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Le CERD est gravement préoccupé par les informations faisant état de pratiques et d’incidents dans le contexte du conflit armé en Ukraine qui pourraient constituer une discrimination raciale, affirme un expert
13 avril 2023
Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD, selon l’acronyme anglais) est gravement préoccupé par les informations faisant état de pratiques et d’incidents dans le contexte du conflit armé en Ukraine qui pourraient constituer une discrimination raciale, en particulier: les violations des règles du droit international humanitaire pendant le conflit armé qui peuvent cibler ou affecter spécifiquement les membres de groupes protégés par la Convention; la pratique de la mobilisation forcée et de la conscription pour le conflit armé, tant sur le territoire de l’État partie que sur d’autres territoires sous le contrôle effectif de l’État partie – une pratique qui toucherait de manière disproportionnée les membres de groupes spécifiques vulnérables à la discrimination, tels que certains groupes ethniques, les peuples autochtones, les Tatars de Crimée et les migrants ; ainsi que la montée des discours de haine racistes, y compris dans les médias et en ligne, dirigés contre les Ukrainiens dans le contexte du conflit armé.
C’est ce qu’a indiqué un expert membre du CERD alors qu’était examiné, hier et aujourd’hui, le rapport présenté par la Fédération de Russie au titre de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale.
Les membres du Comité se sont particulièrement inquiétés de la persistance des discours de haine au sein de la Fédération de Russie, et de la situation de certaines minorités telles que les Tatars de Crimée, les Roms et les Shor.
Le Comité est particulièrement préoccupé par le fait que toute défense des droits des minorités, y compris en faveur de leur participation politique, puisse être considérée comme une « haine à l’égard des Russes de souche » et donc comme un acte d’extrémisme, a-t-il été indiqué. Le Comité note que les discours de haine racistes et la diffusion de stéréotypes négatifs concernant les minorités ethniques demeurent un grave problème dans l’État partie, a affirmé un expert.
Présentant le rapport de son pays, M. Igor Barinov, chef de l’Agence fédérale pour les nationalités de la Fédération de Russie, a souligné que les dispositions de la Convention ont été incorporées dans le système juridique russe ; elles font ainsi partie intégrante de la politique de l’État dans des domaines tels que la lutte contre l’extrémisme, la lutte contre les discours de haine raciale, l’application des lois, la protection judiciaire, l’éducation et l’enseignement de l’histoire, la justice, ou encore la lutte contre les préjugés et l’intolérance. La Fédération de Russie s’est historiquement développée en tant qu’État multinational ayant uni toutes les communautés ethniques qui en font partie et créé les conditions nécessaires à leur développement ethnoculturel, a déclaré le chef de délégation russe.
Plus de 190 peuples et groupes ethniques vivent en Fédération de Russie et, conformément à la Constitution et à la législation russes, ils ont des droits égaux pour ce qui est de la préservation et du développement de leur langue, de leur culture et de leurs traditions, a souligné M. Barinov. Dans le même temps, l’État fournit des mesures supplémentaires d’appui aux petits peuples autochtones du Nord, de la Sibérie et de l’Extrême-Orient ainsi qu’à d’autres minorités ethniques. La Fédération de Russie accorde une attention particulière à l’amélioration de la situation des Roms et à leur intégration dans la vie de la société moderne, a ajouté M. Barinov.
La Fédération de Russie poursuit une politique cohérente pour ce qui est de lutter contre les tentatives visant à glorifier le nazisme, à propager l’idéologie nazie et d’autres idées ou théories de supériorité fondée sur la race ou l’origine ethnique, religieuse ou sociale, ou à tenter de justifier ou de promouvoir la haine raciale et la discrimination sous quelque forme que ce soit, a d’autre part souligné M. Barinov. La Fédération de Russie a en outre mis en place un système de protection judiciaire efficace pour toute personne en cas de violation discriminatoire de ses droits, a-t-il ajouté.
M. Barinov a par ailleurs indiqué que les sujets figurant dans la liste des points à traiter concernant la Crimée et les situations relatives à des affaires en cours d’examen devant la Cour internationale de Justice ne pouvaient pas être abordés par la délégation car ils sont sensibles et ne relèvent pas des dispositions de la Convention ni des méthodes de travail du Comité..
La délégation russe était également composée, entre autres, de représentants de l’Agence fédérale des affaires des nationalités, du Ministère des sports, du Ministère du développement numérique, des communications et des médias, du Ministère du travail et de la protection sociale, du Ministère de l’éducation, du Ministère des affaires étrangères, du Ministère de la justice, du Ministère de l’intérieur, et du Bureau du Procureur général.
La délégation a notamment affirmé que les questions des experts concernant l’«opération militaire spéciale» n’entraient pas dans les compétences du Comité. S’agissant de l’«évacuation d’enfants de la zone de conflit», la délégation a assuré qu’il n’était pas approprié de parler d’«enlèvements d’enfants» ; la décision d’emmener ces enfants a été prise pour assurer leur sécurité, leur santé et leurs besoins, a-t-elle déclaré.
Plusieurs membres du Comité ont jugé inacceptable l’argument selon lequel le Comité ne pourrait pas aborder une question qui est traitée par la Cour internationale de Justice. Rien dans la Convention ni dans les méthodes de travail du Comité n’empêche les experts d’engager un dialogue constructif avec les États parties afin de résoudre des problèmes qui relèvent de l’information publique générale, a-t-il été souligné. Les membres du Comité sont là pour essayer d’amener la délégation à nouer un dialogue constructif et aboutir à la protection des gens qui souffrent – à leur protection contre toute atteinte à leurs droits qui s’apparenterait à de la discrimination, a-t-il été rappelé.
Le Comité adoptera ultérieurement, à huis clos, ses observations finales sur le rapport de la Fédération de Russie et les rendra publiques à l’issue de sa session, le 28 avril prochain.
Cet après-midi, à 15 heures, le Comité entamera l’examen du rapport du Niger.
Examen du rapport de la Fédération de Russie
Le Comité est saisi du rapport périodique de la Fédération de Russie (CERD/C/RUS/25-26).
Présentation du rapport
M. IGOR BARINOV, chef de l’Agence fédérale pour les nationalités de la Fédération de Russie et chef de la délégation russe, a souligné que dans le monde actuel, le problème de la prévention de toute forme de discrimination raciale devient de plus en plus urgent. La Fédération de Russie attache une grande importance au rôle du Comité et adopte une approche responsable dans l’exécution de ses obligations internationales au titre de la Convention, a-t-il ajouté. Les dispositions de la Convention ont été incorporées dans le système juridique de la Fédération de Russie ; elles font ainsi partie intégrante de la politique de l’État dans des domaines tels que la lutte contre l’extrémisme, la lutte contre les discours de haine raciale, l’application des lois, la protection judiciaire, l’éducation et l’enseignement de l’histoire, la justice, ou encore la lutte contre les préjugés et l’intolérance. En outre, la Fédération de Russie présente chaque année à l’Assemblée générale des Nations Unies une résolution visant à combattre la glorification du nazisme, du néonazisme et d’autres pratiques qui contribuent à alimenter les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée, a rappelé M. Barinov.
La Fédération de Russie s’est historiquement développée en tant qu’État multinational ayant uni toutes les communautés ethniques qui en font partie et créé les conditions nécessaires à leur développement ethnoculturel, a poursuivi le chef de délégation. Cela a notamment été noté par le Président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine, qui, dans ses discours, a souligné à maintes reprises l’importance d’instaurer une paix et une harmonie interethniques durables en Fédération de Russie et de prévenir toute forme de discrimination pour quelque motif que ce soit. Ainsi, l’un des principes fondamentaux de la politique ethnique de l’État est le principe de la prévention et de l’élimination de toute forme de discrimination fondée sur l’appartenance sociale, raciale, nationale, linguistique ou religieuse, a souligné M. Barinov.
L’article 19 de la Constitution de la Fédération de Russie garantit l’égalité des droits et libertés de l’homme et du citoyen, notamment sans distinction de race, de nationalité, de langue, d’origine, de lieu de résidence, ou d’attitude à l’égard de la religion, et interdit toute forme de restriction des droits des citoyens fondée sur l’appartenance sociale, raciale, ethnique, linguistique ou religieuse. Cette approche est inscrite dans la Stratégie de la politique ethnique de l’État de la Fédération de Russie pour la période allant jusqu’en 2025, a insisté le chef de la délégation russe, avant d’ajouter que sa mise en œuvre est confiée à l’organe étatique spécialisé qu’est l’Agence fédérale pour les nationalités. Les principales fonctions de l’Agence comprennent, entre autres, la prévention de toute forme de discrimination fondée sur l’appartenance raciale, nationale, religieuse ou linguistique, ainsi que la prévention des tentatives d’incitation à la discorde, à la haine ou à l’hostilité raciale, nationale et religieuse, a-t-il précisé.
En outre, un certain nombre d’articles du Code pénal de la Fédération de Russie prévoient la responsabilité pénale pour les crimes de nature extrémiste, a indiqué M. Barinov. Plus de dix infractions intègrent comme circonstance aggravante le motif de la haine ou de l’hostilité politique, idéologique, raciale, nationale ou religieuse, ou celui de la haine ou de l’hostilité à l’égard d’un groupe social, a-t-il précisé.
La Fédération de Russie poursuit une politique cohérente pour ce qui est de lutter contre les tentatives visant à glorifier le nazisme, à propager l’idéologie nazie et d’autres idées ou théories de supériorité fondée sur la race ou l’origine ethnique, religieuse ou sociale, ou à tenter de justifier ou de promouvoir la haine raciale et la discrimination sous quelque forme que ce soit. Le pays a toujours pris des mesures pour éliminer toute incitation à la discrimination et a établi la responsabilité pénale pour la réhabilitation du nazisme, a insisté M. Barinov.
Les autorités russes accordent une attention particulière aux enquêtes et aux poursuites engagées contre les responsables d’incitation à la haine ou à l’hostilité pour des motifs raciaux, ethniques ou religieux. Les responsables de l’application des lois reçoivent régulièrement une formation à la lutte contre la discrimination raciale et le profilage, a souligné le chef de la délégation.
La Fédération de Russie a en outre mis en place un système de protection judiciaire efficace pour toute personne en cas de violation discriminatoire de ses droits. Dans leurs activités, les tribunaux de la Fédération de Russie appliquent systématiquement le principe de la stricte protection des droits et des intérêts légitimes des personnes relevant de la juridiction de la Fédération de Russie, sans distinction de race, de couleur de peau, d’ascendance ou d’origine nationale ou ethnique, notamment en se référant directement aux articles pertinents de la Convention, a affirmé M. Barinov.
Les crimes de nature extrémiste préparés ou commis sur Internet sont de plus en plus courants, a d’autre part fait observer le chef de la délégation, avant d’indiquer que les autorités russes compétentes s’emploient à identifier et à bloquer les informations publiées relevant de l’incitation à la haine raciale, ethnique ou religieuse, ou de la propagande en faveur d’idées consistant à exclure ou déclarer inférieure une personne sur la base de l’un de ces motifs.
Une attention particulière est accordée à la prévention des manifestations de toute forme de discrimination, de racisme et de xénophobie à l’égard des athlètes et d’autres sujets sportifs, a poursuivi M. Barinov. Il a dit regretter que le sport russe soit confronté à une discrimination sans précédent de la part des structures et organisations sportives internationales sur une base ethnique et a dénoncé de nombreux cas d’exclusion d’organisations sportives russes des fédérations internationales concernées, de suspension d’athlètes russes de compétitions internationales sous des prétextes fallacieux, ou encore d’interdiction d’organiser des compétitions internationales sur le territoire de la Fédération de Russie.
Plus de 190 peuples et groupes ethniques vivent en Fédération de Russie et, conformément à la Constitution et à la législation russes, ils ont des droits égaux pour ce qui est de la préservation et du développement de leur langue, de leur culture et de leurs traditions, a souligné le chef de la délégation. Dans le même temps, l’État fournit des mesures supplémentaires d’appui aux petits peuples autochtones du Nord, de la Sibérie et de l’Extrême-Orient ainsi qu’à d’autres minorités ethniques. La Fédération de Russie accorde une attention particulière à l’amélioration de la situation des Roms et à leur intégration dans la vie de la société moderne, a ajouté M. Barinov.
M. Barinov a par ailleurs indiqué que les sujets figurant dans la liste des points à traiter concernant la Crimée et les situations relatives à des affaires en cours d’examen devant la Cour internationale de Justice ne pouvaient pas être abordés par la délégation car ils sont sensibles et ne relèvent pas des dispositions de la Convention ni des méthodes de travail du Comité.
Les lois, politiques et institutions de la Fédération de Russie visent à maintenir une paix et une harmonie interethniques durables et à prévenir toute forme de discrimination, et elles continueront à le faire à l'avenir, a conclu le chef de délégation.
Questions et observations des membres du Comité
M. MEHRDAD PAYANDEH, membre du Comité et rapporteur de la task-force chargée de l’examen du rapport de la Fédération de Russie, a souligné que la tâche du Comité est d’évaluer si l’État partie s’acquitte des obligations qui lui incombent en vertu de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. S’il ne lui appartient certes pas d’évaluer de manière exhaustive la licéité de l’emploi de la force par l’État partie, pas plus que le comportement de l’État partie pendant l’actuel conflit armé [en Ukraine], le Comité n’en prend pas moins note de l’évaluation faite par l’Assemblée générale des Nations Unies, qui a parlé d’acte d’agression en violation du paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies, ainsi que des graves préoccupations exprimées par l’Assemblée générale, par le Secrétaire général de l’ONU et par la Commission d’enquête internationale indépendante sur l’Ukraine au sujet des violations du droit international humanitaire et des droits de l’homme dans ce contexte.
En outre, a ajouté M. Payandeh, les experts discuteront et évalueront le fait de savoir si le comportement de l’État partie pendant le conflit armé est conforme à la Convention. L’expert a rappelé à cet égard que les obligations de l’État partie s’appliquent d’une part à son territoire et, d’autre part, à tous les autres territoires sur lesquels il exerce un contrôle effectif, y compris les territoires ukrainiens de Crimée et de Sébastopol ainsi que les régions de Donetsk, Kherson, Lougansk et Zaporijia. Compte tenu du fait que l’État partie déclare dans son rapport qu’il considère la Crimée et la ville de Sébastopol comme faisant partie du territoire de la Fédération de Russie, le Comité estime nécessaire de souligner que cette évaluation n’est pas partagée par la communauté internationale et a été explicitement et sans équivoque rejetée par l’Assemblée générale des Nations Unies dans de nombreuses résolutions, a rappelé M. Payandeh.
L’expert a ensuite demandé à la délégation de préciser quelles organisations de défense des droits humains avaient été consultées pour la préparation du rapport et comment elles avaient participé au processus. Le Comité note le nombre exceptionnellement faible de communications présentées par les organisations de la société civile dans le contexte de l’examen du présent rapport, ce qui peut être considéré comme une indication de restrictions de l’espace civique et peut être compris comme une conséquence de la criminalisation des activités de la société civile qui a été signalée par de nombreuses institutions de défense des droits de l’homme, a déclaré M. Payandeh. Il a par la suite fait part de ses préoccupations concernant la question de la classification d’organisations non gouvernementales en tant qu’agents étrangers.
L’expert a rappelé que dans ses précédentes observations finales, le Comité s’était dit préoccupé par l’absence de législation complète contre la discrimination en Fédération de Russie. Dans ce contexte, il a demandé si le système juridique russe contient une définition de la discrimination raciale couvrant tous les motifs énumérés à l’article premier de la Convention ; s’il englobe toutes les formes de discrimination directe et indirecte prévues par la Convention ; s’il couvre les formes intersectionnelles de discrimination, en particulier la discrimination raciale qui affecte spécifiquement les membres de la communauté LGBTIQ+ ; et s’il contient des dispositions concernant les mesures spéciales, c’est-à-dire les mesures prises en vue d’assurer un progrès adéquat à certains groupes raciaux ou ethniques ou individus ayant besoin d’une telle protection.
M. Payandeh a en outre relevé les préoccupations concernant la violence et la brutalité policières en Fédération de Russie exprimées par de nombreuses institutions, notamment par la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI, selon l’acronyme anglais) en 2019 et par le Comité des droits de l’homme en 2022. L’expert a par ailleurs regretté que la question du profilage racial soit absente du rapport de la Fédération de Russie.
S’agissant de la Stratégie politique de l’État en matière de nationalités, telle qu’amendée en 2018, l’expert a demandé des éclaircissements s’agissant de la définition de concepts de base tels que « politique des nationalités de l’État », « unité civique », « nation russe », ou encore « relations interethniques ».
M. Payandeh s’est ensuite inquiété du manque de données fournies par l’État partie concernant l’application de ses lois antidiscrimination dans la pratique.
Le Comité estime par ailleurs que l’accent mis par les lois de l’État partie sur « l’extrémisme » est problématique parce que cet accent ne permet pas d’évaluer si et dans quelle mesure l’État partie traite efficacement les incidents de discrimination raciale, a souligné l’expert. Le Comité est particulièrement préoccupé par le fait que toute défense des droits des minorités, y compris en faveur de leur participation politique, puisse être considérée comme une « haine à l’égard des Russes de souche » et donc comme un acte d’extrémisme.
Le Comité note que les discours de haine racistes et la diffusion de stéréotypes négatifs concernant les minorités ethniques demeurent un grave problème dans l’État partie, comme l’ont également souligné les rapports de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance, de nombreuses parties prenantes au cours du dernier cycle de l’Examen périodique universel (EPU), et le Comité des droits de l’homme en 2022, a par la suite indiqué M. Payandeh. De fortes augmentations des discours de haine, par exemple à l’encontre des Roms, des Tatars de Crimée et des migrants, ont été signalés, a-t-il ajouté.
Relevant que l’État partie attire l’attention sur de nombreuses lois qui visent à lutter contre les discours de haine et la propagande racistes, l’expert a toutefois observé que la plupart de ces lois semblent être axées sur la notion d'«extrémisme» ou d'«actes illégaux de nature extrémiste».
Le rapport de la Fédération de Russie ne mentionne le discours de haine dans les médias que pour indiquer que l’État partie « surveille » les médias, a relevé M. Payandeh, souhaitant savoir ce que les autorités entendent exactement par « surveiller » les médias. Les informations faisant état de discours de haine dans les médias sont persistantes, ce qui soulève la question de savoir pourquoi il en est ainsi, étant donné que l’État partie affirme dans son rapport que la Fédération de Russie condamne toute forme de propagande raciste, de discours de haine raciste ou de diffusion d’idées fondées sur la supériorité raciale, a-t-il insisté.
La diffusion de discours de haine racistes en ligne est un autre problème grave et de plus en plus problématique, a poursuivi l’expert. Le rapport de l’État partie reconnaît ce problème, mais l’aborde à nouveau comme une question d'« extrémisme », a-t-il souligné.
S’agissant du conflit en Ukraine, M. Payandeh a indiqué que le Comité est gravement préoccupé par les informations faisant état de pratiques et d’incidents dans le contexte du conflit armé qui pourraient constituer une discrimination raciale, en particulier: les violations des règles du droit international humanitaire pendant le conflit armé qui peuvent cibler ou affecter spécifiquement les membres de groupes protégés par la Convention; la pratique de la mobilisation forcée et de la conscription pour le conflit armé, tant sur le territoire de l’État partie que sur d’autres territoires sous le contrôle effectif de l’État partie – une pratique qui toucherait de manière disproportionnée les membres de groupes spécifiques vulnérables à la discrimination, tels que certains groupes ethniques, les peuples autochtones, les Tatars de Crimée et les migrants ; ainsi que la montée des discours de haine racistes, y compris dans les médias et en ligne, dirigés contre les Ukrainiens dans le contexte du conflit armé.
L’expert s’est ainsi enquis des mesures que prend l’État partie pour veiller à ce que ses forces armées s’acquittent des obligations qui lui incombent en vertu du droit international humanitaire et du droit international relatif aux droits de l’homme, en particulier dans la mesure où ces violations touchent des personnes vulnérables à la discrimination. Il a également souhaité connaître les mesures prises pour veiller à ce que les conséquences négatives du conflit armé, en particulier pour les civils et la société civile, n’affectent pas de manière disproportionnée certains groupes ethniques. M. Payandeh s’est enquis des mesures prises pour veiller à ce que les personnes placées sous le contrôle effectif de l’État partie en dehors de son territoire ne fassent pas l’objet d’une discrimination dans l’exercice de leurs droits fondamentaux.
Etant donné que la Fédération de Russie exerce un contrôle effectif sur le territoire de la Crimée et de la ville de Sébastopol, M. Payandeh a rappelé que le Comité des droits de l’homme, dans ses observations finales concernant la Fédération de Russie en 2022, avait exprimé sa préoccupation face aux informations faisant état de nombreuses et graves violations des droits de l’homme commises contre des habitants de la Crimée. Une question particulièrement pertinente dans le cadre de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale concerne le traitement des Tatars de Crimée, a-t-il souligné. Il a ainsi demandé à la délégation d’informer le Comité des efforts déployés depuis le précédent dialogue pour enquêter efficacement sur les allégations de violations des droits de l’homme des Tatars de Crimée, s’agissant en particulier d’enlèvements, de disparitions forcées, de détentions arbitraires et de mauvais traitements. M. Payandeh a ajouté que le Comité est gravement préoccupé par l’interdiction du Mejlis, l’institution la plus importante pour la représentation politique du peuple tatar de Crimée.
MME STAMATIA STAVRINAKI, membre du Comité et de la task-force chargée de l’examen du rapport de la Fédération de Russie, a demandé des informations sur le projet de loi en cours d’élaboration pour améliorer la législation sur les territoires autochtones où les ressources naturelles traditionnelles sont utilisées. L’experte a posé de nombreuses questions sur la protection et la reconnaissance des peuples autochtones sur le territoire de la Fédération de Russie ainsi que sur leur droit au consentement préalable libre et éclairé [concernant des décisions qui les concernent].
L’experte a également demandé à la délégation davantage d’informations sur les mesures prises pour rétablir les droits des Shor du village de Kazas détruit en 2013. Elle a également fait part des préoccupations du Comité concernant le cas de deux défenseurs des droits de l’homme travaillant pour les droits de propriété intellectuelle des Shor, Mme Yana Tannagasheva et M. Vladislav Tannagasev, qui ont assisté au dialogue avec le Comité en 2017 et auraient été victimes de harcèlement et d’intimidation de la part des autorités locales à la suite de leur participation et auraient dû fuir leur domicile. Un incident a également eu lieu en juillet dernier, alors que Mme Tannagasheva participait à la session du Mécanisme d’experts sur les droits des peuples autochtones, devant lequel elle a pris la parole pour illustrer la situation des Shor et le rôle des sociétés minières, telles que Nornickel. Les témoins de l’incident dans la salle de conférence, y compris d’autres représentants d’ONG et le Rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones, ont encerclé Mme Tannagasheva pour tenter de mettre fin aux actes d’intimidation. Les informations indiquent également qu’immédiatement après l’incident, le Comité international pour la protection des peuples autochtones de Fédération de Russie – organisation dont Mme Tannagasheva fait partie – a publié une déclaration et a ensuite reçu une demande des autorités pour retirer cette information de son site dans les 24 heures. Mme Stavrinaki a demandé si des enquêtes avaient été ouvertes sur les circonstances de ces affaires.
Mme Stavrinaki s’est particulièrement enquise des mesures prises pour lutter contre la discrimination structurelle à l’égard des Roms, en indiquant que selon les informations dont dispose le Comité, la discrimination raciale et les préjugés à l’égard des Roms restent répandus. Les membres de la communauté rom ont un accès limité aux services de santé, à l’éducation et à l’emploi, en raison de la discrimination raciale, a-t-elle souligné. Elle a aussi posé de nombreuses questions concernant l’accès à l’éducation pour les enfants roms et l’existence de « classes dites roms ». L’experte a également évoqué la discrimination à l’encontre des Roms dans le domaine de l’accès au logement. Elle a en outre indiqué que selon les informations dont dispose le Comité, les forces de l’ordre, y compris la police et l’Unité mobile à vocation spéciale, effectuent des descentes dans les résidences/villes roms, suivies d’arrestations massives et de détentions d’hommes roms qui, dans certains cas, sont soumis à des mauvais traitements. Mme Stavrinaki s’est en outre inquiétée de plusieurs cas de conflits interethniques violents impliquant des Roms et des non-Roms en Fédération de Russie.
M. IBRAHIMA GUISSE, membre du Comité et de la task-force chargée de l’examen du rapport de la Fédération de Russie, s’est enquis des mesures prises par la Fédération de Russie pour lutter contre l’exploitation des travailleurs migrants et les mauvais traitements qui leur sont infligés par leurs employeurs.
M. Guissé a posé des questions sur les cadres législatifs et politiques concernant les demandeurs d’asile, les réfugiés et les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays, relevant que les informations à ce sujet étaient absentes du rapport.
L’expert a en outre indiqué que, selon certaines informations, la Douma (Parlement) envisage actuellement d’amender la loi sur la citoyenneté, s’agissant en particulier des articles relatifs à la révocation de la citoyenneté en raison de la commission d’un crime ou de la réalisation d’activités qui constituent une menace pour la sécurité nationale de la Fédération de Russie. M. Guissé a relevé qu’avec ces amendements, les personnes qui seraient condamnées en vertu de plusieurs articles du Code pénal pourraient être privées de leur citoyenneté et devenir apatrides.
Une autre experte a demandé les raisons qui ont poussé l’Alliance mondiale des institutions nationales des droits de l’homme (GANHRI, selon l’acronyme anglais) à suspendre l’accréditation de la Commission des droits de l’homme russe et a souhaité savoir si la Fédération de Russie envisageait de faire appel de cette décision.
Un autre expert s’est inquiété des nombreuses informations faisant état d’un racisme très important à l’encontre des personnes d’ascendance africaine en Fédération de Russie.
Un expert a souhaité obtenir davantage d’informations concernant le transfert d’enfants ukrainiens vers la Fédération de Russie dans le cadre du conflit actuel, en indiquant qu’il s’agissait là d’une thématique qui relève de la Convention.
Une autre experte s’est inquiétée des discriminations à l’encontre des personnes vivant avec le VIH/sida, y compris des migrants.
Plusieurs experts ont jugé inacceptable l’argument selon lequel le Comité ne pourrait pas aborder une question qui est traitée par la Cour internationale de Justice. Rien dans la Convention ni dans les méthodes de travail du Comité n’empêche les experts d’engager un dialogue constructif avec les États parties afin de résoudre des problèmes qui relèvent de l’information publique générale, a-t-il été souligné. Les membres du Comité sont là pour essayer d’amener la délégation à nouer un dialogue constructif et aboutir à la protection des gens qui souffrent – à leur protection contre toute atteinte à leurs droits qui s’apparenterait à de la discrimination, a-t-il été rappelé. Le succès du Comité dépend de la capacité de l’État partie à s’acquitter de ses obligations en vertu de la Convention, ont insisté les experts.
Réponses de la délégation
S’agissant des statistiques relatives au recensement de la population, la délégation a indiqué qu’en 2021, un recensement unique avait été organisé, dans les circonstances que l’on connaît liées au coronavirus, avec des outils électroniques. Quelque 194 groupes ethniques principaux vivent sur le territoire de la Fédération de Russie, qui compte 145 millions d’habitants – ce qui place le pays au neuvième rang mondial en termes de population, a précisé la délégation, ajoutant que 80% de la population est russe.
Toutes les organisations de la société civile peuvent participer au débat sur la mise en œuvre des droits de l’homme, au sein de la Maison des peuples de Russie, a assuré la délégation.
Aujourd’hui, la Fédération de Russie compte 166 associations de défense des droits de l’homme de groupes ethniques différents et 51 associations s’occupent de la défense des droits des migrants, a précisé la délégation. Nombreuses sont les associations/organisations de la société civile qui ont participé activement à la rédaction du rapport, a assuré la délégation.
Les autorités russes estiment qu’il n’est pas nécessaire d’élaborer une législation spécifique pour protéger les organisations de défense des droits de l’homme puisqu’il existe déjà une législation qui défend les associations à but non lucratif, a par la suite expliqué la délégation.
Les organisations qui sont enregistrées en tant que médias ont, elles aussi, des droits et obligations tels que prévus par la loi, a poursuivi la délégation.
Les activités de ces organisations ne peuvent être interdites que par décision d’un tribunal et non par une décision administrative.
La loi sur les agents étrangers a été adoptée dans le but d’informer la société sur les organisations et les personnes physiques qui mènent des activités à caractère politique et qui sont financées de l’étranger, a ensuite expliqué la délégation. La législation a été amendée pour être simplifiée ; la loi définit concrètement ce qu’est un agent étranger et ce que cela implique. La législation prévoit également un mécanisme de recours pour toute décision prise en vertu de la législation sur les agents étrangers, a fait valoir la délégation, avant de préciser qu’il n’y avait pas de connotation négative à l’expression « agents étrangers ». Cette conception répond aux normes du droit international, a assuré la délégation.
En Fédération de Russie, la législation antidiscrimination est globale car elle porte sur tous les domaines de la Convention, a poursuivi la délégation. La Constitution de la Fédération interdit les discriminations fondées sur toute une série de critères et ces dispositions constitutionnelles se reflètent dans de nombreuses législations, concernant notamment l’éducation, l’emploi et le service de la fonction publique. Dans chaque domaine, il existe un organe de contrôle qui veille au respect du principe de non-discrimination, a indiqué la délégation. Le Code pénal traite également des cas de discrimination à l’encontre des personnes, a-t-elle ajouté. En Fédération, la législation permet pleinement d’empêcher toute tentative de discrimination, y compris à l’encontre des personnes LGBT, a assuré la délégation.
S’agissant du profilage racial, la délégation a souligné que les activités des policiers et de toutes les forces publiques sont régies par la Constitution et par la Loi sur la police fédérale, laquelle prévoit que la police défend les droits de tous les citoyens. Les forces de l’ordre reçoivent une formation couvrant aussi les domaines psychologique et juridique et intégrant le concept d’impartialité, a ajouté la délégation.
S’agissant des plaintes pour discrimination, la délégation a indiqué qu’en 2022, 1566 crimes en lien avec la discrimination raciale ont été enregistrés, tandis qu’il y en avait eu 1057 en 2021, ce qui – a-t-elle ajouté – témoigne d’un travail accru des organes de répression pour lutter contre ce type de crimes. Le Ministère public exerce un contrôle sur les procédures et la légalité de l’examen des plaintes pour discrimination de tous les organes de pouvoir, a par ailleurs souligné la délégation, assurant qu’il existe donc bel et bien un mécanisme au niveau de l’État qui traite des plaintes des citoyens pour discrimination.
La délégation a ensuite expliqué que l’activité extrémiste d’organisations radicales constitue l’une des principales menaces à l’encontre de la Fédération de Russie. La législation russe contient une définition précise et suffisante de la notion d’« activité extrémiste », a indiqué la délégation.
S’agissant de l’incitation à la haine, la délégation a souligné que l’État a l’obligation de prévenir tous les crimes et discours de haine, infractions pour lesquelles la législation russe prévoit des sanctions pénales. Une série d’articles du Code pénal régit ces crimes qui sont tous poursuivis et passibles de sanctions, a insisté la délégation. La loi prévoit aussi une responsabilité pénale pour incitation à la haine, au motif notamment de la race, de la part d’organisations extrémistes, a-t-elle ajouté. La loi contre l’extrémisme prévoit la dissolution de toute organisation qui participe à des activités racistes. La législation prévoit également la fermeture de tout site web promouvant la haine raciale et plusieurs milliers de sites ont ainsi été fermés ces dernières années par décisions judiciaires pour incitation à la haine raciale, a indiqué la délégation.
La délégation a ensuite présenté une série de mesures visant à protéger la population tsigane et rom au sein de la Fédération de Russie. Elle a notamment mentionné un festival tsigane qui a lieu dans l’ensemble du pays et qui vise à promouvoir cette culture. La législation en Fédération de Russie garantit l’accès à l’éducation à tous les enfants, indépendamment de leur race, de leur sexe, ou de leur origine, notamment, a par ailleurs fait valoir la délégation. Ainsi, les enfants des familles tsiganes et d’autres peuples disposent des mêmes droits que tous les enfants, y compris le droit à un enseignement de qualité, a-t-elle insisté.
S’agissant du peuple Shor, la délégation a fait savoir que des mesures ont été prises pour assurer la consultation des populations et la protection des villages concernés avec des accords entre les habitants, les autorités locales et les entreprises commerciales. Les entreprises mènent leurs activités en accord avec les populations locales, a assuré la délégation, faisant état d’accords qui prévoient notamment la fourniture de matériel moderne dans les écoles et la réinstallation de la population de certains villages dans des appartements modernes en ville.
La délégation a par ailleurs assuré qu’en vertu de la législation sur le travail, les travailleurs migrants jouissent des mêmes droits et garanties – sans exclusion aucune – dans le monde du travail que les citoyens de la Fédération de Russie, s’agissant notamment des salaires, des congés ou des prestations sociales.
La délégation a regretté la dimension sans précédent prise par le phénomène qui consiste - notamment de la part du Comité international olympique et paralympique – à écarter les athlètes russes. Elle a rappelé que les Nations Unies avaient adopté une résolution sur le sport en tant que moteur du développement durable, qui prévoit notamment que le sport soit un facteur unificateur.
La délégation a déploré certaines questions abordées dans la liste de questions du Comité, qui ne peuvent, selon elle, être examinées par le Comité. Ces questions sont débattues à la Cour internationale de Justice (CIJ) suite à une action intentée par le « régime de Kiev », a déclaré la délégation russe, affirmant que tant qu’une décision finale n’a pas été prise par la CIJ, le Comité ne peut aborder ces questions. Si une question est examinée devant une autre juridiction, le Comité ne peut pas l’examiner – et ceci afin d’éviter les doublons superflus, a estimé la délégation. La Fédération de Russie s’est engagée à s’acquitter de ses obligations internationales sur tout son territoire, « y compris en Crimée et à Sébastopol », où peuvent se rendre des enquêteurs des droits de l’homme si les procédures sont respectées, a affirmé la délégation.
Pour tout ce qui a trait à l’«opération militaire spéciale», la délégation a affirmé que ces questions n’entrent pas dans les compétences du Comité. En même temps, la Fédération de Russie respecte ses engagements internationaux, notamment les dispositions de la Convention, sur tout son territoire, « y compris les territoires de Crimée et de Sébastopol ainsi que les régions de Donetsk, Kherson, Lougansk et Zaporijia », a insisté la délégation.
S’agissant de l’«évacuation d’enfants de la zone de conflit», la délégation a affirmé qu’il n’est pas approprié de parler d’«enlèvements d’enfants». La décision d’emmener ces enfants a été prise pour assurer leur sécurité, leur santé et leurs besoins, a déclaré la délégation. L’organe qui coordonne cette « action humanitaire » est un mécanisme indépendant de défense des droits des enfants : la Commissaire russe aux droits de l’enfant, qui a informé l’ensemble de la communauté internationale et des parties concernées concernant cette « procédure », a indiqué la délégation. D’après la Commissaire, en février 2022, plus de 5 millions d’habitants du Donbass ont franchi la frontière et parmi eux près de 700 000 enfants. Ces enfants se sont déplacés avec leurs représentants légaux, a poursuivi la délégation. Suivant le principe de la désinstitutionalisation, a-t-elle expliqué, un travail a été fait avec les enfants en situation difficile afin de retrouver leurs familles qui se trouvent dans différents pays ou pour trouver des familles d’accueil en cas de besoin. Il ne s’agit pas d’une adoption mais d’un accueil temporaire afin de protéger ces enfants, a déclaré la délégation, ajoutant que ces enfants arrivés en Fédération de Russie sont accueillis dans diverses installations d’accueil. La Commissaire aux droits des enfants assure un suivi strict de la situation de chaque enfant, en collaboration étroite avec des organisations internationales, notamment le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) et le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), a déclaré la délégation.
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