Inverser le cours de la violence fondée sur le genre et du féminicide en Afrique du Sud
29 novembre 2019
Thokozani Ndaba, fondatrice et directrice exécutive de la Ntethelelo Foundation, vit dans un pays ayant l'un des taux les plus élevés de violence et de meurtres fondés sur le genre dans le monde. Selon les dernières informations disponibles, les policiers recensent chaque jour plus de 100 cas de viols. Ne serait-ce que l'année dernière, 2 700 femmes et plus de 1 000 enfants sont morts sous les coups d'une autre personne.
Dans le township d'Alexandra, une commune sudafricaine située à la périphérie de Sandton – réputé pour être le quartier le plus riche d'Afrique – les routes goudronnées font place aux chemins de terre, qui serpentent entre de petites habitations faites de tôle et d'autres matériaux de récupération. L'énorme contraste des inégalités est frappant.
La violence fondée sur le genre y est également un phénomène régulier, de même que la vulnérabilité aggravée, dans ces zones où les fortes inégalités socio-économiques sont courantes. C'est là que Thokozani Ndaba, artiste de spectacle, spécialiste dans le domaine du théâtre et militante des droits de l'homme, a créé la Ntethelelo Foundation. Elle œuvre dans les domaines du militantisme, de l'éducation et de la recherche.
En quête d'une communauté, de l'amour de soi et de respect
Ntethelelo signifie « pardon », l'une des valeurs que Thokozani essaie d'inculquer aux jeunes filles qui, malgré les épreuves qu'elles ont subies, sont des êtres humains empreints de dignité, nés avec des droits fondamentaux, et pouvant surmonter n'importe quelle situation et réussir dans la vie.
La fondation tient notamment un cours après l'école du lundi au mercredi. Pendant ce cours, qui accueille de jeunes filles entre 12 et 17 ans, Thokozani utilise le Théâtre de l'opprimé comme outil pour les aider à renforcer leur résilience et promouvoir des valeurs enracinées dans l'amour de soi et le respect de soi. C'est une petite salle en ciment, qui sert aussi d'aide à la garde d'enfants en bas âge, que Thokozani a trouvé pour donner aux filles un espace où elles peuvent se sentir en sécurité.
Malgré la violence sexiste omniprésente dans leurs communautés, ces filles se soutiennent l'une l'autre. Les risques d'agression sexuelle sont présents au quotidien : quand elles marchent à l'école ou rentrent chez elles, quand elles passent devant un bar où elles sont sifflées et touchées, quand elles se rendent aux toilettes communes pendant la nuit, ou même chez elles. En dépit de telles horreurs, l'une des filles fait remarquer que « ces plaies nous rendent plus fortes » et que « l'obscurité fait place à la lumière ».
Un espace sûr pour raconter leur histoire
La Ntethelelo Foundation fournit un espace sûr où les filles peuvent discuter ensemble librement de leurs inquiétudes et établir des relations de confiance. L'une des filles de la fondation a récemment été violée par l'ami de sa mère ; elle n'a que 14 ans. Malgré les dommages que son assaillant lui a infligés, elle doit tout de même aller à l'école et passer ses examens, et les services de soutien psychologique sont difficilement accessibles.
« Il n'y a pas de justice dans ce pays pour les femmes, les enfants et les pauvres. Nous n'avons aucun droit », déplore Thokozani Ndaba.
À travers le yoga et l'art du spectacle, Thokozani enseigne aux filles des leçons de respect et d'amour. Un programme différent est fixé chaque jour, ce qui fournit une structure dans la vie de ces jeunes femmes, qui font face à des risques de grossesse précoce, d'abus d'alcool et de drogues. La communauté qui a vu le jour est inestimable, dans la mesure où chaque fille comprend les différentes difficultés rencontrées par les autres, comme la difficulté de pouvoir se faire des amis à l'école.
« À l'école, les autres se moquent de nous et nous disent que nous n'avons pas de chasse d'eau dans nos toilettes », explique une fille à propos du harcèlement dont elle fait l'objet, y compris de la part d'enfants provenant de zones avoisinantes. On leur a également dit qu'elles « sentent la paraffine », ajoute une autre fille, et les autres acquiescent. Leur désespoir et leur douleur se font de plus en plus entendre. « Nous n'avons pas de terrain de jeu et quand nous allons au parc, ils volent nos téléphones et nos sœurs. » Cette situation a un profond impact sur leur estime personnelle et elles risquent alors davantage de succomber aux pressions de leur entourage quant à l'usage de drogues et aux relations sexuelles non protégées, dans le but d'être acceptées.
Thokozani encourage les filles à utiliser des techniques d'écriture créative pour parler de leurs épreuves et exprimer leurs émotions. La poésie peut servir à dépeindre une image de la violence domestique, de la violence sexuelle ou encore du harcèlement – une représentation inattendue de la vie d'une jeune fille.
Les femmes et les filles « assiégées »
Pourtant, la réalité des violences sexuelles en Afrique du Sud s'est répandue dans les réseaux sociaux après le meurtre récent de l'étudiante Uyinene Mrwetyana et de bien d'autres, notamment Leighandre Jegels, Janika Mallo, et Ayakha Jiyane, ses deux frères et sa sœur. Des manifestations de masse ont eu lieu à Johannesburg et au Cap pour exiger que le gouvernement prenne davantage de mesures pour tenir les auteurs de violences sexuelles responsables en vertu de la loi et de sensibiliser la population sur le fait que la violence fondée sur le genre constitue un crime.
Néanmoins, toujours autant de meurtres et de viols sont déplorés dans journaux et sur les réseaux sociaux, et le président Ramaphosa a reconnu que les femmes et les enfants en Afrique du Sud étaient « assiégés ». La violence fondée sur le genre et les féminicides sont devenus une véritable urgence en Afrique du Sud.
« Des fois, les adultes ne nous écoutent pas. » Les filles ne sont parfois pas crues lorsqu'elles expliquent ce qu'il leur arrive et choisissent alors de se taire. Leurs histoires se manifestent alors à travers leur poésie et leur jeu – et ce avec puissance.
Plus tôt cette année, au cours du mois consacré aux droits de l'homme en Afrique du Sud, le bureau régional des Nations Unies pour les droits en Afrique australe a appuyé la participation des filles à un festival des droits de l'homme à Constitution Hill, le célèbre bâtiment sudafricain. Elles ont eu l'occasion d'exposer leurs créations, de participer au forum social et d'approfondir leurs connaissances des droits de l'homme.
En octobre, le bureau régional a rendu visite à la fondation et les filles ont parlé de leur vie à Setswetla et de leur opinion sur les droits de l'homme. La violence fondée sur le genre était le dénominateur commun de leurs messages. Elles ont reconnu le pouvoir des mots pour lutter contre les violations des droits de l'homme et qu'il fallait agir pour faire changer les choses. « Un jour, je sortirai mes parents de là », a déclaré l'une des filles.
Chaque année le 25 novembre, des militantes des droits des femmes du monde entier entament une campagne de seize jours de mobilisation contre la violence de genre. Cette année, sous l'égide de la campagne UNiTE, l'initiative appelle les populations de tous horizons à faire partie de la Génération Égalité et à se mobiliser contre la culture de viol généralisée qui nous entoure.
29 novembre 2019