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LE COMITÉ DES DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS TIENT UN DÉBAT SUR LE DROIT À L'EAU

22 Novembre 2002



CESCR
29ème session
22 novembre 2002



Il entend le Rapporteur spécial sur le droit à l'eau,
le Rapporteur spécial sur le droit à l'alimentation et
le Rapporteur spécial sur le droit au logement



Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a tenu aujourd'hui un débat préliminaire sur le droit à l'eau en vue de l'adoption, mardi prochain, d'un projet d'observation générale sur la question.
Rappelant que les Nations Unies ont proclamé 2003 Année internationale de l'eau, un représentant du Japon a souligné que le troisième Forum mondial sur l'eau ainsi que la Conférence ministérielle sur l'eau de mars 2003 se dérouleront à Kyoto, où l'accent sera mis sur les aspects politiques de la gestion de cette ressource vitale.
Au cours du débat, il a été rappelé que plus d'un milliard de personnes à travers le monde n'ont pas accès à l'eau potable et que plus de quatre milliards n'ont pas accès à des conditions sanitaires satisfaisantes. D'ici 2025, trois milliards d'individus souffriront de pénurie en eau, a rappelé le Rapporteur spécial sur le droit à l'eau de la Sous-Commission de la promotion et de la protection des droits de l'homme, M. El-Hadji Guissé.
Parmi la dizaine d'intervenants qui ont fait part de leurs points de vue concernant le droit à l'eau, plusieurs ont estimé que la question de l'assainissement devrait être pleinement prise en compte dans le cadre d'une observation générale du Comité sur le droit à l'eau. Un bon assainissement est un préalable indispensable à l'accès à l'eau potable, a souligné le représentant de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). La nécessité de définir précisément la portée du droit à l'eau a été maintes fois soulignée.
À l'instar du Rapporteur spécial sur le droit au logement, M. Miloon Khotari, plusieurs orateurs ont affirmé que l'eau devait être considérée comme une ressource collective. Le Comité devrait affirmer très clairement que l'eau est un bien public, d'une part parce que c'est la réalité (l'eau appartient à tous, comme l'air) et d'autre part parce que cela revient à dire que les États ont des devoirs et des obligations à l'égard de ce bien public, a déclaré un membre du Comité. Cet expert a estimé que la privatisation de l'eau comporte plus d'inconvénients que d'avantages, ne serait-ce que parce qu'elle a pour conséquence inéluctable de faire monter les coûts. Un autre expert a dénoncé le comportement des gouvernements et des municipalités qui, trop souvent, n'informent pas les itoyens-consommateurs et les laissent dans l'ignorance des clauses des conventions de privatisation des services d'approvisionnement en eau. Un intervenant a préconisé que le projet d'observation générale du Comité énonce clairement qu'aucune forme de privatisation ne devrait avoir pour conséquence une quelconque réduction des possibilités d'accès à l'eau. Il faudrait en outre assurer que l'accès à l'eau ne se limite pas aux seuls individus qui ont les moyens financiers de se fournir cette ressource, a-t-il été souligné.
L'Accord général sur le commerce des services (AGCS) n'exige aucune privatisation ni aucune déréglementation de quelque service que ce soit, a pour sa part assuré la représentante de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). À ce jour, aucun pays n'a accepté d'engagement en vertu de l'AGCS pour le secteur de l'eau, a-t-elle affirmé. Selon le représentant de la Banque mondiale, dire que l'eau devrait être gratuite n'est pas le bon message à transmettre. Pour atteindre les objectifs fixés en matière de promotion de l'accès à l'eau potable, il faudrait, selon les estimations, 180 milliards de dollars, a indiqué ce représentant.
M. Jean Ziegler, Rapporteur spécial sur le droit à l'alimentation, a rappelé que dans son premier rapport à la Commission des droits de l'homme, il avait demandé que son mandat soit étendu à l'étude de l'eau, ce qui a été accepté.
Outre les intervenants déjà mentionnés, ont pris part au débat un représentant du Haut-Commissariat aux droits de l'homme, un représentant de la compagnie Suez (énergie, eau, communication) ainsi que des représentants de l'Institut de santé publique de Calcutta; du Centre on Housing Rights and Evictions (COHRE - «Centre pour les droits au logement et contre les expulsions»), de l'Association américaine pour le progrès de la science, de FIAN-International pour le droit à se nourrir, de l'Organisation mondiale contre la torture et de la Fédération internationale des ligues de droits de l'homme.
Plusieurs membres du Comité, y compris le rapporteur pour le projet d'observation générale sur le droit à l'eau, M. Eibel Riedel, sont également intervenus.
En fin de journée, le Comité a par ailleurs entendu des déclarations des rapporteurs spéciaux sur le droit au logement et sur le droit à l'alimentation. Le premier, M. Miloon Khotari, a notamment indiqué que le prochain rapport qu'il présentera la Commission des droits de l'homme met l'accent sur les objectifs de la Déclaration du Millénaire du point de vue de la réduction du nombre de personnes vivant dans des taudis et des questions d'eau et d'assainissement. M. Khotari a précisé qu'il prépare aussi pour l'an prochain un rapport sur la question des femmes et du droit au logement. Il a également annoncé qu'il se rendrait aux Philippines au mois de février prochain, puis au Pérou le mois suivant et ensuite au Brésil et au Kenya.
Le Rapporteur spécial sur le droit à l'alimentation, M. Jean Ziegler, a pour sa part affirmé que le Sommet mondial sur l'alimentation a Rome a été un échec à bien des égards, du fait que les dirigeants des pays du Nord étaient généralement absents, de sorte qu'un véritable dialogue n'a pu s'instaurer. À Rome, pourtant, chacun est convenu que, du point de vue de la lutte contre la faim, le bilan est catastrophique puisque si l'on veut réduire de moitié la faim dans le monde, il faut désormais regarder au-delà de la première moitié du troisième millénaire, a déploré M. Ziegler.
Le Conseiller spécial sur la question des institutions de droits de l'homme au Haut Commissariat aux droits de l'homme a également fait une brève déclaration.
Le Comité consacrera la journée du mardi 26 novembre à l'examen et à l'adoption de son projet d'observation générale sur le droit à l'eau.

Aperçu du débat sur le droit à l'eau
M. EIBE RIEDEL, membre du Comité et rapporteur pour le projet d'observation générale sur le droit à l'eau, a rappelé que par le passé, la question de l'eau a été mentionnée dans les observations générales que le Comité a adoptées s'agissant du droit à l'alimentation et du droit au logement. Pour sa part, le Comité a entrepris, dans le cadre de la rédaction de la présente observation générale sur le droit à l'eau, de traiter de cette question sous l'angle de ses implications pour l'individu et non pour l'État partie.
M. WATANABE MASURU (Japon) a souligné le rôle crucial de la coopération internationale pour la promotion des droits économiques, sociaux et culturels, même s'il est vrai que la réalisation de ces droits incombe avant tout aux États. Le thème de l'eau a été l'un des grands sujets de discussion à la récente Conférence de Johannesburg sur le développement durable et le sera également lors du prochain Sommet du G8 qui doit se tenir en juin 2003 à Évian (France). Le gouvernement japonais a récemment annoncé, en coopération avec les États-Unis, l'initiative «Eau propre pour tous» qui vise à réduire de moitié, d'ici 2015, le nombre de personnes n'ayant pas accès à l'eau potable à travers le monde. Les Nations Unies, pour leur part, ont fait de l'année 2003 l'Année internationale de l'eau, a rappelé le représentant japonais. Dans ce contexte, le troisième Forum mondial sur l'eau et la Conférence ministérielle sur l'eau de mars 2003 se dérouleront à Kyoto, a-t-il indiqué, précisant en outre que cette Conférence insistera sur les aspects politiques de la gestion de l'eau.
M. JAMES BARTRAM (Organisation mondiale de la santé- OMS) a rappelé que la Constitution de l'OMS parle du droit aux normes de santé les plus élevées possibles. Il a également rappelé que l'eau est essentielle à la survie même de l'humanité. L'absence d'un accès fiable à l'eau potable limite l'exercice du droit à la santé, a-t-il fait observer. Chaque année 3,9 millions de décès sont dus à une mauvaise santé associée à une mauvaise gestion de l'eau. En outre, 1,1 milliard de personnes dans le monde n'ont pas accès à ne serait-ce qu'une source améliorée d'eau potable. (par source améliorée on entend pourtant même un puit protégé situé à une demi-heure du domicile). Un bon assainissement est un préalable indispensable à l'accès à l'eau potable, a d'autre part rappelé le représentant. Énormément de maladies sont associées à l'absence d'assainissement, a-t-il insisté. Il a souligné que ce sont les enfants qui souffrent le plus de maladies associées au manque d'accès à l'eau.
M. EL-HADJI GUISSÉ, Rapporteur spécial sur le droit à l'eau de la Commission des droits de l'homme, a rappelé qu'il en est actuellement à la rédaction de son rapport intermédiaire concernant la question du droit à l'eau. M. Guissé a précisé qu'il a déjà mis l'accent sur le caractère indispensable de l'eau pour la vie de tout un chacun. Plus d'un milliard de personnes n'ont toujours pas accès à l'eau potable et plus de quatre milliards n'ont toujours pas accès à des conditions sanitaires satisfaisantes, a souligné le Rapporteur spécial. En ce qui concerne les activités humaines tributaires d'un approvisionnement en eau potable, M. Guissé a précisé que l'agriculture est le plus gros consommateur d'eau puisque l'irrigation, à elle seule, absorbe 80% des ressources. D'ici 2025, trois milliards d'individus souffriront de pénurie en eau, a-t-il ajouté. L'absence et l'insuffisance d'eau sont des facteurs qui menacent le maintien et le renforcement de la paix et de la sécurité dans le monde, a par ailleurs fait observer M. Guissé. Étant donné que l'un des plus grands défis des décennies à venir consistera à accroître la production alimentaire, les besoins en eau à des fins d'irrigation se feront donc particulièrement pressants. Garantir une alimentation adéquate implique obligatoirement de garantir un approvisionnement en eau douce, a souligné le Rapporteur spécial. L'exploitation des ressources en eau telle qu'elle se réalise par le biais des processus de privatisation constitue une entrave grave pour l'utilisation équitable des ressources en eau potable, a par ailleurs affirmé M. Guissé. Il serait préférable de suivre l'exemple de l'Irlande qui est parvenu à assurer gratuitement la fourniture de l'eau potable.
M. El-Hadji Guissé a par ailleurs déclaré que l'eau est devenue une marchandise vendue au plus offrant. Les modalités qui entourent sa gestion (homologation, certification, etc…) sont soumises à la loi de la corruption, a-t-il également affirmé. M. Guissé a fait observer que depuis que l'eau du Sénégal a été privatisée au profit d'une entreprise française, non seulement le pays dispose de moins d'eau mais en plus elle est souillée. Pourtant, les services internationaux ont certifié cette eau comme étant saine. Il en va de même dans nombre d'autres pays africains où les sociétés transnationales rachètent tous les points d'eau mais sont avant tout animées par des soucis de profit.
M. KUMAR JYOTI NATH (Institut de la santé publique de Calcutta - Institute of Public Health Engineering) a rappelé que lors de la récente Conférence de Johannesbourg, de nombreux gouvernements sont intervenus pour dire qu'en raison du manque de viabilité du système d'approvisionnement en eau, ils envisageaient la privatisation dudit système. Pourtant, de nombreux participants à cette Conférence ont estimé que les sociétés commerciales privées auxquelles serait confiée la gestion du système d'approvisionnement accorderaient davantage d'importance aux intérêts commerciaux plutôt qu'à ceux des populations. Or, ce n'est pas le profit qui devrait déterminer l'action mais plutot une éthique axée sur l'être humain, a affirmé le représentant. Les gouvernements ont une responsabilité fondamentale en ce qui concerne la réalisation du droit à l'eau, en particulier pour les couches les plus défavorisées de la population. Il ne saurait être question de diluer la responsabilité des gouvernements en invoquant le caractère non viable des systèmes de gestion de l'eau, a souligné le Représentant. En Inde, entre 10 et 100 millions de personnes souffrent de maladies diarrhéiques, a-t-il souligné. Il a fait observer que si d'un côté, certains manquent d'eau, de l'autre, les riches des populations urbaines gaspillent allègrement cette ressource.
M. MILOON KHOTARI, Rapporteur spécial sur le droit au logement, a estimé qu'il est très important que, dans l'observation générale qu'il adoptera sur la question du droit à l'eau, le Comité mentionne très clairement les termes employés dans le Pacte, en particulier à l'article 11 de cet instrument. Cette observation générale devrait accorder une place particulière à la question des femmes ainsi qu'à celle de l'assainissement. M. Khotari a mis l'accent sur le rôle important que pourrait jouer cette observation générale pour faire en sorte que les objectifs de la Déclaration du Millénaire soient réalisés sous l'angle des droits de l'homme. Il s'agit en outre d'une occasion unique de concrétiser le lien qui existe entre droits de l'homme et environnement. M. Khotari a estimé que l'observation générale du Comité devrait faire valoir que l'eau doit être appréhendée en tant que ressource collective et ne doit pas faire l'objet d'un marché privé.
M. ALFREDO SFEIR YOUNIS (Banque mondiale) a rappelé que pour l'essentiel l'eau est utilisée non pas par les ménages mais par les secteurs productifs de l'économie. Il a également mis l'accent sur la notion de qualité de l'eau et a souligné que même aux États-Unis, la plupart des ressources en eau potable sont polluées. L'eau est l'un des principaaux ingrédients de la stabilité sociale et dans l'Histoire, des sociétés entières ont péri en raison de problèmes liés à l'eau, a rappelé le représentant. Il a affirmé que l'eau devrait être considérée comme une ressource essentielle pour la durabilité des sociétés. Certes, l'eau est un bien public mais le secteur public seul ne parviendra pas à satisfaire les besoins de la totalité de la population mondiale, a par ailleurs affirmé le représentant. Dire que l'eau ne doit pas avoir de valeur (c'est-à-dire dire qu'elle devrait être gratuite) n'est pas le bon message à transmettre, a-t-il également affirmé. M. Sfeir Younis a indiqué que selon les estimations, pour atteindre les objectifs fixés en matière de promotion de l'accès à l'eau potable, il faudrait 180 milliards de dollars. Reste à savoir d'où viendra cet argent, a-t-il poursuivi avant de relever, entre autres, que 900 milliards de dollars sont dépensés chaque année en armements. Pour l'heure, seuls 6% des pauvres à travers le monde ont accès l'eau, a-t-il rappelé.
M. JACK MOSS (SUEZ) a rappelé que cette discussion a permis à sa compagnie d'ouvrir les yeux sur certaines questions importantes. Suez est très engagée en faveur de la lutte contre la pauvreté, a-t-il assuré. La compagnie fournit actuellement des services à 9 millions de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté à travers le monde, a précisé M. Moss. Il a souligné qu'en élaborant une observation générale sur la question du droit à l'eau, le Comité va devoir préciser les règles du jeu, règles dont les droits font indiscutablement partie. L'eau est source de vie, mais si elle est mal gérée, elle peut être source de privation de vie, a souligné le représentant de Suez.
Le représentant de Suez a souligné qu'il convient de distinguer la privatisation - qui ne s'est véritablement réalisée à l'échelle d'un pays qu'au Royaume-Uni - de l'intervention d'une société privée dans la gestion de l'eau par le biais d'un contrat.
M. SCOTT LECKI (Centre on Housing Rights and Evictions -COHRE) a indiqué que son organisation approuve particulièrement le paragraphe 13 (d) du projet d'observation générale du Comité qui demande aux États parties d'assurer l'accès à l'eau potable, même dans les cas où la situation d'une personne du point de vue du logement n'est pas claire. Il convient de se pencher sur la portée et la champ d'application du droit à l'eau et de se demander si, comme l'affirme le projet d'observation générale dans son état actuel, ce droit va au-delà des simples besoins en eau liés à la nécessité de boire et aux besoins domestiques. Cette semaine, le magazine The Economist affirme que la famine qui menace actuellement 15 millions d'Éthiopiens est essentiellement due au manque de technologies d'irrigation pour les petits fermiers pauvres. M. Lecki a par ailleurs rappelé que le Mahatma Ghandi avait lui-même fait observer que «l'assainissement est plus important que l'indépendance». Aussi, le projet d'observation générale devrait-il inclure le droit à l'assainissement, a estimé le représentant. Il a également préconisé que le projet d'observation générale traite du rôle des gouvernements locaux du point de vue du droit à l'eau.
MME AUDREY CHAPMAN (Association américaine pour le progrès de la science) s'est fait l'écho des résultats de la consultation que son organisation a menée à Washington le 30 octobre dernier pour débattre du projet d'observation générale du Comité. Ainsi, parler du droit à l'eau potable ne suffit pas, a-t-elle indiqué. La portée du droit à l'eau telle qu'elle figure dans le texte actuel du projet d'observation générale est trop étroite et doit être étendue à l'eau utilisée à d'autres fins personnelles et domestiques telles que la cuisine, le bain et les sanitaires. Le texte actuel du projet d'observation générale ne consacre pas suffisamment d'attention à la question de l'assainissement, a souligné la représentante. Elle a proposé de modifier le libellé même du droit en cause en transformant l'actuel «droit à l'eau» en «droit à l'eau à des fins d'utilisation personnelle» ou en «droit à l'eau à des fins d'utilisation personnelle et domestique» voire en «droit à l'eau potable et aux services d'assainissement». La représentante a suggéré que soit retirée du projet d'observation générale toute mention spécifique à une quantité quotidienne d'eau. En la matière, chacun devrait être renvoyé à des sources extérieures telles que l'OMS, ce qui éviterait d'avoir à modifier sans cesse l'observation générale pour l'adapter aux normes fixées par cette organisation. La représentante a par ailleurs estimé que dans son état actuel, le projet d'observation générale ne parle pas assez clairement de la question de l'accès à l'eau à des fins d'utilisation personnelle pour les personnes qui ne peuvent pas payer le prix de l'eau.
M. JEAN ZIEGLER, Rapporteur spécial sur le droit à l'alimentation, a rappelé que dans son premier rapport à la Commission des droits de l'homme, il avait demandé que son mandat soit étendu à l'étude de l'eau, ce qui a été accepté. Aussi, M. Ziegler a-t-il indiqué avoir consacré un chapitre de son premier rapport à la nourriture liquide (l'eau potable). Dans ce chapitre, le Rapporteur spécial conclut que «partie intégrante du droit à alimentation, l'accès à l'eau potable salubre et propre et à l'eau d'irrigation de base doit être mis en œuvre en application de l'obligation de respecter, de protéger et de donner effet au droit à l'alimentation». M. Ziegler a rappelé qu'au Niger, deuxième pays le plus pauvre du monde, un effroyable drame s'est joué qui concerne 4 918 enfants dont plusieurs centaines souffrent de graves malformations osseuses depuis qu'ils ont bu l'eau fournie par la Société nigérienne des eaux (société publique) - eau qui comportait un taux de fluorure deux fois supérieur à la quantité maximum admise par l'être humain. Au Bangladesh - pays autosuffisant du point de vue alimentaire depuis 1996 - on a soudain découvert de l'arsenic dans les puits du pays. Les responsabilités concernant cette contamination sont incertaines mais le fait est que l'arsenic est bel et bien présent dans les puits. M. Ziegler a par ailleurs rappelé que les émeutes de 1999 à Cochabamba (Bolivie) étaient liées au doublement des prix de l'eau suite à la privatisation des services d'eau dans cette ville. Le Rapporteur spécial a cité en exemple les initiatives prises dans certaines régions du Brésil où le MST (Mouvement des Sans Terre) a notamment lancé le programme «Un million de citernes» - chaque citerne permettant à une famille de disposer de suffisamment d'eau pour huit mois.

Interventions de membres du Comité
Un membre du Comité a estimé que le Comité devrait affirmer très clairement que l'eau est un bien public, d'une part parce que c'est la réalité (l'eau appartient à tous comme l'air) et d'autre part parce que cela revient à dire que les États ont des devoirs et des obligations à l'égard de ce bien public. Il existe sans doute une contradiction entre la notion de devoir de l'État et celle de profit, a poursuivi cet expert. Il a estimé que le Comité devrait donc affirmer que quel que soit l'éventuel degré de privatisation (du système de gestion de l'eau), l'État doit assurer à tous l'accès à une eau saine. Pour sa part, cet expert a estimé que la privatisation comporte plus d'inconvénients que d'avantages, ne serait-ce que parce qu'elle a pour conséquence inéluctable de faire monter les coûts.
Un autre membre du Comité a relevé que dans certains pays, comme c'est le cas au Costa-Rica, la privatisation des services d'approvisionnement en eau se heurte à la réticence voire à la résistance des populations.
Un expert a souligné qu'il ne saurait être question pour le Comité de faire le procès de la privatisation. Cela ne l'empêche pas de dénoncer les effets néfastes pour les consommateurs des positions dominantes et autres monopoles. Il convient en outre de dénoncer le comportement des gouvernements et des municipalités qui, trop souvent, n'informent pas les citoyens-consommateurs et les laissent dans l'ignorance des clauses des conventions de privatisation.
La plupart des arguments avancés par les divers intervenants avaient déjà été pris en compte par les membres du Comité, s'est réjoui un autre expert.

Autres interventions sur la question du droit à l'eau
MME MIREILLE COSSY (Organisation mondiale du commerce, OMC) a souligné que beaucoup a été dit sur la privatisation de l'eau et sur le rôle de l'AGCS (Accord général sur le commerce des services) dans ce contexte. Or cet Accord n'exige aucune privatisation ni aucune déréglementation de quelque service que ce soit. D'ailleurs le mot «privatisation» ne figure pas dans cet Accord. La libéralisation n'implique pas nécessairement la déréglementation, a assuré la représentante de l'OMC. Elle a souligné que l'AGCS s'applique à tous les services mais a tenu à préciser que les gouvernements peuvent choisir les services qu'ils sont disposés à libéraliser, c'est-à-dire pour lesquels ils sont prêts à offrir à des fournisseurs étrangers des garanties en matière d'accès au marché et de traitement national. En outre, il est important de rappeler que, souvent, les services publics ne sont pas dispensés sur une base commerciale ou concurrentielle. Lorsque tels est le cas, ces services ne sont tous simplement pas soumis aux clauses de l'AGCS, a-t-elle assuré. À ce jour, aucun pays n'a accepté d'engagement en vertu de l'AGCS pour le secteur de l'eau, a assuré la représentante. Elle a expliqué que parmi les options qui s'offrent aux pays, figurent donc celles de maintenir un service donné en dehors de la portée de l'AGCS en fournissant ce service sur une base non commerciale et non concurrentielle; de maintenir ou d'établir un monopole - public ou privé - sur un service donné; d'ouvrir le service à la concurrence mais en restreignant cette concurrence aux seules entreprises nationales; d'ouvrir le service à la concurrence tant nationale qu'internationale.
M. SIMON WALKER (Haut Commissariat aux droits de l'homme) a mis l'accent sur les pressions exercées sur certains pays lors des négociations menées dans le cadre de l'AGCS. Il faut veiller à ce que des États ne soient pas contraints de prendre des engagements à la suite desquels ils ne pourraient plus respecter les droits de leurs citoyens, en particulier le droit à l'eau, a-t-il souligné.
MME ANA MARIA SUAREZ FRANCO (FIAN-International, pour le droit à se nourrir ) a indiqué que son organisation appuie l'orientation générale du projet d'observation générale sur le droit à l'eau tel qu'actuellement rédigé par le Comité. Relevant que la privatisation des ressources en eau transforme en propriété privée un élément essentiel de la vie, elle a estimé que le projet d'observation générale devrait clairement énoncer qu'aucune forme de privatisation ne devrait avoir pour conséquence une quelconque réduction des possibilités d'accès à l'eau. Il faudrait en outre assurer que l'accès à l'eau ne se limite pas aux seuls individus qui ont les moyens financiers de se fournir cette ressource.
MME NATHALIE MIVELAZ (Organisation mondiale contre la torture, OMCT) a relevé que pour l'heure, le débat autour de l'AGCS est certes purement théorique puisque, comme l'a dit la représentante de l'OMC, aucun engagement n'a été pris dans le secteur de l'eau. Mais il n'en demeure pas moins que des pressions ont été exercées sur des gouvernements afin qu'ils ouvrent leurs marchés, s'agissant des services de base. La représentante a par ailleurs fait observer que la mise en place de politiques d'action affirmative dans le cadre de la réalisation du droit à l'eau pourrait bien impliquer qu'un traitement préférentiel soit accordé - en termes de mesures réglementaires ou de subventions - à des entreprises ou à des fournisseurs de services opérant dans le secteur de l'eau.
M. ANTOINE MADELIN (Fédération internationale des ligues de droits de l'homme, FIDH) a rappelé que la FIDH a notamment travaillé sur le droit à l'eau dans le cadre d'une mission de suivi de la mission que le Professeur Ziegler a effectuée au Niger. M. Madelin a mis l'accent sur la nécessité d'accorder toute l'attention voulue au droit à un recours effectif dans le contexte des violations du droit à l'eau. Le représentant de la FIDH a par ailleurs rappelé que les activités des sociétés transnationales peuvent avoir une incidence très nette sur la jouissance du droit à l'eau. Or, il convient de souligner à cet égard que le Groupe de travail sur les sociétés transnationales de la Sous-Commission a adopté une série de directives et de principes à l'attention desdites sociétés. M. Madelin a par ailleurs estimé que le Comité devrait recommander aux États participant à des négociations commerciales de prendre pleinement en considération l'exigence primordiale du respect du droit à l'eau. Des recommandations pourraient également être adressées aux institutions financières internationales.

Autres déclarations
M. MILOON KHOTARI, Rapporteur spécial sur le droit à un logement convenable, a notamment indiqué que le prochain rapport qu'il présentera la Commission des droits de l'homme met l'accent sur les objectifs de la Déclaration du Millénaire du point de vue de la réduction du nombre de personnes vivant dans des taudis et des questions d'eau et d'assainissement. M. Khotari a indiqué qu'il prépare aussi pour l'an prochain un rapport sur la question des femmes et du droit au logement.
M. Khotari a par ailleurs rappelé que cette année, il s'est rendu au Mexique et en Roumanie où il a notamment examiné la manière dont les recommandations du Comité sont suivies d'effet dans ces deux pays. Le Rapporteur spécial a indiqué qu'il se rendrait aux Philippines au mois de février prochain, puis au Pérou le mois suivant et ensuite au Brésil et au Kenya. Rappelant qu'il avait assisté à Nairobi à un colloque sur les indicateurs relatifs à l'habitat humain, M. Khotari a indiqué que ce colloque ne l'avait pas entièrement satisfait car il ne s'était pas suffisamment placé sous l'optique des droits de l'homme. Le Rapporteur spécial a d'autre part relevé que dans le contexte de l'après-11 septembre 2001, on assiste à une réorientation des ressources publiques vers des dépenses sécuritaires, au détriment des dépenses visant la réalisation des droits économiques, sociaux et culturels.
M. JEAN ZIEGLER, Rapporteur spécial sur le droit à l'alimentation, a indiqué qu'il revient de New-York où il a présenté devant la Troisième Commission de l'Assemblée générale son rapport, également disponible sur internet. M. Ziegler a affirmé que le Sommet mondial sur l'alimentation a Rome a été un échec à bien des égards, non pas du point de vue de son organisation mais du fait que les dirigeants des pays du Nord étaient généralement absents - à l'exception de MM. Berlusconi et Aznar -, de sorte qu'un véritable dialogue n'a pu s'instaurer. À Rome, pourtant, chacun est convenu que, du point de vue de la lutte contre la faim, le bilan est catastrophique puisque si l'on veut réduire de moitié la faim dans le monde, il faut désormais regarder au-delà de la première moitié du troisième millénaire.
M. Ziegler a rappelé que l'Assemblée générale a récemment adopté à l'unanimité sauf deux voix (États-Unis et Îles Marshall) une résolution qui met notamment l'accent sur le travail que le Rapporteur spécial sur le droit à l'alimentation doit effectuer dans le cadre de sa participation à l'élaboration des directives volontaires censées ordonner une stratégie commune de lutte contre la faim. M. Ziegler a estimé que le Comité pourrait judicieusement s'adresser directement au Comité de la FAO sur la sécurité alimentaire mondiale par le biais de l'envoi d'un mémorandum énumérant les éléments minima que le Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l'ONU voudrait voir figurer dans ces directives volontaires.
Indiquant qu'il revient du Bangladesh, M. Ziegler a attiré l'attention sur la construction par l'Inde d'un barrage sur le Gange qui, en période sèche, permet de détourner les eaux de ce fleuve pourtant essentielles pour le Bangladesh. L'Inde prévoit d'exécuter un projet similaire sur le Brahmapoutre. La légitimité des préoccupations fondamentales de l'Inde dans cette affaire ne fait aucun doute, mais il n'en demeure pas moins que le Bangladesh affirme que cette action induit une violation de son droit à l'eau.

Institutions nationales de droits de l'homme et droits économiques, sociaux et culturels
M. BRIAN BURDEKIN, Conseiller spécial sur la question des institutions de droits de l'homme au Haut Commissariat aux droits de l'homme, a fait une brève déclaration dans laquelle il a notamment souligné que, dans certains pays, les institutions nationales de droits de l'homme sont compétentes en matière de droits économiques, sociaux et culturels, et dans d'autres pas. Il appartient aux institutions nationales des droits de l'homme de travailler en coopération avec le Comité des droits économiques, sociaux et culturels, comme avec les autres comités des Nations Unies, a-t-il affirmé.
La Présidente du Comité, Mme Virginia Bonoan-Dandan, a souligné que le Comité aimerait bénéficier de la participation d'institutions nationales de droits de l'homme à ses travaux. Malheureusement, le fait est que ces institutions ne viennent pas à Genève assister aux sessions du Comité, a-t-elle fait observer. Un membre du Comité a souligné qu'en Afrique, les institutions nationales de droits de l'homme sont trop souvent proches des gouvernements et ne s'opposent jamais à l'État. M. Burdekin a admis que ces dernières critiques sont en grande partie justifiées. Il a toutefois souligné que les institutions nationales de l'Afrique du Sud, de l'Ouganda voire du Ghana ont publié des rapports non exempts de critiques à l'égard de leurs gouvernements respectifs.



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