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Alors que la Jamaïque fait valoir le patrimoine de ces communautés, les experts du CERD s’inquiètent d’allégations de discrimination à l’égard des rastafaris et des marrons dans le pays

25 novembre 2022

Saisi d’allégations de discrimination raciale en Jamaïque, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale a été informé que des membres de la communauté rastafari auraient été victimes de discrimination en matière de logement et d'emploi et que la police couperait les dreadlocks – expression de la foi rastafari – des rastafaris détenus. Le Comité a également reçu des informations faisant état de l'exclusion économique des rastafaris. Il a en outre reçu des allégations de discrimination raciale à l'encontre de membres de la communauté marron, alors que le Traité marron de 1738 semble être au cœur d’un différend territorial entre le Gouvernement et les peuples autochtones.

C’est ce qu’a indiqué une experte du Comité alors qu’était examiné, hier après-midi et ce matin, le rapport soumis par la Jamaïque au titre de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale.

Une autre experte du Comité a constaté que certains règlements scolaires interdisaient les tresses, les perles et les dreadlocks, ce qui touche particulièrement les élèves rastafaris, les marrons et les autres élèves d'origine africaine portant ce type de coiffure.

Par ailleurs, a-t-il été indiqué, le Comité reste préoccupé de constater que le pays n'a pas appliqué la recommandation qui lui avait adressée visant l'adoption d'une législation anti-discrimination complète contenant une définition claire de la discrimination raciale. Le Comité attend de la Jamaïque qu’elle se dote d’une loi contre le discours de haine, au titre de l’article 4 de la Convention, a-t-il été souligné.

Une experte a regretté que la Jamaïque n'ait pas encore créé d’institution nationale des droits de l'homme. L'absence d'un système de protection des droits de l'homme doté d’un mécanisme de plaintes fait qu'aucune entité gouvernementale n'est responsable de la réalisation des droits de l'homme dans le pays, a-t-elle fait observer.

Un membre du Comité a constaté que le nombre des violences policières en Jamaïque avait fortement baissé depuis plusieurs années. Malgré cela, ces violences ne donnent pas toujours lieu à des enquêtes, a-t-il toutefois regretté.

Il n’y a pas de tensions avec les marrons ni avec les rastafaris, deux groupes avec lesquels le Gouvernement entretient de bonnes relations et un dialogue constant, a tenu à souligner la Ministre jamaïcaine de la culture, du genre, du divertissement et du sport de la Jamaïque, Mme Olivia Grange, à l’issue du dialogue noué par sa délégation avec les membres du Comité.

Présentant le rapport de son pays, Mme Grange a souligné que la Jamaïque a inscrit le principe de non-discrimination dans sa Charte des droits et libertés fondamentaux, laquelle stipule explicitement, en son article 13, que toutes les personnes jouissent du droit de ne pas subir de discrimination fondée sur la race, le lieu d'origine, la classe sociale, la couleur, la religion ou les opinions politiques.

Le Gouvernement dialogue ainsi avec les rastafaris sur de nombreuses questions de propriété intellectuelle, la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel rastafari étant une priorité, a poursuivi la Ministre. Le Gouvernement a aussi décoré Leonard Howell à titre posthume pour avoir été le pionnier du mouvement rastafari en Jamaïque. Au recensement de 2011, les rastafaris représentaient 1% de la population, mais cette communauté culturelle exerce un impact considérable sur la conscience du peuple jamaïcain et a une empreinte mondiale remarquable, a souligné Mme Grange. Elle a par ailleurs fait savoir que le Gouvernement avait, dans le contexte de l’intégration des questions de race et de droits dans le programme scolaire, réintroduit les enseignements de Marcus Garvey dans les programmes scolaires.

La Ministre a ensuite indiqué qu’un soutien est apporté chaque année aux communautés marrons de Jamaïque, en particulier à leurs festivals et à leurs initiatives de développement. En consultation avec la communauté marron, le Gouvernement a obtenu l'inscription du patrimoine des Marrons de Moore Town sur la liste de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO), a-t-elle ajouté. D’autre part, un processus a été lancé par d'éminents historiens locaux et caribéens qui a conduit la Jamaïque à déclarer des journées au nom des libérateurs qui étaient jadis qualifiés de criminels par les puissances coloniales : pendant ces journées, l'origine africaine des libérateurs est précisée, de même que leur contribution à la construction de la Jamaïque.

D’autre part, le Ministère de la culture a procédé à des auditions et à un examen complet des exigences en matière d'habillement et de tenue vestimentaire pour l'accès aux espaces publics, y compris aux écoles : ces exigences sont en effet désormais considérées par la société comme étant « en décalage avec notre culture » et « elles ont parfois servi à restreindre l’accès aux institutions, y compris aux écoles », a dit Mme Grange.

Outre Mme Grange et plusieurs de ses collaborateurs au Ministère de la culture, du genre, du divertissement et du sport, la délégation jamaïcaine était également composée, entre autres, de Mme Cheryl Spencer, Représentante permanente de la Jamaïque auprès des Nations Unies à Genève, ainsi que de représentants du Ministère des affaires étrangères, du Ministère des affaires juridiques et constitutionnelles, du parquet et du Conseil national des réparations.

Au cours du dialogue, la délégation s’est dite d’accord avec la réflexion d’experts du Comité selon lesquels les problèmes rencontrés en Jamaïque relèvent davantage de la dimension de classe que du racisme.

Le Comité adoptera ultérieurement, à huis clos, ses observations finales sur le rapport de la Jamaïque et les rendra publiques à l’issue de sa session, le 2 décembre prochain, date de clôture de cette 108ème session.

Examen du rapport

Le Comité est saisi du rapport valant vingt et unième à vingt-quatrième rapports périodiques de la Jamaïque (CERD/C/JAM/21-24).

Présentation

Présentant le rapport de son pays, MME OLIVIA GRANGE, Ministre de la culture, du genre, du divertissement et du sport de la Jamaïque, a attiré l’attention sur les mesures prises par le pays pour faire face aux défis posés par la pandémie de COVID-19. Elle a souligné que la Jamaïque ne s’en débattait pas moins encore avec les effets socioéconomiques des crimes historiques non résolus contre son peuple, le pillage économique du pays et le sous-développement de la majorité, tous hérités du colonialisme et de l'esclavage. Alors que le dernier recensement a montré que la population est composée à 92% de personnes d'origine africaine, la Jamaïque a inscrit le principe de non-discrimination dans sa Charte des droits et libertés fondamentaux, laquelle stipule explicitement, en son article 13, que toutes les personnes jouissent du droit de ne pas subir de discrimination fondée sur la race, le lieu d'origine, la classe sociale, la couleur, la religion ou les opinions politiques.

La Jamaïque a fait face à ses propres actions qui ont eu un impact négatif sur ses précieuses communautés culturelles et dont certaines ont été portées à la connaissance du Comité, a ensuite fait valoir Mme Grange. Ainsi, a-t-elle rappelé que [par le passé] des leaders et des adeptes du rastafarisme avaient été arrêtés, emprisonnés voire placés en institution et que Leonard Howell, considéré comme le fondateur de cette foi, avait été emprisonné et avait vu son village rastafari de Pinnacle définitivement démantelé au début des années 1950. En avril 1963, a-t-elle ajouté, s’est produit l’incident de « Coral Gardens » qui a vu des rastafaris, des civils et des policiers perdre leur vie et les droits d’environ 150 membres de la communauté rastafari être violés parce qu’on leur reprochait d’être à l’origine des troubles qui avaient déclenché ces « horribles événements ». Or, le 3 avril 2017, à l’occasion de la commémoration du 54ème anniversaire de l’incident de « Coral Gardens », le Premier Ministre jamaïcain a présenté pour la première fois des excuses à la communauté rastafari. Alors que le Défenseur public recommandait d'indemniser les survivants à hauteur de dix millions de dollars, le Gouvernement a créé un fonds fiduciaire (Coral Gardens Trust Fund) doté, à ce jour, de plus de cent trente-deux millions de dollars, a fait valoir la délégation. Le Gouvernement a aussi créé, et finance, un centre de soins pour les survivants qui ont besoin d'un abri et d'un soutien médical, a-t-elle ajouté.

Le Gouvernement travaille sans relâche pour réparer « cette violation vieille de plusieurs décennies » ainsi que les inégalités persistantes, de même que pour forger une nouvelle relation fondée sur la reconnaissance, le respect mutuel et la confiance, a insisté la Ministre. Le Gouvernement dialogue ainsi avec les rastafaris sur de nombreuses questions de propriété intellectuelle, la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel rastafari étant une priorité. Le Gouvernement a aussi décoré Leonard Howell à titre posthume pour avoir été le pionnier du mouvement rastafari en Jamaïque. Au recensement de 2011, les rastafaris représentaient 1% de la population, mais cette communauté culturelle exerce un impact considérable sur la conscience du peuple jamaïcain et a une empreinte mondiale remarquable, a souligné Mme Grange.

La Ministre a ensuite indiqué qu’un soutien est par ailleurs apporté chaque année aux communautés marrons de Jamaïque, en particulier à leurs festivals et à leurs initiatives de développement. En consultation avec la communauté marron, le Gouvernement a obtenu l'inscription du patrimoine des Marrons de Moore Town sur la liste de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO), a-t-elle ajouté. D’autre part, un processus a été lancé par d'éminents historiens locaux et caribéens qui a conduit la Jamaïque à déclarer des journées au nom des libérateurs qui étaient jadis qualifiés de criminels par les puissances coloniales : pendant ces journées, l'origine africaine des libérateurs est précisée, de même que leur contribution à la construction de la Jamaïque.

Dans le même temps, a poursuivi Mme Grange, le Conseil national des réparations (National Council on Reparation, NCR) poursuit sa mission de justice réparatrice en accord avec la Déclaration et le Plan d'action de Durban et le Plan en dix points de la Communauté des Caraïbes (CARICOM). Une politique de réparation, en cours d'élaboration, abordera le sujet de manière exhaustive, sous le thème de la Décennie internationale des personnes d'ascendance africaine des Nations Unies : « Considération, justice et développement ».

D’autre part, le Ministère de la culture a procédé à des auditions et à un examen complet des exigences en matière d'habillement et de tenue vestimentaire pour l'accès aux espaces publics, y compris aux écoles : ces exigences sont en effet désormais considérées par la société comme étant « en décalage avec notre culture » et « elles ont parfois servi à restreindre l’accès aux institutions, y compris aux écoles », a dit Mme Grange.

Pour sa part, l'Institut de statistique renforcera sa capacité à collecter des données, des statistiques et des informations qualitatives de manière plus efficace, et à ventiler les données si nécessaire, étant donné que les données factuelles offrent de nouvelles possibilités de mesurer les progrès réalisés dans la mise en œuvre de la Convention et d'autres instruments.

Mme Grange a aussi fait savoir que le Gouvernement avait, dans le contexte de l’intégration des questions de race et de droits dans le programme scolaire, réintroduit les enseignements de Marcus Garvey dans les programmes scolaires. Comme Marcus Garvey l'a si bien dit, « un peuple sans connaissance de son histoire passée, de son origine et de sa culture est comme un arbre sans racines ». La célébration de la Journée de la Jamaïque et de la Journée de l'Afrique dans les écoles, voire au niveau national, est de bon augure pour « renforcer la primauté de l'identité personnelle et culturelle », a souligné la Ministre.

Enfin, Mme Grange a souligné que son Gouvernement concentrait son attention sur les questions critiques de l'accès au logement, à l'emploi et aux plages. Elle a conclu en citant de nouveau des propos de Marcus Garvey, lequel affirmait qu’« il n’y a rien de plus dangereux que de construire une société dans laquelle un grand nombre de gens ont l’impression qu’aucun enjeu ne les concerne et sentent qu’ils n’ont rien à perdre ».

Questions et observations des membres du Comité

MME FAITH DIKELEDI PANSY TLAKULA, rapporteuse du groupe de travail chargé par le Comité d’examiner plus avant le rapport de la Jamaïque, a tout d’abord souligné que le racisme et la discrimination raciale étaient des produits de l'esclavage, du colonialisme et de l'apartheid et qu’il n’est possible de s’y attaquer efficacement que si leur existence est reconnue.

Mme Tlakula a ensuite fait savoir que le Comité avait été saisi d’allégations de discrimination raciale en Jamaïque, sur la base notamment de l'origine ethnique ou nationale et de la couleur de la peau. À cet égard, a-t-elle indiqué, le Comité est préoccupé par le fait que le pays n'a pas appliqué la recommandation qu’il lui avait adressée dans ses précédentes observations, visant l'adoption d'une législation anti-discrimination complète contenant une définition claire de la discrimination raciale, y compris ses formes directes et indirectes, et couvrant tous les domaines de la vie publique, au-delà du seul domaine de la sécurité et de la santé au travail.

Mme Tlakula a aussi demandé si la délégation pouvait donner des exemples d'affaires dans lesquelles la Cour suprême a fait respecter les droits des victimes de discrimination raciale et leur a accordé des réparations. D’autres questions de l’experte ont porté sur les compétences du Bureau du Défenseur public et sa composition.

Mme Tlakula a d’autre part réaffirmé la position du Comité selon laquelle la distinction entre la liberté d'expression, d’une part, et la promotion de la supériorité raciale et de la haine raciale ou l’incitation à la discrimination raciale (ou discours de haine), de l’autre, est bien établie dans le droit international relatif aux droits de l'homme. L’experte a demandé si la Jamaïque serait, dans ces conditions, prête à reconsidérer sa position concernant l'adoption de mesures spécifiques – législatives, administratives ou autres – propres à donner pleinement effet à l'article 4 de la Convention.

D’autre part, étant donné que le pays ne collecte pas de données ventilées par des critères tels que la couleur de peau ou l’origine ethnique, l’experte a voulu savoir sur quelle base l'État partie pouvait conclure qu'il n'y a pas de racisme structurel ni de discrimination raciale en Jamaïque. Dans ses précédentes observations finales, a rappelé Mme Tlakula, le Comité avait recommandé à la Jamaïque de créer un mécanisme de collecte de données fondé sur le principe de l'auto-identification, afin d'évaluer la situation socioéconomique des personnes ou des groupes sur la base de la race, de la couleur, de l'ascendance ou de l'origine nationale ou ethnique – notamment pour ce qui est des personnes d'ascendance africaine, indienne, chinoise, moyen-orientale et européenne, ainsi que pour ce qui est des marrons, les rastafaris et les Taïnos, mais aussi des non-citoyens tels que les migrants, les réfugiés et les demandeurs d'asile.

La rapport de la Jamaïque indique que « le Bureau du Défenseur public n’aurait reçu aucune plainte pour violation des droits fondée sur la race », a par la suite constaté Mme Tlakula. Cela signifie soit que les personnes n’ont pas confiance dans ce mécanisme, soit qu’elles ne connaissent pas son existence, a-t-elle alors estimé.

Le Comité attend de la Jamaïque qu’elle se dote d’une loi contre le discours de haine, au titre de l’article 4 de la Convention, a d’autre part souligné l’experte.

Mme Tlakula a par ailleurs indiqué que le Comité avait reçu des informations faisant état d'incidents de colorisme [il s’agit du fait de favoriser les personnes à la peau plus claire] dans l'emploi, la restauration, le tourisme ainsi que dans l’accès à l’éducation et dans le logement en Jamaïque. Il faut adopter des approches novatrices qui remettent en question les hypothèses sur la structure des hiérarchies raciales et de couleur en Jamaïque, a recommandé l’experte. Elle a ensuite fait état de rapports indiquant que la loi coloniale de 1956 sur le contrôle des plages, toujours en vigueur, restreint le droit d'accès aux plages des Jamaïcains noirs et des plus modestes.

Par ailleurs, a poursuivi Mme Tlakula, le Comité a appris que les marrons, les Taïnos et les rastafaris rejettent l'affirmation de l'État partie selon laquelle il n'y aurait pas de peuple autochtone en Jamaïque. Les Taïnos, par exemple, estiment que cette affirmation est préjudiciable et qu’elle revient à effacer effectivement le peuple taïno, a-t-elle indiqué, avant de demander si l'État entendait dialoguer avec les différents groupes ethniques au sujet de leur auto-identification.

En outre, a ajouté l’experte, le Comité a été informé que des membres de la communauté rastafari auraient été victimes de discrimination en matière de logement et d'emploi et que la police couperait les dreadlocks – expression de la foi rastafari – des rastafaris détenus. Le Comité a également reçu des informations faisant état de l'exclusion économique des rastafaris, a insisté Mme Tlakula.

Le Comité a également reçu des allégations de discrimination raciale à l'encontre de membres de la communauté marron, a en outre souligné l’experte, évoquant notamment des restrictions imposées par les autorités aux festivités annuelles de la signature du Traité marron de 1738 ou encore des violences racistes. Par ailleurs, s’est-elle inquiétée, les marrons n’auraient pas leur mot à dire sur les activités d’extraction de bauxite dans la zone naturelle protégée du pays de Cockpit, sur leurs terres traditionnelles.

Mme Tlakula a d’autre part voulu savoir si la Jamaïque allait abroger la « législation obsolète » qui criminalise la migration irrégulière, et si les migrants avaient les mêmes possibilités que les Jamaïcains de déposer des plaintes et d'obtenir réparation devant les tribunaux en cas de violation de leurs droits.

Le Traité marron de 1738 semble être au cœur d’un différend territorial entre le Gouvernement et les peuples autochtones, a ensuite relevé Mme Tlakula.

MME SHEIKHA ABDULLA ALI AL-MISNAD, membre du groupe de travail chargé par le Comité d’examiner plus avant le rapport de la Jamaïque, a d’abord indiqué que le Comité était préoccupé par le fait que la Jamaïque n'avait pas encore créé d’institution nationale des droits de l'homme conformément aux Principes de Paris. L'absence d'un système de protection des droits de l'homme doté d’un mécanisme de plaintes fait qu'aucune entité gouvernementale n'est responsable de la réalisation des droits de l'homme dans le pays, a-t-elle fait observer. Mme Al-Misnad a aussi demandé quelles mesures le Gouvernement avait prises pour sensibiliser les agents de l'État et la population à la Convention, y compris à la possibilité de recours qu’offre cet instrument.

Le Comité, a ajouté l’experte, souhaiterait recevoir des informations sur la part des manuels scolaires consacrée à l'histoire des marrons, des rastafaris et des Taïnos, entre autres, et à leur contribution à la construction du pays.

Mme Al-Misnad a d’autre part constaté que certains règlements scolaires interdisaient les tresses, les perles et les dreadlocks, ce qui touche particulièrement les élèves rastafaris, les marrons et les autres élèves d'origine africaine portant ce type de coiffure.

L’experte a par ailleurs demandé ce qui était fait pour que les enfants des communautés les plus pauvres et des groupes défavorisés pour des raisons de couleur de peau ou de classe sociale aient accès à un enseignement secondaire de bonne qualité. La délégation a aussi été priée de dire ce que le Gouvernement avait fait pour protéger les droits des groupes les plus vulnérables du pays, en particulier ceux qui sont les plus exposés à la discrimination raciale, face aux effets de la pandémie de COVID-19.

M. GUN KUT, rapporteur sur le suivi des observations finales du Comité, a indiqué que le Comité n’avait pas reçu le rapport intermédiaire de la Jamaïque concernant trois questions que le Comité avait jugées particulièrement importantes au terme de l’examen du précédent rapport périodique de la Jamaïque, en 2013. Ces questions portaient notamment sur la réserve que la Jamaïque a émise à l’égard de la Convention au moment de la ratification de cet instrument et sur l’absence d’une institution nationale de droits de l’homme indépendante.

Un autre expert membre du Comité a constaté que le nombre des violences policières en Jamaïque avait fortement baissé depuis plusieurs années. Malgré cela, ces violences ne donnent pas toujours lieu à des enquêtes, a-t-il toutefois regretté. Il a par ailleurs demandé si le Gouvernement allait adopter une loi pour protéger les défenseurs des droits de l’homme.

Un expert a constaté que le rapport jamaïcain utilisait explicitement et à plusieurs reprises le mot « race ».

D’autres questions ont porté sur l’accès à l’aide juridictionnelle et sur l’utilisation de langues autres que l’anglais dans les procédures judiciaires.

En l’état actuel, a fait observer une experte, il n’apparaît pas au Comité que les victimes de discrimination raciale puissent saisir pour ce motif les tribunaux jamaïcains.

Il a d’autre part été demandé si l’éducation religieuse dispensée dans les écoles portait sur toutes les religions ou sur quelques-unes seulement.

Le fait que la Jamaïque soit un État dualiste ne devrait pas l’empêcher d’adopter d’une loi exhaustive contre la discrimination pour donner effet aux dispositions de la Convention, a-t-il en outre été souligné.

Combien des dix actions recommandées par le Plan d’action mondial pour mettre fin à l’apatridie la Jamaïque a-t-elle appliquées, a demandé un membre du Comité ?

Si les Taïnos et les marrons ne sont pas des autochtones, comment le Gouvernement les considère-t-il, a demandé une experte ?

Une question a porté sur le statut du « patois » (patwa) jamaïcain.

Réponses de la délégation

La délégation a d’abord réaffirmé que, conformément à la Convention, la Constitution jamaïcaine garantissait le droit de tout individu de ne subir aucune discrimination basée, notamment, sur la race, la couleur de la peau et la religion.

S’il n’existe pas en Jamaïque de définition exhaustive de la discrimination, les textes de loi et les règlements en vigueur garantissent malgré tout le respect des droits défendus par la Convention, a poursuivi la délégation. A cet égard, elle a cité la loi sur les droits civiques, qui garantit à toute personne, sans discrimination, le droit de voter, ou encore les politiques relatives à l’accès équitable aux biens et services, y compris au logement, qui interdisent toute forme de discrimination.

D’autre part, s’agissant des discours de haine, la délégation a estimé que s’il n’existe aucune mesure législative spécifique venant donner effet à l’article 4 de la Convention, il n’en reste pas moins que les termes de la loi relative aux crimes contre les personnes, de la loi relative aux médias audiovisuels et de la loi sur la cybercriminalité « facilitent la reprise des dispositions de la Convention dans le droit national », notamment en condamnant les crimes commis sur Internet contre un groupe particulier d’individus.

Les personnes qui estiment que leur droit de ne pas être victimes de discrimination a été violé peuvent porter plainte auprès des tribunaux, a souligné la délégation. La Jamaïque étant un pays de tradition dualiste [ce qui signifie que les normes du droit international n’acquièrent de force juridique qu’en étant transposées en droit interne], les dispositions de la Convention ne sont pas directement invoquées par les tribunaux, à moins qu’elles n’aient été intégrées au droit national, a d’autre part souligné la délégation.

Le Défenseur public peut enquêter s’il estime que les droits d’une personne sont lésés par les actes d’une autorité, a poursuivi la délégation. Il est aussi habilité à déterminer s’il existe des arguments justifiant la saisie des tribunaux, a-t-elle ajouté. Le Défenseur est choisi par le Gouvernement en concertation avec le chef de l’opposition, a-t-elle par ailleurs précisé.

Les membres du pouvoir judiciaire et les policiers suivent des formations sur les dispositions de la Convention, a d’autre part indiqué la délégation.

Entre autres mesures de sensibilisation, l’État diffuse, auprès du public, des informations sur la lutte contre la discrimination, a poursuivi la délégation. Il organise aussi des « Journées de la Jamaïque » pour mettre en avant les différentes composantes de la société. D’autre part, un groupe consultatif a été créé au sein du Gouvernement pour traiter l’héritage colonialiste et esclavagiste, dans le contexte du mot d’ordre « que tout un chacun puisse se sentir jamaïcain ». Les droits des peuples autochtones sont aussi défendus, a ajouté la délégation.

La réserve émise par la Jamaïque au moment de ratifier la Convention indique que la ratification de la Convention par le pays n’emporte pas « l’acceptation d’une obligation quelconque d'introduire des procédures judiciaires allant au-delà de celles prescrites par [la] Constitution », a rappelé la délégation. Le Gouvernement n’envisage pas pour l’heure de lever cette réserve, a-t-elle fait savoir.

La délégation s’est par ailleurs dite d’accord avec la réflexion d’experts du Comité selon lesquels les problèmes rencontrés en Jamaïque relèvent davantage de la dimension de classe que du racisme.

Une aide juridictionnelle est accordée aux personnes impécunieuses et les personnes qui ne parlent pas anglais bénéficient des services d’interprètes dans les procédures civiles et pénales, a d’autre part indiqué la délégation.

Le Gouvernement procède actuellement à des consultations publiques au sujet des règlements sur les tenues vestimentaires et les coupes de cheveux dans les écoles, a indiqué la délégation. Le Gouvernement est conscient qu’il y a un problème, ainsi que de l’importance d’y réfléchir et de tenir un dialogue sur ces questions, a-t-elle ajouté.

Au cours du dialogue, la délégation a estimé que certaines informations à la disposition du Comité étaient erronées, voire trompeuses, et que certaines des questions soulevées par les experts dépassaient le mandat de cet organe. La Jamaïque, qui est en première ligne de la lutte contre la discrimination, encourage le Secrétariat à revoir le format du dialogue, a ajouté la délégation.

S’agissant des rastafaris, la délégation a indiqué que le Gouvernement entretenait avec eux des relations étroites et cordiales. Nombre de personnes qui n’appartiennent pas au mouvement rastafari portent elles aussi des dreadlocks, a-t-elle en outre fait remarquer.

La patois (patwa) est considéré comme une langue à part entière, alors que l’anglais n’est pas parlé parfaitement par toute la population, a par la suite indiqué la délégation.

Une communauté marron a saisi les tribunaux concernant, notamment, des allégations de conséquences négatives de l’exploitation de bauxite sur les territoires marrons ; dès lors que l’affaire est en cours, la délégation a souligné qu’elle ne saurait être en mesure de commenter ces questions. Elle a cependant assuré que les marrons de Jamaïque étaient considérés comme des citoyens et ne subissaient aucune discrimination dans les services publics, dans l’enseignement ou dans la vie civique. Les marrons ont eux aussi bénéficié du soutien de l’État dans le contexte de la pandémie de COVID-19, a ajouté la délégation.

Un incident de violence contre des marrons fait actuellement l’objet d’une enquête, a par ailleurs indiqué la délégation.

Le Gouvernement ne reconnaît pas de peuple autochtone, mais il reconnaît néanmoins les effets de l’histoire sur les premiers habitants de l’île, a d’autre part expliqué la délégation. Aucune action ou omission discriminatoire de l’État n’est à signaler au détriment de personnes se disant autochtones, a-t-elle ajouté. L’État entend protéger tous les droits des citoyens, y compris ceux les Taïnos.

La Jamaïque n’a pas encore ratifié la Convention n°169 de l’Organisation internationale du Travail, relative aux peuples indigènes et tribaux, a par ailleurs rappelé la délégation.

Le Gouvernement reconnaît la culture autochtone des marrons et des Taïnos, a ensuite indiqué la délégation.

S’agissant du colorisme et de son influence sur l’accès aux ressources économiques, la délégation a d’abord estimé qu’il s’agissait d’un effet du passé colonial du pays. Le colorisme ne constitue toutefois pas un obstacle pour l’accès au système éducatif – lequel est gratuit ou, dans le supérieur, subventionné. Tous les Jamaïcains ont effectivement accès à l’éducation et par conséquent à l’ascenseur social, a insisté la délégation.

Le Gouvernement s’efforce d’identifier et de corriger tous les problèmes liés à la discrimination contre les marrons et rastafaris, a assuré la délégation. L’objectif est de résoudre tous ces problèmes au fil du temps grâce à l’éducation, a-t-elle précisé. Les autorités ont demandé des rapports sur les incidents isolés pendant lesquels des policiers ont coupé les dreadlocks de rastafaris, a par ailleurs indiqué la délégation.

Le Conseil de justice réparatrice donne au Gouvernement des conseils sur la manière de résoudre les problèmes internes rencontrés par la Jamaïque, a d’autre part fait savoir la délégation.

Après avoir mené des consultations, le Gouvernement a élaboré une nouvelle politique relative à l’accès aux plages et au littoral, a ensuite souligné la délégation. Le Gouvernement favorise l’ouverture de plages publiques, mais il n’existe pas de droit d’accès aux plages situées sur des espaces privés, a-t-elle expliqué.

Il n’y a aucune discrimination dans l’examen des demandes d’asile en Jamaïque, a par ailleurs assuré la délégation en réponse à d’autres questions des experts. Les réfugiés ont les mêmes droits sociaux que les Jamaïcains ; ils n’ont en revanche pas le droit de vote.

D’autres questions des experts ayant porté sur la traite de personnes, la délégation a fait état de la création d’un groupe de travail gouvernemental chargé d’en poursuivre les auteurs, de venir en aide aux victimes et de sensibiliser la population, notamment dans les écoles. La loi contre la traite a été adoptée en 2007 et amendée en 2018, a rappelé la délégation.

Le programme scolaire repose sur le principe d’inclusivité. Il tient compte de la diversité des apprenants et de leurs modes de vie propres, tout en insistant sur la notion de patrimoine commun des Jamaïcains, a expliqué la délégation. De nouveaux manuels ont été diffusés : ils tiennent compte de ces principes et évoquent le passé de la Jamaïque sous l’aspect également de la discrimination raciale et des droits de l’homme, a-t-elle souligné.

Pour ce qui est de la création d’une institution nationale de droits de l’homme, la délégation a affirmé qu’il s’agissait d’un objectif important pour les autorités. Plusieurs modèles possibles pour la Jamaïque ont été évalués, y compris sous l’angle des coûts et compte tenu de l’existence de plusieurs mécanismes de défense des droits de l’homme, en particulier du Bureau du Défenseur public. Une décision politique devrait intervenir en mars 2023, a indiqué la délégation.

Plusieurs politiques et mesures ont été appliquées pour améliorer les contacts entre la police et le grand public, ce qui a permis de faire tomber le nombre des violences policières, a par ailleurs fait valoir la délégation.

Les défenseurs des droits de l’homme bénéficient des mêmes protection et garanties que tout un chacun, a précisé la délégation en réponse à la question d’un expert.

La délégation a indiqué qu’elle répondrait par écrit aux questions du Comité portant, notamment, sur la discrimination envers les rastafaris, sur l’accueil des demandeurs d’asile et sur la situation des apatrides.

Remarques de conclusion

MME GRANGE a assuré que les questions du Comité « donneraient du grain à moudre » à son Gouvernement et que ce dernier restait ferme dans son engagement à appliquer la Convention. Il n’y a pas de tensions avec les marrons ni avec les rastafaris, deux groupes avec lesquels le Gouvernement entretient de bonnes relations et un dialogue constant, a tenu à souligner la Ministre.


Ce document produit par le Service de l’information des Nations Unies à Genève est destiné à l'information; il ne constitue pas un document officiel.
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