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Déclarations et discours Haut-Commissariat aux droits de l’homme

Discours liminaire de Michelle Bachelet, Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme

21 Octobre 2019

Séminaire du Conseil des droits de l'homme
Dakar, le 21 octobre 2019

Monsieur le Président du Conseil,
Monsieur le Ministre des affaires étrangères Amadou Ba,
Excellences,
Chers collègues et amis,

Je souhaite remercier Son Excellence l'Ambassadeur Seck et le Gouvernement du Sénégal d'avoir accepté d'accueillir cet important séminaire.

Le rôle du Conseil des droits de l'homme et ses mécanismes n'a jamais été aussi essentiel. Il sert de cadre pour poser des questions, exprimer des préoccupations, effectuer des recommandations et élaborer des normes. Il joue un rôle central dans la lutte contre les problèmes mondiaux relatifs aux droits de l'homme dont nous discutons ici – l'inégalité, les migrations massives, les changements climatiques et la révolution numérique.

Les inégalités sont à la fois une cause et une conséquence de la précarité de la situation migratoire et des conflits, et elles sont exacerbées par les changements climatiques. Les inégalités économiques ont continué de s'aggraver malgré l'engagement des États, par le biais du Programme 2030, de réduire les inégalités au sein des pays et entre ces derniers. Comme le Secrétaire général des Nations Unies l'a fait remarquer, la moitié de la richesse du monde est détenue par une poignée de personnes tenant autour d'une table de conférence.

Quatre milliards de personnes n'ont accès à aucun filet de sécurité ni aucune forme de protection sociale. Les pays les plus pauvres et les plus marginalisés vivent avec les pires conséquences de l'austérité, de l'injustice, des changements climatiques et de la pauvreté. Les inégalités de revenu et de richesse, et celles relatives à l'accès aux ressources, au pouvoir et à la justice, compromettent l'égalité, la dignité et les droits de l'homme, et risquent de provoquer un climat d'aliénation, de troubles et d'extrémisme. Les droits civils et politiques des populations, ainsi que leurs droits économiques, sociaux et culturels, sont menacés.

Personne n'irait jusqu'à dire que l'amélioration des pratiques commerciales peut aider à résoudre toutes les causes de l'inégalité – la mauvaise gouvernance, la corruption, l'absence d'un état de droit, la discrimination, la faiblesse des institutions, les conflits et l'injustice sociale. Cela nécessite un ensemble complet de mesures réglementaires et volontaires, d'actions à l'échelle internationale et de politiques nationales, y compris des politiques économiques plus équitables et des systèmes fiscaux progressifs.

Nous ne devons pas non plus oublier que ce sont les États, et non pas les entreprises, qui sont les principaux acteurs responsables de défendre des droits de l'homme, principalement en s'assurant d'atteindre les objectifs de développement durable.

Le secteur privé est néanmoins particulièrement bien placé pour mener des actions sur les inégalités pouvant avoir des répercussions à l'échelle internationale. Les décisions commerciales influent non seulement sur la rémunération et la sécurité des travailleurs, mais également sur l'avenir de communautés entières dont les terres et les ressources ont une valeur commerciale.

Le fait de montrer ce niveau de responsabilité n'est pas seulement pour les entreprises « la bonne chose à faire » – c'est aussi bon pour les affaires. Le respect des droits de l'homme encourage l'établissement de communautés stables et crée des conditions dans lesquelles les entreprises elles-mêmes peuvent prospérer.

Le Conseil a déjà fourni des orientations solides concernant les entreprises et les droits de l'homme. Parmi ses initiatives positives et concrètes, nous pouvons citer l'appui unanime aux Principes directeurs, l'établissement du Groupe de travail sur les entreprises et les droits de l'homme, l'instauration d'un forum annuel et la création d'importants mécanismes pour explorer l'interaction entre les entreprises et les inégalités.

Mais il est possible d'aller plus loin. Par exemple, tous les éléments des résolutions du Conseil relatifs aux entreprises pourraient être directement alignés sur les Principes directeurs. 

Il pourrait y avoir un engagement plus efficace avec toutes les parties prenantes, y compris avec les entreprises elles-mêmes – pour qu'elles soient considérées comme faisant partie de la solution.

Les organisations de la société civile ont souligné que relativement peu de recommandations de l'Examen périodique universel – seulement 20 % selon une étude – traitent des droits économiques, sociaux et culturels plutôt que des droits civils et politiques. À travers son engagement envers les objectifs de développement durable, le Conseil œuvre déjà à combler ces lacunes et à montrer le rôle important qu'il joue en tant que mécanisme d'établissement des responsabilités dans le cadre des objectifs de développement durable. Le Conseil peut avoir un impact direct sur la réussite de ces objectifs, y compris grâce aux recommandations formulées par les mécanismes des droits de l'homme. 
Il est très encourageant de constater qu'entre l'adoption du Programme 2030 en 2015 et mars 2019, plus de 40 % des textes adoptés par le Conseil mentionnent le Programme 2030 ou des objectifs de développement durable. Cela représente 155 textes sur 361 sur cette période, et ce pourcentage continue d'augmenter. Des discussions liées au développement durable font également partie de plusieurs points à l'ordre du jour de réunions du Conseil – des résolutions étant adoptées au titre des points 3, 4, 5, 8 et 10. Cette tendance met en lumière l'importance que le Conseil accorde aux objectifs de développement durable, et souligne le rôle déterminant du Programme 2030 dans la promotion de droits de l'homme interconnectés.
Les titulaires de mandats au titre de procédures spéciales ont également été activement impliqués à la fois dans l'élaboration et la mise en œuvre du Programme 2030. Beaucoup d'entre eux ont utilisé leurs rapports thématiques, leurs rapports de visite et d'autres activités pour aider les États et d'autres parties prenantes à adopter une approche des objectifs de développement durable fondée sur les droits de l'homme.
À l'avenir, il sera primordial de s'assurer que les liens établis avec les objectifs de développement durable sont solides ; qu'ils encouragent une mise en œuvre du Programme 2030 fondée sur les droits ; et qu'ils se renforcent mutuellement. Le Conseil devrait examiner comment il peut inciter et aider au mieux les États Membres à concrétiser leurs promesses.
Outre ce travail très important sur les objectifs de développement durable, le Conseil peut encourager l'élaboration de politiques économiques respectueuses des normes relatives aux droits de l'homme, contribue à la réalisation des droits économiques, sociaux et culturels, et aide à lutter contre les inégalités économiques – l'une des principales menaces à la mise en œuvre des objectifs de développement durable.

Étant donné le besoin urgent d'accélérer les progrès concernant les objectifs de développement durable et de lutter contre les inégalités, j'invite également le Conseil à travailler avec toujours plus de ténacité sur la question des entreprises et des droits de l'homme.

Excellences,

Des millions de personnes quittent leur pays afin de trouver une issue à la pauvreté, la faim, la misère et la discrimination. Beaucoup d'autres fuient les conflits, la persécution et la répression. Les changements climatiques feront encore augmenter ces chiffres, à mesure que certains logements deviendront inhabitables, que le niveau de la mer s'élèvera, et que la sécurité alimentaire et de l'eau seront menacées.

Nous recensons déjà environ 272 millions de migrants à travers le monde, dont beaucoup sont en situation de vulnérabilité. Des dizaines de millions de personnes se déplacent dans l'ombre, faisant face à la violation systématique de leurs droits fondamentaux et au mépris total de leur dignité. Des murs et des barrières sont construits pour les garder à l'écart. Ils sont diabolisés, traités comme des criminels, détenus arbitrairement dans des conditions effroyables, et parfois même séparés de leurs enfants. Beaucoup vivent et travaillent dans des situations d'extrême vulnérabilité, de discrimination et d'abus. Nous avons déjà reçu cette année des informations faisant état de la mort de plus de 2 500 migrants. Le chiffre réel est certainement bien plus élevé.

Nous avons également pu constater les volontés d'incriminer les actes de compassion et de solidarité. Les ONG ne sont pas en mesure de débarquer en toute sécurité les migrants secourus en mer. Des citoyens ont été poursuivis en justice pour avoir fourni de la nourriture, de l'eau ou un abri à des migrants sans papiers. Des défenseurs des droits des migrants ont été arrêtés et menacés avec violence. Ces approches encouragent la xénophobie, mettent des vies en péril, endommagent le tissu social de nos sociétés et affaiblissent nos valeurs communes.

La réponse internationale n'est pas à la hauteur et nous avons besoin de toute urgence d'une véritable coopération internationale et d'une approche centrée sur les personnes. 

Je pense que le Conseil, aidé de ses organes et mécanismes, peut continuer l'important travail qu'il a déjà accompli, de manière à s'assurer que son engagement global est systématique et proactif plutôt que réactif et sporadique.

Le Conseil pourrait par exemple inclure un point récurrent sur la situation des droits des migrants à l'ordre du jour des sessions du Conseil – et créer ainsi une réunion-débat annuelle – ou organiser un forum annuel semblable au Forum sur les questions relatives aux minorités. Le Conseil pourrait également charger le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme de surveiller la situation et d'en faire rapport.

Le Conseil joue un rôle vital dans la mise en œuvre du Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières et de l'Accord de Marrakech, en encourageant les États Membres à mettre en place des plans d'action nationaux fondés sur les droits de l'homme.

Il est nécessaire qu'un comité d'experts ou qu'un processus d'établissement des faits examine les graves violations et abus commis à l'encontre des migrants qui transitent par la Libye, la Méditerranée, et ceux qui proviennent d'Amérique centrale, du Venezuela et d'ailleurs.

Le Comité consultatif du Conseil pourrait également être chargé d'entreprendre une enquête à l'échelle mondiale concernant les pratiques qui causent ou aggravent les abus et les violations à l'encontre des migrants. Une réunion régulière ou intersessions pourrait se charger d'examiner les questions d'ordre technique, comme la situation des droits de l'homme aux frontières internationales et la possibilité d'adopter d'autres formes de détention.

Toutes ces approches permettraient non seulement de faire des progrès mais aussi de mettre en lumière la pertinence et la réactivité du Conseil. 

Excellences,

Je passe maintenant au problème des changements climatiques et je promets de ne parler aussi longtemps qu'à la dernière session. Nous avons longuement discuté de la dégradation de l'environnement le mois dernier. Il ne peut y avoir de solution à cette situation que si nous nouons des partenariats au-delà des clivages traditionnels. Il est crucial d'adopter une direction solide, une meilleure coopération internationale et des mesures nationales immédiates. Un engagement total est donc nécessaire – non seulement de la part des États, mais aussi des entreprises, des défenseurs des droits de l'homme et de l'ensemble de la société civile.

Beaucoup d'entre vous proviennent d'États qui subissent déjà les pires conséquences des changements climatiques, mais aucun État ne doit se leurrer en pensant qu'il sera épargné. Nous ne devons pas non plus oublier que dans tous les États, ce seront les pauvres et les marginalisés qui souffriront des pires effets. La lutte contre ces répercussions disproportionnées est au cœur des mouvements pour le climat et de la justice environnementale.

Les militants pour le climat nous rappellent un constat plus large : que ces défenseurs sont nos alliés et que leur engagement peut entraîner des changements positifs dans les politiques. Nous devons utiliser ce pouvoir en faveur des droits de l'homme.

Le Conseil des droits de l'homme a fait un travail considérable en adoptant plusieurs résolutions sur les changements climatiques et l'environnement, ainsi que sur les défenseurs des droits environnementaux. Je suis également impressionnée par l'énorme travail effectué par certains titulaires de mandats au titre de procédures spéciales concernant les changements climatiques.

Le Conseil peut maintenant tirer parti de ses solides antécédents. L'impératif est d'aider à faire avancer le plus possible les politiques nationales, et ce le plus rapidement possible. J'ai hâte de partager avec vous plusieurs recommandations détaillées durant la réunion-débat prévue ce matin. L'une d'entre elles consiste à inciter les organes conventionnels et les procédures spéciales à saisir toutes les occasions possibles d'émettre des recommandations spécifiques à chaque pays. J'espère également que l'Examen périodique universel et les résolutions du Conseil seront utilisés de façon plus systématique. Nous devons utiliser chaque élément de chaque mécanisme si nous voulons maximiser notre impact.

Je trouve encourageant le fait que le droit à un environnement sain et durable, qui définit la relation entre l'environnement et les droits de l'homme, soit de plus en plus reconnu et figure dans plus d'une centaine de lois nationales et régionales, y compris ici, au Sénégal.

Excellences,

Le quatrième thème de ce séminaire concerne une menace mondiale d'une tout autre nature, mais tout aussi grave. La révolution numérique affecte de plus en plus d'aspects de notre vie et son incidence sur les droits de l'homme est immense. 

Certains de ces effets sont très positifs, non seulement dans notre vie de tous les jours, mais également dans le cadre de nos actions en faveur des droits de l'homme. Les communications cryptées viennent en aide aux défenseurs des droits de l'homme et leur permettent d'échanger des informations. Les médias sociaux fournissent des moyens de communication et de partage d'informations sans précédent. Les flux de données permettent de lutter contre le trafic d'êtres humains et de repérer les signes de l'esclavage moderne. Les images satellites sont utiles pour les activités de surveillance et les enquêtes. Les données sont vérifiées et comparées pour engager des poursuites, retrouver des personnes disparues, identifier les victimes dans des fosses communes, et identifier des types de violations des droits de l'homme. Les outils numériques permettent de détecter des signes précoces d'abus, tels que la recrudescence des discours de haine.

Tous ces éléments, ainsi que les nombreuses avancées futures de la technologie numérique et de l'intelligence artificielle, auront le pouvoir de changer et de sauver des vies.

Mais nous sommes déjà bien conscients du revers de la révolution numérique – les discours de haine et le harcèlement, les blocages et les restrictions de l'accès à Internet, les attaques délibérées perpétrées contre les défenseurs des droits de l'homme et les groupes de la société civile à travers la surveillance numérique et l'utilisation de logiciels espions, et bien entendu, les atteintes à la vie privée. Des données ont été récoltées à grande échelle et utilisées pour manipuler les électeurs.

Il existe également un risque croissant de violation des droits de l'homme causé par les processus automatisés et l'intelligence artificielle. Ces systèmes risquent de reproduire ou d'aggraver les inégalités du monde réel. Les garanties en matière de droits de l'homme doivent être intégrées à tous ces systèmes dès leur création et cette intégration doit se poursuivre tout au long de leur développement et de leur utilisation.

Pour lutter contre les menaces qui pèsent sur les droits de l'homme à l'ère du numérique, il sera nécessaire de mettre en place un ensemble de dispositifs solides, à savoir des mesures prises par l'État, des législations, des cadres réglementaires, la responsabilité des entreprises et des partenariats solides et le respect du cadre du droit international des droits de l'homme.

Ce cadre va au-delà des directives éthiques et des codes de conduite des entreprises – en raison de sa légitimité, de sa précision, de sa portée mondiale et de son potentiel en matière d'établissement des responsabilités.

Les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme sont tout aussi pertinents dans la sphère numérique que dans tous les autres secteurs commerciaux. Il existe un nombre croissant d'excellents exemples concernant l'utilisation de normes internationales relatives aux droits l'homme pour orienter le secteur des technologies, y compris les principes et directives GNI, les principes du groupe Telecommunications Industry Dialogue, les directives de l'Union européenne sur la mise en œuvre des Principes directeurs dans le secteur informatique et le Plan d'action de Rabat – qui fait la distinction entre la liberté d'expression et les discours de haine.

Cependant, il reste encore beaucoup à faire dans ce domaine, y compris l'important travail du comité consultatif, qui est chargé de faire rapport auprès du Conseil sur les possibilités et les défis des nouvelles technologies numériques à l'égard de la promotion et de la protection des droits de l'homme.

Les titulaires de mandats au titre de procédures spéciales ont souvent abordé la question de l'incidence des nouvelles technologies numériques sur les droits de l'homme, comme la robotique et l'automatisation, le cyberespace, l'intelligence artificielle, les drones et les systèmes d'armes létaux autonomes. Ces informations importantes pourraient être mieux utilisées par le Conseil.

À l'avenir, nous aurons également besoin de nouveaux outils plus précis pour de nombreux autres domaines liés aux technologies, allant de l'autorisation de prêts à la construction de robots. J'encourage le Conseil à envisager des mandats qui permettront de s'attaquer à certains enjeux plus pressants et délicats, notamment la recherche sur les identités numériques, le blocage de l'accès à Internet et les technologies de surveillance, en s'appuyant sur certains travaux préliminaires effectués par les titulaires de mandats dans ces domaines.

Il est essentiel que le Conseil ait un rôle de premier plan afin de pouvoir répondre à ces questions de plus en plus urgentes et d'utiliser au mieux la technologie au service des droits de l'homme.

Je vous souhaite des débats fructueux et j'espère que cette session sera très intéressante. Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, je vous remercie pour la grande hospitalité dont a fait preuve le Sénégal.

Merci.

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