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Déclarations Procédures spéciales

Discours de fin de mission aux Comores par le Groupe de travail sur l’utilisation de mercenaires

16 Mai 2014

Moroni, 16 mai 2014

Mesdames et Messieurs,

Au nom du Groupe de travail sur l’utilisation de mercenaires, mon collègue Gabor Rona et moi-même souhaitons remercier le Gouvernement de l’Union des Comores pour son invitation et pour sa coopération durant la préparation et tout au long de notre visite. Nous sommes reconnaissants à tous les interlocuteurs que nous avons rencontrés, les représentants du pouvoir exécutif, législatif et judiciaire, ainsi que les représentants de la société civile comorienne, de la communauté diplomatique et des agences onusiennes pour les discussions fructueuses que nous avons eues. Le Groupe de travail regrette que pour des raisons d’ordre technique il n’ait pas pu se rendre à Anjouan comme il était prévu dans son programme de visite. Il a néanmoins pu s’entretenir avec le Gouverneur d’Anjouan en mission à Moroni et le remercie d’avoir consenti à cette rencontre.

L’objectif de cette conférence de presse est de vous livrer quelques observations préliminaires avant la présentation de notre rapport au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies en septembre 2014.

Nous avons été frappés par la complexité de l’histoire du mercenariat qu’a connu l’Union des Comores dès les premiers jours de son indépendance et par la longue période de déstabilisation qui a été régie par des éléments extérieurs. Nous avons constaté que cette instabilité a été exacerbée par la crise de séparatisme à l’intérieur de l’Union et nous avons recueilli des témoignages établissant une corrélation étroite entre l’instabilité qu’a connue le pays durant près de trois décennies et le contentieux de Mayotte.

Nous avons aussi noté que le mercenariat, dont le but était de renverser le pouvoir en place afin de déstabiliser et d’affaiblir le pays, continue d’avoir un impact aujourd’hui encore sur le peuple et les institutions comoriennes, et cela malgré des avancées importantes telles que l’adoption de la Constitution de 2001 et l’amendement de 2009 introduisant la Présidence tournante. Les agressions qui ont débuté au lendemain de la naissance de l’Etat comorien ont entravé le développement durable. Les conséquences directes et indirectes de cet état de fait sont, entre autres, la fragilité des institutions étatiques, le manque de coordination entre ces dernières, le manque de ressources de l’Etat comorien qui n’est pas en mesure de subvenir aux besoins de la population et ne peut garantir ses droits économiques, sociaux, civils et politiques. D’autres conséquences notoires du mercenariat sont une culture d’impunité face à ce phénomène, un système judiciaire qui ne répond pas aux besoins des citoyens, un manque de mémoire institutionnelle, et de vision de politique publique à long terme. En effet, aucun cas de mercenariat n’a été jugé aux Comores à ce jour, malgré le fait que des mercenaires aient été impliqués dans la plupart des coups ou tentatives de coups d’état et qu’ils auraient commis des violations graves des droits de l’homme. Il faut souligner que l’impunité est aggravée par le fait que les personnes étrangères impliquées dans ces activités de mercenariat n’ont pas non plus été jugées dans leur pays d’origine, à l’exception d’un cas connu.

Nous avons noté que le peuple comorien a été une victime du mercenariat mais aussi que les mercenaires ont toujours bénéficié de complicités à l’intérieur de la classe politique du pays à chacune de leurs interventions. Cet état de fait fragilise davantage l’Etat comorien, le rend plus vulnérable face à la menace du mercenariat et affaiblit le droit du peuple comorien à l’autodétermination.

Les évènements d’avril 2013, dans lesquels un certain nombre d’étrangers et de comoriens sont soupçonnés d’avoir commis des atteintes à la sûreté de l’Etat, montrent la fragilité persistante de ce pays. Nous regrettons que cette affaire ne soit pas encore résolue et nous encourageons le fait que les accusés soient jugés promptement avec toutes les garanties judiciaires reconnues comme indispensables selon le droit international, ou qu’ils soient remis en liberté si les allégations à leur encontre ne peuvent être confirmées.

Le Groupe de travail s’inquiète du fait que les atteintes à la sûreté de l’Etat soient jugées par une Cour spéciale et que les décisions de cette Cour ne puissent pas faire l’objet d’un appel sur le fond par les personnes condamnées. Le Groupe de travail souligne que l’appel reste un droit fondamental de toute personne condamnée et encourage l’Etat comorien à envisager d’abolir cette Cour spéciale et à déclarer la Cour d’assises compétente pour juger des affaires liées à la sûreté de l’Etat.

Notre rapport comprendra des recommandations visant à aider les Comores à mieux protéger les droits de l’homme et le droit de son peuple à l’auto-détermination. Parmi ces recommandations nous pouvons citer la nécessité pour l’Etat et le peuple comorien de faire un travail historique de mémoire, de documentation et de collecte de données, afin d’établir le lien entre le passé et les conséquences aujourd’hui du mercenariat et de la déstabilisation du pays, et afin d’empêcher que l’histoire ne se répète. Le Groupe de travail a effectivement constaté l’absence de statistiques et de données écrites, ce qui empêche au Gouvernement de réaliser une analyse approfondie des causes du mercenariat et de tirer des leçons du passé. Nous encourageons aussi le Gouvernement à solliciter la coopération d’autres Etats dans cet effort de documentation des faits et de leurs causes.

Le Groupe de travail se félicite de la ratification par l’Union des Comores de la Convention de l’OUA sur le mercenariat en 2004, et recommande à l’Etat comorien d’envisager également la ratification de la Convention des Nations Unies sur ce sujet et d’adapter la législation nationale afin de criminaliser les activités liées au mercenariat. Nous avons appris que l’Union des Comores a entrepris la ratification des deux traités internationaux fondamentaux en matière de droits de l’homme: le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et nous l’encourageons à finaliser ce processus de ratification.

Nous pensons aussi qu’il serait nécessaire d’adopter davantage de stratégies préventives afin de lutter contre le mercenariat, telles que le renforcement du cadre juridique, le développement des capacités institutionnelles, leur renforcement et une meilleure coordination entre les institutions, la formation et l’évaluation des fonctionnaires publics. L’Etat comorien pourrait envisager également de signer des accords de coopération avec des pays de la région dans le but de prévenir les activités de ce type à l’avenir.

Une politique de sensibilisation et de promotion des droits de l’homme s’avère également nécessaire pour que les citoyens puissent participer pleinement à la vie politique.

Enfin, le mandat du Groupe de travail couvre également les activités des sociétés de sécurité privées. Durant notre visite, nous avons pris note de la nécessité pour l’Etat comorien d’adopter une législation nationale réglementant les activités de ces compagnies, l’octroi des licences, l’enregistrement de ces compagnies, la formation de leur personnel et le contrôle de leurs activités pour prévenir des actions pouvant être liées au mercenariat et pouvant conduire à des violations des droits de l’homme. Ce cadre juridique permettrait également d’établir la responsabilité du personnel des compagnies de sécurité privées en cas de violations des droits de l’homme et de garantir l’accès à la justice des victimes éventuelles afin qu’elles obtiennent réparation.

Je vous remercie de votre attention.

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