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Communiqués de presse Organes conventionnels

LE COMITÉ POUR L'ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE ACHÈVE SON DIALOGUE AVEC LA DÉLÉGATION DE CÔTE D'IVOIRE

13 Mars 2003



CERD
62ème session
13 mars 2003
Matin




Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale a achevé, ce matin, son dialogue avec la délégation de la Côte d'Ivoire sur la base du rapport périodique de ce pays. À l'issue de ce dialogue, le rapporteur du Comité pour l'examen du rapport ivoirien, M. Mohamed Aly Thiam, a notamment constaté que la Côte d'Ivoire a créé de nombreuses institutions et de nombreux services qui témoignent de la volonté du pays de donner effet aux mesures de mise en œuvre des droits de l'homme. Des questions demeurent néanmoins quant à l'insuffisance, voire l'inefficacité, de certains textes à couvrir les exigences de la Convention, notamment pour ce qui est de l'incrimination de certains aspects de la discrimination, ainsi qu'en ce qui concerne le caractère sensible de certaines dispositions constitutionnelles qui ont fait l'objet de manipulations xénophobes.
Dirigée par Mme Victorine Wodié, Ministre déléguée aux droits de l'homme de la Côte d'Ivoire, la délégation ivoirienne a répondu aux questions posées hier par les membres du Comité s'agissant notamment des questions de nationalité; des disparités régionales; du charnier de Yopougon; des questions relatives au domaine foncier rural; ainsi que des questions relatives aux médias. La délégation a souligné que la nomination du nouveau Gouvernement de la Côte d'Ivoire doit intervenir ce midi.
Mme Wodié a souligné que, contrairement à ce que veulent faire croire les rebelles, la situation que connaît le pays n'a rien à voir avec l'exclusion, la xénophobie ou l'ivoirité. Cette situation relève d'un problème d'ambition politique, de lutte pour l'accès au pouvoir, a-t-elle insisté. L'institution d'une carte de séjour pour les étrangers résidant dans le pays et la manière dont est appréhendée la question de la nationalité ne constituent pas une exception dans le monde, a-t-elle fait observer, assurant que la Côte d'Ivoire demeure encore, malgré la turbulence qu'elle traverse, une terre de fraternité.
Les membres suivants du Comité ont pris la parole dans le cadre de l'examen du rapport ivoirien: MM. Agha Shahi, Nourredine Amir, Alexandre Sicilianos, Régis de Gouttes, Ion Diaconu.
En fin de séance, le Comité a examiné des questions relatives à ses méthodes de travail.
Le Comité entamera, cet après-midi, à 15 heures, l'examen du cinquième rapport périodique de la Slovénie (CERD/C/398/Add.1).

Fin de l'examen du rapport de la Côte d'Ivoire
La délégation ivoirienne, par la voix de Mme Victorine Wodié, Ministre déléguée aux droits de l'homme de la Côte d'Ivoire, a rappelé que la Côte d'Ivoire est une terre d'accueil comme cela est souligné dans son hymne national. Contrairement à ce que veulent faire croire les rebelles, la situation que connaît le pays n'a rien à voir avec l'exclusion, la xénophobie ou l'ivoirité, a souligné Mme Wodié. Cette situation relève d'un problème d'ambition politique, de lutte pour l'accès au pouvoir, a insisté la Ministre déléguée. S'agissant des événements du 19 septembre 2002, certains parlent d'une mutinerie; or une mutinerie consiste à contester ouvertement et collectivement l'autorité à laquelle on est assujetti, a poursuivi Mme Wodié. Or en l'espèce, peut-on sérieusement dire que planifier l'assassinat de ministres de la République et violer des femmes corresponde à cette définition, a interrogé la Ministre déléguée? Les mercenaires des mouvements rebelles qui se trouvent à Bouaké font-ils seulement partie de l'armée ivoirienne, a-t-elle insisté? La communauté internationale se rend bien compte qu'il s'agit de bien autre chose que d'une mutinerie, a-t-elle poursuivi. Toutes les causes invoquées par les rebelles (nationalité, code foncier rural, concept d'ivoirité) n'ont pas été retenues à Linas-Marcoussis comme facteurs susceptibles d'entraîner une guerre, a souligné Mme Wodié. L'institution d'une carte de séjour pour les étrangers résidant dans le pays et la manière dont est appréhendée la question de la nationalité ne constituent pas une exception ivoirienne et correspondent à des règles admises en maintes autres parties du monde, a souligné la Ministre déléguée aux droits de l'homme. De plus, avec l'un des taux d'immigration les plus élevés du monde (26% d'étrangers sur son sol), la Côte d'Ivoire ne saurait être qualifiée de pays xénophobe, a-t-elle fait observer. La Côte d'Ivoire accorde aux étrangers les droits les plus étendus, a assuré la Ministre déléguée.
S'agissant de la politique d'identification de la population, la délégation a indiqué que la loi n°98-778 du 4 août 1998 relative à l'identification des personnes et au séjour des étrangers en Côte d'Ivoire affichait comme prétention de corriger la loi précédente en la matière en prenant en compte toute la population vivant sur le territoire ivoirien et en mettant en place des structures opérationnelles plus efficaces d'établissement des titres d'identité. Elle avait pour objectif principal de procéder à un recensement fiable de la population à l'effet d'apprécier de manière plus pointue les besoins en matière de santé, d'éducation, d'investissement pour mieux sécuriser les personnes et les biens. Le Centre national d'identification sécuritaire (CNIS) mis en place en tant que structure opérationnelle de mise en œuvre de cette loi sera soupçonné de servir la cause électorale de chaque pouvoir pour distribuer à son électorat potentiel ou supposé des cartes nationales d'identité en vue de fondre une liste électorale captive ou frustrer l'électorat adverse par le non-établissement de ses cartes de nationalité. D'ailleurs, le croisement du fichier de ce Centre au niveau des cartes de séjour et du fichier électoral de l'Institut National de la Statistique révèlera l'existence de plus de 100 000 électeurs détenteurs d'une carte de séjour et donc des étrangers.
Lorsque M. Laurent Gbagbo accède au pouvoir, le Gouvernement introduit au Parlement un projet de loi qui ambitionne alors de corriger les imperfections des dispositions législatives et réglementaires précédentes, a poursuivi la délégation. Votée en janvier 2002, la loi 2002-3 relative à l'identification des personnes et au séjour des étrangers en Côte d'Ivoire apparaît dans un contexte de tension sociopolitique post-électorale après les élections présidentielles de l'an 2000. Afin de réussir sa mission de réorganisation de l'État civil, de délivrance de titres d'identité aux nationaux et aux étrangers et de suivi des migrations, l'Office national d'identification (ONI) créé en février 2001 a sollicité les services d'un concessionnaire: la Société ivoirienne de télécommunications (SITEL), a en outre rappelé la délégation. Elle a affirmé que «la volée de bois vert» dont fait l'objet la politique d'identification mise en place en Côte d'Ivoire est surprenante . «La morale internationale qui, au fil de l'histoire de l'humanité, s'est forgée une sainte horreur de toute forme de ghettoïsation, de catégorisation de tout individu ou tout groupe d'individus, a été prise au dépourvu dans sa bonne foi par une campagne de diabolisation d'une opération somme toute banale, normale, de recensement, d'identification de sa population par un État moderne et souverain», a poursuivi la délégation. La Côte d'Ivoire, dont on a tant vanté la philosophie d'hospitalité et la tradition d'accueil, se retrouve malheureusement au banc des accusés de xénophobie, d'exclusion d'une partie de sa population, a-t-elle déploré. Et pourtant, malgré cette guerre et ce faux procès relayé par de puissants médias internationaux, sur les quatre millions d'étrangers recensés en Côte d'Ivoire, l'on n'en compte pas encore plus de 500 000 qui seraient partis, a fait valoir la délégation. La Côte d'Ivoire demeure encore, malgré la turbulence qu'elle traverse, une terre de fraternité, a-t-elle insisté.
En Côte d'Ivoire, c'est le droit du sang qui s'applique, a rappelé la délégation. Il est néanmoins possible d'acquérir la nationalité ivoirienne par naturalisation, par adoption ou par le mariage, a-t-elle indiqué. Pour devenir Ivoirien, il suffit que l'un des parents soit Ivoirien, fut-il naturalisé, et ce quel que soit le lieu de naissance. La délégation a précisé qu'après cinq ans, l'étranger qui a acquis la nationalité ivoirienne ne peut être élu que pour les élections municipales et régionales, les législatives et les présidentielles n'étant ouvertes qu'aux seuls Ivoiriens d'origine, conformément au code électoral et à la Constitution du 1er août 2000. L'étranger naturalisé jouit des mêmes droits que les Ivoiriens d'origine, a assuré la délégation, faisant valoir qu'il a donc accès à la fonction publique ouverte aux seuls Ivoiriens. Elle a par ailleurs rappelé qu'en l'état actuel du droit international, les questions de nationalité sont considérées comme relevant du domaine réservé des États.
Certains experts s'étant inquiétés hier du taux d'analphabétisme des étrangers, la délégation a expliqué que le taux d'analphabétisme de 34% relevé parmi la population étrangère est le fait d'adultes jeunes non lettrés venant en Côte d'Ivoire en quête d'emplois et, d'autre part, de travailleurs saisonniers recrutés dans les exploitations agro-industrielles de canne à sucre et de coton.

En ce qui concerne les disparités régionales en Côte d'Ivoire, la délégation a affirmé que le clivage nord-sud s'explique principalement par des raisons économiques liées à l'histoire du pays. En effet, les zones forestières de la moitié sud sont plus prospères parce que favorables aux cultures de rente introduite par le colonisateur (café, cacao, palmier à huile, hévéa).
En outre, il y a plus de mosquées au sud qu'au nord et il est donc inexact de dire qu'en Côte d'Ivoire il y a un nord musulman et un sud chrétien, a souligné la délégation.
S'agissant du charnier de Yopougon, la délégation a déclaré qu'à ce jour, les victimes (à l'exception de dix d'entre elles) n'ont pu être identifiées. Il est donc hasardeux de leur attribuer une ethnie (malinké) et encore moins une religion, a dit la délégation. Une enquête a été diligentée qui a conduit à l'inculpation de huit gendarmes, lesquels ont été acquittés, a-t-elle indiqué. Conformément aux engagements pris par le Chef de l'État lors du forum pour la réconciliation nationale, une nouvelle enquête a été ouverte et des magistrats dégagés de toute autre obligation ont été spécialement désignés pour la conduire, a indiqué la délégation. «Nous sommes dans l'attente des résultats de cette enquête», a-t-elle précisé.
En ce qui concerne les questions relatives au domaine foncier rural, la délégation a souligné que l'intérêt de la réforme initiée dans ce domaine par une loi du 23 décembre 1998 votée à l'unanimité, est de rendre plus cohérent un système de textes épars qui était source de complications. En réalité, «le nouveau domaine foncier ivoirien protège les possesseurs étrangers de bonne foi», en les protégeant contre les autochtones indélicats qui leur vendaient ou leur louaient des terres sans en être propriétaires et en dehors des procédures légales.
S'agissant des questions relatives aux médias, la délégation a reconnu qu'il est arrivé aux autorités publiques de constater que certains articles de presse de journaux aux lignes éditoriales pourtant opposées ont assez souvent violé la déontologie de la presse. Cette situation peut s'expliquer, d'une manière générale, par l'interprétation abusive que font certains journalistes de l'engagement du Chef de l'État de ne jamais poursuivre un journaliste pour diffamation, conformément à sa philosophie de la liberté de la presse. «Dès lors, conformément aux dispositions de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, nous prenons l'engagement, dorénavant, de poursuivre les auteurs de délits de presse en Côte d'Ivoire», a déclaré la délégation.
En novembre 2000, un rapport d'experts a mis en relief l'existence d'un trafic d'armes dans la sous-région ouest-africaine, a rappelé la délégation qui a en outre souligné que, dans le cadre de la crise ivoirienne, les ingérences étrangères ont été fortement condamnées par divers pays et institutions, dont la France, «notre ami de toujours».
La délégation a souligné que la nomination du nouveau Gouvernement de la Côte d'Ivoire est attendue incessamment et devrait intervenir ce midi.
Le rapporteur du Comité pour l'examen du rapport ivoirien, M. Mohamed Aly Thiam, a remercié la délégation ivoirienne pour la franchise, la sérénité et le courage avec lesquelles elle a abordé les divers défis auxquels est confrontée la Côte d'Ivoire. Il s'est en outre réjoui de la reprise du dialogue entre la Côte d'Ivoire et le Comité. Il a constaté que la Côte d'Ivoire a créé de nombreuses institutions et de nombreux services, au nombre desquels figurent, entre autres, le Ministère délégué aux droits de l'homme, la Commission nationale des droits de l'homme et le Médiateur de la République, qui témoignent de la volonté du pays de donner effet aux mesures de mise en œuvre des droits de l'homme. À cela, il convient d'ajouter l'abolition de la peine de mort. Des questions demeurent néanmoins quant à l'insuffisance, voire l'inefficacité, de certains textes à couvrir les exigences de la Convention, notamment pour ce qui est de l'incrimination de certains aspects de la discrimination; ainsi que quant au caractère sensible de certaines dispositions constitutionnelles qui ont fait l'objet de manipulations xénophobes. M. Thiam a par ailleurs déploré l'impossibilité pour les citoyens ivoiriens d'invoquer directement les dispositions de la Convention devant les tribunaux nationaux ou de saisir le Comité au titre de l'article 14 de la Convention (communications). Le rapporteur a par ailleurs proposé à la Côte d'Ivoire de recourir à l'assistance du Haut-Commissaire aux droits de l'homme pour l'élaboration de ses rapports.



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