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Communiqués de presse Organes conventionnels

LE COMITÉ CONTRE LA TORTURE ENTAME L'EXAMEN DU RAPPORT DE L'ALBANIE

10 Mai 2005

Comité contre la torture

10 mai 2005

Le Comité contre la torture a entamé ce matin l'examen du rapport initial de l'Albanie sur les mesures prises par ce pays pour mettre en œuvre les dispositions de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Présentant le rapport de son pays, M. Blendi Vathi, Secrétaire général du Ministère de l'ordre public, a notamment déclaré que l'article 25 de la Constitution albanaise prévoit que nul ne doit être soumis à la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants. Ce droit ne souffre aucune exception, y compris dans le cadre de l'état d'urgence, a-t-il précisé. Une œuvre colossale a été accomplie par l'Albanie au cours des dix dernières années pour mettre en place une législation démocratique, a-t-il déclaré. Le pays est néanmoins conscient qu'il s'agit d'un processus de longue haleine et il continue de prendre des mesures afin de mener à bien sa tâche.

L'importante délégation albanaise était également composée de M. Dashnor Kaja, Vice-Directeur général de la Police d'État, ainsi que de représentants du Ministère de l'ordre public, du Ministère de la santé et du Ministère de la justice, du Bureau du Procureur de la République, et de la Mission permanente de l'Albanie auprès de l'Office des Nations Unies à Genève.

Le rapporteur du Comité pour l'examen du rapport albanais, M. Alexander Yakovlev s'est félicité de la clarté des engagements souscrits par l'Albanie afin de promouvoir la démocratie et les droits de l'homme. Il ne faut pas oublier le contexte particulièrement difficile dans lequel s'est inscrite la transition démocratique en Albanie, a-t-il souligné. Il a toutefois insisté sur la nécessité pour l'Albanie de traduire dans les faits l'ensemble des textes qu'elle a adoptés. Faire prévaloir le droit, tel doit demeurer l'ultime objectif de l'Albanie. M. Yakovlev s'est par ailleurs demandé dans quelle mesure la définition albanaise de la torture était bien conforme à celle de la Convention, soulignant qu'il n'y avait pas, en droit albanais, de définition précise de la torture.

Le corapporteur du Comité pour l'examen du rapport de l'Albanie, M. Ole Vedel Rasmussen, s'est notamment félicité des efforts importants déployés par l'Albanie dans le cadre de la préparation de son rapport initial. Il a toutefois estimé que l'Albanie se trouve confrontée à de graves difficultés dans la mise en œuvre de ses obligations au titre de la Convention contre la torture. Il a fait état d'allégations de mauvais traitements qui auraient été infligés par des agents chargés de l'application de la loi, et qui posent notamment le problème de l'impunité.

À sa prochaine séance publique, cet après-midi à 16 heures, le Comité entendra les réponses de la Finlande, dont le rapport a été examiné le lundi 9 mai dernier.

Présentation du rapport de l'Albanie

Présentant le rapport de son pays, M. BLENDI VATHI, Secrétaire général du Ministère de l'ordre public de l'Albanie, a déclaré que le respect et la protection des droits de l'homme constituent l'un des principaux fondements de la société démocratique albanaise. Le Gouvernement albanais condamne sans réserve le recours à la torture et travaille sans relâche avec ses partenaires internationaux, et en premier lieu avec les Nations Unies, en vue de combattre toutes les manifestations de la torture. C'est pourquoi l'article 25 de notre constitution prévoit que nul ne doit être soumis à la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants. En outre, le droit de ne pas être soumis à la torture ne souffre aucune exception, y compris dans le cadre de l'état d'urgence. L'Albanie a ratifié la Convention contre la torture en 1994, à un moment qui a marqué un tournant dans la longue histoire du pays. Des changements démocratiques, économiques et sociaux sans précédent sont intervenus dans le pays, traduisant les aspirations de son peuple à vivre dans une société libre et démocratique, soucieuse d'assurer le respect de la dignité et des droits inhérents à la personne humaine. Après plus de cinq décennies de totalitarisme le pays a pris conscience au début des années 90 que le gouvernement et la population devraient faire preuve de courage pour initier des changements radicaux, au premier rang desquels la façon même de concevoir la notion de droits de l'homme.

Aussi, une œuvre colossale a-t-elle été accomplie par l'Albanie au cours des dix dernières années pour mettre en place une législation démocratique. Le pays est toutefois conscient qu'il s'agit là d'un processus de longue haleine et continue de prendre des mesures afin de mener à bien cette tâche. M. Vathi a souligné que, conformément à la législation albanaise, le système pénitentiaire est administré par le Ministère de la justice. Les Ministères de l'ordre public et de la justice ont uni leurs efforts afin de transférer l'ensemble des responsabilités relatives au système de détention au Ministère de la justice. Ainsi, le Ministère de l'ordre public intensifie sa coopération avec les institutions du pouvoir judiciaire afin de réduire les violations des droits de l'homme imputables à des membres des forces de police. Au cours de 2004, 52 policiers ont été arrêtés pour des abus et 95% d'entre eux ont fait l'objet de poursuites devant les tribunaux. M. Vathi a par ailleurs fait valoir que son pays a pris des mesures pour remédier au problème de la surpopulation carcérale. À cet égard, des résultats importants ont pu être obtenus grâce à la construction de nouvelles installations pénitentiaires et au recours accru aux peines de substitution.

Le rapport initial de l'Albanie (CAT/C/28/Add.6) souligne notamment que l'article 22 de la Constitution de 1998 dispose que tout instrument international ratifié devient partie intégrante de l'ordre juridique interne dès qu'il est publié au Journal officiel. Il est directement applicable, sauf lorsqu'il n'a pas automatiquement force de loi et que son application est subordonnée à l'adoption d'une loi. Un instrument international ratifié prime les lois nationales incompatibles avec ses dispositions. Cette disposition de la Constitution est particulièrement importante pour la protection des droits de l'homme et des libertés car, dans les cas où la législation nationale est incomplète, c'est la Convention contre la torture et autres peines ou traitements inhumains ou dégradants qui est appliquée directement, si cela ne nécessite pas l'adoption de lois spécifiques.

Le rapport albanais précise en outre qu'aux termes des articles 60 à 63 de la Constitution, l'Avocat du peuple défend les droits, les libertés et les intérêts juridiquement reconnus des individus contre les actions ou omissions illégales ou abusives des organes de l'administration publique. Toute personne, tout groupe de personnes ou toute organisation non gouvernementale représentant des individus dont les droits ont été violés a le droit de déposer une plainte auprès de l'Avocat du peuple et de lui demander d'ouvrir une enquête une fois épuisées toutes les possibilités légales. Après enquête, l'Avocat du peuple a le choix entre classer l'affaire, présenter aux organes concernés des recommandations en vue du rétablissement dans leurs droits des personnes lésées, recommander une enquête du parquet ou suggérer la révocation des fonctionnaires coupables. Le Bureau de l'Avocat du peuple a été créé au printemps 2000 et les plaintes reçues à ce jour concernent le comportement des juges, les titres de propriété, la liberté de la presse et les brutalités policières. L'une des priorités du Bureau de l'Avocat du peuple consiste à recevoir, vérifier et traiter les plaintes individuelles concernant les forces de l'ordre. En effet, les forces de police ont des tâches précises et délicates qui, par manque de précision et négligence, peuvent entraîner de graves atteintes aux droits de l'homme et aux libertés, notamment au droit à la vie, aux libertés personnelles, au droit à la liberté et à la confidentialité de la correspondance, au droit à l'inviolabilité du domicile et au droit d'asile politique.


Observations et questions de membres du Comité

M. ALEXANDER YAKOVLEV, Rapporteur du Comité pour l'examen du rapport de l'Albanie s'est félicité de la qualité du rapport présenté par la délégation albanaise ainsi que de la clarté des engagements souscrits par l'Albanie afin de promouvoir la démocratie et les droits de l'homme, comme en témoigne la ratification de nombreux instruments internationaux pertinents en la matière. Il ne faut pas oublier le contexte particulièrement difficile dans lequel s'est inscrite la transition démocratique en Albanie, a-t-il souligné. La question essentielle, comme pour tout autre pays, est de savoir comment procéder pour faire en sorte que ce corps de lois soit traduit dans les faits. Le droit, a-t-il poursuivi, n'est pas qu'un ensemble de textes. C'est également le quotidien. Et ce n'est que lorsque le quotidien est perméable au droit que l'on peut parler, à juste titre, de primauté du droit. Faire prévaloir le droit, tel doit demeurer l'ultime objectif de l'Albanie. Il a ensuite insisté sur le rôle essentiel de la police, de la justice et de l'administration pénitentiaire dans l'application effective du droit.

Pour ce qui concerne la torture, a poursuivi le rapporteur, l'autorité du système de justice est primordiale. Partant, il a demandé à la délégation d'apporter des précisions complémentaires concernant la réforme de la justice. Plus particulièrement, il a demandé quelles étaient les mesures prises pour assurer l'indépendance de la justice. Le rapporteur a également demandé des précisions sur l'organisation du barreau. Les avocats sont-ils pleinement indépendants par rapport au ministère de la justice. L'Albanie dispose-t-elle d'un système d'aide juridictionnelle gratuite? M. Yakovlev s'est par ailleurs demandé dans quelle mesure la définition albanaise de la torture était bien conforme à celle de la Convention. Il n'y a pas en droit albanais de définition précise de la torture. Dès lors, comment permettre aux victimes d'obtenir réparation ? À cet égard, il a rappelé que la torture ne concerne pas uniquement les atteintes à l'intégrité physique des personnes mais peut également consister en des atteintes à l'intégrité morale des personnes. Le rapporteur a par ailleurs demandé à la délégation de donner des précisions sur la façon dont le pays s'acquitte de ses obligations en vertu de l'article 3 de la Convention contre la torture.

M. OLE VEDEL RASMUSSEN, corapporteur du Comité pour l'examen du rapport de l'Albanie, s'est félicité des efforts importants déployés par la délégation albanaise dans le cadre de la préparation de son rapport initial. On peut toutefois regretter que ce rapport ne respecte pas pleinement les directives du Comité. Le corapporteur a déclaré qu'il aurait aimé que le rapport contienne davantage d'informations sur les difficultés d'ordre politique, économique et plus généralement sur les défis auxquels sont confrontées les autorités dans la mise en œuvre de la Convention contre la torture. Car il apparaît que votre pays se trouve confronté à de graves difficultés, a affirmé le corapporteur. M. Rasmussen a ensuite souligné que le rapport établi par le Comité européen pour la prévention de la torture à la suite de sa visite dans le pays relève l'existence d'un grand nombre d'allégations de mauvais traitements infligés par des agents chargés de l'application de la loi : brûlures, simulation d'exécution. Voilà ce dont il faut parler aujourd'hui. Il faudra également aborder la question de ces prisonniers qui ont prétendu avoir subi des mauvais traitements, infligés par les forces de police afin d'obtenir des aveux.

La législation albanaise doit être saluée, a estimé M. Rasmussen, mais il faut se pencher sur la question de sa mise en œuvre, seule manière de mettre fin à l'impunité qui semble prévaloir dans le pays. Le corapporteur a par ailleurs demandé à la délégation des informations sur la mise en œuvre de l'article 2, alinéa 3 de la Convention contre la torture, qui stipule que l'ordre d'un supérieur ou d'une autorité publique ne saurait être invoqué pour justifier la torture. Qu'en est-il par ailleurs en matière de juridiction universelle de l'Albanie sur les cas de torture ? Le corapporteur s'est d'autre part dit étonné de n'avoir trouvé dans le rapport albanais aucune information concernent le personnel médical. Une personne placée en détention dans les locaux de la police a-t-elle accès à un médecin? En outre, le personnel médical est-il formé pour déceler les cas de torture ?

L'Albanie a ratifié le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture, mais quelles sont les mesures qui ont été adoptées pour assurer la mise en œuvre concrète de cet instrument, qui prévoit le contrôle inopiné et indépendant des installations pénitentiaires. Le corapporteur a aussi demandé quel était le délai au terme duquel un suspect détenu par la police doit être déféré devant un magistrat ? Par ailleurs, a-t-il demandé, qu'en est-il en Albanie du droit de la personne placée en détention provisoire d'être jugée dans un délai raisonnable ? Faisant état d'allégations de mauvais traitements commis par des agents de l'État sur les enfants, le corapporteur a estimé qu'il serait opportun de créer une institution chargée de manière spécifique de protéger les enfants. Par ailleurs, est-il exact que les forces d'intervention de la police ont la possibilité de dissimuler leur identité au cours d'une intervention ? La possibilité d'identifier aisément les policiers permet de faciliter les enquêtes en cas de mauvais traitements, a signalé le corapporteur.

M. Rasmussen a par ailleurs demandé dans quelles conditions des sanctions disciplinaires peuvent être prises contre des magistrats ? À cet égard, il a estimé qu'il serait bon de créer à cette fin une institution spécifique au sein du Conseil supérieur de la magistrature. Le Procureur de la République, qui est compétent pour mener des enquêtes sur des allégations de torture, y compris de sa propre initiative, dispose-t-il vraiment des moyens nécessaires pour s'acquitter de cette tâche ? Si le Procureur est contraint de déléguer cette compétence à la police, il est évident que les plaintes relatives à des mauvais traitements n'aboutiront jamais, a-t-il relevé. En outre, le policer visé par une allégation de torture est-il suspendu de ses fonctions au cours de l'enquête ?

S'agissant des conditions de détention dans les établissements pénitentiaires, le corapporteur s'est demandé si tout nouveau détenu bénéficiait d'un examen médical dans les 24 heures suivant son entrée en prison ? Seul l'établissement d'un certificat médical peut permettre de constater d'éventuels mauvais traitements infligés par le personnel pénitentiaire, a-t-il fait remarquer. Partant, M. Rasmussen a exprimé sa préoccupation s'agissant de détenus qui ont entamé des grèves de la faim afin de protester contre leurs conditions de détention. Il faut adopter une politique de tolérance zéro en matière de mauvais traitements sur les prisonniers, a-t-il déclaré. Enfin, le corapporteur a exprimé sa préoccupation s'agissant de la détention de mineurs délinquants dans des institutions pour adultes. Des mesures ont-elles été adoptées pour assurer la détention séparée des mineurs délinquants ? Le Comité, a-t-il ajouté, est également préoccupé par l'absence d'un système de justice juvénile efficace.

Un autre membre du Comité a fait état d'allégations selon lesquelles des personnes auraient trouvé la mort à la suite de mauvais traitements infligés à des personnes placées en détention. Un membre du Comité a par ailleurs demandé à la délégation albanaise si elle disposait d'une procédure d'urgence permettant de statuer rapidement sur des demandes de droit d'asile. Il a aussi demandé à la délégation quels étaient les motifs prévus par la loi pour refuser une demande d'asile et quelles étaient les conséquences du rejet d'une demande d'asile. En outre, a-t-il demandé, les personnes qui résident illégalement sur le territoire albanais font-elles l'objet de sanctions ?

Un expert s'est demandé s'il était possible de recourir contre la décision du Procureur de la République de classer sans suite une affaire de mauvais traitement ? Un recours est-il toujours possible ou le procureur décide-t-il en dernière instance ? Quel serait le tribunal compétent pour connaître d'actes de torture commis par un membre des forces militaires contre des civils ? Il semblerait en outre qu'une disposition du Code militaire albanais légitime le recours à la torture en cas de «nécessité», ce qui est en contradiction avec l'article 2 de la Convention qui stipule qu'aucune circonstance ne saurait justifier le recours à la torture. La délégation pourrait-elle apporter des éclaircissements sur ce point?

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Le présent communiqué de presse n'est pas un compte rendu officiel et n'est publié qu'à des fins d'information.

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