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Examen de l’Allemagne devant le CERD : les experts se penchent notamment sur la haine raciste, sur la situation des minorités ethniques, sur la lutte contre l’extrémisme de droite et sur le passé colonial du pays

24 novembre 2023

Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD) a examiné hier après-midi et ce matin le rapport soumis par l’Allemagne au titre de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale.

Si la qualité des lois adoptées en Allemagne et l’importance accordée par le pays au problème de la discrimination raciale ont été saluées à l’issue de cet examen, une experte du Comité n’en a pas moins voulu savoir pourquoi le racisme était encore si répandu dans la société allemande en général et quelles mesures efficaces l'État avait prises pour lutter contre le racisme systémique et la discrimination structurelle. Sans statistiques sur les minorités ethniques, a-t-elle fait remarquer, la question se pose de savoir comment des mesures efficaces peuvent être prises.

Cette même experte a estimé que la participation et la représentation des personnes d'ascendance africaine en Allemagne étaient insuffisantes et a fait observer que des hommes politiques d'origine africaine avaient été victimes de violences raciales, citant en particulier le cas du député M. Karamba Diaby. L’experte a également relevé que la discrimination envers les musulmans existait dans tous les domaines de la vie en Allemagne, y compris pour ce qui est de l'accès à l'éducation, au marché du travail, au marché du logement et aux soins de santé. Elle a en outre mis en garde contre une montée de l’antisémitisme en Allemagne depuis dix ans, de même que contre des attitudes hostiles à l’égard des Asiatiques et des Slaves. Elle a également demandé ce qui était fait pour lutter contre la discrimination envers les Roms et les Sintis qui vivent en Allemagne depuis des siècles – et à l’égard desquels la discrimination n’a pas cessé après 1945, a insisté l’experte.

Selon certaines allégations, a-t-il par ailleurs été souligné, les personnes d’ascendance africaine sont particulièrement visées, et sans motif valable, par les contrôles de police en Allemagne.

Un expert a cité plusieurs cas, dont est saisi le Comité, de crimes de haine raciste commis contre des membres de minorités ethniques ; il a notamment mentionné cinq attentats à la bombe commis contre des centres d'accueil pour demandeurs d'asile par un groupe de terroristes d'extrême droite en Saxe. Il a été demandé ce qui était envisagé pour démanteler les organisations d’extrême droite interdites, et si l’État fédéral avait l'intention de prendre une mesure d'interdiction contre le parti AfD, comme il avait essayé de le faire sans succès contre un parti extrémiste de droite, le NPD.

Un membre du Comité a par ailleurs constaté que les lacunes juridiques identifiées en 2015 par le Comité s’agissant du droit à un recours effectif en cas de discrimination raciale n’avaient toujours pas été comblées par l’Allemagne. Il n’y a pas, en Allemagne, de mécanisme de plainte indépendant pour les pratiques policières discriminatoires, les victimes de telles discriminations devant en effet déposer plainte auprès de la police fédérale ; or, seules 2% environ des plaintes contre des policiers aboutissent à une inculpation et 65% des victimes ne déposent même pas plainte, a-t-il été relevé.

Plusieurs questions ont en outre porté sur le passé colonial allemand, la restitution d’objets culturels et l'approche de l’Allemagne en ce qui concerne l'offre de réparations pour le génocide des peuples Ovaherero et Nama.

Présentant le rapport de son pays, Mme Sigrid Jacoby, Représentante pour les questions relatives aux droits de l’homme au Ministère fédéral de la justice de l’Allemagne, a mentionné des événements et des attaques dramatiques qui, depuis plusieurs années, ont mis la question du racisme au premier plan du débat public, y compris une série de meurtres racistes ayant coûté la vie à dix personnes, parmi lesquelles neuf étaient issues de l'immigration. Le Gouvernement fédéral a réagi de manière décisive en créant en 2020 un comité ministériel de lutte contre l'extrémisme de droite et le racisme, a-t-elle souligné.

Grâce aux différents changements législatifs intervenus ces dernières années, l'Allemagne a adapté le cadre juridique et établi une base solide pour les poursuites pénales relatives aux discours et aux crimes de haine, a poursuivi Mme Jacoby. Ainsi, a-t-elle fait valoir, l'Allemagne a-t-elle été l'un des premiers pays au monde à prendre des mesures décisives dans ce domaine en introduisant une loi contre les discours de haine criminels en ligne.

Mme Jacoby a par ailleurs évoqué les efforts de l'Allemagne pour faire face à son passé colonial. Ainsi, a-t-elle précisé, en 2019, le Gouvernement fédéral, les Länder et des associations ont adopté des principes qui constituent la base du retour d’objets culturels et de restes ancestraux, et les bronzes du Bénin ont été restitués au Nigéria en 2022, tandis que la reconnaissance par le Ministre allemand des affaires étrangères, en 2021, du génocide des Herero et des Nama est une étape importante vers la réconciliation en mémoire des victimes.

Pour sa part, Mme Nikola Gillhoff, Représentante permanente adjointe de l’Allemagne auprès des Nations Unies à Genève, a souhaité réagir à des remarques faites pendant la séance d’ouverture de la présente session du Comité. Les attaques barbares et enlèvements du Hamas ciblant des civils chrétiens, juifs et arabes nous ont tous secoués, a dit Mme Gillhoff. Dans le même temps, la population civile palestinienne subit elle aussi un champ de bataille et une catastrophe humanitaire, a-t-elle poursuivi, avant d’ajouter que l’Allemagne est compatissante envers toutes les victimes civiles du conflit mais rejette absolument toute comparaison avec l’Holocauste.

Outre Mmes Gillhoff et Jacoby, la délégation allemande était notamment composée de nombreux représentants des Ministères fédéraux des affaires étrangères, de la justice, de l’intérieur, ainsi que des affaires familiales, des personnes âgées, des femmes et de la jeunesse. Étaient également représentées la Cour fédérale de justice et la Cour constitutionnelle fédérale, la police fédérale allemande, la Conférence des Ministres de l’éducation et des affaires culturelles des Länder et les autorités du Land de la Rhénanie-du-Nord-Westphalie.

Le Comité adoptera ultérieurement, à huis clos, ses observations finales sur le rapport de l’Allemagne et les publiera à l’issue de sa session, le 8 décembre prochain.

Lundi prochain, 27 novembre, à 15 heures, le Comité entamera l’examen du rapport de l’Afrique du Sud.

Examen du rapport de l’Allemagne

Le Comité est saisi du rapport périodique de l’Allemagne (CERD/C/DEU/23-26).

Présentation du rapport

Après avoir présenté la délégation allemande, MME NIKOLA GILLHOFF, Représentante permanente adjointe de l’Allemagne auprès des Nations Unies à Genève, a souhaité réagir à des remarques faites pendant la séance d’ouverture de la présente session du Comité. Les attaques barbares et enlèvements du Hamas ciblant des civils chrétiens, juifs et arabes nous ont tous secoués, a dit la Représentante permanente. Dans le même temps, la population civile palestinienne subit elle aussi un champ de bataille et une catastrophe humanitaire, a-t-elle poursuivi, avant d’ajouter que l’Allemagne est compatissante envers toutes les victimes civiles du conflit mais rejette absolument toute comparaison avec l’Holocauste. L’Allemagne a une responsabilité historique à cet égard et l’assume, a-t-elle déclaré.

Israël a le droit de se défendre dans le contexte du droit international, de se défendre contre le Hamas mais pas contre les civils palestiniens, ce qui est une distinction de la plus haute importance, a poursuivi la Représentante permanente, avant de juger essentiel que tous les otages soient libérés et qu’une aide humanitaire réelle parvienne à tous ceux qui en ont besoin.

Mme Gillhoff a ensuite donné la parole à MME SIGRID JACOBY, Représentante pour les questions relatives aux droits de l’homme au Ministère fédéral de la justice de l’Allemagne, qui a présenté le rapport proprement dit.

Mme Jacoby a relevé que même dans un État démocratique fondé sur l'État de droit tel que l'Allemagne, subsistent malheureusement dans la société des préjugés, attitudes et actions racistes et discriminatoires – et même les autorités et organisations publiques n'en sont pas exemptes, a-t-elle ajouté. Elle a ensuite mentionné l’adoption par le Cabinet fédéral, en juin 2017, du Plan d'action national contre le racisme, qui contient des mesures relatives aux sanctions péFnales, à l'éducation politique, à la promotion des valeurs démocratiques et de l'égalité dans la société et dans la politique, ou encore à la promotion de la diversité dans le monde du travail. Elle a précisé qu’une commissaire à la lutte contre le racisme, en la personne de la Ministre d'État Reem Alabali-Radovan, avait été nommée en 2022, dont les tâches consistent à développer ce Plan et à agir en tant que point de contact au Gouvernement fédéral pour les personnes touchées par le racisme et à leur apporter un soutien. D’autre part, le Bureau de ce commissaire à la lutte contre le racisme, qui est une nouveauté en Allemagne, est situé au sein de la Chancellerie fédérale, tandis que le Gouvernement fédéral a créé le Bureau du commissaire à l'antisémitisme en 2018 et le Bureau du commissaire à l'antitsiganisme en 2022.

De plus, afin d'assurer une mise en œuvre plus cohérente de la Décennie internationale des personnes d'ascendance africaine, le Gouvernement fédéral a créé en 2022 un centre de coordination composé d'un conseil consultatif avec des représentants de la communauté issus du monde universitaire, de la société civile et des ministères, ainsi que d'un secrétariat.

Ces dernières années, a poursuivi Mme Jacoby, des événements et des attaques dramatiques ont mis la question du racisme au premier plan du débat public. Parmi ces événements, la cheffe de la délégation a cité une série de meurtres racistes ayant coûté la vie à dix personnes, parmi lesquelles neuf étaient issues de l'immigration. Le Gouvernement fédéral a réagi de manière décisive, en créant en 2020 un comité ministériel de lutte contre l'extrémisme de droite et le racisme, a souligné Mme Jacoby. Il a adopté un ensemble de 89 mesures, qui visent notamment à apporter un soutien plus cohérent aux victimes et à promouvoir les projets de la société civile destinés à prévenir le racisme, a-t-elle précisé.

Mme Jacoby a ensuite relevé que la situation actuelle en Israël et à Gaza et ses effets en Allemagne rappelaient douloureusement que les idées antisémites et racistes existent dans la société allemande et qu'elles peuvent se manifester par des comportements violents. L'hostilité croissante à l'égard des musulmans en Allemagne, qui se traduit notamment par des menaces et des attaques contre des mosquées, est tout aussi préoccupante, a souligné Mme Jacoby.

Grâce aux différents changements législatifs intervenus ces dernières années, l'Allemagne a adapté le cadre juridique et établi une base solide pour les poursuites pénales relatives aux discours et aux crimes de haine, a poursuivi Mme Jacoby. Ainsi, l'Allemagne a-t-elle été l'un des premiers pays au monde à prendre des mesures décisives dans ce domaine en introduisant une loi contre les discours de haine criminels en ligne. Une autre loi adoptée en 2021 a ajouté au Code pénal le délit d'insultes haineuses.

Les efforts du Gouvernement fédéral pour lutter contre le racisme envisagent également des mesures qui ne relèvent pas du droit pénal. En effet, « nous devons faire preuve d'autocritique et nous demander comment renforcer les structures des pouvoirs publics, de l'éducation et des marchés du travail et du logement », a affirmé Mme Jacoby, qui a cité plusieurs initiatives des autorités dans ce domaine. L'éducation politique est particulièrement importante, car elle permet d'identifier les idées racistes et de les empêcher de s'enraciner, a-t-elle souligné.

Mme Jacoby a par ailleurs évoqué les efforts de l'Allemagne pour faire face à son passé colonial. Ainsi, a-t-elle précisé, en 2019, le Gouvernement fédéral, les Länder et des associations ont adopté des principes qui constituent la base du retour d’objets culturels et de restes ancestraux, et les bronzes du Bénin ont été restitués au Nigéria en 2022. Les négociations de réconciliation avec la Namibie, lancées en 2015, constituent un autre exemple de la volonté de l'Allemagne d'accepter sa responsabilité historique ; et la reconnaissance par le Ministre allemand des affaires étrangères, en 2021, du génocide des Herero et des Nama est une étape importante vers la réconciliation en mémoire des victimes, a souligné Mme Jacoby.

Questions et observations des membres du Comité

M. YEUNG KAM JOHN YEUNG SIK YUEN, rapporteur du Comité pour l’examen du rapport de l’Allemagne, a d’abord salué le discours « franc et sincère » de Mme Jacoby, de même que le ton et le contenu de ce discours, qui – a-t-il affirmé – laissent présager d’un dialogue fructueux.

L’expert a ensuite constaté que l’Allemagne, pour des raisons historiques, ne tenait pas de statistiques relatives à l'appartenance ethnique, à la race ou à la couleur, même s’il existe des données sur la population par groupes de nationalité et sur les flux migratoires, ains que, depuis 2019, des données sur les crimes de haine à l'échelle nationale. Les personnes d'ascendance africaine en Allemagne demandent la collecte de données, sur la base de l'auto-identification, en tant qu'étape importante dans la lutte contre le racisme auquel elles sont confrontées, et ce, dans un contexte où le pourcentage de personnes « issues de l'immigration » représente 27% de la population allemande, a souligné M. Yeung Sik Yuen.

S’agissant de rendre une bonne justice pour les victimes de discrimination raciale, les dispositions de la Loi fondamentale ainsi que d'autres lois internes existantes ne sont pas toujours adéquates, a ensuite fait remarquer l’expert. Il a relevé qu'en Allemagne, de nombreuses parties prenantes ont une conception étroite du racisme et de la discrimination raciale, qui ne correspond pas à la conception plus large inhérente à l'article premier de la Convention. M. Yeung Sik Yuen a demandé si la Convention était diffusée auprès de la population allemande et à quelle fréquence l’instrument était invoqué par les tribunaux.

M. Yeung Sik Yuen a ensuite constaté que la Loi fédérale sur l’égalité de traitement ne permettait pas de poursuivre le profilage racial, le seul recours possible étant celui du droit administratif.

Le rapporteur a par ailleurs voulu savoir comment étaient définies les « organisations anticonstitutionnelles » mentionnées à l’article 86 du Code pénal relatif à la diffusion de matériel de propagande. Il a en outre demandé combien de plaintes, poursuites et condamnations étaient enregistrées depuis 2018 pour des infractions liées à la discrimination raciale.

D’autres questions de l’expert ont porté sur les résultats obtenus au terme de l’application du Plan d'action national contre le racisme de 2017.

M. Yeung Sik Yuen a d’autre part relevé qu’il n’y a pas en Allemagne de mécanisme de plainte indépendant pour les pratiques policières discriminatoires, les victimes de telles discriminations devant en effet déposer plainte auprès de la police fédérale ; or, seules 2% environ des plaintes contre des policiers aboutissent à une inculpation et 65% des victimes ne déposent même pas plainte à la police. L’expert a posé d’autres questions sur les modalités des contrôles d’identité opérés par la police allemande.

M. Yeung Sik Yuen a ensuite remarqué que l’Allemagne avait pris plusieurs mesures pour lutter contre les effets néfastes des crimes et des discours de haine, en particulier en s’associant à la campagne du Conseil de l'Europe contre les discours de haine. De plus, a-t-il relevé, l’Allemagne analyse en permanence les méthodes utilisées par les extrémistes de droite et les extrémistes islamiques pour attirer les jeunes internautes. L’expert a demandé si des sanctions avaient déjà été prises contre des réseaux sociaux qui laissent diffuser des contenus illégaux.

M. Yeung Sik Yuen a cité plusieurs cas, dont est saisi le Comité, de crimes de haine raciste commis contre des membres de minorités ethniques, en particulier un incident survenu à Plauen, dans lequel les voisins d’un logement en feu occupé par des Roms ont empêché les secours de leur parvenir, ou encore cinq attentats à la bombe commis contre des centres d'accueil pour demandeurs d'asile par un groupe de terroristes d'extrême droite en Saxe.

M. Yeung Sik Yuen a demandé s’il existait dans le droit pénal allemand une disposition analogue à l'article 4 de la Convention, en vertu de laquelle l'État pourrait déclarer illégales et interdire les organisations et activités de propagande qui encouragent et incitent à la discrimination raciale. Il a aussi voulu savoir si l’État fédéral avait l'intention de prendre une mesure d'interdiction contre le parti AfD, comme il avait essayé de le faire sans succès contre un parti extrémiste de droite, le NPD ; l’expert a également voulu savoir sous quels motifs le parti AfD avait été exclu des élections dans deux Länder.

MME STAMATIA STAVRINAKI, corapporteuse du Comité pour l’examen du rapport allemand, a constaté que les lacunes juridiques identifiées en 2015 par le Comité s’agissant du droit à un recours effectif en cas de discrimination raciale n’avaient toujours pas été comblées.

S’agissant du colonialisme, l’experte a demandé des précisions sur les procédures relatives aux demandes de restitution d’objets culturels. Elle s’est en outre interrogée sur l'approche de l’Allemagne en ce qui concerne l'offre de réparations pour le génocide des peuples Ovaherero et Nama.

Mme Stavrinaki a par la suite posé plusieurs autres questions relatives au logement des réfugiés et requérants d’asile, de même qu’à leur accès aux soins de santé et à l’éducation. Elle a en outre évoqué l’extension de 18 à 36 mois [après leur arrivée dans le pays] du délai de carence pour l'accès des demandeurs d’asile aux soins de santé, dont l'intention explicite est de réduire les incitations à la migration vers l'Allemagne, et a fait observer la même restriction ne s’applique pas aux réfugiés venus d’Ukraine.

MME CHINGSUNG CHUNG, deuxième corapporteuse du Comité pour l’examen du rapport allemand, a voulu savoir pourquoi le racisme était encore si répandu dans la société allemande en général et quelles mesures efficaces l'État avait prises pour lutter contre le racisme systémique et la discrimination structurelle. Sans statistiques sur les minorités ethniques, la question se pose de savoir comment des mesures efficaces peuvent être prises, a-t-elle fait remarquer.

Mme Chung a ensuite demandé ce qui était fait pour améliorer les conditions de logement des minorités ethniques et pour remédier à la discrimination raciale dans le système éducatif, un problème ressenti par les minorités ethniques selon une enquête de 2016.

D’autres enquêtes montrent que les personnes appartenant à des minorités ethniques sont plus souvent que la population générale surqualifiées pour l'emploi qu'elles occupent, a poursuivi l’experte. Elle a en outre relevé que l’on reproche à l’Allemagne de « cacher son racisme de longue date » en concentrant ses projets d'intégration au marché du travail sur les personnes qui ont récemment émigré en Allemagne ou sur les réfugiés, c'est-à-dire les « personnes issues de l'immigration », mais sans prendre en considération les autres minorités ethniques qui vivent en Allemagne depuis de nombreuses générations.

Mme Chung a par ailleurs estimé que la participation et la représentation des personnes d'ascendance africaine en Allemagne étaient insuffisantes. De plus, dans l'exercice de leur droit à la participation politique, des hommes politiques d'origine africaine ont été victimes d'abus et de violences raciales, a-t-elle relevé, évoquant le cas de M. Karamba Diaby, le premier député allemand d'origine africaine, qui a été victime de violences raciales.

Mme Chung a aussi relevé que la discrimination envers les musulmans existait dans tous les domaines de la vie en Allemagne, y compris pour ce qui est de l'accès à l'éducation, au marché du travail, au marché du logement et aux soins de santé. L’experte a d’autre part demandé ce que le Gouvernement faisait pour surmonter les préjugés raciaux à l'encontre des femmes musulmanes portant le foulard.

L’experte a aussi mis en garde contre une montée de l’antisémitisme en Allemagne depuis dix ans, de même que contre des attitudes hostiles à l’égard des Asiatiques et des Slaves. Elle a également demandé ce qui était fait pour lutter contre la discrimination envers les Roms et les Sintis qui vivent en Allemagne depuis des siècles – et à l’égard desquels la discrimination n’a pas cessé après 1945, a insisté l’experte.

Mme Chung a aussi évoqué la situation des Gastarbeiter (« travailleurs (immigrés) invités » en Allemagne), qui sont employés dans des secteurs mal réglementés, et dont les salaires ne sont pas toujours versés.

M. GUN KUT, rapporteur chargé du suivi des recommandations du Comité, a rappelé qu’à l’issue de l’examen du précédent rapport de l’Allemagne, le Comité avait notamment recommandé que le pays comble des lacunes dans les enquêtes sur les actes motivés par la haine raciale, y compris s’agissant de crimes et de discours de haine imputables à des organisations d’extrême droite.

Un autre expert membre du Comité a demandé comment la volonté de l’Allemagne d’assumer ses responsabilités dans la colonisation se traduisait dans les manuels scolaires. Le même expert a voulu savoir comment le Gouvernement luttait contre le racisme dans le sport, en particulier dans le football.

Il a en outre été demandé ce qui était envisagé pour démanteler les organisations d’extrême droite interdites.

Une experte a demandé si les bureaux spécialisés dans la lutte contre l’antisémitisme et l’antitsiganisme pouvaient recevoir des plaintes.

Selon certaines allégations, a fait remarquer une experte, les personnes d’ascendance africaine sont particulièrement visées, et sans motif valable, par les contrôles de police.

D’autres questions ont porté sur le mandat de l’institution nationale de droits de l’homme et sur le statut des minorités nationales en Allemagne.

Selon de nombreux observateurs en Allemagne, l’accès à la justice pour les victimes de discrimination raciale n’est pas efficace, tandis que la question de la réparation reste ouverte, a souligné une experte. De quel soutien les victimes de discrimination raciale bénéficient-elles pour leurs démarches en justice, a-t-il été demandé ?

Le football allemand est miné par le racisme, a regretté un expert, citant plusieurs cas qui illustrent ce constat, avant de recommander qu’un minimum de législation soit adopté pour encadrer et sanctionner ces faits. Cet expert a par ailleurs déploré la mort d’un jeune sénégalais abattu lors d’un banal contrôle de police.

A par ailleurs soulevé la question de l’inclusion dans les programmes scolaires de l'histoire et des conséquences du colonialisme et de l'esclavage.

Réponses de la délégation

La délégation a d’abord indiqué que la Commissaire à la lutte contre le racisme avait publié un rapport sur la question des lacunes en matière de statistiques – une situation qui reflète les craintes exprimées par certaines communautés face au risque que la collecte de données implique, a expliqué la délégation, avant de souligner que les autorités cherchent [donc à s’appuyer sur] des sources alternatives. Depuis 2023, il est tenu compte des personnes immigrées dans le « micro-recensement » sur les questions migratoires a ajouté la délégation. Il existe en effet une catégorie statistique couvrant les « personnes nouvellement arrivées et leurs descendants directs », a indiqué la délégation, avant d’admettre que certaines personnes arrivées il y a longtemps – et qui ne figurent donc pas dans cette catégorie – peuvent subir des discriminations.

La délégation a par la suite souligné que l’Allemagne était consciente que son système statistique actuel est mal adapté aux réalités des flux migratoires, raison pour laquelle le Gouvernement s’efforce de récolter auprès d’autres sources, et avec les communautés concernées, des données plus précises sur des problèmes tels que l’antitsiganisme, le rejet des Asiatiques ou encore le racisme envers les Noirs.

Le Gouvernement consacre d’importants budgets à des analyses des causes profondes du racisme et du rejet de certaines communautés ; une étude à grande échelle sur le racisme institutionnel sera publiée à la fin de 2024, a par ailleurs indiqué la délégation. De plus, un conseil d’experts a été créé pour mesurer l’efficacité des mesures contre le racisme – une évaluation dont les conclusions nourriront le prochain plan d’action fédéral, a ajouté la délégation. D’autres études portent sur les raisons de la montée de l’antisémitisme, a-t-elle précisé.

Concernant l’application de la Convention dans le droit allemand, la délégation a observé que la jurisprudence fait un nombre restreint de références à la Convention – une situation qui s’explique sans doute par l’existence de dispositions fortes en matière de protection des droits de l’homme dans le droit interne, y compris dans la Constitution fédérale, a expliqué la délégation.

L’école de la magistrature organise des formations pour les juges concernant la lutte contre le racisme et les instruments existants dans ce domaine, a ensuite indiqué la délégation.

Le Gouvernement fédéral a créé un Observatoire national de la discrimination et du racisme, qui présente des rapports reflétant la perception du racisme par les personnes interrogées, sur la base de leur expérience, a d’autre part indiqué la délégation.

Le Gouvernement aborde les questions relatives au racisme dans sa dimension structurelle, de même que sous ses formes non intentionnelles ou inconscientes. Le mot « race » figure dans la Constitution fédérale en référence explicite à la volonté de mettre un terme au racisme caractéristique de la période de la guerre, a-t-il été précisé.

Le Gouvernement mène actuellement une étude auprès des fonctionnaires sur la diversité dans l’administration fédérale, a par ailleurs indiqué la délégation.

La révision en cours de la Loi sur l’égalité de traitement vise à en combler les lacunes et à étendre son champ d’application, a poursuivi la délégation. Ladite révision de la Loi tient compte des avis de la société civile et des institutions européennes spécialisées, la grande question étant de savoir si la [portée de la] Loi sera étendue aux organismes publics, a précisé la délégation.

L’interpellation et l’interrogatoire de personnes par la police se font sur la base de critères objectifs, a assuré la délégation. Tous les contrôles d’identité n’exigent pas le soupçon d’un délit préalable, a-t-elle ajouté. Les autorités veillent à ce que les policiers connaissent leurs devoirs et chaque contrôle d’identité donne lieu à la remise d’un récépissé à la personne concernée. On compte environ cinquante plaintes pour deux millions de contrôles par an, sept procédures étant actuellement traitées par les tribunaux, a précisé la délégation. Des formations continues portent sur la prévention du profilage racial dans la police fédérale, a-t-elle fait savoir.

Toute plainte contre un agent de la police fédérale sera dirigée vers un tribunal ou vers l’autorité de police locale, a en outre indiqué la délégation. Il existe aussi un mécanisme de plainte ouvert aux fonctionnaires de police eux-mêmes, s’ils doivent dénoncer les comportements de collègues.

La délégation a par ailleurs décrit les mesures de soutien et de rattrapage scolaires prises par les autorités à tous les niveaux en faveurs des enfants immigrés et réfugiés pendant et après la pandémie de COVID-19. D’autres activités ont visé les enfants des communautés sinti, rom et autres, en particulier s’agissant de la compétence linguistique en allemand, a-t-elle ajouté.

Les autorités allemandes privilégient la réflexion et l’introspection, et elles acceptent le regard critique porté par la société civile sur leur action, a ensuite affirmé la délégation.

Les services de conseil et de soutien aux victimes du racisme ont été renforcés en plusieurs points du territoire, a-t-elle aussi fait savoir.

Le Gouvernement est conscient que les Sintis et Roms sont parmi les plus touchés par le racisme et l’exploitation, a déclaré la délégation. Aussi, il a adopté à cet égard une stratégie de lutte contre l’antitsiganisme et il applique une stratégie d’intégration sociale des personnes concernées, a fait savoir la délégation.

Avec la participation d’organisations représentatives des Noirs en Allemagne, les autorités ont adopté un plan d’action pour marquer la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine, a d’autre part indiqué la délégation, avant de préciser que plusieurs mesures prises dans ce contexte concernent le logement.

Pour l’Allemagne, Internet n’est pas une zone de non-droit et le fait de menacer de mort certaines personnes expose à des sanctions pénales, a ensuite souligné la délégation. Les autorités peuvent aussi prononcer l’interdiction d’organisations et les auteurs potentiels de crimes de haine peuvent être soumis à surveillance, a-t-elle ajouté. La loi sur les contenus illicites (NetzDG) a permis d’améliorer la reddition de comptes de la part des fournisseurs de service Internet et de mieux lutter contre les crimes de haine. En 2021, 13% des posts sur Facebook et 16% des contenus de Youtube ont été effacés à la demande des autorités, a précisé la délégation.

L’interdiction de certaines associations est la manifestation de la légitimité de la démocratie à se défendre contre ses agresseurs, a d’autre part affirmé la délégation. La constatation de certaines infractions entraîne de fait l’interdiction de l’association concernée, a-t-elle expliqué, avant de citer le nom d’une organisation incriminée en ce moment même et d’indiquer que plusieurs enquêtes étaient en cours.

La délégation ensuite a évoqué les mesures prises en réponse aux meurtres racistes commis par le mouvement extrémiste NSU à Halle et à Hanau. Elle a mentionné le travail d’enquête sur les faits mené par les Länder et les modifications de la loi qu’il a entraînées. En particulier, l’architecture de sécurité et la culture de travail des autorités concernées ont été modifiées, y compris au sein du centre commun de lutte contre l’extrémisme de Cologne, créé en 2012.

Une condamnation à une peine de prison a été prononcée dans l’affaire de Plauen mentionnée par un expert, a d’autre part fait savoir la délégation. Plusieurs auteurs d’incendies de centres pour réfugiés ont eux aussi été condamnés à des peines de prison, a-t-elle ajouté.

S’agissant d’autres cas particuliers mentionnés par des experts, la délégation a notamment précisé que le député Diaby avait été agressé par une personne atteinte de trouble mental et que la procédure judiciaire contre le policier responsable de la mort d’un jeune sénégalais lors d’un contrôle était toujours en cours.

Après avoir décrit la structure des services de police au niveau fédéral et à celui des Länder, la délégation a précisé que la traite des êtres humains était considérée comme un crime grave en Allemagne.

La délégation a ensuite reconnu que le travail sur le passé colonial de l’Allemagne avait tardé. Le Gouvernement fédéral est maintenant prêt à assumer ses responsabilités, cette volonté politique étant exprimée dans le contrat de coalition, a-t-elle souligné.

Le Gouvernement fédéral et les Länder ont adopté en 2019 une approche commune pour l’identification puis le retour de biens culturels et de dépouilles ancestrales dans les pays d’origine, a ensuite indiqué la délégation, avant de souligner que cette approche est révisée en fonction de ce qui a été fait. En 2023, des objets ont été restitués à l’Australie et des démarches sont en cours avec le Cameroun, a précisé la délégation.

Pour ce qui est de la Namibie, l’Allemagne admet sans réserve qu’elle est responsable du génocide qui a été commis dans ce pays au début du XXe siècle, a déclaré la délégation. Le Gouvernement soutient les descendants des résistants herero au pouvoir colonial allemand, mais les faits ne sont pas couverts par le droit international qui a été adopté après 1945, a-t-elle ajouté.

S’agissant de l’éducation aux droits de l’homme, la délégation a indiqué que le sujet était couvert de manière transversale dans plusieurs enseignements, dont ceux relatifs à l’histoire et aux langues. Le racisme envers les musulmans, les Roms, les Juifs, notamment, figure au programme, de même que le passé colonial allemand, étudié dans le cours d’histoire sous l’angle de l’impérialisme, a précisé la délégation.

La délégation a par ailleurs fourni un certain nombre de précisions concernant l’aide sociale offerte aux migrants et requérants d’asile. L’accès aux prestations de santé est toujours soumis à un délai de 18 mois (après l’arrivée du requérant dans le pays), l’extension de ce délai à 36 mois étant toujours en discussion, a tenu à préciser la délégation.

Remarques de conclusion

M. YEUNG SIK YUEN a salué la qualité des lois adoptées en Allemagne et l’importance accordée par le pays au problème de la discrimination raciale. Malgré cette volonté d’agir, des faiblesses demeurent et les décisions font parfois défaut : « quand la justice doit être rendue, elle doit être rendue », a-t-il insisté, citant l’AfD et le NPD.

MME JACOBY a jugé ce processus d’examen utile pour l’Allemagne, car « pour se regarder dans le miroir, il faut que quelqu’un tienne le miroir » - un rôle que joue aussi la société civile allemande, a souligné la cheffe de délégation. La lutte contre la discrimination et le racisme demandera plus d’efforts et un ajustement des moyens et des stratégies, ce que le Gouvernement s’emploie à faire, a-t-elle assuré.

Enfin, MME VERENE SHEPHERD, Présidente du Comité, a estimé que l’Allemagne allait dans le bon sens s’agissant de la reconnaissance de son passé colonial et de ses répercussions sur les sociétés africaines et ailleurs. Même si nous ne sommes pas toujours d’accord sur l’interprétation des mesures à prendre conformément au droit international, la décolonisation est essentielle, a-t-elle ajouté, avant de mentionner l’élaboration en cours, dans la région des Caraïbes, d’un texte contenant des obligations à cet égard. Même des crimes commis par le passé ont des répercussions dans le présent, a conclu la Présidente du Comité.


Ce document produit par le Service de l’information des Nations Unies à Genève est destiné à l’information; il ne constitue pas un document officiel.
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