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Examen du rapport de la Géorgie devant le CERD : l’absence d’incrimination des crimes et discours de haine et la situation des minorités ethniques sont au cœur du débat
24 novembre 2022
Le Code pénal géorgien ne contient pas d'article spécifique sur les crimes ou discours de haine. En outre, une étude réalisée en 2018 par le Caucasus Research Resource Center (pour un projet du Conseil de l'Europe) a révélé que les attitudes discriminatoires envers les minorités ethniques étaient répandues en Géorgie. En l’état, malgré la taille importante des populations de minorités ethniques dans le pays, leur participation et leur représentation dans la vie politique semblent être extrêmement faibles.
Tel est le constat dressé par un membre du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale lors de l’examen, hier après-midi et ce matin, à Genève, du rapport soumis par la Géorgie au titre de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale.
La nouvelle Stratégie nationale pour l’égalité civique et l’intégration ne semble pas contenir de perspectives substantiellement nouvelles ou cruciales qui contribueraient à un environnement politique, économique et social plus égal et équitable pour les groupes ethniques non dominants, a par ailleurs regretté ce même expert du Comité. Selon plusieurs sources d’information, a-t-il souligné, le nombre de représentants des minorités ethniques au Parlement ou au niveau municipal n’est pas proportionnel à la composition de la population. L’expert a par la suite suggéré que le Gouvernement géorgien adopte des mesures spéciales pour améliorer encore l’accès des membres de minorités à l’enseignement supérieur.
D’autres membres du Comité ont eux aussi regretté que le Code pénal en vigueur en Géorgie n’incrimine pas les crimes ou discours de haine. Au cours du débat, a néanmoins été saluée l’adoption par la Géorgie, en 2014, d’une loi générale contre toutes les formes de discrimination, qui – a-t-il été relevé – comprend une définition de la discrimination directe et indirecte, ainsi qu'une liste non exhaustive de motifs interdits de discrimination, notamment les plus importants du point de vue de la définition de la discrimination donné par l'article premier de la Convention.
Un expert a déploré que le candidat du Parti travailliste à la mairie de Tbilissi, M. Mikheil Kumsishvili, ait enregistré une vidéo le montrant porter un masque noir et parler avec un accent étrange, dans une tentative apparente de se faire passer pour le candidat géorgien d'origine nigériane à la mairie, M. Arinze Richard Ogbunuju – un incident que le Comité pourrait qualifier de raciste, a souligné cet expert.
Ce même expert a par ailleurs fait observer que, selon des informations reçues par le Comité, le refus d’accorder l'asile pour des raisons de sécurité nationale affectait particulièrement les ressortissants syriens, dont toutes les demandes ont été rejetées pour ce motif entre janvier 2018 et octobre 2021. Aussi, l’expert a-t-il souhaité en savoir davantage sur les méthodes utilisées pour décider si un demandeur d'asile constitue une menace pour la sécurité nationale.
Présentant le rapport de son pays, Mme Khatuna Totladze, Ministre adjointe des affaires étrangères de la Géorgie, a notamment indiqué qu’en septembre dernier, son Gouvernement avait approuvé la deuxième Stratégie nationale de protection des droits de l'homme pour la période 2022-2030, qui met particulièrement l’accent sur la protection des droits des groupes vulnérables tels que les personnes handicapées, les minorités ethniques, sexuelles et religieuses, les femmes, les enfants, les migrants et les personnes déplacées internes. Les quatre priorités de cette Stratégie sont de renforcer la justice et la primauté du droit ; de protéger les droits économiques et sociaux ; d’assurer l’égalité et d’éliminer la discrimination ; et de protéger les droits et libertés de la population affectée par l’occupation illégale de territoires géorgiens par la Fédération de Russie.
Ainsi, puisqu’il s’agit là de l’une de ses priorités, la Stratégie prévoit l'amélioration constante de la législation en matière d'égalité et de lutte contre la discrimination ; la prise en compte des besoins des groupes minoritaires, y compris les minorités ethniques et religieuses ; la promotion de l'enseignement de la langue d’État ; ainsi que l’amélioration de la réponse apportée aux crimes commis pour des raisons de discrimination ou d’intolérance, a précisé la Ministre adjointe.
Mme Totladze a par ailleurs rappelé qu’en 2021, avaient été adoptés la Stratégie nationale pour l’égalité civique et l’intégration (2021-2030) et la Plan d’action y associé pour les années 2021-2022, dont l’objectif est notamment de garantir l’égalité des chances pour tous les citoyens, indépendamment de leur appartenance ethnique, pour une participation totale à toutes les sphères de la vie publique.
Ces dernières années, la Géorgie a entrepris des réformes législatives et institutionnelles pour renforcer la protection juridique des demandeurs d’asile, des personnes ayant obtenu le statut de réfugié ou une protection humanitaire, a par ailleurs fait valoir Mme Totladze, soulignant que les demandeurs d'asile et les apatrides bénéficient de toutes les formes d'aide juridique gratuite.
Enfin, Mme Totladze a attiré l’attention du Comité sur « la situation extrêmement dégradée des droits de l'homme dans les régions d'Abkhazie et de Tskhinvali de la Géorgie occupées par la Fédération de Russie ». La Fédération de Russie, qui exerce un contrôle effectif sur le terrain, porte l'entière responsabilité des violations commises dans les territoires géorgiens occupés, a-t-elle rappelé.
L’imposante délégation géorgienne était également composée, entre autres, de M. Alexander Maisuradze, Représentant permanent de la Géorgie auprès des Nations Unies à Genève, ainsi que de représentants des Ministères des affaires étrangères ; de l’intérieur ; de la justice ; de l’éducation et des sciences ; et des personnes déplacées internes des territoires occupés, du travail, de la santé et des affaires sociales.
Le Comité adoptera ultérieurement, à huis clos, ses observations finales sur le rapport de la Géorgie et les rendra publiques à l’issue de sa session, le 2 décembre prochain.
Cet après-midi, à partir de 15 heures, le Comité entamera l’examen du rapport de la Jamaïque.
Examen du rapport
Le Comité est saisi du rapport valant neuvième et dixième rapports périodiques de la Géorgie (CERD/C/GEO/9-10) et couvrant la période 2016-2020.
Présentation
Présentant le rapport de son pays, MME KHATUNA TOTLADZE, Ministre adjointe des affaires étrangères de la Géorgie, a notamment indiqué qu’en septembre dernier, son Gouvernement avait approuvé la deuxième Stratégie nationale de protection des droits de l'homme pour la période 2022-2030, qui met particulièrement l’accent sur la protection des droits des groupes vulnérables tels que les personnes handicapées, les minorités ethniques, sexuelles et religieuses, les femmes, les enfants, les migrants et les personnes déplacées internes. Les quatre priorités de cette Stratégie sont de renforcer la justice et la primauté du droit ; de protéger les droits économiques et sociaux ; d’assurer l’égalité et d’éliminer la discrimination ; et de protéger les droits et libertés de la population affectée par l’occupation illégale de territoires géorgiens par la Fédération de Russie. Ainsi, puisqu’il s’agit là de l’une de ses priorités, la Stratégie prévoit l'amélioration constante de la législation en matière d'égalité et de lutte contre la discrimination ; la prise en compte des besoins des groupes minoritaires, y compris les minorités ethniques et religieuses ; la promotion de l'enseignement de la langue d’État ; ainsi que l’amélioration de la réponse apportée aux crimes commis pour des raisons de discrimination ou d’intolérance, a précisé la Ministre adjointe.
Mme Totladze a aussi insisté sur le fait que son Gouvernement sensibilisait les fonctionnaires, les forces de l’ordre, les juges et le grand public aux droits de l'homme, y compris aux normes anti-discrimination. De même, le Gouvernement continue de prendre des mesures pour renforcer le bureau du Défenseur public afin qu’il puisse contrôler efficacement l’application de la loi anti-discrimination. Parallèlement, de nouvelles mesures ont été prises pour lutter contre la discrimination et les crimes de haine. En septembre 2022, le Parlement a adopté des amendements au Code de procédure pénale afin d'autoriser des « activités d'enquête secrètes » ayant pour but d’accroître l'efficacité des enquêtes sur les cas de discrimination raciale, a indiqué la Ministre adjointe.
Le Ministère de l'intérieur contrôle la qualité des enquêtes concernant les crimes de haine et les crimes commis avec une intention discriminatoire, a poursuivi Mme Totladze. Une importance particulière est accordée à la formation des responsables de l'application des lois afin de renforcer leurs compétences et leurs capacités à enquêter sur les crimes commis pour des motifs de discrimination et d'intolérance ; seuls les procureurs et enquêteurs spécialisés du ministère public, qui ont suivi une formation intensive sur la discrimination, sont chargés de poursuivre les crimes de haine, a précisé la Ministre adjointe, avant de faire valoir que grâce à la politique systématique du ministère public, le nombre de poursuites pour crimes de haine a considérablement augmenté.
En 2022, une agence d’État indépendante, le Service d’enquête spéciale (qui succède au Service de l’inspection de l’administration), a été créée pour enquêter de manière indépendante et effective sur les crimes spécifiquement commis par les fonctionnaires. D’autre part, le parquet, le Ministère de l'intérieur, la Cour suprême et l'Office national des statistiques de Géorgie ont adopté, en 2020, un protocole d’accord pour la collecte de données sur les crimes commis pour des motifs raciaux, nationaux, ethniques et autres. Deux rapports conjoints sur les données relatives aux crimes de haine ont été publiés en 2020 et 2021. En outre, depuis 2020, le pouvoir judiciaire assure la collecte et le suivi systématiques des données sur les cas de discrimination dans le cadre des procédures civiles et administratives.
Mme Totladze a par ailleurs rappelé qu’en 2021, avaient été adoptés la Stratégie nationale pour l’égalité civique et l’intégration (2021-2030) et la Plan d’action y associé pour les années 2021-2022, dont l’objectif est notamment de garantir l’égalité des chances pour tous les citoyens, indépendamment de leur appartenance ethnique, pour une participation totale à toutes les sphères de la vie publique. Dans ce contexte, la Commission électorale centrale garantit la participation égale et complète des représentants des minorités ethniques aux élections en sensibilisant les citoyens au processus électoral dans les régions densément peuplées par des minorités ethniques, a souligné Mme Totladze.
D’autre part, le système d'aide juridique est réformé progressivement pour assurer que les minorités ethniques, les personnes déplacées des territoires occupés de Géorgie, les demandeurs d'asile et les apatrides y aient gratuitement accès. Les bureaux du service d'aide juridique et les centres de consultation sont en constante expansion dans les régions habitées par des minorités ethniques, a indiqué la Ministre adjointe.
Ces dernières années, la Géorgie a entrepris des réformes législatives et institutionnelles pour renforcer la protection juridique des demandeurs d’asile, des personnes ayant obtenu le statut de réfugié ou une protection humanitaire, a par ailleurs fait valoir Mme Totladze. Les demandeurs d'asile et les apatrides bénéficient de toutes les formes d'aide juridique gratuite, a-t-elle souligné.
Enfin, Mme Totladze a attiré l’attention du Comité sur « la situation extrêmement dégradée des droits de l'homme dans les régions d'Abkhazie et de Tskhinvali de la Géorgie occupées par la Fédération de Russie ». « La violation du droit à la vie, la torture et les mauvais traitements, les enlèvements et les détentions arbitraires, la liberté de mouvement restreinte, la violation des droits de propriété, l'interdiction de l'enseignement dans la langue maternelle et les formes flagrantes de discrimination ethnique font désormais partie du quotidien des populations touchées par le conflit », a déclaré la Ministre adjointe. Les meurtres brutaux de Géorgiens de souche – Davit Basharuli, Giga Otkhozoria et Archil Tatunashvili – ainsi que la mort d'Irakli Kvaratskhelia, détenu illégalement sur la base militaire russe dans la région d'Abkhazie, sont un autre exemple frappant de violence à caractère ethnique, a ajouté Mme Totladze. La Fédération de Russie, qui exerce un contrôle effectif sur le terrain, porte l'entière responsabilité des violations commises dans les territoires géorgiens occupés, a-t-elle insisté, avant de rappeler que dans un arrêt rendu en 2021, la Cour européenne des droits de l'homme a établi la responsabilité de la Fédération de Russie, en vertu de la Convention européenne des droits de l'homme, pour les violations des droits de l'homme dans les territoires occupés de la Géorgie.
Questions et observations des membres du Comité
M. MICHAŁ BALCERZAK, rapporteur du groupe de travail chargé par le Comité d’examiner plus avant le rapport de la Géorgie, a d’abord relevé que la Géorgie avait reconnu la compétence du Comité pour recevoir des communications (plaintes individuelles) : or, à ce jour, a-t-il observé, aucune communication concernant la Géorgie n'a été examinée par le Comité. Aussi, M. Balcerzak a-t-il demandé si la population était informée de cette voie de recours qui lui est ouverte.
Un autre fait qui mérite d'être souligné, a ajouté l’expert, est que la Géorgie a été le premier État à invoquer l'article 22 de la Convention [concernant les différends entre États parties] pour soumettre, en 2008, une requête contre la Fédération de Russie auprès de la Cour internationale de justice. La Géorgie a allégué que, par ses actions sur le territoire de la Géorgie, la Fédération de Russie avait violé ses obligations en vertu de la Convention. Mais dans son arrêt du 1er avril 2011, la Cour, sans se prononcer sur le fond, a estimé qu'elle n'avait pas compétence pour examiner la requête, notamment parce que la Géorgie n'avait pas enclenché la procédure interétatique prévue aux articles 11 à 13 de la Convention, a rappelé l’expert.
M. Balcerzak a ensuite relevé que la Géorgie avait introduit en 2014 une loi générale contre toutes les formes de discrimination. Cette loi comprend une définition de la discrimination directe et indirecte, ainsi qu'une liste non exhaustive de motifs interdits de discrimination, notamment les plus importants du point de vue de la définition de la discrimination donné par l'article premier de la Convention : race, couleur de peau, ainsi qu’origine nationale, ethnique ou sociale. L’expert a demandé en quoi consistait l'amendement apporté à la loi en 2020.
Par ailleurs, a relevé M. Balcerzak, la Géorgie a fourni des statistiques détaillées concernant les affaires qui, de 2016 à 2019, impliquaient un motif de haine. Le Comité a ainsi appris qu'il y avait eu 63 cas de ce type en 2016, 86 en 2017, 210 en 2018 et 272 en 2019. Le rapport montre que les affaires impliquant une responsabilité pénale aggravée en raison de la discrimination raciale ou de l'origine ethnique/nationale n'étaient pas nombreuses : en 2018, on a compté cinq affaires de ce type, 12 en 2019, a constaté l’expert, avant de demander combien d’affaires avaient abouti à des actes d'accusation et à des condamnations.
D’autres questions de l’expert ont porté sur l’efficacité du Défenseur public, institution chargée de nombreuses tâches dans le domaine de la surveillance et de l'élimination de la discrimination.
S’agissant ensuite du statut de la Convention et de son respect dans les territoires géorgiens occupés, M. Balcerzak a demandé s’il y avait des « problèmes particuliers » qui devraient être portés à l'attention du Comité concernant la discrimination due à l'origine nationale ou ethnique dans ces territoires. Il a aussi voulu savoir si, après l'arrêt de la Cour internationale de justice du 1er avril 2011, la Géorgie avait soulevé des arguments au titre de la Convention dans d’autres affaires concernant les territoires occupés.
M. Balcerzak a par ailleurs déploré que le candidat du Parti travailliste à la mairie de Tbilissi, M. Mikheil Kumsishvili, ait enregistré une vidéo le montrant porter un masque noir et parler avec un accent étrange, dans une tentative apparente de se faire passer pour le candidat géorgien d'origine nigériane à la mairie, M. Arinze Richard Ogbunuju – un incident que le Comité pourrait qualifier de raciste, a fait remarquer l’expert.
M. Balcerzak a ensuite indiqué que, selon des informations reçues par le Comité, le refus d’accorder l'asile pour des raisons de sécurité nationale affectait particulièrement les ressortissants syriens, dont toutes les demandes ont été rejetées pour ce motif entre janvier 2018 et octobre 2021. Aussi, a-t-il demandé des explications sur les méthodes utilisées pour décider si un demandeur d'asile constitue une menace pour la sécurité nationale.
D’autres questions de l’expert ont porté sur les conditions dans lesquelles les apatrides peuvent acquérir la citoyenneté géorgienne ; et sur les mesures prises pour accélérer le processus de rapatriement des personnes qui avaient été réinstallées de force hors de Géorgie au temps de l'URSS, notamment les Meskhètes (anciens « Turcs d’URSS »). L’expert a aussi demandé combien de citoyens russes et ukrainiens étaient arrivés récemment en Géorgie et dans quelles conditions juridiques.
M. IBRAHIMA GUISSÉ, également membre du groupe de travail chargé par le Comité d’examiner plus avant le rapport de la Géorgie, a demandé si des programmes de formation concernant la prévention et l'interdiction de la discrimination et de la haine raciale étaient proposés non seulement aux policiers, comme le mentionne le rapport, mais aussi aux membres du pouvoir judiciaire ; il s’est en outre enquis des effets de ces programmes.
M. Guissé a ensuite relevé qu’une étude réalisée en 2018 par le Caucasus Research Resource Center (pour un projet du Conseil de l'Europe) avait révélé que les attitudes discriminatoires envers les minorités ethniques étaient répandues en Géorgie : 36% des ressortissants géorgiens interrogés considèrent en effet la diversité ethnique comme négative, et 46% considèrent comme négative la diversité religieuse. Les raisons invoquées sont notamment que la diversité menacerait la culture et les traditions, affaiblirait l'unité nationale et exposerait le pays à des problèmes de sécurité. De plus, 43% des personnes interrogées dans le cadre de la même étude estiment que les membres de minorités nationales n'ont pas le droit de manifester en public, 39% qu’ils n'ont pas le droit d'être élus et 25% qu’ils n'ont pas le droit de voter. L’expert a demandé quelles mesures l'État avait prises pour lutter contre les attitudes discriminatoires, et avec quel succès.
M. Guissé a ensuite constaté que, selon les informations dont dispose le Comité, le Code pénal géorgien ne contient pas d'article spécifique sur les crimes ou discours de haine : l'article 142 dudit Code traite des crimes motivés par la discrimination, mais il n'équivaut pas à la criminalisation du discours de haine en soi, a souligné l’expert. Les crimes de haine pourraient nécessiter une réponse appropriée dans le système de droit pénal, a-t-il estimé. Il a par ailleurs voulu savoir s’il existait des instruments juridiques pour réagir en cas de discours ou d'incitation à la haine émanant de fonctionnaires de haut niveau ou de parlementaires, et si des campagnes de sensibilisation ciblant le grand public étaient menées.
M. Guissé a par la suite fait observer que la Stratégie nationale pour l’égalité civique et l’intégration mentionnée par la cheffe de la délégation ne semblait pas contenir de perspectives substantiellement nouvelles ou cruciales qui contribueraient à un environnement politique, économique et social plus égal et équitable pour les groupes ethniques non dominants.
En l’état, malgré la taille importante des populations de minorités ethniques, leur participation et leur représentation dans la vie politique semblent être extrêmement faibles, le nombre de représentants des minorités ethniques au Parlement ou au niveau municipal n’étant pas proportionnel, selon plusieurs sources d’information, à la composition de la population, a relevé l’expert.
M. Guissé s’est enquis des mesures prises pour garantir l'accès des minorités ethniques à l’éducation, à l’emploi et à des soins de qualité, notamment dans les zones rurales, de même que pour réduire les inégalités économiques et éviter la diminution des revenus des membres des minorités ethniques, y compris pendant la pandémie de COVID-19. L’expert a par la suite suggéré que le Gouvernement géorgien adopte des mesures spéciales pour améliorer encore l’accès des membres de minorités à l’enseignement supérieur.
L’expert a par ailleurs félicité la Géorgie pour les mesures prises dans le domaine de l'éducation des enfants roms, qui ont notamment permis de faire passer le nombre d'enfants roms bénéficiant d'un enseignement formel de 88 en 2015 à 289 en 2017. M. Guissé a toutefois demandé ce qui avait été fait pour améliorer l'accès de la population rom aux documents d'identité, pour attirer encore davantage d’enfants roms dans le système scolaire et pour prévenir les mariages forcés et précoces parmi les groupes minoritaires, y compris les Roms.
M. GUN KUT, rapporteur chargé du suivi des observations finales du Comité, a indiqué que le Comité avait reçu en 2018 les renseignements demandés par le Comité au paragraphe 30 de ses observations finales de 2016 concernant l’application de la loi contre la discrimination et la réduction du risque d’apatridie.
D’autres membres du Comité ont eux aussi relevé que le Code pénal ne criminalise pas les crimes ou discours de haine et ont demandé si la diffusion de discours de haine par des fonctionnaires et des politiciens donnait lieu à des poursuites et des sanctions.
Un expert a demandé combien d’organisations non gouvernementales (ONG) actives dans la lutte contre la discrimination raciale avaient été consultées pour la préparation du rapport, et si la loi protégeait les défenseurs des droits de l’homme en Géorgie.
Il a par ailleurs été demandé combien des dix actions recommandées par le Plan d’action mondial pour mettre fin à l’apatridie avaient été appliquées par la Géorgie.
Réponses de la délégation
La nouvelle Stratégie des droits de l’homme (2022-2030) approuvée par le Gouvernement est actuellement à l’examen devant le Parlement, a précisé la délégation. Cette Stratégie reflète la volonté politique du Gouvernement et concerne les trois branches du pouvoir ; le document a été préparé par un expert indépendant, sur la base des recommandations formulées au pays par la communauté internationale et par le Défenseur public, et en consultation avec une centaine d’ONG et de particuliers. Le Gouvernement a déjà commencé à élaborer le plan d’action qui accompagnera la Stratégie.
La Stratégie précédente (2014-2020) a été complétée par deux plans d’action concernant les femmes, la paix et la sécurité, ainsi que la lutte contre la violence envers les femmes, a ajouté la délégation.
Le parquet a adopté plusieurs stratégies pour lutter contre les crimes de haine, a d’autre part fait valoir la délégation. Depuis 2020, les crimes commis au motif de l’intolérance ou de la discrimination raciale sont instruits par plusieurs dizaines de magistrats et enquêteurs spécialement formés à cet effet, a-t-elle rappelé, soulignant que la formation à la lutte contre la discrimination est obligatoire. Il est vrai que le Code pénal n’incrimine pas spécifiquement les discours de haine, a ensuite reconnu la délégation ; mais d’autres conduites, notamment l’incitation à la discorde entre les personnes, sont sanctionnées dans ce Code, a-t-elle fait observer.
Reconnaissant par ailleurs l’existence de lacunes pour ce qui est de la lutte contre les discours de haine dans les médias, la délégation a indiqué que pour y remédier, le Gouvernement a préparé un projet de loi sur les médias – conforme aux normes internationales et actuellement en consultation – qui s’appliquera aux médias traditionnels et en ligne.
En 2020, a par ailleurs indiqué la délégation, 253 personnes ont été poursuivies pour des « crimes commis pour des motifs discriminatoires », dont six pour discrimination raciale : cinquante personnes ont été condamnées, dont une pour discrimination raciale, a-t-elle précisé. En 2021, davantage de poursuites ont été enregistrées, ce qui s’explique par la formation dispensée aux procureurs pour mieux identifier les motifs discriminatoires, a ajouté la délégation : [cette année-là,] 834 personnes ont été poursuivies pour crimes commis pour des motifs discriminatoires, dont 11 pour discrimination raciale ; 321 personnes ont été condamnées, dont cinq pour discrimination raciale. Pour les neuf premiers mois de 2022, sur 798 poursuites [pour crimes commis pour des motifs discriminatoires], sept personnes ont été condamnées pour discrimination raciale.
Le Code pénal fait de la discrimination (y compris l’intolérance liée au genre) et de la discrimination raciale des circonstances aggravantes, a par ailleurs indiqué la délégation.
Concernant le Défenseur public, la délégation a précisé que cette institution avait notamment pour mandat de superviser l’application de la loi anti-discrimination par le biais d’un « département de l’égalité » qui est autorisé à exiger de particuliers ou de représentants de l’État qu’ils lui donnent des informations. Le Défenseur a saisi le tribunal en 2018 contre une municipalité qui refusait de fournir de l’eau à une école coranique et il a pu établir qu’il y avait eu discrimination directe dans le cas d’espèce, a indiqué la délégation. Le Défenseur assume aussi la tâche essentielle de sensibiliser la population au contenu de la loi anti-discrimination, a-t-elle ajouté.
En 2020, un statut particulier a été conféré à plusieurs organisations non gouvernementales pour qu’elles puissent porter plainte en cas de discrimination. L’une de ces affaires est allée jusqu’au Comité des droits de l’enfant, a par ailleurs fait observer la délégation.
Chaque année, a rappelé la délégation, le Gouvernement géorgien organise, avec le Conseil de l’Europe, une Semaine de l’égalité, dont le but est notamment d’informer la population de ses droits et des recours juridiques ouverts en cas de discrimination.
La délégation a par ailleurs souligné que le Ministère de la justice menait des campagnes d’information concernant l’existence de procédures de plainte auprès des organes conventionnels des Nations Unies.
En ce qui concerne la situation dans les territoires géorgiens occupés par la Fédération de Russie, la délégation a précisé que « l’épuration ethnique des Géorgiens de souche » se poursuivait avec, notamment, la destruction de plusieurs villages géorgiens ; des meurtres de citoyens géorgiens ; ou encore l’obligation faite aux ressortissants géorgiens vivant en Abkhazie depuis des générations de s’inscrire à l’état civil comme « étrangers ».
La Géorgie plaide pour le respect des frontières reconnues internationalement, a ensuite souligné la délégation, rappelant que le pays avait fait preuve de solidarité diplomatique, humanitaire et financière envers l’Ukraine depuis le début de la guerre [en Ukraine]. Quelque trente mille Ukrainiens touchés par le conflit vivent actuellement en Géorgie ; et 1500 élèves ukrainiens peuvent actuellement suivre un enseignement dans leur langue dans les écoles géorgiennes, a précisé la délégation.
La Géorgie a aussi été confrontée à un afflux de citoyens russes ; ceux-ci, conformément à la loi, peuvent demeurer en Géorgie pendant une année et environ quatre-vingt demandes d’asile sont à l’examen, a ajouté la délégation.
Depuis quelques années, la Géorgie a renforcé le cadre juridique relatif aux personnes en quête de protection internationale, a par ailleurs rappelé la délégation. Le pays accueille à l’heure actuelle quelque 500 réfugiés, a-t-elle indiqué. En 2022, 1111 demandes d’asile ont été reçues en provenance majoritairement d’Ukraine, de Türkiye et d’Iran. La loi prévoit plusieurs motifs de rejet des demandes d’asile, en particulier la menace pour la sécurité nationale, a souligné la délégation, avant de faire valoir que toutes les décisions en la matière peuvent faire l’objet d’appel.
Les autorités ne tiennent pas de statistiques ethniques, a-t-il par ailleurs été rappelé. La délégation a fait savoir que les autorités émettent des documents d’identité pour personnes apatrides et que plus de cinquante Roms en ont bénéficié récemment. Le Gouvernement a lancé un programme de réduction de l’apatridie, grâce auquel on compte à l’heure actuelle moins de 300 apatrides dans le pays, a ajouté la délégation.
Selon le recensement de 2014, on compte 6604 Roms en Géorgie, a indiqué la délégation, avant de fournir des informations sur la scolarisation des jeunes roms et sur les mesures visant à prévenir l’abandon scolaire parmi ces enfants.
La nouvelle Stratégie nationale pour l’égalité civique et l’intégration poursuit effectivement les mêmes objectifs que la précédente, au premier rang desquels figure l’insertion des minorités, a dit la délégation. La nouvelle Stratégie met cependant davantage l’accent sur les jeunes et les femmes, a-t-elle précisé ; elle contient aussi un volet financier destiné, notamment, à organiser l’enseignement scolaire dans les langues minoritaires telles que l’ossétien et le tchétchène.
La délégation a par ailleurs assuré que les minorités ethniques étaient représentées de manière proportionnelle au niveau des autorités de plusieurs municipalités.
La Stratégie nationale pour l’emploi prévoit une série de mesures dont peuvent bénéficier sans aucune discrimination toutes les personnes résidant en Géorgie, y compris dans les régions d’Abkhazie et d’Ossétie, a poursuivi la délégation. Les employeurs sont tenus par la loi de respecter les prescriptions contre la discrimination sur le lieu de travail – une dimension qui fait l’objet de contrôles par l’inspection du travail, a-t-elle souligné.
L’âge du mariage est fixé à 18 ans en Géorgie, l’ancienne exception à 17 ans n’étant plus possible, a par ailleurs indiqué la délégation. Le Gouvernement a introduit un mécanisme de plainte facilement accessible en cas de mariage forcé, a-t-elle ajouté.
La délégation a fourni d’autres renseignements concernant l’élection du Médiateur, le recrutement des juges et la réforme de la justice, les dispositions prises par le Gouvernement face à la pandémie de COVID-19, ou encore les conditions d’acquisition de la nationalité géorgienne.
Remarques de conclusion
M. BALCERZAK a déclaré que le Comité avait pris bonne note des progrès réalisés par la Géorgie, en particulier l’adoption de l’excellente loi de 2014 contre la discrimination. La loi doit maintenant être adaptée si nécessaire, et appliquée, a demandé l’expert. Il reste des choses à améliorer s’agissant des discours de haine en ligne, a-t-il aussi fait remarquer.
MME TOTLADZE a assuré que son Gouvernement tiendrait dûment compte des recommandations du Comité.
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