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Déclarations Conseil des droits de l’homme

Présentation orale de la Commission d’enquête sur le Burundi

17 Septembre 2018

Conseil des droits de l'homme, trente-neuvième session

Dialogue interactif sur le Burundi

Genève, le 17 septembre 2018

Monsieur le Président,
Excellences,
Mesdames et Messieurs,

Nous avons aujourd’hui l’honneur de vous présenter notre rapport final qui clôture le second terme de notre mandat, renouvelé par la résolution 36/19 du 29 septembre 2017.

Depuis cette date, nos enquêtes nous ont permis de recueillir plus de 400 témoignages de victimes et/ou de témoins de violations des droits de l’homme réfugiés dans les pays voisins du Burundi, ainsi qu’à distance, de Burundais qui résident toujours dans le pays. Nous tenons à remercier les gouvernements des pays qui nous ont permis d’effectuer des missions sur leur territoire. Nous avons également apprécié nos rencontres, notamment avec des commissaires, au siège de l’Union africaine à Addis Ababa.

La Commission prend note avec regret de la décision du Gouvernement burundais de déclarer ses membres persona non grata. La Commission affirme sa détermination à mettre en œuvre le mandat qui lui a été confié par ce Conseil et reste à cet effet disposée à coopérer avec les autorités burundaises. La Commission invite dans ce contexte la communauté internationale et tous les acteurs concernés à prendre connaissance de son rapport final.

Excellences, Mesdames et Messieurs,

Les 400 témoignages que nous avons collectés viennent s’ajouter aux 500 et quelques entretiens que nous avions déjà conduits l’année dernière. Ils nous ont permis de confirmer la persistance des principales violations graves des droits de l’homme que nous avions constatées durant le premier terme de notre mandat, à savoir : des exécutions extrajudiciaires, des disparitions forcées, des arrestations et détentions arbitraires, des tortures et traitements cruels, inhumains ou dégradants, des violences sexuelles et des violations des libertés publiques, en particulier des libertés d’expression, d’association, de réunion et de circulation.

Ces violations, pour certaines constitutives de crimes contre l’humanité, ont été commises dans un contexte d’intensification de l’embrigadement de la population au sein du parti majoritaire, le Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD en sigle), et de sa ligue des jeunes, les Imbonerakure, en prévision et durant la campagne pour le référendum destiné à réviser la Constitution.

Comme en 2015 et 2016, les personnes visées ont été en majorité des opposants au Gouvernement et/ou au CNDD-FDD ou des personnes perçues comme tels : membres ou sympathisants de partis politiques d’opposition (en particulier des Forces nationales de libération – aile Agathon Rwasa et du Mouvement pour la solidarité et la démocratie) ; sympathisants de groupes armés d’opposition ; Burundais tentant de fuir le pays ; journalistes et membres d’organisations de la société civile. Les violations des droits de l’homme ont laissé chez les victimes des séquelles psychologiques et physiques durables. Elles ont eu également de multiples conséquences sur leur entourage, en particulier leur épouse et leurs enfants, qui, pour certains, ont subi des menaces, des attaques et parfois ont eux-mêmes été victimes de violations, comme de violences sexuelles.

Ces constatations rejoignent celles du Conseil de sécurité des Nations Unies qui, le 22 août 2018, a publié un communiqué dans lequel il a « condamné toutes les violations des droits de l’homme et atteintes à ces droits commises au Burundi » et réaffirmé que « c’est au Gouvernement burundais qu’il incombe au premier chef d’assurer la sécurité sur son territoire et de protéger sa population, dans le respect de l’état de droit, des droits de l’homme et du droit international humanitaire ».

Excellences, Mesdames et Messieurs,

La Commission a constaté que des membres, y compris hauts placés, du Service national de renseignement (SNR) et de la police demeurent, comme en 2015 et 2016, les agents étatiques les plus impliqués dans la commission de violations graves des droits de la l’homme. Cette année, la Commission a reçu peu d’informations impliquant des membres de la Force de défense nationale du Burundi, même si certains témoignages ont continué d’insister sur le rôle joué par certains hauts responsables et des officiers de l’armée dans des violations graves des droits de l’homme. Des autorités administratives ont également commis ou donné l’ordre de commettre des violations des droits de l’homme, notamment des arrestations, des détentions arbitraires et des mauvais traitements.

La Commission est préoccupée par le rôle croissant que jouent les Imbonerakure pour contrôler la population et, dans ce contexte, par les nombreux témoignages qui les identifient comme les principaux auteurs de violations des droits de l’homme, surtout en dehors de Bujumbura.

À cet égard, la Commission considère que le fait que les Imbonerakure n’aient pas la qualité d’agents étatiques n’empêche pas de qualifier les actes illicites qu’ils commettent de « violations », entraînant par-là la responsabilité de l’État. Les Imbonerakure ont en effet agi dans plusieurs cas sous les ordres et la supervision d’agents étatiques. Lors de réunions au niveau local entre des responsables du SNR, de la police, du parti au pouvoir et/ou des Imbonerakure, des opposants au Gouvernement et au CNDD-FDD, ou des personnes perçues comme tels, ont été identifiés en vue de les appréhender et/ou de les faire disparaître. Des armes et/ou du matériel militaire ont été distribués à certains d’entre eux, y compris sous la supervision de haut-responsables de l’armée et de la police, et des entraînements physiques et militaires ont été organisés.

Le fait que les Imbonerakure ont été impliqués dans un grand nombre d’activités répressives, y compris certaines du ressort du Gouvernement, qu’ils ont agi à plusieurs occasions de manière autonome mais avec une liberté d’action définie par les autorités, et qu’ils continuent de bénéficier d’une impunité quasi totale permet à la Commission d’envisager la responsabilité de l’État burundais pour les actes illicites commis par les Imbonerakure sous l’angle d’un contrôle effectif général.

Excellences, Mesdames et Messieurs,

Le climat attentatoire aux droits de l’homme qui règne au Burundi a continué à être favorisé par des appels récurrents à la haine et la violence de la part d’autorités, dont le Chef de l’État, et de membres du CNDD-FDD, ainsi que par une impunité généralisée.

La Commission a, à cet égard, conduit une étude détaillée du système judiciaire burundais1 , en particulier de la chaîne pénale, qui démontre que la justice au Burundi n’est pas indépendante, et ce depuis plusieurs années. Les interférences et les injonctions du pouvoir exécutif sont courantes afin de protéger, de relaxer ou de faire libérer des membres du CNDD-FDD et des Imbonerakure, ou, au contraire, pour faire emprisonner et condamner des opposants au pouvoir. L’utilisation de l’« atteinte à la sûreté intérieure de l’État », une infraction englobante et vague, afin de poursuivre des opposants, se prête à de nombreux abus. Les droits de la défense sont régulièrement violés. La Commission a également recueilli plusieurs témoignages de menaces et d’intimidations à l’encontre de magistrats et d’avocats.

Ces constats font douter de la capacité à court terme du système judiciaire burundais de poursuivre les auteurs de violations des droits de l’homme et de crimes de droits international au Burundi. La Cour pénale internationale pourrait, sur la base du principe de subsidiarité, combler ce déficit, bien qu’en partie seulement car elle n’a de juridiction que pour les crimes de droit international commis d’avril 2015 au 27 octobre 2017.

Excellences, Mesdames et Messieurs,

Le contexte attentatoire aux droits civils et politiques a eu un impact direct sur la jouissance des droits économiques et sociaux d’une grande partie de la population. La crise politique et des droits de l’homme qui s’est ouverte en avril 2015 a contribué à fragiliser encore plus un pays dont 64,6 pour cent de la population étaient en-dessous du seuil de pauvreté en 20142 . De pays en voie de développement, le Burundi est redevenu, à partir de 2016, un pays d’urgence humanitaire avec une population dans le besoin en matière d’abris, d’eau, d’hygiène, d’assainissement, d’éducation, de nutrition, de protection, de santé et de sécurité alimentaire qui est passée d’un million de personnes en février 2016 à 3,6 millions de personnes au début de l’année 2018. 

Face à cette situation, le Gouvernement burundais a aggravé les difficultés économiques d’une majorité de la population et compromis son droit à un niveau de vie suffisant en augmentant les taxes, instaurant de nouveaux impôts et soumettant les Burundais à des contributions sans base légale et souvent perçues de force, comme la « contribution pour les élections de 2020 ». L’État burundais n’a en outre pas réorienté le maximum de ses ressources internes vers des dépenses sociales dont la demande ne cesse d’augmenter. À titre d’exemple, les budgets alloués au SNR, à la Brigade spéciale de protection des institutions et à l’Appui à la protection des institutions, dont des membres ont été identifiés par la Commission parmi les auteurs principaux de violations des droits de l’homme, ont augmenté respectivement de 12 %, 13,3 % et 47,6 % entre 2015 et 2018, tandis que les ressources internes accordées au Ministère de l’agriculture et de l’élevage ont diminué de 27,4 %. La mauvaise gouvernance et l’accaparement frauduleux de biens publics ont également contribué à détourner des ressources que l’État aurait dû consacrer à la satisfaction des droits économiques et sociaux de la population burundaise.

Excellences, Mesdames et Messieurs,

Dans ce contexte, il est urgent que le Gouvernement burundais fasse cesser les violations des droits de l’homme qui perdurent jusqu’à aujourd’hui, et poursuive les auteurs de ces violations. Il est également impératif qu’il coopère pleinement avec les mécanismes internationaux des droits de l’homme. Le Burundi n’a accepté que 125 recommandations sur les 242 formulées par les États membres de ce Conseil dans le cadre de l’Examen périodique universel du pays. Le Gouvernement du Burundi doit à nouveau permettre à des procédures spéciales de visiter le pays en vertu de l’invitation permanente qui leur a été faite en 2013, et coopérer pleinement avec les organes de traité, ce qui n’a pas été récemment le cas avec le Comité contre la torture et le Comité des droits de l’homme. Il est important notamment que les autorités burundaises donnent suite dans les meilleurs délais à l’intention exprimée en juillet 2018 par le Sous-Comité pour la prévention de la torture de visiter le pays.

Il est inquiétant de constater, avec la suspension depuis octobre 2016 de l’accord de siège du Bureau du Haut-Commissariat aux droits de l’homme au Burundi, le déploiement limité d’observateurs de l’Union africaine faute d’accord avec le Gouvernement, et récemment l’absence de coopération de ce dernier dans la mise en œuvre de la résolution du Conseil des droits de l’homme demandant l’envoi par le Haut-Commissaire d’une équipe d’experts dans le pays, qu’aucun mécanisme international et indépendant n’est aujourd’hui en mesure d’enquêter sur les violations des droits de l’homme sur le territoire burundais.

C’est pourquoi la Commission vous demande le renouvellement de son mandat pour une année supplémentaire. Ce renouvellement paraît d’autant plus important dans le contexte de la préparation des élections de 2020, lorsque l’on sait que les élections au Burundi ont été à plusieurs reprises, et particulièrement en 2015, le théâtre de violations graves des droits de l’homme.  

Excellences, Mesdames et Messieurs,

Les constats dressés en 2000 dans l’Accord d’Arusha restent d’actualité. Ce dernier a notamment décrit le conflit au Burundi de « fondamentalement politique […] découlant d’une lutte de la classe politique pour accéder au pouvoir et/ou s’y maintenir »3 . Il a également identifié parmi les causes de la violence et de l’insécurité au Burundi : l’impunité, l’absence d’une bonne politique de développement, le non-respect des principes de bonne gouvernance et des droits de l’homme, et la « non-acceptation de la coexistence pacifique, de la diversité et du pluralisme »4 . Ce diagnostic reste à méditer et démontre combien il est important que ce Conseil maintienne l’examen de la situation au Burundi à son agenda. 

Je vous remercie de votre attention.

______________

1/ Voir le rapport détaillé de la Commission (A/HRC/39/CRP.1, partie III.D).

2/ Données de l’Institut de statistiques et d'études économiques du Burundi.

3/ Article 4 du Protocole I à l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi.

4/ Article 2 du protocole III à l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi.

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