Skip to main content

Communiqués de presse Organes conventionnels

LE COMITÉ CONTRE LA TORTURE ENTAME L'EXAMEN DU RAPPORT DU MAROC

13 Novembre 2003


12 novembre 2003


Le Comité contre la torture a entamé ce matin l'examen du troisième rapport périodique du Maroc sur les mesures adoptées par ce pays pour mettre en œuvre les dispositions de la Convention contre la torture.

Présentant le rapport soumis par son pays, M. Omar Hilale, Représentant permanent du Maroc auprès des Nations Unies à Genève et chef de la délégation marocaine, a indiqué que, dans un souci de lutte et de prévention de la torture, le Gouvernement marocain a adopté une série de mesures concernant la garde à vue, les interrogatoires et les conditions de détention. Ces mesures visent à renforcer le contrôle, l'amélioration des conditions carcérales, l'incrimination des actes de torture, de la tentative de les pratiquer et de la complicité, ainsi que la réglementation de l'expulsion, du refoulement et de l'extradition. Parallèlement à ces amendements législatifs, des réformes institutionnelles ont été entreprises et un Ombudsman dénommé Diwan Al Madhalim a notamment été créé. Ces aménagements législatifs et institutionnels ainsi que le dynamisme de la société civile en matière de promotion des droits de l'homme ont été accompagnés par un ensemble de mesures pratiques à même de renforcer la culture des droits de l'homme dans le pays, en particulier pour ce qui est de l'éducation aux droits de l'homme, a-t-il ajouté.

M. Guibril Camara, rapporteur du Comité chargé de l'examen du rapport du Maroc, s'est félicité du dialogue franc et positif entre le Comité et le Maroc, où les progrès sont notables et encourageants. Reconnaissant la volonté de progrès, il a souligné le décalage qui peut exister entre la volonté politique et les efforts normatifs d'une part, et les réalités et pratiques sur le terrain. À cet égard, il a souligné que, malgré ces efforts, un grand nombre d'allégations d'actes de torture ont été portées à l'attention du Comité. Il a par ailleurs réaffirmé l'importance d'une définition et d'une incrimination de la torture conforme à la Convention et estimé que le crime de torture doit être inscrit en tant que tel dans le droit positif marocain. Il s'est en particulier interrogé sur les mesures prises pour arrêter, juger ou extrader toute personne soupçonnée d'avoir commis un acte de torture.

La corapporteuse du Comité pour l'examen du rapport marocain, Mme Felice Gaer, a souligné pour sa part le risque important de torture et de mauvais traitement au cours de la garde à vue et s'est inquiétée de la prolongation du délai de garde à vue. Elle s'est félicitée des mesures visant à indemniser les victimes mais rappelé la nécessité de poursuivre et punir les auteurs d'actes de torture.

La délégation du Maroc était également composée de représentants du Ministère de l'intérieur, du Ministère de la justice et du Ministère des droits de l'homme.

Le Comité contre la torture entendra cet après-midi, à partir de 15 heures, les réponses de la délégation de la Colombie, dont le rapport a été présenté hier. Le Maroc présentera pour sa part ses réponses demain après-midi. Le Comité entamera en outre demain matin, à partir de 10 heures, l'examen du rapport de la Lettonie (CAT/C/21/Add.4).

Présentation du rapport

M. OMAR HILALE, Représentant permanent du Maroc auprès des Nations Unies à Genève, présentant le troisième rapport périodique de son pays, a réaffirmé l'engagement des autorités de son pays en faveur des droits de l'homme. À cet égard, M. Hilale a indiqué que le projet de réforme du Code pénal et l'adoption du nouveau code de procédure pénale constituent la pierre angulaire de la réforme de la justice pénale souhaitée par le Roi Mohammed VI. Par ailleurs, afin d'adapter la législation interne aux engagements internationaux du Maroc, les autorités marocaines ont engagé un vaste chantier de réformes et d'adéquation des textes de lois. Dans un souci de lutte et de prévention de la torture, le Gouvernement marocain a adopté une série de mesures se rapportant à la garde à vue, aux interrogatoires et aux conditions de détention. Ces mesures visent à renforcer le contrôle, l'amélioration des conditions carcérales, l'incrimination des actes de torture, de la tentative de les pratiquer et de la complicité ainsi que la réglementation de l'expulsion, du refoulement et de l'extradition par l'adoption, en juin 2003, de la loi relative à l'entrée, au séjour des étrangers et à la migration régulière.

Parallèlement à ces amendements législatifs, des réformes institutionnelles ont été entreprises : ainsi, le Roi a procédé à la création d'un Ombudsman dénommé Diwan Al Madhalim, qui n'est pas seulement un bureau de requêtes mais également une force de proposition pour la réforme de la législation de l'administration et de la justice. Elle sera ainsi appelée notamment à s'occuper des droits des Marocains séquestrés à Tindouf en violation des dispositions du droit international humanitaire et de la Convention contre la torture. En outre, en réponse à la volonté de réhabiliter les victimes, de panser les blessures et de promouvoir la réconciliation, une Commission «équité et réconciliation» a été créée et sera chargée de poursuivre le règlement des violations passées des droits de l'homme. Une Commission d'arbitrage indépendante pour l'indemnisation des préjudices subis par les victimes de la disparition et de la détention arbitraire a également été créée afin de fixer des indemnités aux victimes.

Ces aménagements législatifs et institutionnels ainsi que le dynamisme de la société civile en matière de promotion des droits de l'homme ont été accompagnés par un ensemble de mesures pratiques à même de renforcer la culture des droits de l'homme dans le pays, en particulier pour ce qui de l'éducation aux droits de l'homme. M. Hilale a souligné l'apport positif incontestable du Partenariat avec la société civile et les organisations internationales dans le domaine de la lutte contre la torture et, notamment, dans l'optique de mettre en œuvre le Protocole d'Istanbul. Il a également cité l'apport de la Fondation Mohammed VI pour la réinsertion des détenus dont l'action reflète la volonté royale de préserver les droits des citoyens en détention. Évoquant les attentats qui ont endeuillé le Maroc le 16 mai 2003, M. Hilale a affirmé que, loin de détourner le Maroc de son cheminement démocratique, ces événements ont au contraire renforcé l'attachement résolu du Maroc à l'irréversibilité de son choix stratégique pour l'édification de l'État de droit. La lutte contre le terrorisme, aussi légitime soit-elle, ne saurait occulter l'adhésion du Maroc aux principes fondamentaux des droits de l'homme, a-t-il affirmé.

Le troisième rapport périodique du Maroc (CAT/C/66/Add.1) indique que malgré l'absence d'une définition précise de la torture, il existe différentes dispositions législatives la réprimant. En outre, le projet de réforme du Code pénal en cours d'élaboration est une étape importante dans le processus de développement du système judiciaire et de la réforme de la justice qui vise à combler des lacunes et accompagner le changement en matière de consécration de l'État de droit et des droits de l'homme et d'harmonisation de la législation nationale avec les chartes et conventions internationales ratifiées par le Maroc. S'agissant de la torture, une définition plus large sera donnée allant dans le sens de l'article premier de la Convention. «Nul ne peut être arrêté, détenu ou puni que dans les cas et les formes prévues par la loi»; c'est en ces termes que la Constitution interdit les actes de torture (art. 10) et pose le principe de l'interdiction de la torture en soumettant les arrestations, détentions et sanctions au Code pénal et au Code de procédure pénale qui sanctionnent par diverses incriminations les atteintes à l'intégrité physique de la personne et prévoient des sanctions aggravées lorsque les violences sont le fait d'agents ou de préposés de l'autorité

En ce qui concerne l'extradition et le refoulement, ils sont régis par les dispositions du Code de procédure pénale. Si la soumission à la torture n'y est pas explicitement mentionnée, la pratique marocaine en la matière la prend en considération. S'agissant de l'incrimination de la torture, le Code pénal marocain condamne tout acte de violence, coups et blessures exercés à l'encontre d'une personne, notamment en son article 399, où la torture est expressément mentionnée. Est puni de la peine de mort quiconque, pour l'exécution d'un fait qualifié de crime, emploie des tortures ou des actes de barbarie. Les articles 392 à 424 du Code pénal traitent de mort intentionnellement donnée, de violences et coups et blessures, les articles 225 à 232 traitent des abus d'autorité commis par un magistrat ou un fonctionnaire public qui ordonne ou fait quelque acte arbitraire, attentatoire soit à la liberté individuelle, soit aux droits civiques d'un ou plusieurs citoyens.

Le rapport signale par ailleurs que pour prévenir les actes de torture, le Gouvernement marocain a adopté une série de mesures importantes se rapportant aussi bien aux interrogatoires qu'aux lieux de détention. Parmi les nouvelles mesures prises par le Maroc pour la mise en œuvre de la Convention, on peut citer l'adoption récente d'une nouvelle législation relative à l'organisation et au fonctionnement des établissements pénitentiaires qui est une refonte en profondeur du cadre législatif réglementant ces institutions. Cette mesure s'est concrétisée par la mise en place d'infrastructures, la garantie de soins médicaux et d'une alimentation équilibrée, la multiplication de programmes d'enseignement et l'adoption d'initiatives ayant une portée sociale et pédagogique visant à la fois une meilleure réinsertion des détenus après leur libération et une ouverture sur toutes les composantes de la société civile intéressée par la question carcérale. Deux mécanismes d'une importance capitale ont par ailleurs enrichi le cadre institutionnel des droits de l'homme au Maroc, permettant une mise en œuvre concrète des dispositions de la Convention. Le premier a pour objectif l'indemnisation des victimes de violations des droits de l'homme alors que le second s'efforce de les réhabiliter.


Examen du rapport du Maroc

M. GUIBRIL CAMARA, rapporteur du Comité pour le rapport du Maroc, s'est félicité du dialogue franc et positif qui s'est établi entre le Comité et le Maroc, où les progrès sont notables et encourageants. Il est manifeste qu'aux côtés de la volonté politique, il y a un effort normatif évident, a souligné le rapporteur. Néanmoins, M. Camara a déploré que le rapport ne comporte pas une partie consacrée aux efforts déployés pour mettre en œuvre les précédentes recommandations du Comité. M. Camara a noté qu'à la lecture du rapport, on constate qu'en ce qui concerne la définition de la torture et l'incrimination des actes de torture, il y a un statu quo. On peut voir des incriminations de certains actes de torture, tels que coups et blessures ou mauvais traitements. Mais, a-t-il souligné, le crime de torture va au-delà et doit être inscrit en tant que tel dans le droit positif marocain. À cet égard, il a demandé si la Convention, depuis son incorporation dans le droit interne marocain, a déjà été invoquée devant un tribunal. En outre, il a demandé si la législation marocaine prévoit des circonstances exceptionnelles qui permettent d'exonérer un auteur d'actes de torture de sa responsabilité pénale ou si l'obéissance à un ordre supérieur peut exonérer un subordonné de cette responsabilité.

S'agissant de l'article 3 relatif à l'interdiction de l'expulsion, du refoulement ou de l'extradition d'une personne vers un État où elle risque d'être soumise à la torture, M. Camara s'est félicité des précisions fournies sur l'extradition mais a souhaité souligner l'importance des notions d'expulsion ou de refoulement. Par ailleurs, s'agissant du jugement de personnes soupçonnées d'un acte de torture, il a demandé ce qui se passe dans le cas d'un étranger résidant au Maroc et accusé d'actes de torture. Il a également demandé quelle était la position du Maroc au regard des articles 20, 21 et 22, soulignant que malgré les efforts normatifs du Maroc, un grand nombre d'allégations d'actes de torture ont été portés à l'attention du Comité. Le fait que le Comité n'ait pas compétence pour examiner la plainte d'un citoyen marocain pour violation des dispositions de la Convention pose problème, a en outre estimé M. Camara, rappelant que le seul contrôle que peut exercer le Comité et par là, la levée de tout doute sur la sincérité de l'État, passe par la possibilité d'examiner des plaintes. Reconnaissant la volonté de progrès, il a souligné le décalage qui peut exister entre la volonté politique et les efforts normatifs d'une part, et les réalités et pratiques sur le terrain.


MME FELICE GAER, corapporteuse du Comité pour le rapport du Maroc, s'est dite à la fois très encouragée mais aussi inquiète de l'évolution récente de la situation au Maroc. Présentant ses condoléances pour les victimes des attentats du mois de mai dernier, elle a rappelé que la lutte nécessaire contre le terrorisme ne saurait exonérer les États de leurs obligations en matière de protection des droits de l'homme. Mme Gaer s'est inquiétée de l'augmentation des allégations de cas de torture au cours des dernières années ainsi que du maintien en détention de nombreux prisonniers et des arrestations massives à la suite des attentats. Elle s'est également inquiétée de la prolongation du délai de garde à vue alors qu'il est bien connu que c'est au cours de la garde à vue que sont commis la plupart des actes de torture. Elle a par ailleurs demandé des précisions sur la formation des agents de l'État ainsi que du personnel médical aux questions spécifiques de la torture. À cet égard, elle s'est alarmée d'informations selon lesquelles les juges ne demanderaient pas systématiquement d'examen médical en cas d'allégations de torture. Elle s'est en outre dite préoccupée par les méthodes d'interrogatoire tout en se félicitant de la vigueur de la participation des ONG et de leur accès aux prisons. Elle a en particulier demandé si les allégations rapportées par les ONG ont fait l'objet d'enquêtes. S'agissant des cas de décès en prison, elle a souligné la différence entre les chiffres présentés dans le rapport et ceux rapportés par Amnesty International et demandé si tous les décès en prison font l'objet d'une autopsie, comment l'impartialité des commissions est garantie et quelle a été la suite donnée aux poursuites engagées à Meknès et Errachidia, notamment.

Se félicitant des mesures très positives visant à renforcer les institutions chargées de recevoir les plaintes, Mme Gaer a néanmoins déploré que les procédures d'enquête ne soient pas toujours impartiales ou menées à leur terme et a en particulier demandé combien de personnes de la Direction de la sûreté du territoire (DST) ont été condamnées pour torture. S'agissant des violations passées et des personnes disparues, elle a reconnu que le Gouvernement a pris des mesures uniques pour reconnaître la responsabilité de l'État. Toutefois, peu de renseignements ont, en définitive, été fournis aux familles, et les enquêtes n'ont pas été très satisfaisantes. À propos des Sahraouis disparus et d'autres disparitions, elle a demandé si des enquêtes ont été menées et des condamnations prononcées. De même, elle a demandé des informations sur la disparition de Mehdi Ben Barka.

Mme Gaer s'est félicitée des mesures visant à indemniser les victimes mais rappelé la nécessité de poursuivre et punir les auteurs d'actes de torture. Elle a également demandé des informations sur la part d'arbitraire du juge dans l'utilisation d'informations obtenues par la torture ou la contrainte. Revenant sur les attentats de mai dernier, elle s'est inquiété du nombre d'arrestations et demandé quelles formes de garanties ont été offertes aux personnes arrêtées et qui, dans de nombreux cas, ont vu leur détention provisoire prolongée.


D'autres membres du Comité ont également posé des questions sur la situation dans les prisons et en particulier sur la situation des mineurs incarcérés et sur les mesures prises pour enquêter et punir les auteurs d'agressions sexuelles ou autres. Certains sont également revenus sur les méthodes d'interrogatoire et sur la formation du personnel médical. Ils ont demandé des précisions sur les garanties et les recours dont disposent les détenus. D'autres se sont en outre déclarés préoccupés par la durée des mises au secret en tant que mesure de punition des détenus.

VOIR CETTE PAGE EN :