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Déclarations Haut-Commissariat aux droits de l’homme

Déclaration du Haut-Commissaire aux droits de l’homme sur la coopération et l’assistance à l’Ukraine dans le domaine des droits de l’homme

Rapport sur l’Ukraine

12 Décembre 2016

M. le Président,
Excellences,

Je me félicite de cette occasion de présenter aux États membres, aux observateurs et à tous les autres participants les dernières conclusions du Haut-Commissariat sur la situation des droits de l’homme en Ukraine.

Le 16ème rapport trimestriel sur la situation des droits de l’homme en Ukraine rédigé par mon administration couvre trois mois, entre mi-août et mi-novembre 2016. Cette période a été marquée par les efforts diplomatiques entrepris afin de désamorcer les hostilités. Malgré les violations constantes du cessez-le-feu et le non-respect de l’une des dispositions les plus importantes du Protocole de Minsk – notamment l’interdiction des armes lourdes et le rétablissement de la pleine maitrise par l’Ukraine de ses frontières avec la Fédération de Russie dans les régions de Donetsk et de Lougansk – les victimes civiles ont été globalement moins nombreuses au cours de la période considérée. En septembre, il y a eu quatre fois moins de victimes qu’en août. Avec la reprise des bombardements en octobre, le nombre des victimes civiles a rejoint le niveau observé pendant l’été. En novembre et début décembre, le bilan était, à nouveau, à la baisse. J’espère que cette tendance se confirmera.

À ce jour, plus de 2 000 civils ont été tués dans ce conflit armé et 6 000 à 7 000 personnes ont été blessées. Si l’on tient compte des membres des forces armées ukrainiennes et des groupes armés, le nombre de morts s’élève aujourd’hui à, au moins, 9 758 et les blessés à 22 800. À quoi il faut ajouter les 298 civils morts dans le crash du MH-17.

Les entretiens menés par mes services sur le terrain témoignent des souffrances continuelles que vit le peuple ukrainien et la destruction des infrastructures causée par le conflit dans les territoires contrôlés par le gouvernement et ceux aux mains des groupes armés. Les gens qui vivent dans la zone touchée par le conflit se plaignent de plus en plus de la présence de personnel et de matériel militaires dans leurs villages et leurs maisons et de l’utilisation des terres agricoles à des fins militaires. Cette situation effraie les civils et met en danger les infrastructures, une menace aggravée par l’augmentation des bombardements. Au cours des récentes semaines, ces bombardements ont endommagé les systèmes gaziers et hydrauliques, limitant l’accès à l’eau et au chauffage pour de nombreuses personnes des deux côtés de la ligne de contact dans la région de Donetsk. La semaine dernière, dans la région de Lougansk, mes collègues ont observé les conséquences de la diminution de l’approvisionnement en eau dans un hôpital qui lutte pour faire face, dans le territoire sous contrôle des groupes armés. Je rappelle à l’ensemble des belligérants, avec la plus grande vigueur possible, qu’attaquer, détruire, enlever ou rendre inutilisables des objets indispensables à la survie des civils est interdit en vertu du droit international humanitaire.

Dans le territoire aux mains des groupes armés, la population est, en grande partie, privée des moyens effectifs d’obtenir réparation dans un contexte caractérisé par l’absence de l’état de droit, avec des menaces quotidiennes à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique. Les habitants sont soumis à des restrictions sévères en matière d’actions de la société civile et disposent d’un espace de plus en plus restreint pour le travail humanitaire, malgré des besoins très élevés. Comme l’a confié une déplacée interne vivant à Donetsk à l’un de mes collègues: «Personne ne nous écoute. Pour obtenir de l’aide nous devons traverser tous les cercles de l’enfer».

Les familles et les communautés déchirées par le conflit n’ont accès qu’à cinq points d’entrée et de sortie dans des zones minées et mal balisées où ils subissent des retards importants et arbitraires. Ces restrictions disproportionnées à la liberté de mouvement, comme tant d’autres, de part et d’autre de la ligne de contact, affectent gravement près de 25 000 personnes chaque jour, punissant, semble-t-il, ceux qui s’efforcent de conserver des liens familiaux et communautaires par-delà la ligne de contact. En dernier ressort, ce sont ces liens humains qui constitueront les fondements de la paix et ils doivent être encouragés plutôt que rompus.

Des centaines de personnes sont toujours portées disparues dans l’ensemble de l’Ukraine. Certaines sont probablement décédées, leurs corps n’ont pas été retrouvés ni reconnus en raison du manque de coordination persistant entre le gouvernement et les groupes armés pour faciliter l’identification des dépouilles mortelles. D’autres peuvent être détenus au secret. Actuellement, nous ne sommes pas en mesure de déterminer l’endroit où cinq personnes étaient, à un certain moment, en détention non reconnue par le service de sécurité ukrainien de Kharkiv. Je trouve encourageant l’inscription, le mois dernier, d’un projet de loi sur le statut juridique des personnes disparues. Je suis convaincu qu’une telle loi permettra d’atténuer les souffrances profondes et inutiles que cette situation impose aux familles des disparus.

Je remarque que, au vu du grand nombre de personnes disparues, les groupes armés qui contrôlent les territoires des régions de Donetsk et de Lougansk continuent d’enlever et de détenir arbitrairement des personnes dans des conditions synonymes de disparition forcée – notamment des mineurs. Ils ont interdit aux membres de la mission d’observation des droits de l’homme l’accès régulier et sans restrictions aux lieux de détention, ce qui laisse soupçonner la pratique de la torture et d’autres traitements cruels, inhumains et dégradants, notamment la violence sexuelle et sexiste. La mission d’observation des droits de l’homme a, à plusieurs reprises, souligné que les personnes qui vivent dans les territoires contrôlés par les groupes armés sont exposées à des sanctions arbitraires et sélectives.

Je remarque également que la mission d’observation des droits de l’homme continue de recueillir des informations sur les retards et l’incertitude injustifiés concernant ce qu’il est convenu d’appeler «l’échange de détenus» – une situation dans laquelle l’ensemble des parties considèrent, de fait, ces personnes et leurs familles comme une monnaie d’échange humaine. J’incite vivement tous les belligérants à accélérer les dispositions du Protocole de Minsk concernant la libération de toutes les personnes détenues dans le cadre du conflit.

Nous suivons également le cas de Roman Sushchenko, un journaliste ukrainien détenu à Moscou depuis le 30 septembre 2016.

M. le Président,
Vous n’êtes pas sans savoir que la mission d’observation des droits de l’homme s’est vu refuser l’accès à la République autonome de Crimée, et est contrainte à suivre la situation à distance, conformément à la résolution 68/262 de l’Assemblée Générale sur l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Mes services ont rassemblé des informations sur les sanctions permanentes infligées aux membres de la Mejlis, notamment la détention arbitraire. Les poursuites suivies intentées contre les membres du Hizb-ut-Tahrir de Crimée devant les tribunaux russes et le transfert des détenus de Crimée vers les établissements pénitentiaires de la Fédération de Russie où ils se voient refuser les soins médicaux dont ils ont besoin, soulèvent également des inquiétudes. Je suis préoccupé par les rapports signalant le recours abusif à la législation anti-extrémiste et anti-terroriste dans le but de criminaliser l’expression de points de vue, d’opinions et de convictions non violentes; par les informations faisant état de traitements ou de peines cruels, inhumains ou dégradants; et par les comptes-rendus mentionnant les violations des droits de la défense, notamment le droit de consulter librement un avocat.

M. le Président,
Les familles civiles déplacées internes qui ont fui les combats dans les zones de conflit ou qui ont abandonné leur domicile en Crimée, sont confrontées à des difficultés coûteuses et démesurées pour obtenir ce qui leur est dû, sont menacées d’éviction, voire de déplacement secondaire. Certains DI pensent qu’ils n’avaient d’autre choix que de revenir même si les raisons de leur départ subsistent. On pourrait faire bien plus pour les aider, notamment dissocier les droits sociaux de leur enregistrement comme DI et donner la priorité aux options de logement durable et aux sources de revenu.

M. le Président,
La mission d’observation des droits de l’homme a noté des progrès dans le domaine des enquêtes et des poursuites liées aux violences commises lors de la révolution de 2014. Je trouve également très encourageant que les violations commises par les membres des forces gouvernementales et par les commandants des groupes armés durant le conflit armé fassent maintenant l’objet d’enquêtes. Cependant, les procédures judiciaires relatives aux violences de mai 2014 à Odessa ont peu avancé et, à cet égard, l’indépendance de l’appareil judiciaire continue d’être entravée. J’invite les autorités ukrainiennes à se saisir de cette question de la transparence avec la plus grande vigueur et dans le respect des principes.

Il est crucial pour l’avenir de l’Ukraine que les victimes obtiennent justice et réparation et que les coupables soient tenus de répondre de leurs actes.

Je salue les amendements constitutionnels relatifs au pouvoir judiciaire, adoptés le 30 septembre. Ils définissent clairement la marche à suivre pour réformer et restaurer la confiance de la population dans les institutions judiciaires. Le processus peut s’avérer complexe et nécessiter de l’aide pour faire en sorte que la pénurie de magistrats soit réglée.

Pour conclure, permettez-moi de réitérer l’engagement constant de mes services auprès du gouvernement de l’Ukraine dans ses efforts en vue de promouvoir et de protéger les droits de l’homme dans ce contexte très difficile. Nous projetons des activités afin d’améliorer la mise en œuvre de nos recommandations et espérons que, dès mars 2017, nous serons en mesure de fonctionner selon le principe d’un mandat d’un an. Notre administration est pleinement impliquée dans le PNUAD prévu pour la période 2018-2022. Nous continuerons à collaborer étroitement avec l’ensemble des acteurs dans le pays, notamment la société civile, les membres de la communauté internationale, en particulier le Conseil de l’Europe et le Bureau du Commissaire parlementaire aux droits de l’homme.

Merci.

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