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Communiqués de presse Procédures spéciales

Le Rapporteur spécial sur l’indépendance des juges et des avocats conclut sa visite en République Démocratique du Congo

24 Avril 2007

24 Avril 2007
Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur l’indépendance des juges et des avocats, Leandro Despouy, a effectué, du 15 au 21 avril 2007, une visite en République Démocratique du Congo (RDC) à l’invitation du Gouvernement. Le Rapporteur spécial remercie le Gouvernement pour sa coopération, ainsi que la Mission de l’Organisation de Nations Unies au Congo (MONUC) pour l’appui très important qu’elle lui a fourni.
Le Rapporteur spécial s’est rendu à Kinshasa, à Bukavu au Sud Kivu, à Goma au Nord Kivu, ainsi que, dans le contexte de la mission préparatoire, à Bunia dans l’Ituri. Il a rencontré plusieurs ministres, des autorités provinciales, des juges et procureurs de différents niveaux des juridictions tant civiles que militaires, les Présidents de plusieurs barreaux, des avocats, et des associations de juges et d’avocats. Il a également tenu des rencontres avec des organisations non gouvernementales, différentes composantes de la MONUC, ainsi que les principaux bailleurs de fonds du secteur de la justice.
Sorti d’une décennie de conflits ayant causé presque 4 millions de victimes, le pays a pu, avec l’appui de la communauté internationale, adopter l’année dernière un nouveau cadre constitutionnel et organiser les premières élections démocratiques du pays. Dans ce contexte, le pays se trouve aujourd’hui face à deux grands défis: établir un état de droit et une démocratie basés sur une effective séparation des pouvoirs, et faire face aux séquelles des crimes du passé. Pour chacun de ces défis, le secteur judiciaire joue un rôle primordial. Le rapport final contenant les conclusions et recommandations du Rapporteur spécial sur sa visite sera présenté au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies dans les mois qui suivent. Le Rapporteur spécial souhaite toutefois présenter d’ores et déjà certaines conclusions préliminaires. Pendant sa visite, il a constaté que la situation du pouvoir judiciaire est très préoccupante, notamment à la lumière des constats suivants :
· Il y a un nombre très insuffisant de magistrats, tant du parquet que du siège, ainsi qu’une carence de tribunaux sur le territoire. En outre, les magistrats ne disposent pas des moyens logistiques et matériels nécessaires pour exercer leurs fonctions avec dignité et professionnalisme : ils manquent notamment de locaux adéquats, de salles d’audiences, de véhicules pour accéder aux lieux des enquêtes, de matériel informatique de base et des moyens financiers nécessaires pour couvrir les frais de fonctionnement de la justice. De plus, les magistrats ne reçoivent pas de rémunération adéquate, et la justice n’a pas d’indépendance financière, ce qui a une incidence directe sur le manque d’indépendance de la justice tant civile que militaire. Cette faiblesse structurelle entraine la corruption et rend la justice vulnérable aux interférences provenant du pouvoir exécutif et de l’armée.

· L’accès à la justice est très difficile pour la majorité de la population, à cause du manque de moyens financiers, de l’éloignement géographique des tribunaux et des difficultés de transport, ainsi que du manque de connaissance des voies de recours. Les magistrats et avocats ont également des difficultés d’accès aux textes de loi et à la jurisprudence.

· Quand il est possible de faire aboutir un procès, dans un grand nombre de cas les décisions de justice ne sont pas exécutées. Il est aussi fréquent que les condamnés s’évadent.


Ces défaillances aboutissent à ce que la justice ne fonctionne que dans de rares cas et que les violations des droits de l’homme restent généralement impunies. Alors qu’un Etat démocratique ne peut pas fonctionner sans un pouvoir judicaire fort et indépendant, on ne peut que constater que la justice reste le parent pauvre dans la construction des institutions démocratiques du pays. A la lumière de ce constat, le Rapporteur spécial formule les recommandations préliminaires suivantes :
1. Pour que le cadre constitutionnel soit mis en œuvre et l’indépendance de la magistrature ne reste pas lettre morte, une série de lois doivent être adoptées avec urgence. Il s’agit avant tout de la loi portant organisation du Conseil supérieur de la magistrature, organe clef qui va gérer la nomination, promotion et discipline des magistrats, garantissant ainsi leur indépendance mais également un contrôle efficace de leur conduite, et qui va établir le budget du pouvoir judiciaire, élément clef de son indépendance et son efficacité. La loi sur la mise en œuvre du Statut de Rome, ainsi que celles sur la Cour de cassation, la Cour constitutionnelle et le Conseil d’Etat devraient également être adoptées de façon prioritaire.

2. La construction d’un pouvoir judiciaire indépendant, fort et efficace doit être une priorité du Gouvernement ainsi que des acteurs internationaux actifs dans le domaine des droits de l’homme et de la justice. Ceci requiert notamment :

· Un engagement du Gouvernement et du Parlement pour qu’un pourcentage plus important du budget national soit attribué au pouvoir judiciaire, en tenant compte qu’en général le budget de la justice représente entre 2% et 6% des budgets nationaux. Ce budget doit permettre de mieux rémunérer les magistrats, d’affecter de nouveaux magistrats notamment dans les provinces, de faire bénéficier les magistrats de locaux ainsi que des moyens opérationnels pour mener à bien leurs tâches, ainsi que de mettre sur pied de nouveaux tribunaux, notamment les tribunaux de paix. Sans un budget de cet ordre, il est illusoire de penser que la justice et donc l’ordre démocratique puissent être une réalité dans le pays.

· Un plan de reconstruction du pouvoir judiciaire devrait être élaboré et mis en oeuvre par le Ministère de la justice en étroite collaboration avec les Nations Unies et les bailleurs de fonds. Dans ce cadre, le Rapporteur spécial soutient le travail du Comite mixte de suivi de la Justice qui réunit les bailleurs de fonds, qui mène des efforts dans ce sens et les encourage à accélérer leur travail afin de mener à bien cette réforme dans les plus brefs délais.

· La RDC est un pays extrêmement riche mais jusqu’à présent l’exploitation de ses ressources naturelles n’a pas été mise au profit de sa population. Au contraire, l’exploitation non planifiée ou illégale a été source de conflits et de violations des droits de l’homme ainsi que de pillages et autres abus. La maîtrise de ses ressources naturelles permettra au pays d’obtenir les moyens nécessaires pour reconstruire les institutions, dont particulièrement la justice, et de faire bénéficier la population de la richesse de son territoire.

3. Afin de garantir le droit à la défense tel que reconnu par la Constitution, l’Etat devrait mettre en place un système de rémunération des avocats commis d’office, par exemple auprès des barreaux, pour que les personnes n’ayant pas suffisamment de ressources puissent avoir accès à une défense de qualité.

4. La formation des magistrats, notamment aux normes internationales des droits de l’homme, ainsi que du personnel auxiliaire, notamment la police judicaire, devrait être sensiblement renforcée. Dans ce cadre, des Ecoles de la magistrature et de la police judicaire devraient être mises en place immédiatement.

5. Le Rapporteur spécial constate que la majorité de violations des droits de l’homme, notamment les viols des femmes, sont commises par les forces armées, et que ces violations sont du ressort des tribunaux militaires. Conformément aux normes internationales pertinentes des droits de l’homme, le Rapporteur spécial considère que la reconstruction de la justice doit se baser sur le renforcement de la justice civile pour qu’elle prenne la relève dans le domaine des violations des droits de l’homme et du jugement des civils. Dans ce contexte, il se félicite aussi du travail fait par le Bureau intégré des Nations Unies pour les droits de l’homme en RDC et la société civile dans la lutte contre l’impunité.

6. Afin de construire la démocratie sur des bases solides, les graves crimes du passé ne peuvent restés impunis. A cette fin, la justice congolaise et la communauté internationale devraient collaborer, à la lumière d’expériences de collaboration judicaire ayant donné de bons résultats dans d’autres pays, afin que les plus graves crimes du passé puissent être jugés.

Après la guerre et la période de transition, les autorités congolaises sont confrontées aujourd’hui à une nouvelle étape, celle de la construction des institutions démocratiques. Les recommandations du Rapporteur spécial vont dans ce sens étant donné que l’existence d’un pouvoir judiciaire indépendant et efficace est la colonne vertébrale de l’état de droit et du développement du pays.

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