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Déclarations Haut-Commissariat aux droits de l’homme

Réunion intersessions du Conseil des droits de l’homme

19 Décembre 2018

Compte rendu oral des conclusions du HCDH sur la situation des droits de l’homme en Ukraine
par la Haute-Commissaire adjointe des Nations Unies aux droits de l’homme

19 décembre 2018

Monsieur le Président,
Excellences,
Chers collègues et amis,

Je tiens tout d’abord à remercier le Gouvernement ukrainien pour son engagement constructif avec le HCDH.

Au nom de la Haute-Commissaire, j’ai le privilège de vous présenter le vingt-quatrième rapport périodique sur la situation des droits de l’homme en Ukraine. Nous sommes très reconnaissants de pouvoir nous adresser à vous.

Notre rapport, qui couvre une période de trois mois allant du 16 août au 15 novembre 2018, repose sur 119 entretiens approfondis menés avec des victimes de violations et d’abus des droits de l’homme, et avec des témoins. Il repose également sur des visites organisées sur place et sur l’observation de procès.

Alors que nous approchons de la fin de l’année 2018, nous devons reconnaître avec un profond regret que l’Ukraine en est à son cinquième hiver de conflit ; un conflit qui a causé de multiples violations des droits de l’homme, fait de nombreux morts, porté atteinte à la dignité humaine et détruit des infrastructures civiles.  Ce conflit a des répercussions sur les droits de l’homme de tous les Ukrainiens et contribue à la fracture et à la division de la société ukrainienne, ce qui compromet encore davantage les perspectives de paix et de stabilité durables.

Dans ce rapport, nous faisons état de 242 violations et abus du droit à la vie, de droit à un procès équitable, de libertés fondamentales (y compris des atteintes à l’espace démocratique), et des droits économiques et sociaux, ainsi que de privation de liberté, de disparition forcée, et de torture et mauvais traitements. Dans 207 cas, la violation ou l’abus s’est produit au cours de la période en question ; pour 147 d’entre eux, la responsabilité incombe au Gouvernement ukrainien. Pour le reste, les groupes armés sont responsables de 28 cas et le Gouvernement de la Fédération de Russie, puissance occupante en Crimée, en est responsable de 32.

Quarante cas concernent des allégations crédibles de torture, de mauvais traitements, de violences sexuelles et de détention illégale ou arbitraire.  Ces cas ont été identifiés lors d’entretiens avec des victimes et des témoins.

Nous avons interrogé 67 personnes détenues dans 10 établissements de détention et une colonie pénitentiaire sur un territoire contrôlé par le Gouvernement. Nous sommes reconnaissants envers les autorités respectives de nous avoir permis d’accéder librement à ces établissements.

Nous avons également enregistré 50 victimes civiles liées au conflit au cours de la période considérée (14 morts et 36 blessés). Cela représente une diminution de 52,4 % par rapport à la période précédente et s’inscrit dans la continuité de la baisse constante du nombre de civils tués et blessés tout au long de l’année 2018. Cette baisse est liée aux deux engagements consécutifs de cessez-le-feu de juillet et septembre 2018.  Toutefois, il importe également de noter qu’environ 36 % des victimes civiles ont été causées par des tirs d’artillerie ou des armes légères, la majorité étant imputable aux forces gouvernementales.  Nous attendons avec intérêt de collaborer avec les forces opérationnelles conjointes des forces armées ukrainiennes en vue de fournir une assistance technique à leur nouvelle équipe chargée de réduire le nombre de victimes civiles. Cet engagement est crucial, étant donné que les échanges de tirs localisés continuent de faire courir de graves risques aux civils.

Une politique nationale globale d’indemnisation et de réparation pour ceux qui ont perdu des proches, qui ont été blessés ou dont les biens ont été détruits ou endommagés, est encore nécessaire à ce jour.

Une grande partie de la population souffre des obstacles socioéconomiques créés par le conflit armé, en particulier les personnes âgées, les enfants, les personnes handicapées et les personnes déplacées à l’intérieur du pays. Les restrictions à la liberté de circulation disproportionnées mises en place le long de la ligne d’affrontement et au-delà de cette dernière continuent d’empêcher la population de bénéficier de leurs avantages sociaux telles que leur retraite ou leurs allocations. Ces derniers ne peuvent alors pas accéder aux services de base essentiels à leur dignité quotidienne, notamment l’eau, l’assainissement, le chauffage et les soins de santé.

Nous nous félicitons des améliorations apportées au cadre régissant la capacité des personnes déplacées à exercer leur droit à la sécurité et à la protection sociales. Le Gouvernement ukrainien doit à présent mettre en œuvre ces mesures de manière efficace afin d’améliorer concrètement la vie de la population. Garantir une protection efficace des droits sociaux et économiques et des conditions d’exercice de ces droits est un moyen de renforcer la cohésion sociale et peut contribuer à favoriser des perspectives bien plus positives de paix et de stabilité.

Nous continuons de suivre de près les progrès réalisés pour identifier les responsables du meurtre de plusieurs manifestants à Maidan et des violences du 2 mai 2014 à Odessa. Nous avons observé une évolution positive dans l’identification d’un tireur d’élite des troupes internes soupçonné d’avoir tué un manifestant sur la place Maidan à Kiev, mais regrettons l’absence de progrès dans la procédure pénale concernant les violences du 2 mai 2014 à Odessa.

Nous avons observé une faible volonté, tant de la part des institutions chargées de l’application de la loi que sur le plan politique, d’enquêter efficacement sur les violations des droits de l’homme qui seraient perpétrées par des acteurs étatiques. Au cours de la période considérée, nous avons enregistré 43 cas où la détention provisoire a duré jusqu’à deux ans et a été prolongée sans justification valable. Nous craignons que cette tactique ne serve à exercer des pressions sur les accusés pour qu’ils acceptent de plaider coupable.  

Nous demeurons profondément préoccupés par les attaques continues et de plus en plus violentes perpétrées par des membres de certains groupes d’extrême droite contre des journalistes, des professionnels des médias, des militants de la société civile, des affiliés des partis politiques et des avocats de la défense. Le HCDH a recensé 59 violations des libertés fondamentales d’opinion et d’expression, de réunion et d’association pacifiques, de religion ou de conviction, soit une augmentation de 31 % par rapport à la période précédente. Ces attaques sont devenues de plus en plus visibles et risquent de compromettre l’état de droit, qui est essentiel pour garantir l’intégrité des prochaines élections présidentielles et parlementaires en 2019.

Sur les territoires contrôlés par la république populaire autoproclamée de Donetsk et par la république populaire autoproclamée de Lougansk, le peuple continue de se voir imposer des décisions et des structures judiciaires en violation des accords de Minsk et de la constitution ukrainienne. L’espace civique continue d’être très restreint.  Des informations de première main provenant d’anciens détenus indiquent que les violations des droits de l’homme se poursuivent sur les territoires contrôlés par ces deux républiques autoproclamées, y compris la détention arbitraire au secret. Il est essentiel que le HCDH et les autres observateurs internationaux aient un accès régulier, sans entrave et confidentiel à toutes les personnes détenues sur ces territoires.

Toutefois, au cours de la période considérée, la république populaire autoproclamée de Donetsk et la république populaire autoproclamée de Lougansk ont continué de restreindre les opérations du HCDH dans les zones sous leur contrôle dans l’est de l’Ukraine. En conséquence, le HCDH a dû renforcer sa surveillance à distance de la situation des droits de l’homme. Des discussions régulières avec les représentants des deux républiques autoproclamées visent à assurer la reprise des opérations du HCDH.

Depuis la mi-août, le HCDH a mené plus de 300 activités spécifiques pour faciliter la protection des droits de l’homme, notamment la surveillance de procès, des visites de détention, des activités de plaidoyer auprès de débiteurs d’obligations, d’organisations humanitaires et d’ONG, et la coopération avec les mécanismes des droits de l’homme des Nations Unies. Notre documentation, nos rapports objectifs et nos activités de plaidoyer sont très importants en cette période critique pour l’Ukraine.

La Fédération de Russie, puissance occupante en Crimée, n’a pas accordé au HCDH l’accès à la péninsule conformément aux résolutions 68/262, 71/205 et 72/190 de l’Assemblée générale des Nations Unies. En Crimée occupée, la Fédération de Russie viole continuellement ses obligations internationales en tant que puissance occupante. Au cours de la période considérée, nous avons recensé 44 violations des droits de l’homme en Crimée. Ces violations comprennent l’application arbitraire par les autorités de la Fédération de Russie de la législation contre l’extrémisme en Crimée, qui a étouffé la dissidence, suscité la peur et privé les individus de leur liberté d’expression, d’association, de réunion pacifique et d’autres droits de l’homme. Les Tatars de Crimée restent de loin les plus touchés par ces mesures.

Depuis la fin de la période considérée, nous avons suivi de près un certain nombre d’événements.

  • Depuis l’incident naval du 25 novembre près du détroit de Kertch, les droits de l’homme des membres d’équipage ukrainiens détenus dans la Fédération de Russie sont pour nous une source de préoccupation. Nous sommes en contact avec les avocats et les parents de certains membres de l’équipage. Nous demandons à la Fédération de Russie de veiller à ce que les membres de l’équipage puissent s’entretenir avec leurs avocats de manière régulière, confidentielle et sans entrave.
  • Nous suivons l’impact de la loi martiale du 26 novembre, introduite pour un mois dans dix régions d’Ukraine. Toute mesure restreignant les droits de l’homme pendant l’instauration de la loi martiale doit être prise dans la stricte mesure où la situation l’exige, c’est-à-dire proportionnée et limitée à ce qui est nécessaire, en termes de durée, de couverture géographique et de portée matérielle.
  • Nous nous félicitons du dialogue entre les parties qui a récemment abouti au transfert de 55 prisonniers d’avant conflit des territoires contrôlés par la république populaire autoproclamée de Donetsk et la république populaire autoproclamée de Lougansk. 0Nous espérons que le processus se poursuivra en 2019.
  • Le 15 décembre, un rassemblement de hiérarques de différentes confessions orthodoxes a créé une nouvelle église orthodoxe en Ukraine. Nous appelons le Gouvernement ukrainien à protéger la liberté de religion ou de croyance de tous ses citoyens - quelle que soit leur confession religieuse ou leur appartenance à une communauté religieuse - et à veiller à ce que toutes les mesures nécessaires soient prises pour éviter une escalade des tensions.

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