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Déclarations Organes conventionnels

Discours de M. Emmanuel DECAUX, président du Comité des disparitions forcées à l'Ouverture de la 2ème session du Comité des disparitions forcées, lundi 26 mars 2012

28 Mars 2012

Madame le Haut-Commissaire,

Au nom de tous mes collègues, je suis particulièrement heureux de saluer votre présence, aujourd’hui, parmi nous.

Votre présence est d’abord pour nous un honneur. Permettez-moi de vous dire toute mon admiration pour le courage, la détermination et la grande dignité de votre engagement au service des droits de l’homme, partout dans le monde, face aux crises politiques comme aux défis globaux, comme l’a encore montré la dernière session du Conseil des droits de l’homme. Votre temps est précieux, au moment où les urgences politiques se multiplient,  et nous sommes d’autant plus sensibles à ce moment de rencontre que vous avez souhaité partager avec le Comité des disparitions forcées.

Votre présence est également pour nous un témoignage et un encouragement, au moment où le nouveau Comité accomplit ses premiers pas, pour mettre en œuvre son mandat et s’inscrire dans un système d’ensemble, cohérent et efficace.

Madame le Haut-Commissaire,

Dès la première session nous nous sommes mis en ordre de marche, avec une mobilisation collective et un esprit collégial qui ont créé une dynamique forte. Nous avons également dès le départ cherché à nouer des relations étroites avec toutes les parties prenantes, notamment les ONG et les familles de victimes, à l’écoute de leurs témoignages qui sont irremplaçables et de leurs attentes qui sont très fortes. Nous avons également très désireux d’établir un dialogue constructif avec les Etats et j’ai adressé au nom du Comité une lettre à tous les Etats membres en ce sens, pour souhaiter une ratification rapide, complète et universelle de la Convention.

La Convention sur les disparitions forcées, dont nous sommes les gardiens, constitue une étape importante dans le renforcement du système international de protection des droits de l’homme. Elle a un rôle préventif particulièrement novateur en renforçant les précautions et les garanties de l’Etat de droit,  elle a un rôle permanent d’évaluation des législations et des situations, de surveillance sur le terrain et d’alerte rapide.  Elle a aussi un rôle quasi-juridictionnel, avec l’examen de communications individuelles, mais aussi une dimension pénale répondant à la nature et à l’échelle des crimes commis. Avec cette gamme diversifiée de mécanismes classiques ou inédits, la Convention constitue une « assurance tous risques » pour les Etats parties. La Convention ne concerne pas seulement certains pays ou certains continents, elle a une vocation universelle.

Il est aujourd’hui indispensable que tous les amis de la Convention lancent une campagne internationale d’information et de sensibilisation. 

Je suis certain que vous-même, les missions sur le terrain du Haut-Commissariat, comme les rapporteurs spéciaux ne manquent aucune occasion de préconiser la ratification de la Convention, en particulier dans des situations de sortie de crise. A cet égard la ratification de la Tunisie me semble exemplaire.

J’espère que de nombreuses initiatives seront prises pour mieux faire connaître notre Convention qui est un instrument juridique complexe, à la hauteur du défi que constitue lui-même le « phénomène complexe » des disparitions forcées. Plusieurs événements sont déjà programmés, avec par exemple la conférence organisée à Berlin le 25 avril prochain par plusieurs institutions allemandes, grâce à notre collègue Rainer Huhle, ou encore la conférence organisée par mon Université avec le soutien du Ministère français des affaires étrangères qui aura lieu à Paris le 15 mai sur les enjeux de la Convention internationale pour la protection de tous les personnes contre les disparitions forcées. J’espère que tous ces efforts convergents vont créer une dynamique de ratification. Le processus technique est lent et nous savons que des ratifications sont en cours, mais il faut, me semble-t-il, passer à la vitesse supérieure.

A cet égard, le Comité doit lui-même faire ses preuves. Nous avons beaucoup travaillé depuis notre première session, finalisant la version anglaise du règlement de procédure et préparant les différents « outils » permettant une saisine rapide du Comité. Nous avons obtenu un soutien immédiat du personnel très compétent du Haut-Commissariat, mais il manquait un rouage essentiel avec un secrétariat permanent et nous vous remercions du choix que vous avez fait. Toute une série de documents techniques pourront être adoptés et mis en ligne, à l’occasion de cette session. Les priorités du Comité me semblent être de trois ordres désormais :

- Nous devons réagir aux appels urgents et traiter les communications de manière efficace, avec le souci de protéger les victimes et leurs proches, y compris par des mesures conservatoires.

- Nous devons être prêts à examiner de manière systématique, rapide et innovante, les rapports des Etats parties, ce qui implique des sessions plus longues dès 2013.

- Nous devons aussi pouvoir mettre en œuvre les compétences de l’article 33, en organisant, si nécessaire, des visites sur le terrain.

Cela implique des moyens adéquats, mais surtout un flux permanent d’informations et de contacts avec l’ensemble des parties prenantes.

Les informations destinées au grand public sur le site ou la documentation du Haut-Commissariat sont des outils de communication précieux  pour faire connaître le plus largement possible le fonctionnement de la Convention.

Madame le Haut-Commissaire,

Le Comité entend jouer tout son rôle dans le réseau des organes conventionnels. Je me suis associé, au nom du Comité, aux prises de position des présidents d’organes conventionnels, dans le cadre du processus de renforcement que vous avez entamé, et c’est dans le même esprit d’engagement collectif que je représenterait le Comité à la prochaine réunion annuelle des présidents, à Addis-Abeba, dans quelques mois.

Nous sommes l’organe le plus récent, le plus neuf et le plus fragile, mais sans doute aussi le plus novateur. C’est dire si avec toute la souplesse et l’imagination nécessaires nous sommes engagés dans la réflexion collective pour rendre plus efficace et harmonieux le système dans son ensemble, sans pour autant  négliger les avancées et les spécificités de notre mandat. Les Etats en adoptant une nouvelle Convention au terme de décennies de souffrances, d’efforts et d’attentes, puis en la ratifiant les uns après les autres ont pris des engagements juridiques relevant du droit des traités, ils ont des obligations de moyens et des obligations de résultats. La rationalisation ne doit pas être la simple recherche du plus petit dénominateur commun, en permettant aux Etats parties sinon de remettre en cause leurs obligations, du moins de limiter  les moyens d’action des Comités en entravant l’effectivité et l’efficacité des mécanismes mis en place.

Sachez que nous sommes à vos côtés pour consolider et renforcer le système juridique de protection des droits de l’homme, sans remettre en cause les bases mêmes de notre mandat, qui nous obligent comme elles lient les Etats parties.

De la même manière, nous sommes tous particulièrement attachés à l’indépendance et à l’impartialité des experts, que ce soit individuellement ou collectivement,  et c’est en toute responsabilité que nous avons prononcé, avec gravité et émotion, des engagements solennels en vue d’assumer, en toute conscience, nos devoirs et attributions. De la même manière, la minute de silence que le Comité a décidé d’instaurer, pour honorer la mémoire de toutes les victimes de disparitions forcées, traduit notre implication profonde dans une Convention qui n’est pas seulement un outil technique, mais marque un progrès dans la quête de la justice et la lutte contre l’impunité.

Reprenant une formule forte du Conseil des droits de l’homme, nous avons tenu à affirmer que notre mission était « victim-oriented ».

Même si notre mandat ne vaut que pour l’avenir, nous ne pouvons pas ne pas être hantés par la conscience historique du drame des disparitions forcées à travers le monde, avec leur cortège de tragédies individuelles. Rien ne pourra banaliser cette exigence de vérité, de justice et de réparation. Nous devons agir en respectant la confidentialité des procédures, ne serait-ce que pour protéger les victimes et les défenseurs des droits de l’homme, mais nous devons aussi être transparents, ouverts et disponibles à l’égard des différentes parties-prenantes. L’impartialité n’est pas l’indifférence.

Lors de la réunion d’Addis-Abeba, nous nous associerons à la réflexion collective  sur la déontologie des experts, dans la ligne de notre règlement intérieur qui est particulièrement avancé sur ce point, mais cette exigence ne peut être isolée, me semble-t-il, de l’engagement des Etats au sein de la Conférence des Etats parties pour respecter les meilleurs critères de compétence, de disponibilité et d’indépendance – et vous me permettrez d’ajouter de parité alors que c’est une stipulation originale de l‘article 26 §.1 de notre Convention. De même, il importe qu’en aval les Etats coopèrent de bonne foi avec le Comité, en respectant les délais impartis.

A cet égard l’exigence de remettre un rapport dans un délai de 2 ans à compter de l’entrée en vigueur de la Convention – c’est-dire d’ici décembre 2012 pour les 25 premiers Etats-parties - sera un test du sérieux des Etats à exécuter les engagements souverainement assumés. Le Comité doit être exemplaire et adopter un calendrier efficace, sans dès ses premières sessions, accumuler un backlog hypothéquant son bon fonctionnement.  La rationalisation du système de rapports doit intégrer pleinement cette exigence prioritaire, alors même qu’un système proactif nous permet d’échapper à la lourdeur des rapports périodiques, sans négliger un suivi efficace en liaison étroite avec les Etats concernés et les autres parties prenantes.

Nous entendons également pleinement coopérer avec les instances compétentes en la matière, comme nous y invite l’article 28 de la Convention. Nous avons déjà noué des contacts fructueux avec le Groupe de travail sur les disparitions forcées et involontaires et je me réjouis d‘aller a New York devant l’Assemblée générale à l’automne prochain avec le président-rapporteur du Groupe de travail, en attendant une réunion conjointe lors de notre 3ème session, en novembre. De la même manière nous devrons établir des relations de travail avec les organes conventionnels et les rapporteurs spéciaux pour créer des synergies efficaces. Déjà cette session sera l’occasion de rencontres formelles avec le CICR qui participera a nos débats généraux. Le Comité n’entend pas s’enfermer dans une tour d’ivoire, mais bien être un acteur à part entière, une vigie et un relai, contribuant à l’objectif commun de prévention et de protection.

Madame le Haut-Commissaire,

Pour conclure, je veux vous redire toute notre gratitude, notre attente et notre confiance. Si  nous sommes les gardiens de la Convention, celle-ci nous dépasse et c’est tous ensemble, avec les Etats comme avec les ONG, que nous la ferons vivre au quotidien, en transformant en réalité ce qui est le fruit de plus de 30 années d’efforts.  La route sera encore longue, nous sommes habités par un sentiment d’urgence collective et décidés d’aller de l’avant, avec une foi renouvelée dans le progrès des droits de l’homme.

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