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Communiqués de presse Organes conventionnels

LE COMITÉ CONTRE LA TORTURE ENTAME L'EXAMEN DU RAPPORT INITIAL DU BRÉSIL

08 Mai 2001



CAT
26ème session
8 mai 2001
Matin





Le Comité contre la torture a entamé, ce matin, l'examen du rapport initial du Brésil sur les mesures prises par ce pays pour se conformer aux dispositions de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Présentant le rapport, M. Marcos Vinicius Pinta Gama, Secrétaire d'État aux droits de l'homme du Brésil, a déclaré que le gouvernement fédéral brésilien a reconnu l'existence de problèmes graves dans le domaine du système de justice pénale du pays. À ce jour, la loi de 1997 sur la torture n'a pas été appliquée de manière satisfaisante et aucune inculpation pénale n'a été prononcée pour acte de torture, a_t-il ajouté. Mais il faudra encore quelque temps avant d'évaluer la mise en œuvre de cette loi. M. Pinta Gama a fait valoir que le gouvernement fédéral lancera le mois prochain une campagne nationale contre la torture. Il a en outre adressé à la Rapporteuse spéciale sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires et arbitraires une invitation à se rendre dans le pays.

Un autre membre de la délégation, Mme Maria Eliane Menezes de Farias, Procureur fédéral pour les droits des citoyens, a pour sa part indiqué que son bureau est un organe de l'État dont le pouvoir émane de la Constitution et qui a pour mandat de prendre toute mesure préventive ou punitive contre les agents publics responsables d'actes de torture.

La délégation brésilienne est également composée de représentants du Secrétariat d'État aux droits de l'homme et de la Mission permanente du Brésil auprès des Nations Unies à Genève.

M. Antonio Silva Henriques Gaspar, rapporteur du Comité chargé de l'examen du rapport du Brésil, s'est félicité de la transparence et de l'esprit critique qui émanent du présent rapport brésilien. Il s'est enquis de la durée maximale de la détention policière; des pratiques administratives relatives à la tenue d'un registre des détenus dans les commissariats de police; ainsi que des pratiques entourant la détention au secret.

M. Alejandro González Poblete, corapporteur du Comité pour l'examen du rapport brésilien, a dit avoir l'impression qu'une grande partie des personnes privées de liberté au Brésil ne bénéficient pas des garanties constitutionnelles et juridiques prévues à leur intention. Il a relevé que la violence en milieu carcéral est incontestablement due au surpeuplement carcéral ainsi qu'aux conditions de vie qui en découlent.

Le Comité entendra demain après-midi, à 15h30, les réponses de la délégation brésilienne. Cet après-midi, à 15h30, il poursuivra l'examen du rapport de la République tchèque. Contrairement à ce qui avait été initialement prévu, le Comité ne présentera pas ses conclusions et recommandations sur le rapport grec cet après_midi mais demain, à 15 heures. Les conclusions et recommandations du Comité sur le rapport bolivien seront présentées le jeudi 10 mai à 15 heures.


Présentation du rapport du Brésil

Présentant le rapport de son pays, M. MARCOS VINICIUS PINTA GAMA, Secrétaire d'État aux droits de l'homme au Ministère de la justice du Brésil, a rappelé que le gouvernement fédéral brésilien a reconnu l'existence de problèmes graves dans le domaine du système de justice pénale du pays. Ce n'est qu'en 1994 que les préoccupations relatives aux droits de l'homme ont commencé à être prises en compte dans la conception et la mise en œuvre des politiques publiques. La mobilisation en faveur des droits de l'homme au Brésil a ouvert la voie à d'importantes initiatives du Congrès national telles que la loi sur les disparitions politiques lors du régime militaire; la loi prévoyant la juridiction des tribunaux civils pour les violations des droits de l'homme impliquant des policiers militaires; ou la loi sur les peines alternatives et le statut des enfants et des adolescents.

La loi sur la torture de 1997 a été un jalon crucial dans la lutte contre la torture au Brésil, a rappelé le Secrétaire d'État. Bien qu'elle énonce une définition de la torture plus large que celle qui est prévue à l'article premier de la Convention, cette loi se concentre essentiellement sur des actes de torture et de mauvais traitements commis par des agents des forces publiques, en particulier par des policiers et des gardiens de prison. À ce jour, cette loi n'a pas été appliquée de manière satisfaisante et aucune inculpation pénale n'a été prononcée pour acte de torture, soit parce que les procureurs n'engagent pas de poursuites, soit parce que les juges changent la nature de la plainte en qualifiant le crime moins gravement. Mais il serait prématuré à ce stade d'en conclure que la loi sur la torture n'est pas efficace, a estimé le Secrétaire d'État. En effet, la procédure pénale prend en moyenne 4 à 5 ans au Brésil et il faudra attendre encore quelques temps avant d'évaluer la mise en œuvre de cette loi. En outre, il convient de sensibiliser davantage les procureurs et les juges à la nécessité de faire appliquer la loi et de punir rigoureusement les agents de l'État responsables d'actes de torture.

M. Pinta Gama a par ailleurs indiqué que le gouvernement fédéral va lancer le mois prochain une campagne nationale contre la torture - campagne qui sera notamment promue à la télévision, à la radio et dans les journaux et magazines. Dans le cadre d'un pacte national contre la torture, cette campagne vise à mobiliser les autorités locales, étatiques et fédérales; les pouvoirs législatifs et judiciaires; les membres de la communauté judiciaire; ainsi que les organisations de la société civile. Le Conseil national pour les droits de l'homme a décidé le 18 avril dernier d'établir une commission permanente de lutte contre la torture, qui apportera son soutien à la campagne
national, assurera le suivi des plaintes et effectuera des visites in situ. Il a en outre été décidé d'adresser une invitation à la Rapporteuse spéciale sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires et arbitraires afin qu'elle se rende dans le pays à une date à convenir.

Le Secrétaire d'État a par ailleurs indiqué que le gouvernement fédéral brésilien a choisi d'adopter une approche globale pour traiter du problème de surpeuplement carcéral au Brésil. Cette approche privilégie notamment la construction de nouveaux établissements, la rénovation d'établissements existants, le recours plus systématique aux peines alternatives, ainsi que le réexamen de la situation dans laquelle se trouvent les prisonniers au niveau de la procédure.

MME MARIA ELIANE MENEZES DE FARIAS, Procureur fédéral du Brésil pour les droits des citoyens, a indiqué que son bureau est un organe de l'État - et non pas un organe gouvernemental - dont le pouvoir émane de la Constitution et qui a pour mandat de prendre toute mesure préventive ou punitive contre les personnes responsables d'actes de torture identifiées comme étant des agents publics, conformément à la Convention contre la torture. Le Procureur fédéral pour les droits des citoyens surveille les enquêtes policières, la légalité de la recherche des preuves, la préservation de la dignité et le bien-être physique et psychologique des prisonniers, son objectif étant de garantir un procès équitable. Les caractéristiques de cette institution sont souvent comparées à celles de l'ombudsman dans d'autres pays; mais en fait, elle dispose de pouvoirs supplémentaires, notamment le pouvoir d'accuser et d'enquêter et le pouvoir d'appliquer les politiques publiques. Beaucoup reste à faire pour cette institution eu égard aux infrastructures qui lui permettront de s'acquitter de son mandat de manière adéquate.


Le rapport initial du Brésil (CAT/C/9/Add.16) souligne que si l'action législative touchant le Code pénal relève de la compétence exclusive de l'Union, c'est aux États qu'il appartient de prendre les mesures nécessaires pour l'exécution des peines privatives de liberté. Le Brésil comptait en 1997 quelque 170 000 prisonniers -détenus ou condamnés- soit 108,3 pour 100 000 habitants et il manquait plus de 95 000 places dans les établissements pénitentiaires du pays.

La torture des prisonniers politiques en tant que méthode institutionnalisée au sein de l'appareil de l'État avait été interdite dès le commencement du processus de démocratisation, vers la fin des années 1970. Malgré cela, la torture utilisée dans les postes de police contre les personnes soupçonnées d'actes criminels reste un sujet de préoccupation, en dépit des progrès de l'ordre légal et de la répugnance de la société brésilienne pour la violence en tant que méthode d'investigation. À la différence de la torture qui était pratiquée pour des raisons politiques pendant les années 1970, les cas de torture qui subsistent aujourd'hui n'ont pas d'objectif idéologique, mais sont liés aux abus de pouvoir et à la corruption de la police.

Les difficultés qu'il y a à faire disparaître la torture dans le pays tiennent à plusieurs raisons, poursuit le rapport. La première est la diversité des formes que prend la recherche de la vérité dans l'enquête policière, dans l'instruction judiciaire et lors des procès. Le système brésilien est différent en effet de celui des pays où la négociation peut jouer un rôle important dans le règlement des conflits et le rétablissement de l'ordre social (la vérité étant alors le résultat d'une décision entre les parties intéressées). Au Brésil, c'est la recherche de la vérité qui est l'élément essentiel pour le maintien de l'ordre et de l'harmonie sociale - d'où l'importance, pendant l'enquête policière, de la torture en tant que moyen de parvenir à la vérité grâce aux aveux du suspect. Une deuxième raison tient aux pratiques héritées du régime autoritaire et au maintien en fonctions de nombreux agents subalternes de la police civile et de la police militaire, qui sont habitués à l'impunité. Troisièmement, la police n'a pas les moyens nécessaires pour mener ses enquêtes de façon scientifique et la torture lui paraît souvent une forme primitive et illégale de répondre aux besoins de la société civile, laquelle - de son côté - réclame une police efficace.

La police civile se sert surtout de la violence dans les enquêtes sur les atteintes à la propriété, en refusant de tenir compte des normes légales. Il arrive donc que les suspects qui appartiennent aux couches défavorisées de la population ou qui ont déjà un casier judiciaire soient maltraités par les policiers pendant leur interrogatoire, soit que les policiers aient recours à la violence pour obtenir des aveux ou certaines informations, soit qu'ils y voient une forme de châtiment, soit encore - comme cela arrive souvent - que ce soit pour eux un moyen d'extorquer de l'argent ou d'autres biens aux suspects. Ces cas de brutalité policière ne viennent presque jamais à l'oreille du public car les victimes et les témoins, qui appartiennent aux couches les plus pauvres de la population, ignorent leurs droits et craignent la vengeance des policiers. Dans le cas de la police militaire, poursuit le rapport, les actes de violence, qu'ils soient commis pendant les rafles, la poursuite des suspects ou les confrontations avec la population, sont fréquents, et ses membres ont recours aux coups, aux menaces et à diverses formes de coercition pour obtenir des renseignements sur les suspects qu'ils recherchent.

Le rapport précise en outre que l'article 5 de la Constitution contient la liste des droits inscrits dans les traités internationaux auxquels le Brésil est partie et qui, selon certains des juristes les plus renommés, ont de ce fait la qualité de règles constitutionnelles ayant la primauté sur les lois ordinaires. La Constitution interdit toute décision de libération sous caution, de grâce ou d'amnistie en cas d'actes de torture. La peine encourue pour acte de torture peut être aggravée d'un sixième à un tiers de sa durée si le crime est le fait d'un agent des autorités publiques; s'il est commis contre un enfant, une femme enceinte, une personne handicapée ou un adolescent; ainsi qu'en cas d'enlèvement. «Rare, dans l'ensemble des États, sont les enquêtes menées par police sur des cas de torture, et tout aussi rares les procès menés à bien: on ne compte dans les 22 États du pays que 200 enquêtes de ce genre entre avril 1997 (..) et novembre 1998 et moins de 100 procès en justice», indique le rapport.


Examen du rapport du Brésil

M. ANTONIO SILVA HENRIQUES GASPAR, rapporteur du Comité chargé de l'examen du rapport du Brésil, s'est félicité de la transparence et de l'esprit critique voire autocritique qui émanent du présent rapport brésilien. Comme le reconnaît le rapport, ces dernières années, la torture a été au Brésil un moyen d'action utilisé par la police dans les enquêtes visant à établir la vérité, a relevé M. Gaspar. Par ailleurs, ce n'est qu'en 1997 que le Brésil a adopté une loi définissant la torture et les peines y afférentes, a poursuivi l'expert avant de faire observer que cette loi n'est pas entièrement conforme à l'article premier de la Convention qui donne une définition de la torture beaucoup plus large.

M. Gaspar a souhaité avoir des compléments d'information en ce qui concerne la durée maximale de la détention policière; la personne compétente pour décider d'une telle détention; le délai maximum avant que le prévenu ne soit présenté devant un juge. L'expert s'est en outre enquis des pratiques administratives relatives à la tenue d'un registre des détenus dans les commissariats de police. Il s'est également enquis des pratiques entourant la détention au secret, eu égard notamment aux questions relatives à la présence d'un avocat et à l'examen du détenu par un médecin.

Relevant que la législation brésilienne semble respecter le principe de juridiction universelle, M. Gaspar s'est enquis de la réaction des autorités brésiliennes si un individu non brésilien soupçonné d'actes de torture ou un individu dont les victimes ne seraient pas brésiliennes était trouvé sur le territoire brésilien. Le ministère public engagerait-il des poursuites contre cette personne?

M. ALEJANDRO GONZÁLEZ POBLETE, corapporteur du Comité pour l'examen du rapport brésilien, a souligné que le Comité n'a pas l'habitude que les États manifestent une telle franchise dans leur rapport. En général, les États ont tendance à contourner les questions les plus épineuses, ce qui n'est pas le cas dans le rapport présenté aujourd'hui par le Brésil.

M. González Poblete a par ailleurs dit avoir l'impression qu'une grande partie des personnes privées de liberté au Brésil ne bénéficient pas des garanties constitutionnelles et légales prévues à leur intention. Conformément aux observations du Rapporteur spécial sur la torture, il semble qu'en ce qui concerne les allégations d'actes de torture imputés aux agents des forces de l'ordre, les enquêtes administratives n'aboutissent pas. Il est vrai qu'il paraît difficile voire impossible d'engager une enquête impartiale lorsque ceux qui mènent l'enquête sont les fonctionnaires du même service que celui dans lequel se seraient déroulés les faits, a souligné l'expert.

M. González Poblete s'est félicité que, conformément à la Constitution brésilienne, les aveux obtenus sous la torture pendant l'interrogatoire sont irrecevables. Néanmoins, si les aveux ont été obtenus avant ou après l'interrogatoire, il semble que ce soit à la victime de prouver que ces aveux lui ont été extorqués sous la torture, ce qui constitue un renversement de la charge de la preuve pour le moins préoccupant.

L'expert s'est par ailleurs dit préoccupé par les explosions de violence que connaissent les prisons brésiliennes. Cette violence est incontestablement due au surpeuplement carcéral, qui atteint parfois près de 100%, ainsi qu'aux conditions de vie qui en découlent dans les prisons, de sorte qu'il convient de dénoncer le traitement cruel et dégradant auquel sont soumis les détenus dans les établissements brésiliens.

Le manque d'inspection médicale est l'un des problèmes les plus délicats posés en milieu carcéral, a insisté un autre membre du Comité. Le Brésil a aussi un problème avec la tuberculose en milieu carcéral. Selon Amnesty International, «personne ne dort en paix» dans les prisons brésiliennes et il n'est pas rare que les médecins refusent de soigner des patients détenus.

Un autre expert a fait état d'informations émanant d'une ONG brésilienne selon lesquelles 11 cas de torture se seraient produits au sein des forces armées au cours de la décennie écoulée. Un seul de ces cas aurait donné lieu à des poursuites judiciaires. Il semblerait que des pressions soient exercées sur les familles des victimes afin qu'elles ne portent pas plainte. Au total, quatre jeunes recrues seraient mortes suite à des actes de torture et deux se seraient suicidées.

Le Président du Comité, M. Peter Thomas Burns, a rappelé qu'à l'époque du régime militaire, des actes flagrants de violations des droits de l'homme et de torture se produisaient. Il est incontestable que le régime militaire s'est auto-amnistié, a poursuivi M. Burns. Aussi, a-t-il souhaité savoir si le régime actuel jugeait ces amnisties valables.



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