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Les femmes luttent contre le recul de leurs droits dans le territoire palestinien occupé

Shatha Odeh, défenseuse des droits humains palestinienne © Shatha Odeh

Le 3 juin 2022, Shatha Odeh, 60 ans, a été libérée après avoir passé un an dans une prison israélienne pour avoir été à la tête d’une soi-disant organisation illégale dans le territoire palestinien occupé.

En réalité, Mme Odeh explique avoir été arrêtée et détenue pour avoir été directrice de Health Work Committees (HWC), une organisation de la société civile qui fournit des soins de santé aux personnes vivant en Cisjordanie occupée, dont les femmes et les filles habitant dans des zones reculées. À sa libération, les autorités israéliennes lui ont ordonné de ne plus travailler pour HWC.

Selon le Bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme dans le territoire palestinien occupé (HCDH-Palestine), Israël a désigné son organisation, ainsi que d’autres organismes palestiniens de défense des droits de l’homme et d’aide humanitaire, comme étant des organes « terroristes » ou « illicites », sans fournir aucune preuve à l’appui de ces accusations.

Son arrestation a inspiré une campagne sur les réseaux sociaux intitulée #freeShathaOdeh. Par ailleurs, près de 130 organisations dans plus de quarante pays ont soutenu une lettre demandant à l’Organisation mondiale de la Santé d’intervenir pour sa libération. Mary Lawlor, Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs et défenseuses des droits humains, a également adressé à Israël une déclaration en août 2021 demandant sa libération.

La militante a été prise pour cible dans le cadre de la dernière vague de répression du Gouvernement israélien contre les organisations de la société civile, en particulier les organisations qui recueillent des informations sur les violations commises par Israël et celles qui fournissent des services essentiels, notamment des services de santé, aux Palestiniens et Palestiniennes sous occupation militaire, selon le HCDH-Palestine. Trois des sept organisations visées par Israël dans le cadre de cette campagne de répression et déclarées « illégales » étaient dirigées par des femmes ou fournissaient des services spécifiques aux femmes et aux filles auxquels elles n’auraient pas autrement accès dans le territoire palestinien occupé.

Pendant sa détention par les forces israéliennes, Shatha a été interrogée sans la présence d’un avocat et a été victime de mauvais traitements. Le HCDH-Palestine a recensé plusieurs autres cas de femmes occupant des postes de haut niveau dans des organisations ayant également été détenues arbitrairement et soumises à des mauvais traitements par les forces israéliennes au cours de la même période. Plusieurs femmes travaillant pour l’une de ces organisations en tant qu’employées ou bénévoles ont été convoquées et menacées par les forces israéliennes, qui leur ont demandé de mettre un terme à leurs activités sous peine d’être placées en détention et de subir d’autres conséquences préjudiciables pour elles-mêmes et pour leurs enfants.

Outre le fait d’être poursuivies et emprisonnées par Israël pour leur action humanitaire et leur travail au sein de la société civile, Shatha Odeh et d’autres défenseuses palestiniennes sont victimes de menaces, d’intimidations et d’attaques de la part d’individus et de groupes palestiniens en raison de leur militantisme. Selon Shatha, la plupart des menaces reçues de la part d’individus et de groupes pour son travail de défense du droit des femmes à la santé se produisent en ligne.

« L’espace dont disposent les femmes pour exprimer leur opinion ou leurs idées dans les médias et sur les médias sociaux est de plus en plus restreint », explique-t-elle. « Nous avons l’impression que personne ne nous soutient ni ne nous protège. Alors oui, parfois on se tait par crainte d’être menacées, ou que nos familles ou nos filles soient prises pour cibles. »

Le HCDH-Palestine a indiqué que les défenseuses des droits humains, les femmes journalistes et les organisations de défense des droits des femmes sont victimes de menaces, d’intimidations et de discours de haine tant en ligne que hors ligne. D’après le Bureau, les auteurs de ces infractions sont les forces de sécurité israéliennes, comme l’illustre l’histoire de Shatha, les colons, les autorités palestiniennes et les acteurs non étatiques qui s’en prennent aux femmes pour ce qu’elles sont ou ce qu’elles défendent. Ces mouvements ne sont pas propres au territoire palestinien occupé, puisqu’ils se produisent dans toute la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, ainsi que dans le monde entier.

Depuis la ratification de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes par l’État de Palestine en mars 2014, les organisations de la société civile et les défenseuses des droits humains dans le territoire palestinien occupé ont publiquement plaidé en faveur de la mise en œuvre de la Convention et de l’adoption d’un projet de loi sur la protection de la famille, en suspens depuis le début des années 2000, qui traiterait spécifiquement de la discrimination et de la violence fondées sur le genre et, ce faisant, permettrait aux femmes de progresser sur la voie de l’égalité des sexes dans le territoire palestinien occupé.

Ce projet de loi a été très critiqué par des individus et des groupes, notamment des avocats, des juges, des juristes et certains dirigeants religieux, politiques et communautaires sur les médias sociaux, car il peut être considéré comme portant atteinte aux rôles stéréotypés des hommes et des femmes.

Shatha a souligné qu’aujourd’hui, plus que jamais, la mise en œuvre de la Convention et du projet de loi sur la protection de la famille est vitale pour les femmes et les filles dans le territoire palestinien occupé.

Toutes les femmes doivent pouvoir exercer ces droits, qu’elles soient sous l’occupation ou libérées, dans un village ou en ville.

SHATHA ODEH, DÉFENSEUSE DES DROITS HUMAINS

D’après le HCDH-Palestine, les femmes palestiniennes qui œuvrent pour mettre fin à la discrimination fondée sur le genre dans le territoire palestinien occupé sont montrées du doigt et prises pour cibles en ligne. Elles font l’objet de discours haineux et reçoivent des menaces, y compris parfois des menaces de mort à leur encontre et à l’encontre de leur famille, ainsi que des menaces de viol et d’autres formes de violence sexuelle.

En outre, des défenseuses des droits humains ont parfois subi des agressions physiques et ont été prises pour cibles lors de manifestations. Selon un  rapport du HCDH, lors d’une vague de manifestations contre les autorités palestiniennes en Cisjordanie après l’assassinat de l’opposant politique et militant Nizar Banat, des femmes au premier plan des manifestations ont été spécifiquement ciblées par les forces de sécurité palestiniennes et des individus agissant apparemment en coordination avec les forces de l’ordre ont physiquement attaqué ces femmes, saisi leurs téléphones et partagé leurs photos privées, afin de les punir pour leur participation et de les dissuader de prendre part à de futures manifestations. 

Les autorités palestiniennes et d’autres autorités de la bande de Gaza occupée ont mené des enquêtes superficielles concernant les plaintes reçues et n’ont pas abordé publiquement les campagnes menées contre la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes depuis 2019, ni pris de mesures adéquates pour protéger les défenseuses des droits humains contre les intimidations et les menaces dont elles font l’objet actuellement, selon le HCDH-Palestine.

« Les autorités israéliennes et palestiniennes ont la responsabilité première d’assurer la protection des défenseurs et défenseuses des droits humains qui œuvrent à la promotion des droits des femmes et de l’égalité des genres, contre toute attaque, menace ou intimidation, y compris la cyberviolence », a déclaré Ajith Sunghay, chef du Bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme dans le territoire palestinien occupé.

Le HCDH-Palestine soutient de nombreuses militantes comme Shatha pour renforcer et protéger les défenseuses des droits humains, notamment en formant la société civile du territoire palestinien occupé au rôle des femmes dans la lutte pour les droits humains et aux mécanismes de protection disponibles, ainsi qu’en fournissant des compétences pratiques sur la manière de mener des activités de plaidoyer à l’aide des technologies numériques et de procéder à une évaluation des risques.

Malgré les obstacles, Shatha tient bon. La période qu’elle a passé dans cette prison israélienne avec d’autres prisonnières palestiniennes a renforcé sa détermination à travailler sur les droits des femmes.

« Je me bats pour les droits humains », déclare-t-elle. « Si on perd espoir, rien ne changera. »

*Ce récit a été publié dans le cadre des célébrations de la Journée internationale des femmes, qui vise à reconnaître le rôle essentiel des femmes, des filles et des mouvements féministes qui  utilisent l’espace numérique pour échanger, se mobiliser et promouvoir le changement social.