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Déclarations et discours Haut-Commissariat aux droits de l’homme

Situation des droits de l’homme en Haïti

03 avril 2019

Exposé sur la situation en Haïti présenté au Conseil de sécurité

Michelle Bachelet, Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme

New York, le 3 avril 2019

Monsieur le Président,
Chers membres du Conseil de sécurité,
Excellences,

Je vous remercie de m’avoir invitée pour vous informer de la situation des droits de l’homme en Haïti. Cette rencontre est l’occasion de célébrer les progrès accomplis à ce jour dans le domaine des droits de l’homme et de montrer comment le Conseil de sécurité peut continuer à soutenir les engagements d’Haïti en matière de prévention et de protection des droits de l’homme.

Haïti est aujourd’hui un pays très différent de ce qu’il était en 2004, lorsque les forces de maintien de la paix des Nations Unies y ont été déployées. Cependant, si l’ampleur des violations des droits de l’homme enregistrées à l’époque est bien moindre qu’actuellement, de graves problèmes structurels persistent.

Les revendications sociales, la corruption et la faiblesse des institutions constituent des obstacles majeurs à la réalisation des droits de l’homme en Haïti. Avec près de 59 % de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté selon les estimations, Haïti reste le pays le plus pauvre des Amériques et connaît d’énormes difficultés économiques et sociales, dont des possibilités d’emploi limitées, notamment pour les jeunes. Les services de base tels que les soins de santé, l’eau, l’électricité et l’éducation sont hors de portée de nombreuses personnes. Cette situation est exacerbée par la vulnérabilité d’Haïti face aux catastrophes naturelles, chaque tremblement de terre et chaque ouragan entravant davantage le développement et intensifiant les conditions de vie déjà précaires d’une grande partie de la population.

La pauvreté crée un environnement propice au développement d’activités criminelles, en particulier dans les quartiers les plus défavorisés de la capitale, où les bandes fortement armées profitent de la présence limitée de l’État.  La concurrence entre gangs rivaux a entraîné des morts, des violences sexuelles contre les femmes et les filles, ainsi que la destruction et le pillage de foyers. Alors que les tensions persistent, la protection de la population doit être assurée d’urgence, y compris par les forces de l’ordre.

Ces problèmes de longue date ont contribué à l’émergence de troubles de plus en plus violents en Haïti depuis juillet dernier. Depuis juillet 2018, au moins 60 personnes ont été tuées, dont des membres de la police nationale haïtienne, et de nombreuses autres ont été blessées. Les manifestations qui se sont déroulées entre le 7 et le 15 février 2019 ont été les plus longues et les plus violentes depuis des années, et ont presque entièrement paralysé le pays. 

Les hôpitaux et les prisons ont été affectés, la nourriture, l’eau et les médicaments étant moins accessibles.

Si les vérifications effectuées pendant et après les manifestations ont montré que certains membres de la police nationale haïtienne avaient commis des violations des droits de l’homme, dans l’ensemble, la police a fait preuve d’un plus grand respect des normes relatives aux droits de l’homme que lors de précédentes manifestations.

Les autorités haïtiennes ont réagi en annonçant des mesures pour réduire les prix élevés, augmenter les salaires, lutter contre la corruption et engager des poursuites dans l’affaire PetroCaribe. Nous appuyons et saluons ces efforts importants. En outre, il sera également essentiel pour la stabilité et le développement durable de veiller à ce que les auteurs de violences répondent de leurs actes tout en favorisant un dialogue constructif et inclusif entre les différents acteurs de la société haïtienne.

Malgré les améliorations notables observées quant au professionnalisme de la police nationale haïtienne, des cas de violations graves des droits de l’homme, y compris des cas d’exécutions sommaires, continuent d’être signalés, et pour lesquels peu de personnes sont tenues responsables. La police nationale mène des enquêtes administratives sur la majorité des allégations, mais il est rare que des poursuites judiciaires soient engagées contre les auteurs présumés. En 2018, seulement 12 % des cas confirmés de violations des droits de l’homme ont fait l’objet de poursuites et aucune mesure judiciaire n’a été prise dans les cas les plus emblématiques.

Les auteurs de ces violations développent alors un sentiment d’impunité et les victimes, réduites au silence, peuvent nourrir des rancunes.

La faiblesse du système judiciaire a également un impact négatif sur le système pénitentiaire. On estime que plus de 75 % des détenus sont en détention provisoire – en moyenne pour 1 100 jours – ce qui est bien au-dessus de la limite fixée par la législation nationale. Les détentions provisoires prolongées contribuent à la surpopulation extrême des centres de détention et à l’adoption de pratiques considérées comme dégradantes et inhumaines. Les conditions sanitaires dans les prisons sont déplorables et peu de détenus ont accès à un avocat.

L’obligation de rendre des comptes devrait être considérée comme une mesure efficace pour instaurer la confiance dans les institutions. Le renforcement des fondements de l’état de droit est un moyen de prévenir de nouvelles violations des droits de l’homme et de permettre une paix durable.

Excellences,

La Ministre déléguée aux droits de l’homme et à la lutte contre l’extrême pauvreté – nommée en septembre 2018 – contribuera à réitérer l’engagement du Gouvernement en faveur des droits de l’homme et à relancer les actions clés qui sont en suspens depuis 2014. J’encourage les autorités haïtiennes à mettre à profit cette importante nomination pour veiller à ce que le Comité interministériel des droits de l’homme soit dirigé comme il se doit. Le Comité a récemment fait des progrès dans l’élaboration d’un plan d’action national pour les droits de l’homme. J’encourage les autorités à mener à bien ce projet afin de proposer une feuille de route complète et réaliste pour le renforcement des droits de l’homme en Haïti.

L’institution nationale des droits de l’homme d’Haïti – le Bureau du Médiateur – est reconnue depuis 2013 comme étant indépendante et fonctionnelle, et reflétant le plus haut niveau de respect des Principes de Paris approuvés par l’Assemblée générale. Je me félicite de l’augmentation importante du budget du Médiateur, récemment annoncée par le pouvoir exécutif, et des efforts déployés par le Médiateur pour renforcer sa présence dans l’ensemble du pays.

Je salue également l’engagement de la société civile en faveur de la promotion et de la protection des droits de l’homme, et de l’accompagnement des victimes de violations de ces droits. Elle n’a cependant pas été en mesure d’assumer pleinement un rôle de suivi et de plaidoyer. Certaines organisations de la société civile continuent d’être la cible d’intimidations. J’encourage toutes les parties prenantes à travailler ensemble pour renforcer le système de protection des droits de l’homme.

Excellences,

Le retour à l’ordre constitutionnel en Haïti, après les élections présidentielles, législatives et locales de 2017, a été un succès significatif. Aujourd’hui, alors qu’Haïti se trouve à la croisée des chemins entre le maintien de la paix et le développement, nous devons reconnaître les progrès qui ont été réalisés. Nous devons également continuer nos efforts, faute de quoi ces progrès auront été futiles. J’encourage le Conseil à fournir au peuple haïtien l’appui nécessaire pour renforcer les institutions, lutter contre l’impunité et promouvoir et protéger les droits de l’homme comme fondement de la stabilité et du développement.

Le Haut-Commissariat a l’intention de poursuivre son action en Haïti en établissant une éventuelle mission de suivi des Nations Unies et à terme, une présence autonome (en collaboration avec le Gouvernement), avec l’appui du Conseil de sécurité et des États Membres. Nous voulons rester impliqués et soutenir l’engagement d’Haïti envers son développement démocratique et économique afin que les droits de toutes les personnes en Haïti soient respectés.

Je vous remercie et je me réjouis des discussions qui vont suivre.

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