Skip to main content

Organes conventionnels

Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels examine le rapport de la Tunisie

Le rapport de la Tunisie

23 Septembre 2016

Comité des droits économiques,
sociaux et culturels

23 septembre 2016

Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a examiné, hier matin et cet après-midi, le rapport présenté par la Tunisie sur les mesures prises par le pays pour mettre en œuvre le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

Présentant ce rapport, M. Mehdi Ben Gharbia, Ministre chargé des relations avec les instances constitutionnelles et la société civile et des droits de l'homme, a souligné qu'avant la révolution, les droits économiques, sociaux et culturels n'étaient nullement respectés et qu'un choix stratégique a été pris.  Cinq ans après la révolution, la situation du pays est très complexe et les budgets font défaut.  Le Gouvernement tente malgré tout de répondre à la nécessité de promotion de ces droits.  La Constitution de 2014 reconnaît l'ensemble des droits économiques, sociaux et culturels, lesquels découlent de la révolution, ce qui est source de fierté pour le Gouvernement car c'est l'une des rares constitutions à les inclure.  Une Cour constitutionnelle sera d'ailleurs créée dans les prochains mois pour permettre d'assurer la conformité des lois avec les droits fondamentaux.  Le pays a également créé une institution indépendante des droits de l'homme.

Le Ministre tunisien a aussi fait part d'une volonté collective du Gouvernement, de la société civile et des représentants politiques, notamment de l'opposition.  Depuis la révolution, la Tunisie se doit de réussir à atteindre ce nouveau modèle et de rétablir l'ordre social.  Dans ce contexte, elle est ouverte aux recommandations des organes internationaux.  Le pays n'a plus aucun complexe aujourd'hui et est prêt à prendre en compte tous les conseils qui lui seront donnés, a encore déclaré M. Ben Gharbia.  La Tunisie a ratifié la Convention pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées; s'est engagée dans la lutte contre les discriminations faites aux femmes; et ratifié un pacte social aux fins de lancer un nouveau programme politique et social pour redistribuer les richesses de manière équitable.  Au titre des défis, le chef de la délégation a déploré un défaut de croissance, un manque d'investissements internes et étrangers et reconnu la persistance de la corruption.  Il a néanmoins signalé qu'une institution s'efforçait de combattre la corruption dans le pays. 

"La délégation tunisienne était notamment composée, entre autres, de M. Walid Doudech, Représentant permanent de la Tunisie auprès des Nations Unies à Genève; ainsi que de représentants des ministères des affaires étrangères; de la justice; de l'enseignement supérieur; des affaires sociales; du développement, de l'investissement et de la coopération internationale; et de la relation avec les instances constitutionnelles et les droits de l'homme".

La délégation a répondu aux questions qui lui étaient adressées par les membres du Comité s'agissant, notamment de l'invocation du Pacte devant les tribunaux tunisiens, des disparités générales, de la lutte contre les inégalités hommes-femmes, des accords de libre-échange, du secteur informel; de l'amélioration du système éducatif à tous les niveaux et de l'abandon scolaire, de l'accès à la santé; de la situation des minorités notamment les Amazighs; et de la préservation du patrimoine. 

M. Olivier de Schutter, rapporteur du Comité pour l'examen du rapport de la Tunisie, a dit le plaisir qu'il avait de revoir une délégation tunisienne devant le Comité, seize années depuis sa dernière présentation.  Le Rapporteur a mentionné la problématique de l'émancipation de la femme, rappelant que la Tunisie avait été un fer de lance dans ce combat, mais qu'il restait du travail sur la planche.  Il a noté à cet égard une tendance au recul.  Les écarts entre les régions côtières et les régions du Sud en termes de développement demeurent considérables et sont source de préoccupation pour le Comité.  M. de Schutter a ensuite regretté l'absence de statistiques pour jauger l'évolution et les effets des mesures dans la société.

Le Rapporteur a souligné que les indicateurs de la parité hommes-femmes ne sont guère  encourageants dans le secteur de l'emploi.  Il y a aujourd'hui plus de femmes diplômées que d'hommes mais cela ne se traduit pas forcément par un meilleur accès à l'emploi pour les femmes, a-t-il déclaré, estimant que l'approche de la Tunisie était obsolète sur cette question, avec des dispositions prévoyant l'interdiction du travail de nuit pour les femmes, ou encore des congés de maternité mais pas de paternité.  La démarche est paternaliste et ne favorise pas l'égalité de traitement entre les hommes et les femmes, a encore commenté M. de Schutter.  Il a noté, dans ses remarques de conclusion à l'issue de l'examen de l'État partie, que c'était un gouvernement neuf et que beaucoup de projets allaient «dans le bon sens».  Les attentes de la société tunisienne dans les domaines que couvre le Comité sont très importantes, a-t-il ajouté, mettant l'accent enfin sur «l'urgence à avancer». 

En conclusion, le Ministre chargé des relations avec les instances constitutionnelles et la société civile et des droits de l'homme de la Tunisie a fait valoir que le pays se heurtait à de nombreuses contraintes, comme le terrorisme, mais que la Tunisie devait continuer à aller de l'avant.  Le pays est à l'écoute du Comité et de ses recommandations, a-t-il assuré, rappelant que la Tunisie avait été le berceau du Printemps arabe, mais que les nations qui ont suivi ont eu des expériences différentes.  Le chef de la délégation a espéré que les révolutions porteront leurs fruits malgré tout. 

Le Comité adoptera ultérieurement, lors de séances à huis clos, ses observations finales sur le rapport de la Tunisie et les rendra publiques à l'issue de la session, qui doit clore ses travaux le 7 octobre.

 

Lundi prochain, à 15 heures, le Comité entamera l'examen du rapport périodique du Liban.

 

Présentation du rapport de la Tunisie

Le Comité est saisi du rapport périodique de la Tunisie, ainsi que des réponses du pays à la liste de points à traiter que lui a adressée le Comité.

Présentant le troisième rapport périodique de son pays attendu en 2000, M. MEHDI BEN GHARBIA, Ministre chargé des relations avec les instances constitutionnelles et la société civile et des droits de l'homme, a expliqué le retard dans la présentation et la soumission du document.  Avant la révolution, les droits économiques, sociaux et culturels n'étaient nullement respectés et un choix stratégique a été pris.  Cinq ans après la révolution, la situation du pays est très complexe et les budgets font défaut.  Le Gouvernement tente malgré tout de répondre à la nécessité de promotion de ces droits.  La Constitution de 2014 reconnaît l'ensemble des droits économiques, sociaux et culturels, ce qui est source de fierté pour le Gouvernement car c'est l'une des rares constitutions à les inclure.  Ces droits découlent de la révolution et le Gouvernement a engagé des réformes.  La Tunisie a ratifié la Convention pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, et s'est engagée, d'autre part, dans la lutte contre les discriminations faites aux femmes.  Il s'emploie en outre à œuvrer de concert avec la société civile et l'ensemble des organes politiques.  Une Cour constitutionnelle sera d'ailleurs créée dans les prochains mois pour permettre d'assurer la conformité des lois avec les droits fondamentaux.

Le Gouvernement a également ratifié un pacte social.  Il s'agit de lancer un nouveau programme politique et social afin de redistribuer les richesses de manière équitable.  Il est aussi prévu une discrimination positive pour les femmes.  Une loi d'économie solidaire a aussi été adoptée.  Un programme de santé a vu le jour pour permettre notamment l'accès à certains médicaments.  Le Gouvernement a conclu un accord de partenariat entre les entreprises et les universités.  En outre, l'État essaie de répondre aux besoins du marché du travail en harmonie avec les formations professionnelles.  Les niveaux d'éducation ont été améliorés, et la culture est un moyen de former les citoyens et de les inciter à la tolérance.  M. Ben Gharbia a néanmoins déploré un manque d'investissements internes et étrangers.  Reconnaissant la persistance de la corruption, il a signalé qu'une institution s'efforçait de combattre ce phénomène.  Le pays a également créé une institution indépendante des droits de l'homme.  Le Ministre tunisien a aussi fait part d'une volonté collective du Gouvernement, de la société civile et des représentants politiques, notamment de l'opposition.  Depuis la révolution, la Tunisie se doit de réussir à atteindre ce nouveau modèle et de rétablir l'ordre social.  Dans ce contexte, elle est ouverte aux recommandations des organes internationaux.  Le pays n'a plus aucun complexe aujourd'hui et est prêt à prendre en compte tous les conseils qui lui seront donnés.

Examen du rapport

Questions et commentaires des membres du Comité

M. OLIVIER DE SCHUTTER, Rapporteur du Comité pour l'examen du rapport de la Tunisie, a dit le plaisir qu'il avait de revoir une délégation tunisienne devant le Comité, seize années depuis sa dernière présentation.  Le Rapporteur a mentionné la problématique de l'émancipation de la femme, rappelant que la Tunisie avait été un fer de lance dans ce combat, mais qu'il restait du travail sur la planche.  Il a noté à cet égard une tendance au recul.  Les écarts entre les régions côtières et les régions du Sud en termes de développement demeurent considérables et sont source de préoccupation pour le Comité.  M. de Schutter a ensuite regretté l'absence de statistiques pour jauger l'évolution et les effets des mesures dans la société. 

Passant à l'application du Pacte devant les tribunaux tunisiens, le Rapporteur a souligné qu'en Tunisie, les traités internationaux prévalent sur la législation nationale mais pas sur la Constitution.  Malheureusement, on détecte peu d'exemples d'invocation du Pacte devant les tribunaux.  Le Rapporteur a demandé à la délégation ce que le Gouvernement pouvait faire pour que le Pacte soit davantage invoqué devant les juridictions.  Concernant l'instance nationale des droits de l'homme, le Rapporteur a souhaité savoir quand la loi qui doit mettre sur pied cette institution sera adoptée et s'il elle respectera bien les Principes de Paris. 

Par référence à la conclusion d'accords de libre-échange, notamment avec l'Union européenne, le Rapporteur s'est demandé si le parlement avait son mot à dire pour que ces accords soient conformes aux dispositions du Pacte. 

Concernant le nouveau code d'investissement, le Rapporteur a souligné qu'il était possible que des investisseurs pèsent de tout leur poids pour demander des aménagements concernant les dispositions du Pacte.  Il s'est enquis des garanties pour que les investisseurs respectent intégralement la législation en matière de droits économiques, sociaux et culturels.

S'agissant de l'obligation des États à mettre tout en œuvre pour faire respecter ces droits, le Rapporteur a mentionné le phénomène de la corruption en Tunisie.  S'il a noté les efforts, comme le projet de loi de protection des lanceurs d'alertes, le Rapporteur n'en a pas moins évoqué l'accord de réconciliation, vivement critiqué par la société civile, qui craint qu'il aboutisse à une impunité pour les personnes ayant abusé des biens publics.  Depuis le début du processus de transition, le Rapporteur a remarqué que la dette avait augmenté dans des proportions considérables.  Les bailleurs de fonds risquent donc d'imposer des mesures macroéconomiques qui ne tiennent pas compte des obligations de l'État en matière de droits de l'homme.  Le Rapporteur a dès lors demandé à la délégation comment garantir que le Pacte ne soit pas sacrifié au moment de contracter de nouveaux emprunts.

Le Rapporteur a souligné que dans un pays où 37% de la population est active dans l'économie informelle, 80% de l'impôt direct sur les revenus est payés par les salariés.  Il a demandé à la délégation comment amener le secteur informel à se formaliser pour qu'il puisse participer à la charge de l'impôt.

M. de Schutter a relevé qu'il n'y avait pas de loi générale en Tunisie sur les discriminations.  Il a regretté, par ailleurs, que le code pénal prévoit toujours une peine de prison pour les personnes soupçonnées de sodomie ou de lesbianisme.

Le Rapporteur a aussi demandé à la délégation ce qui était envisagé par le Gouvernement pour mettre fin aux disparités régionales, et si un mécanisme compensatoire pour les régions en difficulté était envisageable.

Concernant la minorité ethnique, le Rapporteur a souligné que les Amazighes souffraient de nombreuses discriminations, invitant les autorités tunisiennes à remédier à cette situation. 

Il s'est aussi enquis de l'état d'avancement de l'adoption de la loi sur l'asile. 

Le Rapporteur a souligné que les indicateurs de la parité hommes-femmes ne sont guère  encourageants dans le secteur de l'emploi.  Il y a aujourd'hui plus de femmes diplômées que d'hommes mais cela ne se traduit pas forcément par un meilleur accès à l'emploi pour les femmes.  Le Rapporteur a estimé que l'approche de la Tunisie était obsolète sur cette question, avec des dispositions prévoyant l'interdiction du travail de nuit pour les femmes, ou encore des congés de maternité mais pas de paternité.  La démarche est paternaliste et ne favorise pas l'égalité de traitement entre les hommes et les femmes, a commenté M. de Schutter. 

Au sujet de l'égalité en matière successorale, le Rapporteur a noté que des discriminations subsistaient et que les réponses de la délégation n'étaient pas rassurantes sur cette question.

Un membre du Comité s'est montré préoccupé par le taux de chômage, de 15% au niveau national, et qui atteint plus 50% dans certaines régions.  Cet expert s'est dit alarmé du taux de chômage chez les femmes diplômées, nettement plus élevé que chez leurs homologues masculins.  Les femmes sont cantonnées dans le secteur de l'agriculture, du textile et des services.  Il a demandé à la délégation s'il était prévu de promouvoir la diversification du travail des femmes en soulignant que les conditions de travail de celles-ci dans ces secteurs étaient très difficiles.  Cet expert s'est aussi enquis du système de protection des travailleurs informels.

L'expert a déclaré qu'il était du devoir constitutionnel du Gouvernement d'instituer un revenu minimum, notant que certains secteurs seraient exemptés de cette obligation. 

Cet expert s'est aussi montré préoccupé par les restrictions du droit à la grève dans certains secteurs.  Il a demandé si les autorités entendaient réexaminer ces restrictions dans le cadre du Conseil sur le dialogue social.  L'expert a aussi plaidé en faveur du droit à la sécurité sociale pour les travailleurs du secteur informel et les travailleurs à revenu limité, comme les travailleurs domestiques ou migrants. 

Au cours des questions de suivi, un membre du Comité a salué la ratification de la Convention sur les droits des personnes handicapées tout en observant l'absence de dispositions particulières sur les aménagements raisonnables en faveur des personnes handicapées.  Il a encouragé l'inspection du travail à mener des enquêtes sur le secteur informel. 

Un autre membre du Comité a souligné que 6 millions d'enfants sont concernés par l'abandon scolaire et qu'il fallait renforcer leur encadrement.  Il a aussi posé une question sur le projet de loi portant sur les violences à l'égard des femmes et des enfants, à l'examen depuis 2008.  L'expert a aussi sollicité des statistiques plus détaillées sur ces violences.  Cet expert a souligné que le problème de la gestion de l'eau était criant en Tunisie et a prié l'État partie de garantir un approvisionnement en eau à toute la population et à résoudre le problème des coupures régulières du réseau de distribution.  Il a aussi mis l'accent sur la situation des nombreuses personnes vivant dans la rue. 

Un expert a loué le pari du Gouvernement de faire de l'éducation un instrument de développement mais a estimé que le système éducatif nécessitait des changements importants en termes qualitatifs.  En effet, les résultats de l'enquête du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (Pisa), de l'Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) sur la Tunisie, sont particulièrement mauvais.  Aucune université de Tunisie n'est recensée parmi les grandes universités de réputation mondiale.  L'analphabétisme persiste.  L'enseignement souffre aussi de grandes inégalités.  L'expert a aussi souligné qu'il y avait encore de grands manquements concernant l'éducation préscolaire où il ne semble y avoir que des institutions privées, inaccessibles pour les familles les plus pauvres.  Il a ensuite mis le doigt sur le manque de pertinence de certains établissements supérieurs, beaucoup de diplômés se retrouvant au chômage ce qui engendre une certaine frustration.  L'éducation devient ainsi un instrument de ségrégation sociale.  Face à cette situation, les classes moyennes et supérieures risquent d'abandonner les écoles publiques pour se réfugier dans les écoles privées.  L'expert a demandé à la délégation ce que faisait le Gouvernement pour protéger la communauté amazighe notamment sa culture.  Cet expert a constaté que les budgets de préservation du patrimoine culturel et archéologique étaient très faibles.  Il a enfin demandé à la délégation si des mesures étaient prévues pour permettre un accès à Internet à l'ensemble de la population. 

Un autre membre du Comité s'est enquis de la situation concernant la polygamie en Tunisie. 

Dans les questions de suivi, plusieurs membres du Comité sont revenus sur les discriminations dans le secteur de l'éducation, et sur les disparités entre le public et le privé.  Un expert a sollicité des données sur la minorité amazighe et sa prise en compte dans les politiques nationales.  Un autre expert a demandé pourquoi l'État n'adoptait pas un plan national de lutte contre la pauvreté, et s'il existait des mesures ciblées pour lutter contre la pauvreté dans les régions du centre et de sud du pays.  Il s'est enquis de la législation en matière d'expulsion et si elle respectait les engagements internationaux de la Tunisie dans ce domaine.  Une experte a invité la Tunisie à aller plus loin dans ses mesures pour améliorer la condition des femmes.  Elle a recommandé de consulter la population en matière de protection sociale pour garantir son soutien aux réformes.

Un autre membre du Comité a demandé ce qu'il était possible de faire pour que les travailleurs du secteur informel aient accès à la sécurité sociale.  Concernant la lutte contre les violences à l'égard de femmes, cet expert a demandé à la délégation si l'article du code pénal qui prévoyait que l'auteur du viol peut échapper à des poursuites s'il épouse sa victime était toujours appliqué.  Il a recommandé la conception d'une charte, à destination de la population, sur les droits en matière d'accès aux médicaments et ce, pour mieux prévenir les actes pouvant s'apparenter à de la corruption.

Réponses de la délégation

En 1956, la Tunisie a été l'un des premiers pays à adopter une loi d'émancipation de la femme, ce qui explique sans doute que davantage de femmes que d'hommes sont diplômées.  Le Gouvernement est conscient que si, à l'époque, cette législation avait été soumise à référendum, elle n'aurait certainement pas été approuvée.  Or, en 2014, la nouvelle constitution a été approuvée par consultation populaire.  Il en ressort que l'ingéniosité du modèle tunisien réside dans sa capacité de gestion des difficultés par une réponse institutionnelle.  A présent, l'égalité hommes-femmes est une évidence, et un projet de loi portant sur l'égalité successorale est à l'examen.  Il incombe maintenant au parlement de prendre ses responsabilités.  De son côté, la Cour constitutionnelle va vérifier la constitutionnalité de toutes les lois.  Entre-temps, le Gouvernement ne peut pas les modifier. 

Au niveau institutionnel, un tribunal constitutionnel et un Conseil de l'égalité ont été mis en place aux fins de  garantir l'égalité entre les sexes.  Dans le domaine politique, toutes les candidatures pour des élections législatives doivent être paritaires, ce qui est d'ailleurs reflété par la forte représentation des femmes au parlement (plus de 30% aujourd'hui).  En vertu de la loi, l'égalité complète est garantie dans les conseils municipaux, en dépit de certaines défaillances.  La délégation a déclaré, par ailleurs, que la disposition selon laquelle un auteur de viol ne risquait pas de poursuites s'il épousait  sa victime a été annulée. 

Selon la délégation, la Constitution tunisienne se distingue par le fait qu'elle défend le modèle familial.  Les organisations féminines réclament, par exemple, plus de jours de congé de maternité.  La femme occupe une place très importante dans la fonction publique.  Evoquant le manque de moyens financiers pour asseoir la démocratie, la délégation a insisté sur les efforts visant à la préservation de la paix civile et au renforcement des institutions et de leurs garde-fous. 

La délégation a souligné par ailleurs que le pays pâtissait d'un défaut de croissance économique alors qu'une démocratie ne pourrait reposer sur une population pauvre et affamée.  Pour cette raison, les investissements doivent permettre de lutter contre la pauvreté et le nouveau Code d'investissement prend en considération tous les engagements internationaux de la Tunisie, ceux du Pacte compris.  Ce code d'investissement stipule également que les entreprises tunisiennes peuvent posséder des terres, ce qui n'est pas le cas pour les entreprises étrangères.

Un journal a été créé pour les investisseurs pour qu'ils aient une meilleure connaissance des besoins prioritaires du pays.  Ce journal reprend toutes les règles en matière de sécurité sociale et de protection des travailleurs, et met l'accent sur la nécessité d'un développement durable dans le pays.

La révolution ne s'étant pas déroulée dans le sang, le pays a tout de même déployé une politique de réconciliation aux fins d'éviter de sombrer dans une guerre civile.  Ainsi, la loi sur la réconciliation favorisera à la fois une restitution des avoirs et ce, à travers un processus transparent; et le jugement de 7 000 fonctionnaires publics pour des passe-droits donnés à des tiers.  Il semblerait que ces fonctionnaires auraient obéi aux ordres et ne se sont pas enrichis.  Cette loi de réconciliation concerne davantage ces personnes que les instigateurs de ces pratiques, a fait remarquer la délégation.  En outre, dans le souci d'établir un système de contrepouvoir après des dizaines d'années de dictature, la Tunisie a prévu la création de cinq instances constitutionnelles indépendantes, a fait valoir la délégation . 

Du point de vue économique, l'objectif du Gouvernement est de réduire au maximum le secteur informel en vue de préserver les droits de tous les travailleurs.  Ce secteur  s'était développé en raison de la pauvreté et du chômage et des mesures visent à le transférer vers le secteur formel.  Des formules incitatives et des campagnes de sensibilisation sont prévues dans cet objectif.  La délégation a également répondu que Le fait que le mandat de l'inspection du travail ne prévoit pas le contrôle du secteur informel ne signifie pas que l'État ne contrôle pas ce secteur.  Des contrôles, en particulier sur le travail des enfants, sont effectués régulièrement.  La délégation a souligné qu'il y avait cependant des efforts à fournir pour assurer une certaine sécurité sociale à ces travailleurs et les protéger.

S'agissant des accords de libre-échange, la Tunisie a demandé à la délégation européenne que les négociations soient tripartites de sorte à ce que les représentants de la société civile tunisienne et européenne puissent y participer.  La délégation a néanmoins rappelé que, dans ce cadre, les accords internationaux sont supérieurs aux lois.  Les accords de libre-échange prévoient en outre une appropriation des ressources naturelles par la population.  L'État tunisien a sollicité le report de toutes négociations susceptibles de porter atteinte au pays.  La délégation a également indiqué qu'il y avait des programmes de discrimination positive pour les régions défavorisées.  Les investissements vont en priorité à ces régions.

Concernant le droit de grève, la délégation a relevé que le problème n'était pas les grèves syndiquées mais les sit-in improvisés ou toutes autres actions du genre.  Le Gouvernement souffre aujourd'hui d'un défaut d'autorité.  Cependant, les syndicats demeurent des partenaires importants du Gouvernement.  En accord avec les syndicats, le Gouvernement a publié un décret définissant le niveau de salaire minimum, tenant compte de l'inflation et de la situation économique. 

Par ailleurs, les minorités, notamment Amazighe, jouissent des mêmes droits constitutionnels que le reste de la population mais le problème qui se pose à présent est celui de la reconnaissance des minorités.  Aucune étude n'a été conduite à ce sujet. 

La Tunisie a accueilli 1,4 million de Libyens durant la guerre mais n'a reçu pratiquement aucun appui de la communauté internationale. 

Dans le cadre de la réforme du système législatif, la juridiction administrative applique directement les dispositions des traités, même si celles-ci ne sont pas transposées par des lois. 

Un projet de loi sur l'institution nationale des droits de l'homme est à l'étude.  A cet égard, l'État a adopté une approche participative, impliquant en particulier la société civile dans ce processus.  Ce projet de loi tient compte des Principes de Paris pour garantir l'indépendance de ladite institution à tous les niveaux. 

Concernant la lutte contre la corruption, la Tunisie s'est engagée dans un vaste programme de lutte par le biais de la création d'organes spécifiques.  Différents textes juridiques permettent aussi de combattre cette pratique.  Ces lois portent à la fois sur les secteurs privé et public.  De cette façon, les citoyens sont en mesure d'exiger des comptes du Gouvernement pour ce qui touche aux biens publics.  Un mécanisme est également prévu aux fins de dénoncer les actes de corruption, et de garantir la protection des témoins.  Tout agent ayant commis des actes malhonnêtes est passible d'exclusion de l'administration.  Le mécanisme le plus important permet d'enquêter sur les cas de fraude et de punir les fraudeurs notamment en prévoyant de geler leurs actifs à l'étranger ou dans le pays.  Malgré tous ces efforts, les défis demeurent énormes, a confié la délégation, pour qui il s'agit maintenant de renforcer le cadre institutionnel surtout au niveau de la gouvernance.  Des campagnes de sensibilisation sont aussi organisées en vue de la sensibilisation de la population contre la corruption. 

Le Gouvernement tunisien a réformé le système de perception des impôts de sorte à ce que tous les agents étatiques présentent leur bilan financier et déclarent l'ensemble de leurs ressources afin de renforcer la confiance entre l'État et ses agents.  Cette réforme prévoit aussi des mesures de lutte contre l'évasion fiscale. 

La délégation a souligné que la lutte contre la pauvreté reposait sur des programmes tendant à la promotion de la dignité de tous.  La période de transition a vu de nombreuses réformes à cet effet.  Un grand nombre de familles a pu profiter d'un système de bourses; la transparence du programme a été renforcée; des comités de supervision créés; et un fonds d'appui aux familles pauvres sera aussi établi pour aplanir les disparités entre les régions.  Des systèmes spécifiques de sécurité sociale ont été conçus pour les travailleurs des secteurs de l'agriculture et la pêche.

En outre, la Tunisie a été l'un des premiers pays à signer la Convention sur les droits des personnes handicapées et a adopté un texte législatif en faveur de l'intégration de ces personnes et de la lutte contre les discriminations à leur encontre.  Le nombre de personnes en situation de handicap a doublé dans la fonction publique.  Un plan national a prévu l'aménagement de l'environnement pour permettre une meilleure accessibilité aux personnes handicapées.  Récemment la Convention de Marrakech concernant les personnes malvoyantes a été ratifiée.

La délégation a également fait état de la prochaine construction de logements sociaux dans dix gouvernorats prioritaires auxquels certaines catégories de la population pourront avoir accès gratuitement.

L'approvisionnement en eau potable est une priorité du plan de développement du pays.  Le taux d'approvisionnement reste variable selon les régions.  Il atteint 92% au Nord, 91% dans le centre et est inférieur dans certaines zones où la nappe phréatique est faible ou à cause de la salinité de l'eau.  L'État a créé des points focaux pour l'approvisionnement en eau.  L'objectif est d'atteindre un taux de 96% à la fin du plan en 2020.

Concernant l'abandon scolaire, la délégation a signalé l'existence d'une stratégie, conçue pour faire participer les organisations de la société civile pour régler les problèmes familiaux et apporter le soutien nécessaire pour éviter le décrochage scolaire.  Un plan a permis la réintégration de plus de 15 000 enfants dans le système scolaire.  Une série de mesures ont été prises en vue de l'amélioration de la qualité de l'enseignement.  Les formations des professeurs ont été adaptées et d'autres, continues, leur sont proposées.  Le système éducatif est en train d'être réformé et des partenariats conclus avec des organisations internationales, notamment pour ce qui a trait à  l'enseignement universitaire et supérieur.  La délégation a fait remarquer que les résultats excellents ne provenaient pas forcément de milieux aisés et que les appartenances sociales n'étaient pas à l'origine d'une quelconque discrimination dans l'enseignement.  La plupart des élites du pays sont d'ailleurs issus de l'école publique, a-t-elle commenté.  Il n'existe aucune discrimination à l'égard des femmes concernant l'accès à l'enseignement.  Un programme 2016-2020 prévoit un prêt pour soutenir l'employabilité des diplômés de l'enseignement supérieur, et l'on tente de créer des liens entre les différents cycles d'enseignement.  L'idée est que chaque bachelier dispose d'une place à l'université malgré la forte demande.  La délégation a conclu qu'il restait des défis majeurs à relever dans l'éducation, surtout pour ce qui a trait à la qualité.  Elle a précisé que le nombre d'étudiants inscrits à l'université publique était de 320 000, et dans les universités privées, de 30 000.  La délégation a souligné que le coût des études dans l'enseignement privé est relativement raisonnable.  Certains étudiants sont obligés de suivre les cours dans l'enseignement privé car certaines filières n'existent pas dans le domaine public.

Concernant l'enseignement préscolaire un projet de loi sur la création de jardins d'enfants a été déposé au parlement en juillet 2016.  Une autre mesure prévoit la réouverture des jardins d'enfants appartenant au système public, et une autre, à plus   long terme, vise à mettre fin aux disparités régionales dans ce domaine.

Le Gouvernement propose une série d'aides aux familles vivant dans la pauvreté, notamment dans l'accès aux soins de santé ou à l'éducation.  L'idée est de pouvoir cibler les familles bénéficiaires grâce à un outil informatique.  Ce programme doit bénéficier à 800 000 familles défavorisées.  Les dépenses dans ce domaine sont rationalisées et les bénéficiaires mieux ciblés aujourd'hui.  Un autre projet de loi cherche à regrouper tous les programmes d'aide au sein d'une loi globale.

L'État a mis en place différents programmes d'aide pour les sans-abris: services d'écoute, aide alimentaire, accès aux soins et création de centres d'accueil.  Une ligne gratuite d'urgence pour les sans-abris a été mise en place.  L'approche adoptée repose sur les droits de l'homme.  Les bénéficiaires sont des ayant-droits et l'état remplit ses obligations à leur égard. 

La loi interdit toute discrimination dans l'accès aux soins de santé.  De nouveaux hôpitaux vont notamment être ouverts dans les régions défavorisées.  Un projet de changement de la gouvernance dans le système de santé publique a été lancé afin de lutter contre la corruption.  Le Ministère de la santé est en train de lancer une étude pour évaluer la problématique de la corruption dans le domaine de l'accès aux médicaments et veiller à la transparence dans ce secteur.  La Tunisie est dotée d'un système d'assurance maladie, et les familles à faible revenu ont le droit à la gratuité des soins, ce qui représente environ un million de familles.  Concernant les plaintes déposées pour toute tentative de corruption dans le domaine de la santé, la délégation a expliqué qu'il y avait un système de bonne gouvernance dans tous les ministères et les organes publics.  Il y a aussi un organe indépendant qui recueille toutes les plaintes pour corruption qui lance les investigations et envoie les dossiers au monde judiciaire. 

La délégation a affirmé que le viol conjugal était passible d'un an de prison.  Elle a signalé, d'autre part, que l'avortement n'est accepté que pendant les 3 premiers mois de la grossesse.  Il ne peut être réalisé que par un médecin dans un hôpital.  En dehors de cette condition, l'avortement n'est permis que si l'on soupçonne que la grossesse présentait un risque pour la santé physique ou mentale de la mère.  Dans ce contexte, si le médecin refuse de pratiquer l'avortement, il pourrait faire l'objet de mesures disciplinaires par les autorités compétentes.  Et si les autorités ferment les yeux, il pourrait y avoir des recours en justice. 

Concernant la préservation du patrimoine, la délégation a annoncé qu'un autre texte  législatif porte sur un inventaire du patrimoine traditionnel.  Une institution de préservation des sites archéologiques a été établie pour protéger l'ensemble des sites qui ont une valeur pour le pays.  D'autres sites culturels auraient besoin d'être restaurés également.  En plus, une base numérique sera créée pour assurer la préservation du patrimoine immatériel du pays.

Répondant aux questions sur les Amazighs, la délégation a insisté que toutes les minorités sont accueillies en Tunisie.  Il y a une identité arabo-musulmane mais la Constitution protège les minorités.  En Tunisie, il existe également des minorités juive et chrétienne.  La Constitution prévoit la liberté de culte et de croyance.  Le Gouvernement n'a aucun problème avec une communauté quelle qu'elle soit.  Les héritages sont multiples.  Soutenir l'identité arabo-musulmane apparaît clairement dans la Constitution mais cela n'empêche pas la protection de toutes les minorités.

La Tunisie alloue 30 à 40% de son budget à l'enseignement et à la santé.  Malheureusement le pays a fait face à des actes terroristes et le Gouvernement a dû doubler les budgets des ministères de l'intérieur et de la défense.  Ces fonds n'ont pas pu être transférés vers l'enseignement ou la santé pour cette raison.  Avec l'embellie sécuritaire, le Gouvernement espère remettre la priorité sur la santé et l'éducation. 

La délégation a fait valoir, s'agissant de la polygamie, que lors de l'adoption du texte constitutionnel, il a été convenu que la loi canonique musulmane (charia) ne constituait pas une source pour le législateur tunisien. 

Conclusions

M. MEHDI BEN GHARBIA, Ministre chargé des relations avec les instances constitutionnelles et la société civile et des droits de l'homme, a déclaré qu'outre les  réponses fournies, la Tunisie prend acte de tout ce qui a été dit pour œuvrer de manière plus efficace au renforcement de ses politiques économiques et sociales.  L'État essaie de mettre à jour la législation du pays pour qu'elle respecte la Constitution et l'ensemble des normes internationales.  La Cour Constitutionnelle va s'atteler au travail dans quelques semaines.  Plusieurs projets de loi relatifs aux droits de l'homme sont en cours.  M. Ben Gharbia a fait valoir que le pays se heurtait à de nombreuses contraintes, comme le terrorisme, mais que la Tunisie devait continuer à aller de l'avant.  Le pays est à l'écoute du Comité et de ses recommandations, a-t-il assuré, rappelant que la Tunisie avait été le berceau du Printemps arabe, mais que les nations qui ont suivi ont eu des expériences différentes.  Le chef de la délégation a espéré que les révolutions porteront leurs fruits malgré tout. 

M. OLIVIER DE SCHUTTER, Rapporteur du Comité pour l'examen du rapport de la Tunisie, a remercié la délégation tunisienne pour la qualité du dialogue.  Il a noté que c'était un gouvernement neuf.  Beaucoup de projets vont dans le bon sens.  Les attentes de la société tunisienne dans les domaines que couvre le Comité sont très importantes.  Il y a urgence à avancer.  Le Comité espère pouvoir y contribuer.

____________

Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas un document officiel

VOIR CETTE PAGE EN :