2002, qui marche très bien, encore mieux que quand je l’avais connu. Je pense que ce bureau d’aide juridique qui réuni avocats, magistrats, professeurs de droits, militants des droits de l’homme, doit devenir le bureau d’aide juridique pilote d’Haïti et doit permettre d’aider à en instaurer dans d’autres régions d’Haïti. Voilà encore une réforme qu’on peut mettre en place sans attendre que soit votée cette hypothétique loi.

Recommandations suivantes : Je ne m’étendrai pas. Vous savez, chaque année je reviens sur le sujet, fondamental dans un pays de tensions et de violence, même si elles diminuent, je veux parler de la médecine légale et la police scientifique. Ce sont des instruments indispensables pour le fonctionnement de la Justice. Un juge sans médecine légale, sans police scientifique, ai-je dit est un juge nu. Il peut recueillir toutes les preuves, tous les témoignages, tous les documents, s’il ne peut pas prouver que la balle est bien partie d’ici pour arriver là ou que c’est bien tel produit et non pas tel autre qui a provoqué l’empoisonnement…etc., il ne trouvera pas la vérité et la justice ne fonctionnera pas
Alors, là il y a eu des progrès. Il y a une chose que j’avais demandée dans l’un de mes premiers rapports. Le ministre de la justice de l’époque Il y avait un ministre qui s’appelait Delatour n’a jamais donné suite malgré ses promesse et il en fut de même pour tous les ministres successifs. Il s’agit de quelque chose d’important pour les femmes à savoir l’obligation pour tout médecin de délivrer un certificat pour toute violence faite aux femmes. Et le ministre de la Justice est allé plus loin : le certificat doit être délivré pour toute forme de violence et la délivrance du certificat doit être gratuite. C’est une énorme avancée parce que beaucoup d’affaires ne pouvaient pas être ouvertes sans ce type de certificat. La procédure ne pouvait pas être enclenchée. Sur d’autres aspects aussi, les choses ont avancé. L’institut médico-légal a une directrice maintenant, Mme Jasmin, mais reste sans statut alors que tous les textes sont prêts. Et puis la rémunération des médecins légistes n’est toujours pas résolue bien qu’il s’agisse de quelque chose de mineur. Résultat : vous avez deux excellents médecins légistes formés pendant deux ans et d’un très bon niveau qui peuvent être des formateurs, mais rien n’étant prévu…bon ! Vous avez un troisième médecin légiste qui n’est pas spécialiste et qui rafle 90% des autopsies. Je ne m’étendrai pas sur la manière dont il est rémunéré, sauf s’il veut me rencontrer.

J’en arrive à la fin. Qu’est-ce qui est advenu de mes recommandations dans ce domaine ? J’aimerai rendre ici hommage à ce que l’on pourrait appeler l’action durable des ONGs de femmes On peut dire qu’il y a une constante dans la mobilisation et la détermination qui est tout à fait intéressante. Ex : elles ont d’abord créé une coordination en 2002, puis elles sont allées voir les autorités, la société civile, l’ONU. À été créé maintenant une Concertation tripartite où siègent le ministère à la condition féminine, la société civile et les agences spécialisées du système des Nations Unies pour aider en tant que bailleurs de fonds. Ce qui est nouveau, compte tenu des résultats très positifs c’est qu’elles viennent de demander au gouvernement d’institutionnaliser cette commission tripartite. C’est une initiative qui m’a paru tout à fait remarquable. Reste le plus complexe : la délicate question du contrôle des naissances. La légalisation de l’avortement m’apparaît être une priorité. Il y a trois projets de loi qui sont, je crois, maintenant déposés au Parlement. Ils concernent:

- la légalisation du viol comme crime et non plus comme attentat aux mœurs – l’abandon de l’adultère comme circonstance atténuante quand un mari jaloux tue sa femme – enfin, la dépénalisation de l’adultère.

- l’admission de la recherche en paternité vu le nombre de parents, généralement hommes, qui abandonnent tout ou partie de leurs enfants, le statut du plaçage (sorte de mariage coutumier et enfin la réglementation du travail domestique.

J’ai rencontré deux démographes, pas d’ici d’ailleurs, mais qui alertent les autorités sur le risque dû à une surnatalité dans la situation actuelle. D’où l’importance d’avoir une programmation de planification familiale, une politique de contraception, de procréation maîtrisée et donc, notamment par le recours de ce qu’on appelle la pilule du lendemain.

Je ne vous parlerais pas des problèmes dramatiques d’immigration, mon mandat ne me permettant pas de faire deux pays et je n’ai pas voulu enquêter en Haïti sans aller à St Domingue. Nous aurons à mon retour une réunion de travail à Genève. Il y a un rapporteur spécial chargé de ces questions à l’ONU qui va venir à l’automne. Il a eu l’accord du gouvernement dominicain, je pense qu’il obtiendra la coopération du m gouvernement haïtien.


[…] ce signe contenu dans le texte signifie mot ou groupe de mots inaudibles


QUESTIONS / REPONSES

1-Les lois haïtiennes condamnent l’avortement et des sanctions sont prévues contre tous contrevenants. Pensez-vous qu’il faudra prendre de nouvelles lois qui viendront abroger celles qui existent déjà ?

Vu tout ce que j’ai essayé de faire avancer en concertation d’ailleurs avec les ministères concernés, notamment avec le ministre à la Condition féminine, très compétente très dynamique, je pense qu’il faut absolument dépénaliser l’avortement. Comme disait Mme Magloire, l’avortement est devenu une forme de contraception de facto. Mais, c’est terrifiant. A l’occasion de l’un de mes précédents voyages, j’ai passé une demi-journée dans un hôpital. Je connais assez bien ces questions, ma femme étant médecin, j’ai vécu en internat. C’est terrifiant le nombre de séquelles d’avortements artisanaux que certaines femmes essaient de faire elles-mêmes et quand on sait que la loi dit que même la femme qui s’applique toute seule dans le désespoir évident de l’avortement, est coupable. Elle va passer devant le tribunal, elle va être condamnée. C’est clair que c’est inadmissible. Moi, je pense que globalement, si on ne prend pas des initiatives concernant ces drames humains, on va faire continuer la pratique de l’avortement comme une forme de contraception, soit volontaire mais mal réalisé, soit le plus souvent parce que ce sont des femmes qui ont été victimes de viol ou de violence.

Des responsables onusiens se prononcent de nos jours pour le maintien de la MINUSTAH dans le pays, même jusqu’à une période de quatre ans, à entendre par exemple, le Représentant adjoint du Secrétaire général en Haïti. Partagez-vous cette opinion ?

N’étant pas de la MINUTAH, je n’ai pas d’éléments d’appréciation mais seulement des déductions ou intuitions associées. Je ne peux pas vous dire si cela doit être quatre ans ou pas. La question que je me pose c’est : doivent-ils partir un jour ? Je ne connais aucune opération devenue éternelle. Est-ce que cela doit être dès maintenant, rapidement, à moyen terme avec une évolution ? Je suis plutôt pour un maintien que je qualifie de « tuilage ». C’est clair que cela n’est jamais très satisfaisant pour l’opinion d’un pays d’avoir dans son propre pays « une puissance étrangère », disent un certain nombre de militants de mes amis. Je leur ai dit non quand même. Haïti est membre des Nations Unies ; ce n’est pas comme si c’est un ennemi qui vient. C’est la famille ONU y compris Haïti. Le deuxième point, il y a le Conseil de Sécurité ; ce n’est pas une puissance étrangère qui décide de venir occuper. Il y a une décision, il y a un débat. On peut penser ce qu’on veut du Conseil de Sécurité, mais c’est quand même un Conseil, en règlements de droit international qui prend ses décisions. Troisièmement, c’est une mission d’appui. Alors, il est vrai que ce n’est pas toujours facile de savoir jusqu’où va-t-on plus loin dans l’appui. C’est le cas pour les opérations récentes qui ont apportées des résultats incontestables. Je suis allé à Cité Soleil, c’était la quatrième fois. Je n’ai pas fait le coup classique de l’homme politique qui vient en disant : « je n’ai pas de gilet pare-balles… » Pourquoi je tenais à y aller ? La personne-clé qui m’intéressait c’est le maire car il y a désormais l’équivalent du pouvoir l législatif en la personne d’un maire régulièrement élu, si je puis dire qui est implanté dans ce bidonville qui était ingérable. J’ai vu longuement le maire, on a fait toute la visite avec lui. Je pense que, ce qui m’a le plus frappé c’est qu’il arrive dans des situations de ce genre que j’ai bien connu, la population a une telle soif de pouvoir vivre, de pouvoir sortir et traverser la rue, de ne pas être toujours obligé de se protéger qu’à partir du moment où une certaine sécurité arrive, cette soif se développe. Il y a une participation de la population qui est très importante. Le maire est très astucieux dans l’organisation de ce qu’il appelle la démocratie participative et j’ai donc considéré avec une certaine admiration ce retour à une forme de sécurité. La PNH, à elle seule n’y serait pas parvenu. La MINUSTAH, à elle-seule, y serait peut-être parvenue mais cela n’a aucun sens. C’est le peuple qui, un jour, devra prendre en main le destin. C’est la raison pour laquelle, en l’état, je persiste à penser que la MINUSTAH doit rester. Sur des problèmes que j’évoque, parce que c’est polémique, mais c’est vrai qu’on a dit que certaines opérations ont été trop larges, qu’on a arrêté des gens de manière inconsidérée. Je suis claire là-dessus, je l’ai dit hier lors de la réunion avec tous les ministres, je l’ai dit l’autre jour. Autant l’on peut admettre, dans des situations de lutte contre le terrorisme, contre les gangs, une opération qui “ratisse” un peu large, mais quand on ratisse un peu large on ramène des innocents. Ce qu’il faut, dans les instants qui suivent la fin de l’opération, c’est qu’il y ait tout de suite un tri. On a eu une longue discussion hier au niveau des ministres. J’ai expliqué que – avec la MINUSTAH aussi – la question claire, c’est la question de la chaîne de commandement. On ne doit pas faire une opération sans une chaîne de commandement. On doit savoir à quel niveau le feu vert doit pouvoir commencer à être donné et que le parquet soit dans la chaîne de commandement. Pas les juges, mais le parquet. Au cours d’une opération, il y aura des masses de personnes arrêtées, c’est quand même le parquet qui va être chargé d’appliquer la loi. Donc, je suis clair, si on peut éviter cela, tant mieux. Il y a nécessairement des personnes arrêtées qui ne devraient pas l’être. Il faut faire très vite le tri, donc il faut que le parquet soit dans la chaîne de commandement. Tout cela nécessite une action conjointe pour l’instant, MINUSTAH / PNH. Mais peut-être, comme je l’ai dit l’autre jour, mon grand rêve, je suis un peu trop âgé peut-être pour le réaliser : c’est qu’un beau jour, je sois en mission dans je ne sais quel pays et que je rencontre des policiers haïtiens qui soient dans la UNPOL.

Est-ce que, d’après vous, la situation des droits de l’homme en Haïti s’améliore ou se détériore ?

Il y a beaucoup à faire mais pour la première fois, je peux donner des réponses positives à des recommandations que j’avais faites, et je n’étais pas le seul, qui étaient toujours restées sans suites Donc, c’est une progression.

Avez-vous enquêté sur la mort du président de la Cour d’Appel des Gonaïves, Me Hugues St Pierre ?

Sur la mort dramatique du Président de la Cour d’Appel que je connaissais personnellement, il ne m’est pas facile de m’expliquer sans peser chaque mot. Moi, je déplore d’abord que cette affaire ait donné lieu à des polémiques qui manifestement, étaient des formes d’exploitations politiques, mais c’est parfois inhérent à la démocratie. J’en prends acte. Ce qui me préoccupe beaucoup plus, c’est un peu la manière dont la machine s’est emballée qui n’est pas la bonne. J’apprends qu’une commission d’enquête parlementaire se rend sur place. Elle a fait probablement un travail correct, je n’ai pas vu le rapport. Mais je me renseigne un peu et, sauf si on peut me dire le contraire, j’ai le sentiment qu’elle n’a pas été constituée conformément à la réglementation des commissions. Je passe. Deuxièmement, le Premier ministre confie une mission au Protecteur du Citoyen qui, bien évidemment, connaissant son manque de courage, dégage tout de suite en touche en disant « je n’ai pas les moyens, c’est pas pour moi ». Et c’est vrai, il n’est pas compétent à tous les points de vue - je veux dire juridiquement et à ma connaissance, il n’y a toujours pas dans cette affaire aucun juge d’instruction de désigné. C’est quand même énorme. Alors, le Président a-t-il été convoqué ou pas ? Je peux vous montrer le journal Le Nouvelliste dans lequel il y a d’éminents juristes, d’ailleurs, tous anciens ministres qui donnent des réponses d’ailleurs modérées sur cette question. Moi, je n’ai pas d’opinion particulière. Il m’est arrivé à deux reprises d’être convoqué, une fois par le Procureur général. J’étais magistrat du siège à l’époque. Je lui ai fait dire par ma secrétaire que j’étais dans le bureau 212 et que j’étais à sa disposition, mais je ne me suis pas rendu à la convocation. Ce n’est pas anormal qu’il me convoque mais il faut qu’il vienne me voir. Ce n’est pas à moi d’y aller. Sur cette affaire, il n’y a toujours pas de juge nommé ai-je dit, c’est pour cette raison que cela part dans tous les sens. J’essaie de voir avant mon départ, si cette affaire peut progresser. Une chose qui me trouble, peut-être que ceci explique cela : toujours à ma connaissance, je ne sais pas si vous le savez, il n’y a toujours pas de plainte de la famille. Peut-être que les juges se disent que s’il n’y a pas de plainte, il ne faut pas être plus royaliste que le roi. Je ne sais pas, mais cela me laisse comme magistrat un malaise très profond.


Je voudrais vous demander sur l’ensemble des progrès que vous avez noté et que vous avez cité ici, quelle est la part de crédit attribué aux instances de l’ONU en Haïti ? Est-ce que l’ONU y a joué un rôle ? Je sais que la question a été très sensible pour les avocats haïtiens et les membres de la magistrature haïtienne, sachant que l’ONU avait effectivement souhaité qu’il y ait des réformes dans la justice. Est-ce que vous avez trouvé le gouvernement volontaire pour ces réformes ? Et quand je dis cela, je mets en contradiction, par exemple, le fait qu’il n’y ait pas eu de jugement sur l’affaire Jean Dominique, quoiqu’on dise, quoiqu’il y ait de très bonnes intentions exprimées, on n’a jamais vu d’avancées concrètes sur cette affaire…

Sur ce deuxième point, il faudrait que je réfléchisse bien sur les mots que j’emploierai. Sur le premier point, sur la justice, si j’ai bien compris, est-ce que le poids de la MINUSTAH joue un rôle positif ? Excellente question. Ce qui est nouveau, c’est ce que j’ai dit tout à l’heure. Quand j’ai dit hier que le président de la République a réuni tous les partenaires de cette commission sur la justice, c’est clair qu’il a une détermination à donner une priorité, j’ai même l’impression – puisqu’il ne l’a pas dit – même peut-être sur la justice plus que sur la police. À la différence de tous les rapports, de toutes les études qui ont été faites sur la réforme de la justice, celui de cette commission a été entièrement réalisé par des Haïtiens. Cela est pour moi l’un des changements profonds. Est-ce que la MINUSTAH doit ou non continuer ce travail ? Je dirais oui, mais sous forme de “tuilage”, c’est à dire avec une stratégie de transmission de la bonne gouvernance. Je ne veux pas revivre ce que d’autres ont vécu ici lorsque la MICIVIH (Mission Civile Internationale, OEA/ONU, en Haïti) qui avait fait un bon travail Un beau jour, le Conseil de Sécurité, a dit c’est fini. Alors cela a provoqué un tel problème qu’on a créé une sorte de sortie de secours qui était la MICAH (Mission Civile d’Appui des Nations Unies à Haïti). Et puis après, il a bien fallu arrêter. Ce qui est fondamental, c’est qu’il vaut mieux qu’un projet soit moins bien réaliser mais qu’il soit fait par le pays qui est concerné, que de faire un projet très bien peaufiné par des experts qui s’en vont après. Je n’en déduis pas qu’ils ne doivent pas venir, Je citerai un exemple de tuilage qui me paraît illustratif, celui du Protecteur du Citoyen. Je me suis battu en 2002 – Thierry Fagart en est témoin – pour que la Section des droits de l’homme ici présente ait la double casquette “Section droit de l’homme”/MINUSTAH et “Haut-Commissaire aux droits de l’homme’, Mme Arbour, qui est d’ailleurs venue en visite ici récemment. Pourquoi ? Parce qu’un beau jour le Conseil de Sécurité va dire : la MINUSTAH, c’est fini. Le Conseil de Sécurité n’a plus rien à voir avec cela. La section s’en va et alors qu’est-ce que cela devient ? D’ou l’importance du tuilage. C’est pour cela que je regrette que le Protecteur ne soit pas un homme suffisamment dynamique –c’est pourquoi je propose que le secteur droits de l’homme, quand la MINUSTAH va partir, reste comme Bureau du Haut Commissaire. Le temps de transmettre progressivement le pouvoir et les compétences aux Haïtiens et à l’OPC (Office du Protecteur du Citoyen). Donc ce sera leur rôle. Il y a d’ailleurs un effectif assez nombreux d’Haïtiens qui travaillent à la section droits de l’homme MINUSTAH. C’est ce que j’appelle le tuilage. Pour les opérations de maintien de la paix, c’est vrai que le tuilage MINUSTAH / PNH est très mal vécu par les uns et par les autres. Il y a maintenant une bien meilleure coordination. Donc, petit à petit, il faut que la PNH assure ses missions et l’opération de vetting dont je vous ai parlé devrait permettre petit à petit à ce que ce soit une PNH haïtienne qui remplisse seule ses missions. Je pourrais vous donner d’autres exemples, mais celui du Protecteur du citoyen m’est particulièrement chère parce que c’est une très belle institution avec une équipe de jeunes juristes dynamiques et je n’en dirai pas plus.

Sur Jean Dominique dont je rends hommage à la mémoire parce que c’était un ami très cher qui avait fait avec moi une interview sur l’impunité qui avait marqué les esprits y compris le mien, à cause des bonnes questions qu’il posait. Evidemment, je ne suis pas dans le dossier. Je constate que le président a dit que les obstacles politiques sont levés. Il a parlé au pluriel, peut-être qu’il aurait même pu le dire au singulier. Maintenant, c’est à la justice de faire son travail. Il y a, si mes souvenirs sont exacts, un arrêt de la Cour d’Appel qui a renvoyé maintenant le dossier à un juge. Ce juge doit faire des diligences complémentaires, une fois de plus. Il va renvoyer à la Cour d’Appel Et la Cour d’Appel va renvoyer, si le juge le demande, les personnes impliquées pour être définitivement jugées. L’ennui, c’est qu’entre temps, entre ceux qui sont évadés, ceux qui ont été assassinés, ceux qui sont morts, ceux qui ont disparu, évidemment la décision risque de ne pas concerner[…] J’allais dire les autres personnalités – je respecte la présomption d’innocence mais on sait très bien qu’il est peu probable que ceux qui s’en doutent, seront peut-être condamnés. Cela ne sera pas les commanditaires ou les auteurs intellectuels mais, au moins, j’ai l’impression que le juge est déterminé à avancer. Le Commissaire du gouvernement attend que la cour d’appel renvoie. Il prendra la parole à l’audience et j’espère que justice passera parce que, comme je l’ai dit au Président Préval quand il m’a dit qu’il y a plusieurs obstacles politiques, je n’ai pas trop cherché lequel ou lesquels mais je lui ai dit que c’est probablement, si le procès a lieu car c’est le procès autant que la peine qui compte dans la […]. C’est le débat public, que chacun prenne ses responsabilités. Cela a une grande portée symbolique dans le cadre de la lutte contre l’impunité.

Vous savez que, il n’y a pas que Jean Dominique, hélas ! il y a eu d’autres journalistes, récemment qui ont payé de leur vie, des artistes. Bref, c’est sûr que la lutte contre l’impunité, c’est long mais j’espère qu’avec toutes ces réformes, pas à pas, un exemple symbolique, deuxième exemple qui frappe les opinions et petit à petit, on y arrive.

J’aimerais revenir sur la mort tragique du président de la cour d’Appel des Gonaïves. On a vu que Amanus Mayette qu’on considère comme un élément clé dans le cadre du massacre de la Scierie, il allait être libéré après la mort du président de la Cour d’Appel des Gonaïves. Comment comprenez-vous cette décision, s’agissait-il d’une décision de justice ou d’une décision politique. Concernant le dossier Jean Dominique, pensez-vous qu’on va aboutir vraiment à de bons résultats ?

De bons résultats, je ne peux pas vous dire maintenant. Ce qui laisse espérer qu’on aura au moins des résultats. J’ai l’impression que le juge d’instruction est déterminé. Je crois que ses autorités hiérarchiques vont renforcer ses moyens. Ce n’est pas une affaire simple.

En ce qui concerne la libération de Amanus Mayette, je ne voudrais pas que ma position soit mal interprétée. Je n’ai aucune sympathie pour ce monsieur. Je constate objectivement, magistrat que j’étais, la situation. Qu’est-ce que j’aurais fait, moi ? la réponse est difficile parce qu’il y a un débat entre juristes haïtiens. Je l’ai expliqué l’autre jour à un groupe de juristes : votre constitution, je crois, dans ses articles 26 et suivants, a probablement le meilleur habeas corpus en Droit international qui mériterait d’être cité en exemple. Nous ne l’avons pas en France, par exemple, même pas à ce niveau. Alors, moi, j’aurais été juge, Amanus Mayette ou autre, on me dit mais ce monsieur a fait une demande – j’espère que je ne me trompe pas en procédure étant donné que je ne connais pas le dossier autant que vous – mais il a fait une demande de mise en liberté. C’est au moment de l’une des dernières audiences qui doit remonter à au moins dix mois. Dans cette audience-là, la Cour a statué sur M. Privert et a ordonné sa mise en liberté. On peut critiquer mais elle est indépendante. Elle a eu le cas du Premier ministre Neptune, elle a rejeté la demande de mise en liberté. Il l’a eu, je crois, par la suite sur la base d’un problème médical et il y avait les autres personnes dont Amanus Mayette. On n’a ni dit si on rejetait la demande, ni dit si on la maintenait. Il ne peut pas faire une nouvelle demande puisque la première n’est toujours pas vidée, comme on dit en Droit. Alors, moi je serais magistrat, quelqu’un vient me dire mais, écoutez, on ne m’a toujours répondu à ma demande de mise en liberté. J’ai quand même l’impression que c’est une décision gravement arbitraire sur la détention. Alors, fallait-il le faire par l’habeas corpus ? Certains de mes amis, juristes éminents, me disent non ce n’est pas possible ; certains me disent qu’il devrait s’adresser de nouveau à la Cour, mais comme la Cour ne répond jamais, moi, personnellement je l’aurais fait. Oui, je pense que quand on relit la Constitution, qui ne parle pas seulement d’arrêt illégal, mais de détention. Si on dit que c’est de la détention prolongée – Ah, oui ! on emploie le mot détention prolongée pour ne pas prononcer le mot détention illégale – il y a tout à fait un désaccord juridique sur la question mais la décision a été prise. Moi, je l’aurais prise dans ce cas là. Mais, je comprends que l’autre ait pu le faire dans le sens inverse. Moi, je n’aurais pas été motivé politiquement.

Concernant la question qui vient de vous être posée, j’aimerais que vous soyez très explicite. Si vous étiez à la place du magistrat qui a procédé à la libération de Amanus Mayette, que feriez-vous ? Répondez-moi de façon explicite, s’il vous plaît. Etes-vous pour cette libération ou contre ? Y a-t-il des mains politiques derrière cet acte ?

Il y a un élément qui me manque. Est-ce que, au moment où l’accident s’est produit, est-ce que l’avocat de M. Mayette, avait déjà le document de mise en liberté en mains ou est-ce que c’est seulement après ? Je ne sais pas si quelqu’un le sait, mais la nuance est importante. Parce que si la décision a été rendue avant, je ne vois pas tellement l’intérêt d’avoir voulu faire disparaître ce magistrat. Mais c’est très difficile de répondre. Que ce soit une affaire qui ait une connotation politique, c’est bien évident. Vous vous souvenez, j’avais été à St Marc. Me Madistin m’a fait un procès d’intention disant que j’étais pour le renvoi de l’affaire à Port-au-Prince. C’était faux. J’avais demandé qu’on prenne la décision seulement au niveau de la Cour d’appel. Il m’avait laissé comprendre que j’étais corrompu. C’est son opinion, c’est un excellent avocat, mais je n’ai pas les mêmes sentiments. Ceux qui me connaissent ne disent pas la même chose. Donc vous voyez bien dans quel climat de politisation, cette affaire s’est développée et c’est normal quand on se souvient de la situation quand même assez effroyable. Alors maintenant, j’espérais que la sérénité allait revenir. Moi, je fais toujours confiance à la Cour d’Appel puisque c’est Me Samuel Madistin qui l’a souhaité. J’espérais que l’affaire allait se clore dans la sérénité et que justice passerait. Il est clair que cet accident ou ce meurtre – parce que c’est ce qu’on laisse entendre – vient énormément politiser une situation, si bien que n’importe quelle initiative maintenant que peut prendre un ministre ou un juge de Parquet va tout de suite apparaître comme étant politique. C’est pour cela que moi, je pense qu’il y a un habeas corpus. On était dans une situation d’habeas corpus, on n’a pas à se poser de questions. Même s’il y avait des tas de pressions, moi personnellement, je l’aurais fait. Je ne souhaite pas qu’on s’imagine que je protège M. Amanus Mayette. Je reprends la phrase exceptionnelle du président de la Cour d’Appel qui a dit : « Nous ne sommes pas des esclaves de l’Exécutif, nous sommes des esclaves de la loi ». C’est uniquement cela qui m’aurait motivé si j’avais pris cette position, si j’avais été à sa place.

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