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Communiqués de presse Haut-Commissariat aux droits de l’homme

Congo RDC: Selon Bachelet, le nouveau gouvernement dispose d'une "fenêtre d'opportunité" après la transition politique pacifique qu’a connue le pays

29 janvier 2020

GENÈVE / KINSHASA (29 janvier 2020) – Au terme de sa visite de cinq jours en République démocratique du Congo (RDC) lundi soir, la Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, Michelle Bachelet, a appelé le gouvernement de la RDC et la communauté internationale à « saisir l'opportunité qui se présente à l’heure actuelle afin de sortir le pays de son cocktail explosif de conflits, de violations des droits de l'homme, et de problèmes socio-économiques chroniques ».

« Le fait que le pays soit parvenu à mener une transition politique pacifique pour la première fois depuis l'indépendance et qu'il soit désormais gouverné par une coalition de membres de l’ancienne opposition et du gouvernement sortant, sous la direction du Président Tshisekedi, est en soi une avancée considérable », a déclaré Bachelet. «Même s'il faudra un effort concerté et soutenu pendant de nombreuses années pour s'attaquer à tant de problèmes chroniques, certaines pistes de solutions ont déjà été clairement identifiées, et des signes de progrès observés dans quelques domaines, notamment la libération de prisonniers politiques et d’activistes».

La Haute-Commissaire a commencé sa visite par l'extrême nord-est de la province d'Ituri, deux semaines après la publication par son Bureau d’un rapport initié par le Bureau conjoint des droits de l'homme * en RDC décrivant les crimes de guerre et crimes contre l'humanité perpétrés en Ituri au cours des deux dernières années, principalement par un groupe armé Lendu, qui a pris pour cible la communauté voisine Hema. Cette dernière, dans sa majorité, s’est jusqu’ici abstenue de lancer des représailles.

Le conflit entre les Lendu et les Hema est l'un des nombreux conflits que connait actuellement la RDC, y compris dans d'autres parties de l'Ituri, et du Nord et Sud-Kivu. Parmi les groupes armés impliqués, on compte notamment les Forces démocratiques alliées (ADF), qui depuis plusieurs années commettent de nombreux abus et sont responsables d’épisodes particulièrement meurtriers en fin 2019 à Beni, ainsi que des divers groupes locaux connus sous le nom de Maï Maï, dont certains ont attaqué des centres de santé destinés à la lutte contre l'épidémie de maladie à virus Ebola qui sévit dans la région.

« J'ai décidé de me rendre en Ituri, car la situation dans cette région reçoit généralement moins d'attention que les développements dans les deux Kivus », a déclaré Bachelet. « Et les abus dont les Hema font l’objet sont horribles. En outre, selon certaines indications, le groupe armé qui est le principal responsable de cette violence essaie d’étendre ses activités meurtrières dans d'autres zones de la province ». 

Une telle situation pourrait déclencher un conflit beaucoup plus important, de l’ampleur de la dévastatrice « guerre d'Ituri » entre 1999 et 2003, qui a coûté la vie à des dizaines de milliers de personnes. On compte au total près de 1,1 million de personnes déplacées en Ituri, dont environ 500.000 personnes fuyant le conflit qui oppose les Lendu et les Hema, avec 50.000 nouveaux déplacés rien qu'au cours des trois premières semaines de janvier. Seuls environ 15 % d’entre eux se trouvent dans des camps, le reste étant hébergé dans d’autres familles.

« Un déplacement de populations de cette ampleur ferait la une des journaux dans de nombreuses autres régions du monde », a déclaré la Haute-Commissaire. « Quand cela se produit en Ituri, personne en dehors de la RDC ne semble être au courant ou s'en préoccuper. »

La RDC, dans son ensemble, compte actuellement quelque 5,3 millions de déplacés internes, dont beaucoup vivent dans des conditions déplorables. Pourtant, les agences humanitaires des Nations unies qui travaillent à atténuer les effets des nombreuses crises qui touchent le pays n'ont reçu que 44 % de leur appel de fonds en 2019.

« J’exhorte les donateurs à accroitre leur soutien cette année», a déclaré Mme Bachelet. "Il est navrant de voir des gens, dont certains ont perdu toute leur famille et d'autres - y compris des enfants - dont les bras et les jambes ont été coupés à la machette, ou qui ont été violés, lutter pour survivre avec une quantité insuffisante de nourriture, des abris de fortune, un manque d’éducation et de soins médicaux appropriés. J'ai visité un certain nombre de camps de personnes déplacées dans le passé, mais je n'avais jamais vu de conditions similaires à celles que j'ai vues en Ituri, et qui, je crois, sont monnaie courante dans les régions du pays en proie à des conflits »

« Il y a comme une banalisation des atrocités et des violences sexuelles, et une acceptation de la pauvreté et des privations, avec un effet dévastateur pour la population », a ajouté la Haute-Commissaire. « Et tant à l'intérieur de la RDC qu'à l'extérieur, on note une approche de plus en plus fataliste de la situation selon laquelle il en est ainsi et continuera d'en être ainsi. Cette attitude est injuste, et elle est erronée ».

Après avoir rencontré le gouverneur par intérim de l'Ituri, ainsi que les autorités locales, plusieurs fonctionnaires du gouvernement central en visite, ainsi que le président et le procureur du tribunal militaire local, la Cheffe des droits de l'homme des Nations unies s'est envolée pour Kinshasa pour une nouvelle série de discussions.

Avant sa rencontre, lundi, avec le Président Félix Tshisekedi, elle a eu une longue discussion sur un large éventail de questions avec le Premier ministre et six ministres du gouvernement central (Intérieur, Justice, Défense, Genre, Famille et Enfants, et la ministre déléguée en charge des personnes handicapées et vulnérables). Le ministre des Droits humains était présent tout au long de la visite de Mme Bachelet en Ituri et a participé à la réunion ministérielle à Kinshasa.

La Haute-Commissaire a également rencontré la Présidente de l'Assemblée nationale, la Commission nationale des droits de l'homme, 25 organisations de la société civile de la RDC très dynamiques, des femmes politiques actives dans le domaine des droits de l'homme, le corps diplomatique et l’équipe pays des Nations Unies en RDC, ainsi que les responsables de la MONUSCO.

Parmi les nombreuses questions abordées figurent les énormes défis économiques et sociaux auxquels est confronté un pays aussi vaste que la RDC, avec une des plus fortes démographies d'Afrique, et qui est classé au 179ème rang mondial dans le Rapport sur le développement humain 2019 (HDR). Le Premier ministre a reconnu que la population vit dans des « conditions infrahumaines » et qu'il est urgent de traduire les progrès réalisés sur le front politique en progrès tangibles dans l’amélioration du quotidien des congolais. Le Président Tshisekedi, la Présidente de l'Assemblée nationale et la Haute-Commissaire elle-même ont eu des points de vue similaires lors de leurs discussions ultérieures.

Si l'épidémie de maladie à virus Ebola a suscité un intérêt et des financements internationaux importants, d'autres urgences médicales—notamment le choléra et une épidémie de rougeole qui a fait plus de 6 000 victimes en 2019 (deux fois plus que l’Ebola) et infecté plus de 300 000 personnes dans les 26 provinces de la RDC—n’ont pas connu cet engouement et ont attiré peu d'attention ou de financements.

« La rougeole est une maladie facile à prévenir, avec un vaccin très efficace », a déclaré Mme Bachelet, qui entre autres est pédiatre de formation. « Elle ne devrait tuer personne. Cet état de fait découle de la situation sécuritaire et du manque d'infrastructures et de services qui ont rendu tant de villages difficiles ou impossibles d'accès, ainsi que d'un manque chronique de financements pour le secteur de la santé en général, et le programme de vaccination en particulier ».

La Haute-Commissaire s'est félicitée de l'engagement du Président Tshisekedi à garantir la gratuité de l’enseignement primaire pour tous les enfants congolais. Elle a également déclaré espérer voir un effort significatif pour rendre les soins de santé plus accessibles et plus abordables pour la population congolaise dans son ensemble, avec un accent particulier sur les besoins des femmes.

Les femmes souffrent également de violences sexuelles généralisées et de l'absence d’égalité de droits en matière d’emploi ainsi que d'autres formes de discrimination, et ce, malgré la ratification par la RDC de tous les traités internationaux pertinents relatifs aux droits des femmes, ainsi que la promulgation d'une gamme complète de lois nationales conçues pour protéger les femmes et mettre fin à la discrimination dont elles sont l’objet.

Pendant son séjour à Bunia, la capitale de l'Ituri, le Haute-Commissaire a visité le centre de santé Karibuni Wa Mama, dirigé par SOFEPADI (Solidarité féminine pour la paix et le développement intégré), dont le but essentiel est la fourniture de services holistiques aux victimes de violences sexuelles, y compris des soins médicaux et psychosociaux, la planification familiale, l’éducation des enfants victimes et la formation professionnelle des adultes, ainsi qu'une assistance juridique pour permettre aux victimes de saisir les tribunaux. Le centre a ainsi prodigué des soins à 1.292 femmes et 13 hommes victimes d'agressions sexuelles au cours de la seule année 2019, et a permis l’instauration de poursuites judiciaires qui ont abouti à 65 condamnations pour viol et autres formes d'agression sexuelle. Mme Bachelet a qualifié le travail du centre, qui a reçu un financement du Fonds de contributions volontaires des Nations Unies pour les victimes de la torture, «d’extraordinaire, d’indispensable et d’inspirant».

La Haute-Commissaire a également salué la création récente d'un nouveau poste ministériel dédié aux personnes handicapées et aux personnes vulnérables. Elle a partagé les préoccupations de la nouvelle ministre de tutelle concernant le manque de données à l'échelle nationale, dans un pays où des millions de personnes vivent avec un handicap, et que malgré la ratification par la RDC de la Convention sur les personnes handicapées en 2015, l'Assemblée nationale tarde à ratifier un projet de loi qui intégrerait les dispositions de ladite Convention dans la législation nationale. Elle a soulevé cette question lors de la réunion de travail qu’elle a eu lundi avec la Présidente de l'Assemblée nationale, mais aussi l’adoption d’autres législations de premier plan toujours à l’étude, comme la loi sur la protection des défenseurs des droits de l'homme.
Deux sujets intimement liés ont été soulevés lors des nombreuses réunions de Mme Bachelet en Ituri et à Kinshasa : la nécessité d'une justice transitionnelle et l'importance de la lutte contre l'impunité.

Lors de son séjour à Bunia, elle a rencontré des représentants des communautés Hema et Lendu. « Ces deux rencontres m'ont donné de l'espoir », a-t-elle déclaré. «  Il y avait un certain terrain d'entente. J'ai été particulièrement frappée par l'attitude constructive des représentants Lendu. Ils ont clairement fait savoir qu'ils ne soutenaient pas le groupe armé qui commettait la plupart des violations en leur nom. Aussi bien les Lendu que les Hema ont déclaré que les auteurs de ces violations devaient être jugés. Les premiers ont également exprimé la nécessité selon eux de voir la communauté toute entière se réunir et signer un engagement en faveur de la paix».

Mme Bachelet a noté que lorsque la guerre meurtrière entre les deux groupes a pris fin en 2003, il n'y a pas eu d'effort concerté à long terme pour apporter la vérité, la justice et la réconciliation. « L'absence d'un processus de justice transitionnelle soutenu après la fin des combats en 2003 a permis au chagrin et à la haine de s'envenimer, et la paix n'a donc pas été durable", a-t-elle déclaré.

Lorsqu'elle a discuté de cette question avec le Gouvernement, notamment de la situation en Ituri et de certains des autres conflits actuels ou récents, tels que les tueries dans le Grand Kasaï, à Minembwe et Yumbi, la Haute-Commissaire a partagé l’expérience de son propre pays, le Chili, en matière de justice transitionnelle, en particulier pendant la période de transition du pays de la dictature vers la démocratie. « Les plaies ne se cicatriseront que si elles sont soignées », a-t-elle déclaré. «La vérité est une partie essentielle de ce processus de guérison, tout comme la justice. C'est un défi de trouver une vérité partagée—parce que les différentes parties ont des récits divergents. Mais il est essentiel de rechercher une vérité commune, de rendre la réconciliation possible et d'établir une paix durable. Il est clair pour moi que de nombreux Lendu et Hema aspirent à un dialogue pacifique, à la justice et à la réconciliation. Je leur ai dit que je souscris pleinement à leur idée de convoquer une conférence de paix».

Bachelet s'est dit encouragée par les progrès significatifs réalisés par la justice militaire à Bunia : malgré ses maigres ressources, la Commission judiciaire a fait un effort considérable pour enquêter sur les violations et atteintes aux droits de l'homme, et le tribunal a jusqu'ici condamné 55 personnes à la prison à perpétuité pour crimes contre l'humanité commis dans la région de Djugu en Ituri.

Lors de sa rencontre avec le gouvernement, le ministre de la Justice a convenu que le respect des droits de l'homme ne pouvait se faire sans une bonne administration de la justice. Il a également reconnu que de nombreuses institutions judiciaires de la RDC— prisons, tribunaux, le système judiciaire dans son ensemble—sont actuellement inadaptées et ne jouissent pas de la confiance de la population.

Plus tôt dans la semaine, après son arrivée à Bunia pour accueillir la Haute- Commissaire, le ministre des droits humains a visité la prison de Bunia pour constater de lui-même les conditions de vie inhumaines—comme dans d'autres prisons de la RDC, y compris à Kinshasa— des détenus, avec des pénuries de nourriture, de médicaments et une surpopulation chronique entraînant de nombreux décès, dont 49 dans la seule prison de Bunia en 2019. À son retour à Kinshasa, il montré des photos de la prison au ministre de la Justice, qui a déclaré à la Haute-Commissaire que l'existence de prisons où les détenus n'ont même pas assez de place pour s'allonger et dormir est « inacceptable ». Le ministre de la Justice s'est alors engagé à visiter l’ensemble des prisons du pays, à commencer par celle de Bunia, et à prendre des mesures urgentes pour réduire la surpopulation carcérale, telles que la libération provisoire ou conditionnelle des détenus remplissant les conditions requises, y compris tous les enfants et les personnes détenues pour des délits mineurs. La question a également été discutée lors d'un conseil ministériel et les mesures proposées par le ministère de la Justice ont reçu le soutien total du Président.

En conclusion de sa visite lundi, la Haute-Commissaire a déclaré qu'elle pensait que le pays se trouvait à une étape importante de son histoire: « Le Président a établi une liste ambitieuse d'aspirations pour améliorer les droits de l'homme du peuple congolais, a-t-elle ajouté. « Le Président a déclaré que 2020 est une année d'action. Je suis d'accord avec ses propos, et j'ai discuté avec lui et avec la Présidente de l’Assemblée nationale sur la nécessité pour le gouvernement de saisir l'opportunité offerte par l’alternance pacifique au pouvoir. En tant qu'ancienne cheffe de deux gouvernements de coalition, je comprends les difficultés auxquelles les coalitions sont confrontées. Mais elles comportent aussi des avantages, car si les différents partis de la coalition se mettent d’accord sur des questions clés—ce que la Présidente de l’Assemblée nationale a déclaré encourager de tout cœur—ils peuvent apporter des changements significatifs. Mais cette fenêtre d'opportunité ne durera pas longtemps. Les populations congolaises vont exiger des résultats concrets—des améliorations tangibles dans leur quotidien, ainsi que les bases de changements structurels dans le long terme ».

"La RDC est un pays immense, avec d'énormes problèmes—mais aussi un immense potentiel. Le pays est pauvre mais il pourrait être riche, avec une abondance de minerais précieux et de vastes étendues de terres qui pourraient - devraient - être très productives. Sa population est résiliente et travailleuse ».

Mme Bachelet s'est dit impressionnée par les entretiens extrêmement francs et productifs qu'elle a eus avec ses interlocuteurs aussi bien avec le gouvernement,  l’Assemblée nationale et le Président de la République, qui a clairement exposé ses priorités en matière de droits de l'homme. Selon le Président, il est impératif de mettre fin à la violence, de lutter contre l'impunité et de mener une guerre sans merci à la corruption endémique en RDC, qu’il décrit comme sa priorité numéro un, arguant du fait que la corruption érode tous les autres efforts visant à améliorer le quotidien des populations.

Le Président a convenu qu'il est essentiel de mettre en place des institutions et des services publics dans les zones rurales de la RDC où ils sont actuellement totalement absents—une situation qui a fortement aidé à assoir la paupérisation et à encourager la violence.  Il a également souligné la nécessité de rétablir la confiance dans l'État. La Présidente de l'Assemblée nationale a quant à elle déclaré que le maintien de la confiance des populations dans les institutions démocratiques était l'une de ses priorités les plus urgentes. Au même moment, elle s'efforce d'obtenir le soutien de tous les partis à l'Assemblée nationale pour permettre l'adoption de lois, de programmes et de politiques clés, notamment la législation en cours sur l'accès à l'information, la liberté de la presse, les manifestations publiques et la protection des défenseurs des droits de l'homme.

«Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour apporter mon soutien au Gouvernement et aux autres autorités clés dans les efforts qu’ils fournissent pour respecter leurs vastes engagements», a déclaré la Haute-Commissaire. «Et j'espère que le reste de la communauté internationale fera de même, car un solide soutien international sera essentiel pour progresser dans la réalisation de ces objectifs complexes et difficiles. Comme l'a dit un ministre congolais, la RDC a vécu «60 ans de misère» depuis l'indépendance. Il est temps que le pays bénéficie d'une période de gouvernance vertueuse et consciencieuse, pouvant à terme aider les populations à jouir d’une existence plus heureuse, plus saine et plus prospère. Cela s’est fait ailleurs et cela peut bien se faire ici».

FIN
* Le Bureau conjoint des droits de l'homme des Nations Unies a été créé en février 2008. Il comprend la Division des droits de l'homme de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en RDC (MONUSCO) et le Bureau du/de la Haut(e)-Commissaire aux droits de l'homme en RDC. Le texte complet de son rapport sur l'Ituri (uniquement en français), publié le 10 janvier 2020, peut être consulté ici. Un communiqué de presse résumant le rapport est disponible ici.
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