Skip to main content

Communiqués de presse Organes conventionnels

LE COMITÉ POUR L'ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE TIENT UN DÉBAT SUR LA QUESTION DE L'ASCENDANCE

08 août 2002



CERD
61ème session
8 août 2002
Après-midi



Plusieurs ONG témoignent des discriminations
résultant du système des castes



Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale a ouvert cet après-midi une discussion thématique sur le concept d'ascendance et ses conséquences en matière de droits de l'homme. M. Ion Diaconu, Président du Comité pour l'élimination de la discrimination raciale, a rappelé que la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale inclut l'ascendance parmi les motifs de discrimination. Par conséquent, il est demandé aux États parties de veiller à prendre les mesures nécessaires à l'élimination de ce type de discrimination.
Plusieurs représentants d'organisations non gouvernementales ont fait état de discriminations fondées sur l'appartenance à une caste. Ils ont estimé que le système des castes entre bien dans le champ d'application de l'article premier de la Convention. Nombre d'entre eux ont lancé un appel au Comité afin qu'il invite les États parties à prendre les mesures nécessaires pour mettre un terme à ce type de discrimination.
Le représentant de l'Inde est intervenu pour rappeler que, si le système des castes correspond à une tradition séculaire dans son pays, la Constitution indienne condamne toutes pratiques discriminatoires et que le Gouvernement a adopté un nombre important de mesures visant à promouvoir les droits des membres de communautés les plus défavorisées. Il serait contraire à la vérité de prétendre qu'il existerait une institutionnalisation de la discrimination dans son pays, a-t-il déclaré.
Le représentant du Népal a également fait une déclaration pour informer les membres du Comité que la Constitution de son pays interdit toute discrimination fondée sur l'appartenance à une caste.
Quatre membres de la Sous-Commission de la promotion et de la protection des droits de l'homme, Mme Françoise Jane Hampson, M. Asbjørn Eide, M. Soli Jehangir Sorabjee et M. Miguel Alfonso Martínez, ont également participé au débat.
Le Comité poursuivra demain matin, à 10 heures, sa discussion thématique sur le concept de l'ascendance.

Discussion thématique sur le concept de l'ascendance
Le représentant de Lutheran World Federation, au nom de 28 ONG, a déclaré que la discrimination fondée sur l'ascendance est bien un type de discrimination à part entière. Il a attiré l'attention des membres du Comité sur la situation des 250 millions de dalits en Asie du Sud, sur les 3 millions de burakus du Japon, sur les paekjong en Corée et sur un grand nombre de victimes du système des castes en Afrique. Quelles que soient les régions du monde dans lesquels ils se trouvent, ces groupes sont considérés comme «impurs», se voient conférer les tâches les plus dangereuses. Ils sont victimes de ségrégation. Partant, l'orateur a demandé au Comité de traiter de cette question avec toute l'attention qu'elle mérite. Il a invité le Comité à adopter une recommandation encourageant tous les États parties à la Convention à prendre toutes les mesures législatives, administratives, ainsi que toutes mesures d'éducation pour qu'il soit mis un terme à ce type de discrimination.
La représentante de Human Rights Watch a rappelé que son organisation a publié en 2001, un rapport intitulé «Le système des castes : un problème mondial». L'orateur a souligné la singularité de la discrimination fondée sur la caste.
Le représentant du Comité japonais du Mouvement international contre toutes les formes de discrimination a souligné que parmi les plusieurs interprétations possibles du mot ascendance, il faut retenir une acception large, et l'orateur s'est félicité que le Comité ait adopté une telle interprétation.
Le représentant de Dalit Solidarity Peoples a rappelé que le Comité avait estimé lors de l'examen du rapport de l'Inde que la situation des castes et tribus dans ce pays relevait bien de l'application de la Convention. Il y a une grande différence entre la caste et la race. Alors que la notion de race est fondée sur l'origine géographique, la notion de caste est quant à elle fondée sur l'idée d'appartenance religieuse. Et c'est pour cette raison qu'il est si difficile d'éradiquer un phénomène, qui n'est pas visible. L'Inde dispose de textes de lois visant à protéger contre la discrimination, mais le problème demeure dans leur application. L'orateur a déclaré qu'il faudrait trouver les moyens de contraindre le Gouvernement de l'Inde à mettre fin au système des castes. Il a demandé au Comité de travailler de pair avec le Gouvernement indien afin que les lois anti-discriminatoires soient effectivement appliquées.
Le représentant de Ambedkar Centre for Justice and Peace a rappelé que le système des castes repose sur l'idée d'inégalité entre les hommes. Les castes élevées contrôlent le pouvoir politique. Des millions d'enfants travaillent comme esclaves en vertu de ce système. L'orateur a attiré l'attention du Comité sur la situation des dalits qui vivent dans des conditions insupportables en Inde. Le Haut Commissariat devrait suivre de plus près la question de la discrimination fondée sur la caste en Inde. Il a enfin demandé l'application des recommandations adoptées par les différents organes de traités. Si rien n'est fait, a-t-il souligné, c'est la sécurité même de la région qui se trouvera menacée.
Le représentant de la Campagne nationale pour les droits de l'homme des dalits a rappelé que ce sont les systèmes de sanctions juridiques et religieuses qui permettent aux castes des perdurer. Dans le système des castes, c'est la naissance qui est à l'origine de la discrimination, a-t-il souligné. Le système des castes a pu se maintenir grâce au poids de la religion et en dépit des interdictions formulées par la loi et la constitution. Les mesures législatives et réglementaires ne sont pas respectées. L'orateur a invité le Comité a proclamer clairement que le système des castes est la principale forme de discrimination fondée sur l'ascendance.
La représentante du South Asia Human Rights Documentation Centre a attiré l'attention du Comité sur le fait que le document final de la Conférence de Durban ne se réfère malheureusement pas à la discrimination fondée sur la caste. La discrimination fondée sur la caste pose des questions qui relèvent davantage de la volonté politique des États concernés d'y mettre un terme que de problèmes juridiques. Des textes protecteurs existent mais la question de leur mise en œuvre reste posée.
Le Président de la Fédération des ONG des dalits népalais a attiré l'attention du Comité sur les discriminations dont font l'objet les dalits au Népal. Il a déclaré avoir cessé d'utiliser son véritable nom pour éviter d'être exposé à ces discriminations. L'orateur a souligné qu'en dépit de la ratification par le Népal d'instruments relatifs aux droits de l'homme, la discrimination fondée sur l'ascendance est quotidienne dans ce pays. Il a ajouté que les dalits ont le taux d'alphabétisation le plus bas du Népal. La discrimination fondée sur la caste relève en effet de la discrimination fondée sur l'ascendance, a-t-il souligné.
Le représentant de Human Development Organization a attiré l'attention du Comité sur les discriminations dont sont victimes les Tamouls d'origine indienne au Sri Lanka. L'orateur a déclaré que les Tamouls d'origine indienne sont devenus des apatrides. Le Sri Lanka et l'Inde ont signé des accords sur ce problème d'apatridie, mais les personnes concernées n'ont pas été consultées, et 250 000 tamouls d'origine indienne sont encore apatrides. Les descendants des Tamouls indiens continuent de faire l'objet de discriminations en termes de droits politiques, mais également en ce qui concerne l'accès aux services publics. L'orateur a souligné que les mesures prises par le Sri Lanka pour remédier aux problèmes des groupes les plus marginalisés, mais une législation appropriée reste encore à définir.
Le représentant de la Buraku Liberation League a déclaré que la communauté buraku vit au Japon dans des conditions très difficiles. L'orateur a informé le Comité des discriminations dont il a pu faire l'objet au cours de sa vie. Il a appelé de ses vœux l'adoption d'une résolution en vue d'assurer la promotion des droits des burakus. L'orateur s'est félicité que le Comité ait considéré, lors de son dernier examen du rapport du Japon, que les burakus entraient bien dans le cadre de la discrimination fondée sur la descendance.
La Directrice du Mouvement international contre toutes les formes de discrimination et Présidente du Tamil Nadu Women's Forum a attiré l'attention sur les violences et les discriminations subies par les femmes dalit. Elle a dénoncé la violation de leurs droits économiques et sociaux. La législation protectrice des droits des dalits n'est pas appliquée, a-t-elle affirmé. Les humiliations devant les personnes de castes supérieures se poursuivent. À titre d'exemple, la représentante a cité le cas d'une femme décédée en arrivant à l'hôpital parce que les médecins, membres d'une caste supérieure, refusaient de la toucher. La représentante a déclaré que la question de la discrimination à l'encontre des dalits doit recueillir toute l'attention nécessaire de la part de la communauté internationale.
La représentante de la Fédération nationale des femmes dalit a déclaré que la discrimination fondée sur l'ascendance entraîne l'exclusion sociale. Elle s'est félicitée que le Comité reconnaisse que le système des castes entre dans le champ d'application de l'article premier de la Convention qui vise la discrimination fondée sur l'ascendance. La représentante a souligné la difficulté d'accès à la justice pour les femmes dalit. Elle a également dénoncé l'insuffisance des garanties de protection législatives et l'absence de volonté politique de mettre un terme aux discriminations. L'appartenance à une caste est déterminée par la naissance et elle est donc irréversible. La représentante a déclaré que la discrimination en fonction de la caste requiert une action positive de la part de la communauté internationale.
Mme Hajamma Sandanakoti a témoigné de toutes les discriminations dont elle a été victime en raison de son appartenance à la communauté dalit. «J'ai été contrainte de me marier avec un homme qui a abusé de moi, a-t-elle affirmé. On nous incite à la prostitution et j'ai aujourd'hui de nombreux problème de santé. J'ai un fils qui ne peut pas revendiquer sa filiation à l'égard de son père car il serait victime d'humiliations». La loi interdit désormais ce type de discriminations mais elles se perpétuent grâce à des complicités au sein de l'administration, a-t-elle estimé. Mme Sandanakoti a lancé un appel aux membres du Comité afin qu'ils prennent les mesures nécessaires pour que les femmes ne soient plus enrôlées dans des systèmes de prostitution forcée.
La représentante de Vedika a fait état des discriminations dont ont été victimes deux femmes dalit vivant dans le sud de l'Inde. Des discriminations constantes qui sont le fait de personnes appartenant à des castes dominantes. Elle a insisté sur le fait que plus les dalits seront indépendants au plan économique, plus leurs droits seront respectés. La représentante a souligné la nécessité pour la communauté internationale d'exercer des pressions sur l'administration indienne afin qu'elle applique effectivement les dispositions protectrices contenues dans la constitution et les lois. En conclusion de son intervention la représentante a demandé l'adjonction du mot «caste» à l'article 1er de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Elle a également insisté sur la nécessité de favoriser le développement économique des dalits.
La représentante de la Commission népalaise des dalits a déclaré que les dalits au Népal sont victimes d'un grand nombre de discriminations politiques, économiques et sociales. La vie des femmes dalit n'est qu'une longue litanie de souffrances et de douleurs. Leur espérance de vie est de 42 ans, a souligné la représentante. L'accès à certains lieux leur est interdit. Par ailleurs, on refuse tout droit de propriété aux dalits. Les dalits sont analphabètes à plus de 80% et sur les deux millions de femmes dalit au Népal, seules une dizaine sont diplômées. La représentante a demandé au Comité faire reconnaître les droits des femmes dalit.
Le représentant de la Society of Development People for Social Justice, a dénoncé les discriminations subies par les dalits au Rajastan. Il a déclaré que les crimes commis contre les dalits restent impunis. L'orateur a affirmé qu'il est quasiment impossible, dans les faits, de porter plainte en cas d'atteinte à leurs droits. Il a évoqué le cas d'un jeune dalit qui a osé prendre un bain dans un endroit réservé à des castes supérieures. Il a écopé d'une amende de 51 000 roupies. Les recours exercés par l'intéressé ne lui ont pas permis d'obtenir l'annulation de sa peine. L'orateur a demandé au Comité de faire connaître au monde la situation désespérée des dalits.
La représentante de Dalit Human Rights Watch a déclaré que les aides au développement sont l'occasion de nouvelles discriminations. Les processus de développement ont eu pour effet de renforcer les discriminations parce que la caste est un système de relations sociales. Il faut garantir d'urgence l'accès des dalits aux mécanismes internationaux de protection des droits de l'homme pour mettre fin à ce système discriminatoire.
Le représentant de la Rencontre africaine pour la défense des droits de l'homme (RADDHO -Sénégal) a lancé un appel au Comité afin qu'il favorise l'éveil des consciences au problème des castes.
Le représentant de SAFRAD-Somali Association for Relief and Development a souligné que le système des castes se perpétue en Somalie depuis des siècles et fait partie intégrante de la société. Cette pratique perdure encore aujourd'hui faisant des personnes appartenant aux castes les plus basses des impurs. Pour eux les humiliations et les discriminations sont sans fin.
Le Professeur Victor Dike, du Nigéria, a attiré l'attention des membres du Comité sur la situation des Osu, peuple sacrifié vivant au Nigéria. Si vous êtes né Osu vous mourrez Osu, a souligné l'orateur. Il a dénoncé la négation des droits humains des Osu. Le Gouvernement n'accorde pas l'attention que mérite la situation de cette communauté. Les Osu sont en train de mourir en silence. L'orateur a lancé un appel aux Nations Unies afin qu'elles mettent un terme au système des castes au Nigéria.
Le représentant de Timidria a déclaré que le système des castes est pratiqué dans son pays, le Niger, ou cohabitent une dizaine d'ethnies. Il a ainsi souligné que lors des mariages, des enquêtes sur l'ascendance des futurs mariés sont ordonnées par les pouvoirs publics. L'orateur a dénoncé la division de la société en castes.
Le représentant du Centre for Minoritiy Rights Development a déclaré que le système des castes concerne un grand nombre de personnes au Kenya. Il a estimé que l'on peut, dans une certaine mesure, apparenter le système des castes a une forme moderne d'esclavage. L'orateur a lancé un appel au Comité afin qu'il évalue l'importance du phénomène des castes en Afrique. Il a demandé aux gouvernements africains de bien vouloir adopter et mettre en œuvre des législations spécifiques permettant de lutter contre les discriminations liées au système des castes. Il a enfin demandé au Comité de rechercher de tels cas de discrimination lors de son examen de rapports présentés par des pays africains.
Le représentant de l'Inde a reconnu que la pratique odieuse de «l'intouchabilité» se perpétue depuis plus de 3000 ans. Toutefois, il a rappelé que la Constitution indienne condamne ces pratiques et que l'Inde a adopté un nombre important de mesures visant à promouvoir les droits des membres de communautés les plus défavorisées. L'Inde dispose d'un système très perfectionné de discrimination positive qui prévoit notamment l'octroi de postes élevés de l'administration. Le représentant a souligné que le taux d'alphabétisation des castes a augmenté plus rapidement que pour le reste de la population.
Le système des castes en Inde est une tradition séculaire contre laquelle il est difficile de lutter. Mais il serait contraire à la vérité de prétendre qu'il existe une institutionnalisation de la discrimination en Inde. Le représentant indien a enfin estimé, que contrairement aux vues exprimées par les membres du comité le système des castes ne relève pas de l'article premier de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale et par conséquent ne relève pas de la compétence du Comité.
Le représentant du Népal a rappelé que la Constitution de son pays interdit toute discrimination fondée sur l'appartenance à une caste. Le Gouvernement népalais fait tout son possible pour préserver les droits des groupes les plus défavorisés. Des programmes sont mis en œuvre pour améliorer la situation socioéconomique des «intouchables». En 2001, le Premier Ministre a rappelé que les personnes appartenant aux castes défavorisées ne pouvaient se voir refuser l'accès à des lieux de culte.
Mme Françoise Jane Hampson, membre de la Sous-commission de la promotion et de la protection des droits de l'homme, a déclaré que, contrairement à ce qu'a pu affirmer le représentant de l'Inde, le système des castes relève bien de la compétence du Comité. C'est en raison de leur naissance même que ces personnes vont être victimes de discrimination. Elle a par ailleurs affirmé que le problème de la discrimination en raison de l'ascendance ne se pose pas uniquement dans le sous-continent indien. Elle a appelé de ses vœux la réalisation d'une étude sur la portée de ce phénomène dans le monde. Revenant à la situation en Inde, elle s'est dite frappée de voir que malgré de nombreuses lois protégeant les dalits, ces derniers ont de grandes difficultés à obtenir gain de cause. Sans doute n'existe-t-il pas de pression de la part des pouvoirs publics sur les fonctionnaires réticents à appliquer les textes protecteurs.
M. Asbjørn Eide, membre de la Sous-commission, a déclaré que les problèmes de discrimination fondés sur la caste ne se posent pas uniquement sur le sous-continent indien. C'est parce qu'il relève de traditions ancestrales que le système des castes perdure. Dans ce contexte, il est souhaitable que le Comité se penche sur cette question afin de provoquer un éveil des consciences.
M. Soli Jehangir Sorabjee, membre de la Sous-commission, s'est demandé comment dans un pays comme l'Inde, dont la constitution contient autant de dispositions antidiscriminatoires, les problèmes subsistent. Cela s'explique par des siècles de pratiques sociales, fondées sur des considérations religieuses. C'est vrai, a reconnu M. Sorabje, il existe en Inde une «inflation législative» qui ne s'accompagne pas toujours des effets souhaités. Le temps, l'éducation permettront peu à peu de mettre fin à ces notions de castes élevées ou de castes basses. M. Sorabje a enfin indiqué que si les dalits font toujours l'objet de discriminations, des progrès ont été réalisés. Il a ainsi rappelé que des dalits siègent à la cour suprême de l'Inde et que l'Inde a eu par le passé un président dalit.
M. Miguel Alfonso Martínez, membre de la Sous-commission, a déclaré que le système des castes, contrairement à ce que l'on pourrait penser, n'est pas le fait d'un seul pays, à savoir, l'Inde. Le débat sur ce type de discrimination ne doit pas être l'occasion de stigmatiser un pays. C'est une dérive qu'il convient absolument d'éviter, a estimé M. Alfonso Martínez.



* *** *

VOIR CETTE PAGE EN :