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LE COMITÉ DES DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS TIENT UNE JOURNÉE DE DISCUSSION GÉNÉRALE SUR LE DROIT AU TRAVAIL

24 Novembre 2003



24.11.03

Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a tenu, aujourd'hui, une journée de discussion générale sur l'article 6 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels relatif au droit au travail.
Au cours de cette discussion, l'accent a été mis sur l'importance de la formation professionnelle dans le contexte du droit au travail. Il a également été souligné que le droit au travail est un droit dont l'exercice contribue non seulement au développement de l'individu mais aussi au développement de la société dans son ensemble. Les questions relatives au travail informel, à la justiciabilité du droit au travail et aux discriminations dans le contexte du droit au travail, s'agissant en particulier des inégalités entre hommes et femmes, ont fait l'objet de nombreuses interventions.
En tant que responsable de la rédaction du projet d'observation générale, M. Philippe Texier, membre du Comité, a notamment mis l'accent sur l'indivisibilité des articles 6 à 8 du Pacte, qui traitent respectivement du droit au travail, du droit de toute personne à jouir de conditions de travail justes et favorables, ainsi que du droit syndical et du droit de grève. Il a indiqué que certaines difficultés conceptuelles n'ont pas encore été résolues dans le contexte de l'élaboration de l'observation générale.
L'article 6 du Pacte stipule que les États parties au Pacte reconnaissent le droit au travail, qui comprend le droit qu'a toute personne d'obtenir la possibilité de gagner sa vie par un travail librement choisi ou accepté, et prendront des mesures appropriées pour sauvegarder ce droit. Les mesures que chacun des États parties au Pacte prendra en vue d'assurer le plein exercice de ce droit doivent inclure l'orientation et la formation techniques et professionnelles, l'élaboration de programmes, de politiques et de techniques propres à assurer un développement économique, social et culturel constant et un plein emploi productif dans des conditions qui sauvegardent aux individus la jouissance des libertés politiques et économiques fondamentales.
Outre les membres du Comité, ont pris part au débat des représentants de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (Unesco) et de l'Organisation internationale du travail (OIT), ainsi que diverses organisations non gouvernementales et des universitaires.
Le Comité tiendra sa prochaine séance publique vendredi 28 novembre 2003 pour clore sa session en rendant publiques ses observations finales sur les rapports d'États parties examinés au cours de ces trois semaines de session.
Aperçu de la discussion
M. PHILIPPE TEXIER, membre du Comité et responsable de la rédaction du projet d'observation générale sur le droit au travail (article 6 du Pacte), a remercié toutes celles et tous ceux qui ont apporté leur contribution à l'élaboration de ce projet et a rendu un hommage particulier, à cet égard, à l'Organisation internationale du travail (OIT). Il a exprimé le souhait que cette journée de discussion générale marque une étape dans le processus d'élaboration de cette observation générale. Le processus d'élaboration d'une observation générale est long et, surtout, collectif, a rappelé M. Texier. En l'état actuel, le projet est un canevas qui sera encore alimenté par les apports et contributions à venir, a-t-il précisé.
M. Texier a mis l'accent sur l'indivisibilité des articles 6 à 8 du Pacte. Il n'était toutefois pas possible de présenter une observation générale sur ces articles car le texte de l'actuel projet est déjà suffisamment long en ne traitant que de l'article 6, a-t-il expliqué. L'article 6 n'a cependant de valeur que s'il est complété par les articles 7 et 8 du Pacte, a insisté M. Texier. Il a souligné qu'il fallait de toute évidence intégrer au droit du travail l'interdiction du travail forcé et l'interdiction du travail des enfants. Il a par ailleurs indiqué que certaines difficultés conceptuelles n'ont pas encore été résolues dans le contexte de l'élaboration de l'observation générale sur le droit au travail. S'agissant notamment de la problématique travail formel-travail informel, M. Texier a rappelé que l'emploi informel est la condition de survie de centaines de millions de personnes à travers le monde.
M. WATARU IWAMOTO (Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture, Unesco) a présenté les activités de l'Unesco en rapport avec le droit au travail. Il a notamment rappelé que l'Unesco a un rôle important à jouer en matière de mise en œuvre du droit à l'éducation tel qu'énoncé dans le Pacte. À cet égard, il a mis l'accent sur les activités de son Organisation visant à promouvoir un enseignement professionnel accessible et de qualité dans les États membres. L'éducation pour tous est l'élément central de l'action de l'Unesco en faveur de l'éducation, a rappelé M. Iwamoto. Par le passé, les individus recherchaient un emploi pour la vie mais aujourd'hui, chacun se doit d'intégrer un élément de souplesse dans son rapport au travail tant il est vrai que nombre d'individus sont appelés à exercer plusieurs types d'emploi au cours de leur vie.
M. RICHARD LEWIS SIEGEL, Professeur au Département de sciences politiques de l'Université du Nevada (États-Unis), a souligné la nécessité de garder à l'esprit la relation qui existe entre le travail et les efforts déployés en matière de lutte contre la pauvreté. Il a rappelé l'existence d'une recommandation de l'OIT qui fait le lien entre les questions d'emploi, de lutte contre la pauvreté, de développement et de commerce. Le droit au travail n'aura pas beaucoup de sens s'il ne s'accompagne pas d'une exigence en matière de plein emploi dans les États parties, a affirmé M. Siegel. Il a souligné qu'il existe une responsabilité des institutions de Bretton Woods - Banque mondiale et Fonds monétaire international (FMI) - en matière de plein emploi. L'idée du plein emploi est en effet née dans les années 1940, a-t-il rappelé. L'Organisation mondiale du commerce (OMC) a une responsabilité en ce qui concerne les conditions de travail et cherche à s'en décharger sur l'OIT, a ajouté M. Siegel.
Un membre du Comité a rappelé que les pays se heurtent à d'énormes difficultés, notamment en matière d'investissements, pour réaliser le plein emploi. Un autre expert s'est enquis de la manière dont M. Siegel perçoit la responsabilité des organisations internationales qu'il mentionne dans son intervention; ces organisations seraient-elles, selon lui, responsables d'assurer le plein emploi?
Il faut reconnaître qu'une société fondée sur le plein emploi constitue un des objectifs principaux en matière de réalisation des droits économiques, sociaux et culturels, a déclaré M. Siegel.
Un membre du Comité a mis l'accent sur la nécessité d'assurer l'égalité de chances en matière d'accès à la formation professionnelle. Il conviendrait donc que le projet d'observation générale sur le droit au travail se réfère à cet égard à la Convention de l'Unesco sur l'enseignement technique et professionnel.
M. VASSIL MRACHKOV, Professeur à l'Institut des sciences juridiques de Sofia (Bulgarie) et ancien rapporteur et vice-président du Comité, a remercié M. Texier pour la richesse du projet d'observation générale qu'il soumet aujourd'hui au Comité. Mettant l'accent sur les aspects juridiques de la problématique du droit au travail, M. Mrachkov a indiqué qu'il prenait pour base de sa réflexion sur ce sujet le caractère évolutif du droit au travail, ce qui implique qu'il ne s'agit pas d'un droit figé. Le droit au travail a évolué depuis sa reconnaissance par le Pacte, a-t-il insisté. Il s'est enrichi d'éléments issus des nouvelles réalités du monde économique et social dans lequel nous vivons, a précisé M. Mrachkov. Un droit évolutif exige que l'interprétation qui en est faite soit, elle aussi, évolutive. Insistant sur la dimension sociale du droit au travail, M. Mrachkov a déclaré que c'est un droit dont l'exercice contribue non seulement au développement de l'individu mais aussi au développement de la société dans son ensemble. Le droit au travail est donc un droit dont profite non seulement l'individu mais aussi l'ensemble de la société mondiale, a-t-il insisté.
«Je crois que nous avons plus que jamais besoin de la justiciabilité du droit au travail», même si le problème est difficile à résoudre, a par ailleurs déclaré M. Mrachkov. Il a en outre souligné que le problème du travail informel ne concerne pas seulement les personnes qui ne concluent pas un contrat de travail. Il s'agit en effet d'un problème qui se manifeste sous des formes variées, y compris lorsque les parties concluent de prétendus contrats civils (c'est-à-dire des contrats qui sont en fait admis par le droit) afin de contourner les protections assurées par la loi.
M. AKMAL SAIDOV, Professeur et Directeur du Centre national des droits de l'homme de l'Ouzbékistan, a rappelé que d'autres instruments de droits de l'homme que le Pacte traitent du droit au travail, notamment au niveau régional ou à l'OIT. Le droit au travail constitue la pierre de touche de nombreux autres droits, a-t-il souligné. Il a mis l'accent sur l'existence de discriminations de toutes sortes dans le domaine du travail, fondées sur la race, le sexe, la religion, l'origine ethnique ou sociale, l'appartenance à un syndicat, l'invalidité ou d'autres facteurs. À cet égard, il a souhaité que l'observation générale qu'adoptera le Comité se réfère aux éléments caractéristiques de discrimination énoncés au paragraphe 1 de l'article premier de la Convention n°111 de l'OIT. M. Saidov a souligné que cette convention fixe les engagements fondamentaux des États membres de l'OIT en privilégiant des méthodes d'éducation et sans contraindre les États à prendre des mesures obligatoires afin de parvenir à l'objectif final - l'élimination de la discrimination.
Un membre du Comité a souligné que la justiciabilité d'un droit dépend davantage de la nature juridique et des destinataires de ce droit plutôt que du niveau (national ou international) auquel ce droit est garanti. Un autre expert a estimé que tous les droits énoncés dans le Pacte sont justiciables.
Distinguant entre droit au travail et droit de travailler, M. Mrachkov a souligné qu'on estime généralement que ce sont les «droits de» qui sont justiciables, et non les «droits à».
S'agissant du problème des contrats de type civil évoqué plus tôt, une représentante de l'Organisation internationale du travail (OIT) a rappelé qu'il y a six ans, la tentative de l'OIT visant à faire adopter un instrument qui protègerait les travailleurs dits sous contrats a échoué. La notion de «travail sous contrat» reste donc encore opaque à l'heure actuelle, a-t-elle souligné.
M. JANEK KUCZKIEWICZ (Confédération internationale des syndicats libres, CISL) s'est dit très heureux que la CISL soit associée au travail du Comité visant l'élaboration d'une observation générale sur le droit au travail. Le droit au travail est l'un des droits sociaux les plus importants; il faut donc se réjouir que le Comité se soit lancé dans la mise au point d'une observation générale sur ce sujet, a-t-il insisté. M. Kuczkiewicz a lui aussi mis l'accent sur le fait que les articles 7 et 8, voire une partie de l'article 9, du Pacte sont indissociables de l'article 6 relatif au droit au travail. Tout en se réjouissant que certains aient mis l'accent sur l'impact qu'a la mondialisation sur la réalisation du droit au travail, il a souhaité voir préciser en quoi consiste cet impact. M. Kuczkiewicz a d'autre part souhaité que la discrimination à l'égard des syndicalistes figure en bonne place dans la future observation générale du Comité, au chapitre des discriminations existantes dans le contexte du droit au travail. Il conviendrait peut-être à cet égard d'intégrer une référence aux conventions pertinentes de l'OIT, notamment à la Convention n°98 sur le droit d'organisation et de négociation collective (1949). M. Kuczkiewicz a également rappelé que l'OIT insiste sur la notion de travail décent dans le contexte du droit au travail. Il a insisté pour que soit davantage étoffée la notion de non-discrimination au regard du droit au travail. Il a par ailleurs regretté que le projet d'observation générale, dans son état actuel, ne fasse nullement référence au tripartisme (État-employeurs-employés).
MME SHANTHI DAIRAM, Directrice exécutive de la section Asie-Pacifique de l'IWRAW (International Women's Rights Action Watch), a rappelé que les femmes ont du retard sur les hommes pour ce qui est de la jouissance de nombreux droits. Elle a estimé que l'égalité d'accès aux différents droits devrait être assurée par des lois-cadres éliminant toute possibilité de discrimination. En effet, le fait est que les femmes sont exploitées comme un main-d'œuvre bon marché n'exigeant pas de se voir attribuer des salaires équivalents à ceux des hommes, a-t-elle souligné. Souvent, les femmes sont mal payées et travaillent dans des secteurs où les possibilités de promotion sont faibles, a-t-elle insisté. Il conviendrait en outre de promouvoir des programmes visant à libérer les femmes de leurs responsabilités en matière de garde et de soins aux enfants. Mme Dairam a par ailleurs attiré l'attention sur l'absence de femmes dans les postes de responsabilité au sein des syndicats.
Au nom du Women's Economic Equality Project (Windsor, Canada), Mme Dairam a également insisté sur la nécessité de placer toute discussion sur le droit au travail dans la perspective des désavantages socioéconomiques dont souffrent les femmes. Le processus de mondialisation renforce cette inégalité entre hommes et femmes dans le contexte du droit au travail, a-t-elle souligné. Nombre de femmes sont acculées à travailler dans le secteur informel lorsqu'elles ne sont pas carrément victimes de traite ou de prostitution, a-t-elle rappelé. Des lois neutres du point de vue sexospécifique peuvent en fait contribuer à maintenir le statu quo (c'est-à-dire les inégalités entre hommes et femmes) tant il est vrai qu'une égalité de jure n'implique pas nécessairement une égalité de facto, a souligné Mme Dairam. L'existence de réseaux de prise en charge des enfants est essentielle pour permettre aux femmes d'exercer un emploi, a-t-elle ajouté.
MME CONSTANCE THOMAS (Organisation internationale du travail, OIT) a indiqué que l'OIT est satisfaite de l'orientation globale du projet d'observation générale dont est saisi le Comité. Elle a mis l'accent sur la nécessité de lier les questions relatives au droit au travail à celles intéressant la pauvreté. Il existe certes des obstacles externes à la réalisation du droit au travail, mais il en est qui sont internes et sur lesquels l'État peut agir, a souligné Mme Thomas. Elle a en outre indiqué que dans six semaines, un rapport sur ces questions émanant du Comité de l'OIT sur les dimensions sociales de la mondialisation devrait être disponible qui fournira une évaluation fraîche de cette problématique et pourrait donc constituer une contribution pertinente en vue de l'élaboration de l'observation générale du Comité des droits économiques, sociaux et culturels sur l'article 6 du Pacte.
Quant à la question de la discrimination dans le contexte du droit au travail, Mme Thomas a suggéré au Comité de mettre à profit, aux fins de l'élaboration de son observation générale, la définition de la discrimination qui figure dans la Convention n°111 de l'OIT ou encore celle qu'a retenue le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale voire celle du Comité sur l'élimination de la discrimination contre les femmes, qui est la plus récente.
Mme Thomas s'est en outre félicitée de la manière dont le Comité semble avoir incorporé la notion de travail décent. En effet, il ne faut pas vouloir créer un travail à tout prix, au détriment des droits du travailleur. Mme Thomas a en revanche regretté l'absence de toute mention d'une catégorie particulièrement importante de travailleurs, à savoir les travailleurs agricoles, dans le projet d'observation générale du Comité.
Un membre du Comité a dit partager l'avis exprimé par certains intervenants selon lequel la notion de parité entre hommes et femmes devrait figurer en meilleure place dans l'observation générale en étant mentionnée dès le début du texte. Un autre expert a mis l'accent sur la nécessité de bien souligner le lien existant entre les articles 6, 7, 8 et même 9 (sur la sécurité sociale) du Pacte.
En ce qui concerne la question de la discrimination positive, la représentante de l'OIT a expliqué qu'en vertu d'une résolution de l'OIT datant de 1985, toute mesure de protection entraînant une interdiction pour les femmes de travailler (au nom de la protection) se doit d'être revue, ce qui a abouti à un rejet de la plupart des mesures de protection qui existaient dans ce domaine, comme en témoigne le cas du travail de nuit. Beaucoup de pays dénoncent actuellement l'ancienne convention sur le travail de nuit au profit du nouveau protocole, plus souple, a précisé la représentante.
Le représentant de la CISL a préconisé de se pencher sur le secteur du télétravail où les droits des travailleurs pourraient avoir souffert.
Affirmant que tout travailleur dans le monde se considère d'une certaine façon comme un travailleur exploité, un membre du Comité a affirmé ne pas bien saisir comment il peut être possible de déterminer si un travail est décent.
MME MACHFELD INGE VAN DOOREN, de l'organisation Amersfoort (Pays-Bas) a souligné la nécessité de reconnaître le caractère non exhaustif de toute liste énumérative des éléments de discrimination pouvant intervenir dans le contexte du droit au travail. Elle a en outre préconisé d'ajouter une obligation de facilitation et de promotion aux obligations traditionnelles de respect, de protection et de mise en œuvre d'un droit donné.
Commentant le projet d'observation générale présenté par M. Texier, un membre du Comité a notamment évoqué la nécessité de mentionner dans le texte de cette observation générale, au nombre des limitations légales, le nombre d'heures de travail et les horaires de travail.
M. MALIK OZDEN (Centre-Europe Tiers-Monde, CETIM) a rappelé que la notion de plein emploi s'inscrit généralement dans un cadre qui fait référence à un travail dont la durée varie de 40 à 45 heures hebdomadaires. En ce sens, aucun pays ne parviendra à assurer le plein emploi à ses citoyens, d'autant plus que la tendance est à une baisse de la durée de travail, comme l'atteste la situation de la France, a-t-il souligné. Il a en outre attiré l'attention du Comité sur la situation qui prévaut dans les maquiladoras d'Amérique latine, qui sont des véritables zones de non-droit.
En conclusion, M. PHILIPPE TEXIER a remercié tous les intervenants pour leur contribution à cette journée de discussion générale et a assuré qu'il serait tenu compte de toutes leurs observations. M. Texier a rappelé que l'observation générale sur le droit au travail ne sera adoptée par le Comité qu'en mai 2004 et a donc appelé chacun à transmettre d'ici là ses commentaires sous forme de textes qui soient libellés de manière à constituer en fait des propositions d'amendements. Tout en soulignant le caractère indissociable des articles 6, 7, 8 et 9 du Pacte, M. Texier a estimé qu'il fallait, dans le strict cadre de l'article 6, rester assez général. Il a d'autre part affirmé que la justiciabilité, appréhendée dans le sens de «recours aux tribunaux», semble être une notion difficilement applicable à la politique de plein emploi.

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