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Déclarations Haut-Commissariat aux droits de l’homme

Réunion intersessions du Conseil des droits de l’homme – Situation au Bélarus

04 décembre 2020

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Déclaration de Michelle Bachelet, Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme

Le 4 décembre 2020

Madame la Présidente,
Excellences,
Chers collègues et amis,

J’ai le regret de vous informer que depuis le débat urgent du Conseil sur le Bélarus en septembre dernier, il n’y a eu aucune amélioration de la situation des droits de l’homme dans le pays. Au contraire, la situation n’a cessé de se détériorer ces dernières semaines, en particulier en ce qui concerne le droit de réunion pacifique.

Selon nos informations, plus de 27 000 personnes ont été arrêtées depuis le 9 août. Au cours du mois dernier, des centaines de personnes ont encore été arrêtées chaque semaine durant les manifestations – environ 1 000 personnes auraient été arrêtées le 8 novembre et 700 le 15 novembre, tandis que de nouvelles accusations continuent de voir le jour, signalant des personnes blessées durant la dispersion des rassemblements et des mauvais traitements lors des arrestations. Plusieurs citoyens âgés auraient également été arrêtés durant les marches pacifiques hebdomadaires des retraités. Il y a quatre jours, le 30 novembre, près de 20 personnes ont été arrêtées pendant leur marche.

Les peines infligées aux manifestants semblent devenir plus sévères. Jusqu’à récemment, la plupart des manifestants arrêtés recevaient des sanctions administratives et étaient condamnés à des amendes ou à une détention pouvant aller jusqu’à 15 jours. Ces dernières semaines, un nombre croissant de manifestants ont été inculpés en vertu de divers articles du code pénal, ce qui entraîne parfois de lourdes peines de prison.

Par exemple, à la suite de la marche pacifique du 1er novembre, un organe gouvernemental, la Commission d’enquête, a annoncé que 231 personnes étaient suspectées « d’organiser et de participer activement des actions portant gravement atteinte à l’ordre public », un crime pouvant entraîner jusqu’à trois ans de prison.

Au total, dans le cadre des élections, plus de 900 individus auraient été considérés comme des suspects dans des affaires pénales. Outre les manifestants, on compte parmi eux des candidats à la présidence issus de l’opposition, des partisans de l’opposition, des journalistes, des blogueurs, des avocats et des défenseurs des droits de l’homme. Nombre d’entre eux sont toujours en détention.

Je suis également profondément préoccupée par le recours abusif de la force par les forces de sécurité. Comme le Conseil le sait déjà, les autorités devraient faciliter les rassemblements pacifiques, et le recours à la force pendant les manifestations devrait toujours être exceptionnel, proportionné et une mesure de dernier ressort. Même lorsque des actes de violence isolés sont commis par certains participants, l’ensemble de la manifestation ne doit pas être considérée comme perdant son caractère pacifique.

Cependant, notre travail de surveillance et d’analyse des manifestations depuis le 9 août révèle que, même si la plupart des manifestants ont participé pacifiquement aux protestations, ils ont été systématiquement, et dans la plupart des cas, violemment dispersés, notamment à l’aide de gaz lacrymogènes, de canons à eau, de balles en caoutchouc et de grenades étourdissantes, et par un usage inutile ou disproportionné de la force. Je constate avec inquiétude qu’au moins quatre personnes ont perdu la vie dans le contexte des manifestations. De nombreux témoignages décrivent des manifestants et des passants poursuivis au hasard, frappés à coups de pied et battus à coups de matraque lors de la dispersion des rassemblements. Nous avons également reçu des informations multiples et crédibles de personnes battues par les forces de sécurité pendant et après leur transport vers des postes de police ou des centres de détention. S’ils sont confirmés, ces incidents constitueraient des mauvais traitements et, dans certains cas, des actes de torture.

Par ailleurs plusieurs hommes masqués ne portant aucun insigne ni aucune forme d’identification ont fréquemment pris part à la dispersion des manifestations aux côtés de la police antiémeute. Des véhicules banalisés seraient souvent utilisés pour transporter des personnes capturées ou arrêtées. Ces actes renforcent un climat de peur et une atmosphère d’anarchie et d’impunité.

Madame la Présidente,

Je suis préoccupée par les nombreuses allégations de torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants lors des gardes à vue, avec plus de 2 000 plaintes déposées à la fin du mois d’octobre. Nous ne disposons d’aucune information sur les résultats des enquêtes menées sur ces allégations. J’ai cru comprendre, d’après les organisations de soutien aux victimes, que de nombreuses victimes hésitent à parler par crainte de représailles.

De nombreuses personnes ont déclaré avoir été détenues dans des cellules surpeuplées, sans ventilation adéquate, malgré les risques liés à la pandémie de COVID-19, privées de nourriture et d’eau, sans accès aux toilettes et à des traitements médicaux. Elles ont également fait état de passages à tabac violents et aléatoires, ainsi que d’actes d’humiliation, d’insultes et de menaces.

Les rapports indiquent que lors de nombreuses arrestations, les droits à une procédure régulière et à un procès équitable n’ont pas été respectés, en particulier les droits d’une personne d’être informée du motif de son arrestation, d’être rapidement présentée à un juge, de demander une aide juridique et de recevoir une assistance médicale, et le droit de prévenir ses proches.

Excellences,

Je déplore les arrestations et le harcèlement que continuent de subir de nombreux défenseurs des droits de l’homme et journalistes dans le cadre des manifestations. Des défenseurs des droits de l’homme ont été arrêtés à plusieurs reprises, et deux d’entre eux sont détenus et font l’objet d’accusations pénales passibles de plusieurs années de prison. D’après nos informations, 373 journalistes ont été arrêtés depuis le mois d’août. Six journalistes sont actuellement en détention. Trois d’entre eux font l’objet de poursuites pénales et de peines de prison.

Lesavocats associés à l’opposition, ou agissant en tant que conseillers dans les cas liés à des violations des droits de l’homme sont également sous pression. Certains font l’objet de poursuites pénales, d’autres ont été radiés.

Je suis également préoccupée par les sanctions disciplinaires imposées aux enseignants et aux étudiants, ainsi que par les allégations selon lesquelles des personnes ayant participé aux manifestations sont menacées d’être déchues de leurs droits parentaux.

Madame la Présidente,

Le Gouvernement du Bélarus doit mettre fin de toute urgence aux violations des droits de l’homme commises actuellement. J’appelle plus particulièrement le Gouvernement à :

  • libérer immédiatement toutes les personnes détenues illégalement ou arbitrairement pour avoir exercé leurs droits à la liberté d’expression, de réunion pacifique et de participation ;
  • respecter le droit de réunion pacifique et cesser la dispersion violente des réunions pacifiques et les représailles judiciaires contre les organisateurs et les participants ;
  • créer un environnement permettant à tous les individus, défenseurs des droits de l’homme, journalistes et avocats de participer aux affaires publiques et de mener leurs activités en toute sécurité et liberté ;
  • veiller à ce que des enquêtes rapides, approfondies, indépendantes, transparentes et impartiales soient menées sur toutes les allégations de torture et autres violations des droits de l’homme, y compris sur le décès d’au moins quatre personnes dans le cadre des manifestations ; à demander des comptes aux auteurs de ces actes ; et à rendre justice aux victimes et à leurs familles, leur fournir la vérité et leur accorder des réparations.

J’invite en outre le Gouvernement à prendre des mesures en vue d’établir un dialogue national authentique, respectueux et inclusif.

Malheureusement, aucune équipe technique du HCDH à Genève n’a été autorisée à se rendre au Bélarus à des fins de contrôle. Nous continuerons en revanche nos opérations de contrôle à distance. À la demande de ce Conseil, je présenterai un rapport complet à sa 46e session, avec des recommandations visant à soutenir le renforcement des droits de l’homme et de l’état de droit, et à établir des institutions responsables.

Je vous remercie, Madame la Présidente.