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Communiqués de presse

LE PRÉSIDENT DE L'ECOSOC : LA DÉMOCRATISATION EN AFRIQUE EST AFFAIRE DE CULTURE ET DE DÉVELOPPEMENT. ON NE L'IMPOSERA PAS EN MANIANT LE BÂTON ET L'ANATHÈME

06 Juillet 2001



ECOSOC
6 juillet 2001




«On ne peut exiger de l'Afrique une démocratisation uniquement en maniant le bâton et l'anathème. La démocratie, c'est l'enracinement d'une culture à l'échelon des citoyens, mais aussi une affaire de développement», a déclaré M. Martin Belinga-Eboutou, président en exercice du Conseil Économique et Social (ECOSOC), actuellement réuni à Genève.

M. Belinga-Eboutou, qui est ambassadeur du Cameroun aux Nations-Unies à New York, a par ailleurs estimé nécessaire, dans une interview, de «mener une réflexion globale pour endiguer les effets collatéraux des sanctions et embargos sur les populations».

Le diplomate a souligné, en réponse à une question, que «la très grande majorité des pays africains étaient réticents, voire hostiles, au lancement d'un nouveau round commercial, car ils estiment qu'un certain nombre d'engagements qui avaient été pris en faveur des pays les moins développés lors de l'Uruguay Round n'ont pas été tenus».

Interrogé sur la prochaine conférence mondiale sur le racisme (31 août-7 septembre en Afrique du Sud), M. Belinga-Eboutou a reconnu que «l'un des points de blocage porte sur la demande de réparation (modalités de compensation pour l'esclavage) que les pays occidentaux assimilent à une requête anachronique.»

Le Président de l'ECOSOC s'est félicité de l'«accord tarifaire» intervenu avec les grandes firmes pharmaceutiques sur la fourniture de traitements anti-sida, estimant qu'en Ouganda, un des pays du continent le plus atteint, le coût annuel du traitement d'un malade passerait de 12000 à 1000 dollars,

Voici le texte intégral de cette interview :


QUESTION : La nouvelle attitude des grands laboratoires pharmaceutiques donne-t-elle une chance de plus à l’Afrique de lutter efficacement contre le sida ?

RÉPONSE : Les Agences des Nations Unies et les institutions spécialisées dans le domaine de la santé, notamment l’ONUSIDA, l’OMS ou encore l’UNICEF ont en effet conclu un accord tarifaire avec cinq des plus grandes firmes pharmaceutiques du monde productrices de traitements antiviraux. Il s’agit de Boehringer Inghelheim, Bristol Myers Squibb, Glaxo Wellcome, Hoffman La Roche et Merck.

Cet accord devrait permettre à une quarantaine de pays africains sur plus de cinquante d’avoir accès, à des coûts en conformité avec leurs moyens économiques, aux traitements les plus performants contre le sida. C’est-à-dire d’une part aux tris thérapies, d’autre part aux médicaments de traitement des infections associées au VIH.

D’ores et déjà, une vingtaine de pays africains se sont dits intéressés par cette offre. Ces pays vont ainsi bénéficier de réductions substantielles pour soigner leurs malades. L’Ouganda, qui est l’un des pays du continent le plus atteint par le sida fait partie des États qui ont souscrit à l’accord. Les autorités médicales et sanitaires ougandaises estiment que le coût annuel du traitement d’un malade local va ainsi passer de 12000 dollars par an à 1000. Ce qui constitue une dépense plus de dix fois inférieure.

Comme vous le savez, sur les 36 millions de séropositifs à travers le monde, 25 millions sont africains. Autant dire que ce partenariat entre firmes privées pharmaceutiques et institutions publiques internationales au nom de la solidarité médicale est sans conteste une avancée dans la lutte et le traitement de la pandémie du sida en Afrique.

Ces baisses tarifaires ne sont cependant pas suffisantes pour enrayer le fléau. Voilà pourquoi il est impératif que la communauté internationale se mobilise afin de financer le Fonds spécial de l’ONU mis en place à l’initiative du Secrétaire général lors de l’Assemblée extraordinaire des Nations Unies sur le sida et les maladies infectieuses à la fin du mois de juin dernier à New York. Les experts estiment qu’il faudrait rassembler annuellement entre 7 et 10 milliards de dollars au moins sur une décennie pour espérer juguler le sida.

QUESTION : La prise de sanctions contre certains pays a montré ses limites et les premières victimes en sont les populations les plus vulnérables. L’ECOSOC envisage-t-il une action dans ce domaine ?

RÉPONSE : Il est évident que la question des répercussions économiques et sociales, des conséquences humanitaires des sanctions et embargos à l’encontre d’États pris par la communauté internationale, à l’échelon du Conseil de Sécurité des Nations Unies ou par des organisations régionales comme l’Union européenne à l’égard de certains de leurs partenaires des pays ACP impose une réflexion.

Si des sanctions sont décrétées contre des régimes ou pouvoirs qui violent le droit international ou des accords multilatéraux en matière de respect des droits de l’homme et des libertés politiques, en général ce sont les populations qui sont davantage affectées que les dirigeants visés par ces pressions.


Il me semble qu’il est du rôle de l’ECOSOC à la fois de défendre et de promouvoir les valeurs et principes que violent certains pouvoirs et régimes politiques dans le monde, mais également de faire en sorte que ces sanctions ne deviennent pas une sorte de punition collective à l’échelon de la population de tout un État. Si l’on prend le cas de l’Iraq, les accords pétrole contre nourriture ont sensiblement amélioré le sort des populations, mais ils sont loin d’épargner aux populations iraquiennes le sort tragique qui est le leur depuis dix ans. Il faudrait donc mener une réflexion globale à la fois avec des juristes, des économistes et des experts en relations internationales pour endiguer les effets « collatéraux » des sanctions et des embargos sur les populations.

QUESTION : Le fait que l’Afrique soit décidée à prendre le leadership de son propre développement ne risque-t-il pas de réduire plus encore les flux financiers et publics vers le continent ?

RÉPONSE : Même sous notre ère dite de la mondialisation, un des principes fondamentaux de la Charte des Nations Unies est la souveraineté des États. Les Africains sont d’abord responsables de leur avenir. S’ils décident de se concentrer davantage sur leur développement et si leur démarche est crédible, il me semble qu’en cela les partenaires extérieurs seront au contraire bien plus déterminés et motivés pour les épauler.

Cela étant, la conception de l’aide au développement doit être redéfinie. Les pays donateurs ne doivent plus être seuls à définir les plans, programmes et actions en faveur desquels ils accordent des financements. Il est fondamental d’instaurer un partenariat plus actif entre donateurs et bénéficiaires. Des réflexions sont menées pour mettre en place en Afrique des structures sous_régionales de l’aide au développement. Cette orientation, comme d’autres qui sont actuellement débattues, doit cependant garantir la transparence et la bonne utilisation des ressources extérieures en faveur du développement des pays les plus démunis.

QUESTION : Pensez-vous qu’un nouveau round commercial, réclamé par certains, aille dans le sens des intérêts bien compris de l’Afrique ?

RÉPONSE : Les pays africains ont - il me semble - donné la réponse à votre question au cours d’une réunion fin juin dernier à Addis-Abeba au siège de l’Organisation de l’unité africaine. La très grande majorité des pays africains sont réticents, voire hostiles, au lancement d’un nouveau round commercial, car ils estiment qu’un certain nombre d’engagements qui avaient été pris en faveur des pays les moins développés lors de l’Uruguay Round n’ont pas été tenus.

Les Africains demandent d’abord un bilan critique du dernier round avant d’en bâtir un autre. Les points sur lesquels insistent les Africains sont les engagements non tenus en matière d’ouverture commerciale. Par exemple, la difficulté pour l’Afrique d’exporter des produits manufacturés et agricoles vers des marchés extérieurs. Se pose également le problème sur les droits de la propriété intellectuelle et les services. Là aussi les Africains estiment que les aménagements promis lors de l’Uruguay Round en faveur des pays en développement n’ont pas été tenus.

Ces réserves, parmi d’autres, ne sont pas totalement infondées.


QUESTION : Avez-vous le sentiment que « bonne gouvernance, transparence des institutions, démocratisation et respects des lois » soient des objectifs possibles à atteindre sur le continent à court terme ?

RÉPONSE : En somme vous me demandez « est-ce que l’Afrique va s’engager globalement dans un tournant historique synonyme d’État de droit à brève échéance. » Tout d’abord, il faut savoir que l’on n’imprime pas des échéances à l’histoire. L’histoire, y compris politique, imprime son propre rythme, car elle procède d’une combinaison de facteurs complexes.

Pour simplifier, s’il est capital que le processus de démocratisation impulsé en Afrique depuis une dizaine d’années s’illustre très vite par le rejet total de systèmes politiques comme dictature et autres régimes d’exception, l’ensemble des fondements qui répondent à la démocratie vont sans doute s’instaurer progressivement avec plus ou moins de rapidité selon les régions, voire les pays concernés. La démocratie n’est pas seulement l’affaire de gouvernants. C’est aussi l’enracinement d’une culture à l’échelon des citoyens et de l’ensemble des forces vives d’un pays. Enfin, je partage ce point des vues du constitutionnaliste français Maurice Duverger, qui a affirmé que la démocratie, c’est aussi une affaire de pouvoir d’achat. Cela veut dire que la démocratisation en Afrique dépend également de son développement, par conséquent de l’attitude de la communauté internationale. On ne peut exiger de l’Afrique une démocratisation uniquement en maniant le bâton et l’anathème.

QUESTION : Les principes et modalités de compensation pour l’esclavage perturbent la préparation de la Conférence mondiale sur le racisme prévue à Durban, en Afrique du Sud. Comment débloquer la situation selon vous ?

RÉPONSE : Cette Conférence est en effet prévue du 31 août au 7 septembre prochain. La réunion préparatoire du 1er juin dernier à Genève s’est clôturée sans consensus entre les délégués représentant près de 125 États.

Je pense qu’il est hâtif de dire que la Conférence est dans l’impasse. Un groupe restreint de pays, sous la houlette de l’Afrique du Sud, s’est vu confier la tâche de faire des propositions pour précisément débloquer la situation. Une première réunion de ce groupe a eu lieu à Genève du 5 au 15 juin dernier. Une ultime rencontre est prévue, toujours à Genève, du 30 juillet au 10 août prochain. Attendons donc la conclusion de ce processus avant d’esquisser l’échec, l’impasse ou non de Durban.

Il est vrai que l’un des points de blocage porte sur la demande de réparation que les pays occidentaux assimilent à une requête anachronique.

En tout cas, il faut faire tenir cette Conférence mondiale sur le racisme, car elle ne se réduit pas seulement à la mise à plat du passé douloureux de la traite négrière et du joug colonial. Le racisme est un mal universel toujours virulent qui mérite que la communauté internationale s’y penche sereinement.



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