Mes chers collègues, mesdames, messieurs,
Nous arrivons, avec cette 78° séance, au terme de notre 5° session. Cela a été une session bien remplie qui nous a permis d’avancer dans la mise en œuvre de nos devoirs et responsabilités en vertu de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. Le Comité a désormais atteint sa vitesse de croisière et est à même d’exercer toutes ses fonctions.
Une partie importante de notre session a été consacrée aux rapports nationaux présentés, sur la base de l’article 29 de la Convention. Après l’Uruguay et la France, lors de la 4° session, nous avons eu un dialogue constructif avec l’Argentine et l’Espagne et adopté les observations finales concernant ces deux pays. Nous avons également adopté les listes de questions portant sur les rapports de l’Allemagne et des Pays-Bas qui seront examinés lors de notre 6° session, en mars 2014. Ainsi la procédure de l’article 29 est bien lancée et nous entendons la poursuivre en toute transparence. A cet égard, je tiens à remercier très chaleureusement les ONG Alkarama et Genève pour les droits de l’homme pour avoir rendu possible l’enregistrement en web-cast de ces débats publics.
Je renouvelle notre appel auprès des Etats qui doivent encore remettre leur rapport et espère que dans les quelques semaines qui restent avant la fin de l’année, de nouveaux rapports seront transmis, comme annoncé, informellement ou publiquement, y compris dans cette salle, lors de la rencontre avec les Etats parties. Une stratégie de ratification universelle n’a de sens que si les Etats parties montrent l’exemple en respectant leurs obligations de base, à commencer par la remise de leur rapport national, en temps voulu, c’est-à-dire dans les deux ans après l’entrée en vigueur de la Convention à leur égard.
Le Comité a également poursuivi son engagement avec les autres parties prenantes, soit lors de nos séances publiques, soit à l’occasion de évenements paralleles organisées par des ONG, notamment la table ronde de Genève pour les droits de l’homme - avec la participation de Louis Joinet – et la rencontre avec l’ICAED, sous les auspices de l’Argentine et de la France. Le thème choisi par l’ICAED, avec le témoignage bouleversant de victimes de disparitions forcées, était un défi pour chacun de nous : « L’importance d’une ratification universelle et d’une application effective… ». Nous sommes particulièrement vigilant sur les menaces d’intimidation et les risques de représailles visant les défenseurs des droits de l’homme, et en particulier les victimes de disparitions forcées, les proches, les témoins. Le Comité a désigné en son sein un rapporteur sur les représailles qui travaillera en liaison avec le nouveau point focal du Haut-Commissaraiat
Nous avons tenu à concrétiser notre engagement avec la société civile en adoptant hier, après un processus de consultation en ligne, un document de méthode sur la relation avec la société civile qui vient compléter notre Règlement intérieur. Il s’agit pour nous d’une feuille de route précise, qui n’a pas à reprendre des affirmations de principe, mais vise à donner des indications pratiques pour une coopération fructueuse.
Dans le même esprit, nous avons eu une première réunion de travail avec la représentante du Comité internationale de coordination des Institutions nationales des droits de l’homme (INDH) qui s’est ouverte par un message très prometteur du président du CIC, M. Lawrence Mushwana. Nous avons désigné un point de contact en notre sein pour développer un document de même nature, mutatis mutandis, tenant compte de la spécificité des INDH mais aussi de celle du CED de par son mandat. Notre session de mars qui suit de très près celle du CIC nous permettra d’avance rapidement sur ce dossier, je l’espère.
Le Comité a également poursuivi ses contacts avec les autres protagonistes du système de protection des droits de l’homme, à commencer par le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires, avec qui nous avons eu notre 3° réunion annuelle conjointe. Le Groupe de travail a également invité quelques membres du CED à participer à sa séance de réflexion sur les droits économiques et sociaux et nous avons associé le Groupe de travail à notre réunion privée avec le CICR qui a fourni aux uns comme aux autres de nombreuses pistes pour l’avenir. Nous devons passer du stade de l’information mutuelle, qui relève des « bonnes pratiques », à une clarification des rôles respectifs des deux entités qui sont de nature différente, mais essentiellement complémentaires. Les procédures dont le CED est le gardien lui sont conférées par un traité qui ne vaut que pour les Etats parties. Au contraire le mandat humanitaire exercé par le Groupe de travail au nom du Conseil des droits de l’homme vaut pour tous les Etats membres. Notre commune préoccupation doit être d’éviter des lacunes de protection ou des délais inacceptables dans les procédures d’urgence, mais aussi les doublons et les interférences qui enverraient des messages contradictoires aux Etats concernés.
Nous avons eu notre première rencontre formelle avec le Groupe de travail sur la détention arbitraire qui avait consulté par écrit le CED au sujet de son mandat récent sur l’Habeas corpus. Notre rencontre a été très ouverte et riche, avec des perspectives concrètes de coopération, notamment sur le thème de la justice militaire.
A cet égard le CED tient à saluer l’initiative récente de Mme Gabriela Knaul, le Rapporteur spécial sur l’indépendance des juges et des avocats, au sujet des principes directeurs adoptés par la Sous-Commission des droits de l’homme en 2005. Le Comité qui a eu une première séance de travail sur cette problématique, va organiser en mars prochain, lors de notre 6° session, un débat thématique public sur la question qui nous concerne au premier chef, celle de la justice militaire et des disparitions forcées. Lors de ma rencontre à New York avec Pablo De Grieff, l’Expert indépendant sur la justice transitionnelle, celui-ci a proposé le principe d’une réunion avec le CED lors de cette même session que nous avons accepté avec enthousiasme.
Mes chers collègues, Mesdames, Messieurs,
Notre travail se poursuit entre les sessions. Nous avons renouvelé certaines fonctions, notamment pour le fonctionnement efficace des articles 30 et 31, et nous avons désigné un rapporteur pour le suivi des observations finales.
A ce stade le Comité n’entend pas adopter d’observations générales, pensant nécessaire d’avoir une pratique diversifiée de la Convention, mais il a estimé utile d’adopter une déclaration de principe concernant sa compétence ratione temporis, notamment dans l’application de l’article 29. Le texte de la Convention distingue très nettement les obligations des Etats « au titre de la Convention », ce sont les termes mêmes de l’article 29, et les obligations des Etats vis-à-vis du Comité qui, comme le précise l’article 35 §.2 « ne concernent que les disparitions forcées ayant débuté postérieurement à l’entrée en vigueur de la présente Convention à son égard ». Ces dispositions particulières doivent se lire à la lumière de l’article 37 qui souligne qu’ « aucune des dispositions de la présente Convention ne porte atteinte aux dispositions plus favorables à la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées qui peuvent figurer :
- Dans la législation d’un Etat partie ;
- Dans le droit international en vigueur pour cet Etat ».
Pour le Comité, il apparait une distinction claire entre les cas de disparitions forcées, antérieurs à l’entrée en vigueur de la Convention, et les régimes juridiques qui découlent du droit positif de chaque Etat. Si les informations sur le passé peuvent et doivent éclairer les défis du présent, le Comité entend ne se prononcer que sur les obligations présentes qui pèsent sur l’Etat. J’ai donné comme exemple les articles 24 et 25 qui sont écrits au présent et qui sont essentiels pour une Convention qui, en vertu de son préambule, est « victim-oriented». Si le Comité n’a pas à trancher des cas ou des situations du passé, il doit envisager leurs conséquences actuelles, hic et nunc. Nous espérons que cette déclaration de principe évitera les malentendus en assurant la cohérence de notre interprétation, fondée sur la pratique récente, et la sécurité juridique pour toutes les parties prenantes.
Nous aurons notre premier séminaire de sensibilisation organisé à l’initiative de l’OIF et de l’HCDH, dans quelques jours à Tunis. Ce sera pour nous un précédent important et j’espère que nous pourrons renouveler cet exercice dans d’autres régions et sous-régions. Je terminerai en souhaitant que nous soyons tous des ambassadeurs de la Convention. Avec l’appui des « amis de la Convention », des ONG fédérées dans l’ICAED, des IN sous l’impulsion de la Commission sud-africaine, nous devons nous mobiliser pour faire connaitre la Convention à travers le monde. Un « mode d’emploi » pour faciliter la ratification universelle et la transposition complète en droit interne de la Convention, avec des modèles de bonne pratique, à l’exemple de la loi-type du CICR sur les missing persons, serait un outil concret très utile pour aller de l’avant.
Au-delà de cet appel, le Comité doit jouer pleinement son rôle dans les débats en cours sur le renforcement du système des organes de traités dans son ensemble. Une réunion informelle des présidents aura lieu à Washington, fin janvier, avec le soutien du HCDH, à l’initiative du président du CAT, Claudio Grossmann qui est « the chair of chairs », à un moment crucial de la négociation menée par les co-facilitateurs pour 6 mois encore au sein de l’Assemblée générale.
Notre session a été entourée de tragédies, qu’il s’agisse du drame des migrants disparus en mer ou dans le désert, qui en tant que Comité ne peut nous laisser indifférents, tout comme le typhon qui vient de ravager les Philippines, même si dans le cadre de notre mandat nous ne pouvons confondre « missing persons » et « disappeared persons ». C’est à tout le système des Nations Unies de trouver des réponses à ces catastrophes qu’elles soient causées par l’homme ou non. A cet égard, nous devons réaffirmer l’engagement collectif des organes conventionnels en faveur des objectifs plus 2015+, en souhaitant que les droits de l’homme soient une composante majeure de l’agenda du développement.
Mes chers collègues,
Il ne me reste plus qu’à vous dire toute ma gratitude pour votre engagement personnel, votre esprit d’équipe, votre confiance amicale, et saluer tout particulièrement le secrétariat qui a travaillé sans répit depuis 2 semaines.
Tous ensemble nous avons fait, avec des débats sérieux, intenses, passionnés, mais toujours cordiaux et respectueux, un travail que j’espère utile. Et toujours nous avons cherché et trouvé un consensus qui nous élève et nous dépasse.
Mes derniers mots seront pour remercier les interprètes qui nous ont permis, venus de tous les coins du monde, de trouver un langage commun, celui des droits de l’homme.