Déclarations Procédures spéciales
Le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires conclut sa visite en République du Congo
03 octobre 2011
BRAZZAVILLE – Une délégation du Groupe de travail des Nations Unies sur les disparitions forcées ou involontaires (*) a conclu sa visite en République du Congo. Cette visite s’est déroulée du 24 septembre au 3 octobre 2011. La délégation du Groupe de travail était composée de M. Olivier de Frouville, Vice président du Groupe de travail, et de M. Osman El-Hajjé, membre du Groupe de travail. L’objectif de cette visite était d’examiner les efforts de la République du Congo dans le traitement de la question des disparitions forcées, y compris le règlement des cas de disparitions forcées qui ont eu lieu dans le passé.
Le Groupe de travail voudrait remercier les autorités congolaises de l’avoir invité à effectuer cette visite, qui est le résultat de la bonne coopération entretenue entre le Groupe de travail et les autorités congolaises depuis plusieurs années. Le Groupe de travail est reconnaissant au Gouvernement de la République du Congo pour l’accueil qui lui a été réservé, ainsi que pour sa coopération lors de la préparation et pendant le déroulement de la mission.
Le Groupe de travail souhaite également remercier les membres du Secrétariat des Nations Unies pour le soutien précieux qu’ils lui ont apporté dans l’accomplissement de son mandat.
Pendant la mission, le Groupe de travail s’est rendu à Brazzaville et à Pointe Noire. A Brazzaville, le Groupe de travail s’est rendu au Port fluvial (appelé généralement le « Beach de Brazzaville »), au Centre Sportif de Makélékélé, à la Direction centrale des renseignements militaires, au Commissariat central de Brazzaville et au Commissariat de police d’Ouenzé II.
Le Groupe de travail a été reçu par le Ministre d’Etat, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice et des droits humains, coordonnateur du pôle de la souveraineté. Il a également rencontré le Ministre de la communication et des relations avec le parlement, porte-parole du Gouvernement, et s’est entretenu avec la Ministre des affaires sociales, de l’action humanitaire et de la solidarité, ainsi qu’avec le conseiller juridique du Président de la République et des hauts fonctionnaires de l’administration publique dépendant de plusieurs ministères, y compris le Ministère des affaires étrangères et de la coopération, le Ministère de l’intérieur et de la décentralisation et le Ministère à la présidence, chargé de la défense nationale.
Le Groupe de travail s’est par ailleurs entretenu avec le Président du Sénat et le Vice-Président de l’Assemblée nationale. Il a également pu s’entretenir avec le Vice-Président et un membre de la Cour constitutionnelle, avec le Président et le Procureur général de la Cour suprême, avec le Procureur de la République du Tribunal de Grande Instance de Brazzaville, ainsi qu’avec le Premier président de la Cour d’appel de Brazzaville et un juge à la Cour suprême qui remplissaient les fonctions respectivement de président de chambre et de procureur général lors du procès tenu au Congo en 2005 devant la Chambre criminelle de la Cour d’appel de Brazzaville dans l’affaire dite des « disparus du Beach ».
A Pointe Noire, le Groupe de travail a été reçu par le maire de Pointe Noire, les préfets du Kouilou et de Pointe-Noire et s’est entretenu avec le Président du Conseil départemental du Kouilou, par ailleurs ancien Président de la Commission d’enquête parlementaire qui a été établie en 2001 pour enquêter sur les disparitions forcées constatées dans la République du Congo depuis 1992.
Le Groupe de travail a aussi rencontré le Président et les membres de la Commission Nationale des Droits de l’Homme, ainsi que les membres du Comité de suivi de la Convention pour la paix et la reconstruction du Congo. Il s’est entretenu avec des organisations non gouvernementales, des avocats et d’autres acteurs de la société civile.
Le Groupe de travail s’est également entretenu avec plusieurs familles de personnes victimes de disparitions forcées.
Au titre des organisations internationales le Groupe de travail a rencontré le Coordonnateur Résident des Nations Unies au Congo ainsi que des représentants du Haut Commissariat des Nations Unies aux Réfugiés et le délégué du Comité International de la Croix-Rouge (C.I.C.R.) à Brazzaville.
Dans le cadre de sa mission humanitaire, qui consiste à assister les familles en vue d’élucider le sort de leurs proches, le Groupe de travail est actuellement saisi de 94 cas. La plupart de ces cas se réfèrent à des disparitions forcées qui auraient eu lieu en 1999. Le Groupe de travail remercie le Gouvernement pour les informations qui lui ont été fournies à l’occasion de la mission et souhaite continuer sa coopération en vue de parvenir à la résolution des cas qui demeurent en suspens.
Le Groupe de travail se félicite que la République du Congo ait signé la Convention Internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées de 2006. Il l’encourage à accélérer le processus de ratification de cette Convention et à accepter la compétence du Comité au regard des articles 31 et 32 de la Convention.
Le Groupe de travail aimerait faire part de ses conclusions préliminaires à l’issue de sa visite. Il formulera également quelques recommandations. Les unes et les autres ont vocation à être complétées dans le rapport qui sera présenté ultérieurement au Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies.
Les observations du Groupe de travail porteront tout d’abord sur le contexte général dans lequel se situe le phénomène des disparitions forcées au Congo (I), avant de se concentrer sur l’affaire des disparus du Beach de Brazzaville (II). Les observations suivantes porteront ensuite sur certains aspects de la législation et de la pratique de la République du Congo au regard de la Déclaration des Nations Unies sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées (III).
I. Contexte général
Entre le début des années 1990 et le milieu des années 2000, la République du Congo a connu une série de crises politiques qui ont entraîné l’éclatement de plusieurs conflits armés meurtriers. Au cours de ces conflits, les services de sécurité de l’Etat, l’armée, la police et les services spéciaux, de même que les différents groupes armés et milices parties au conflit, ont été accusés de se livrer à des attaques répétées contre la population civile, au cours desquelles de graves violations des droits de l’Homme ont été commises, telles que des exécutions sommaires, des viols, de la torture ou des disparitions forcées.
Aujourd’hui, tous les interlocuteurs du Groupe de travail se sont réjouis du retour à la paix, qui constitue une condition de la promotion et de la protection des droits de l’Homme de la population, sans discrimination d’aucune sorte.
Le Groupe de travail se félicite de cet état de paix, résultat de la réconciliation entre les différentes parties militaires et civiles, ainsi que de l’esprit d’union nationale qui anime aujourd’hui les acteurs de la vie politique congolaise. Cet esprit s’est manifesté au plus haut rang de l’Etat et s’est concrétisé par l’établissement du Dialogue national sans exclusive et du Comité de suivi de la Convention pour la paix et la reconstruction du Congo, qui constituent des manifestations tangibles de la volonté de réconciliation et de paix en République du Congo.
Le Groupe de travail souligne en même temps que les blessures causées à la population civile par les conflits sont loin d’avoir été toutes cicatrisées. En particulier, des familles espèrent encore aujourd’hui connaître la vérité sur ce qu’il est advenu de leurs proches, victimes de disparitions forcées.
La disparition forcée est le « crime du temps suspendu ». La famille et les proches des personnes disparues subissent une lente torture mentale, car ils ne savent pas si la victime est encore en vie et, si elle l'est, où elle est détenue, dans quelles conditions, et dans quel état de santé. De surcroît, ils sont convaincus qu'il peut être dangereux de chercher à savoir la vérité.
La détresse de la famille est souvent aggravée par les difficultés matérielles qu'entraîne la disparition. Dans bien des cas, la personne qui a disparu est le principal soutien financier de la famille. Elle est peut-être aussi le seul membre capable de diriger l'affaire familiale. L'épreuve affective est ainsi exacerbée par le préjudice matériel, ressenti plus durement encore dans le cas où la famille décide d'entreprendre des recherches et doit de ce fait engager des frais. De plus, la famille ne sait pas si l'être cher reviendra un jour, il lui est donc difficile de s'adapter à cette situation nouvelle. Il arrive aussi, selon la législation du pays intéressé, que la famille ne puisse prétendre à aucune pension ni à d’autres prestations, faute de pouvoir établir le décès de la personne disparus. La famille se retrouve ainsi souvent économiquement et socialement marginalisée.
II. L’affaire des disparus du Beach de Brazzaville
Dans le contexte du conflit armé qui sévissait sur le territoire de la République Congo depuis 1997, des milliers de civils congolais ont fuit, cherchant la sécurité et la paix à l’intérieur du pays ou au-delà des frontières de leur Etat. En 1999, le Gouvernement a lancé un appel au retour de ces réfugiés. Dans ce contexte, un accord tripartite est signé entre la République du Congo, la République Démocratique du Congo (R.D.C.). et le Haut Commissariat des Nations Unies aux Réfugiés, en vue de faciliter le retour au Congo des personnes réfugiées sur le territoire de la R.D.C. Des allégations nombreuses et concordantes de la part de familles et de témoins feront état de disparitions forcées perpétrées à l’encontre de ces réfugiés dans les trois couloirs humanitaires ouverts pour le retour. En particulier, à leur arrivée au Port fluvial de Brazzaville, les familles de réfugiés auraient été séparées, les femmes et les enfants étant laissés libres de partir, tandis que les hommes auraient été retenus par les éléments en armes présents sur les lieux. Ces hommes auraient ensuite été victimes de disparitions forcées.
En 2005, un procès s’est tenu devant la Chambre criminelle de la Cour d’appel de Brazzaville. Il a été retransmis en direct par la télévision et la radio congolaises. Les accusés étaient des officiers de haut rang des divers services de sécurité de l’Etat (police, armée, garde présidentielle, services spéciaux). Quatre-vingt-quatre familles ont été autorisées à se porter partie civile, tandis que les demandes d’autres familles ont été rejetées. Les accusés ont comparu libres à l’audience. A l’issue des audiences – qui se sont déroulées dans une atmosphère de grande tension, compte tenu de la sensibilité et de la gravité de l’affaire – les accusés ont été acquittés. Toutefois, statuant au titre de l’action civile, la Chambre criminelle a accordé une indemnisation aux parties civiles. Elle a estimé pour ce faire que l’Etat engageait sa responsabilité sur la base d’une présomption de faute :
« [C]es opérations de rapatriement se réalisant dans une période de recrudescence des attaques des milices Ninjas, l’Etat se devait d’organiser scrupuleusement des mesures de sûreté générale justifiées par l’Etat de guerre. »
Statuant sur un pourvoi en cassation, la Cour suprême a cassé partiellement l’arrêt de la Chambre criminelle et réévalué à la hausse la plupart des indemnisations accordées aux parties civiles.
Selon les divers interlocuteurs du Groupe de travail, le procès de Brazzaville aurait eu un effet pédagogique auprès de la population, en faisant apparaître au grand jour un épisode particulièrement tragique de la guerre civile. Selon certains, la seule vue de hauts officiers dans le box des accusés aurait été à l’origine d’une prise de conscience générale quant à la nécessité d’adopter des mesures effectives de prévention des violations futures. D’autres personnes estiment que le procès n’avait pour autre but que de disculper définitivement les accusés en vue d’empêcher toute poursuite future, créant ainsi une amnistie de fait.
Quoiqu’il en soit, le procès a permis d’établir d’une part la certitude selon laquelle des personnes ont été victimes de disparitions forcées et d’autre part la responsabilité administrative de l’Etat en la matière.
Le Groupe de travail regrette cependant que le processus judiciaire n’ait pas pu jusque là aboutir à l’identification et à la punition des responsables des disparitions forcées et rappelle que l’article 13 § 6 de la Déclaration stipule :
« Une enquête doit pouvoir être menée (…) tant qu’on ne connaît pas le sort réservé à la victime d’une disparition forcée. »
Par ailleurs l’article 7 de la Déclaration dispose qu’« aucune circonstance quelle qu’elle soit, qu’il s’agisse d’une menace de guerre, d’une guerre, d’instabilité politique intérieure ou de toute autre situation d’exception, ne peut être invoquée pour justifier des disparitions forcées. »
A cet égard, le Groupe de travail se félicite de ce qu’instruction ait été donnée au Procureur de la République du Tribunal de Grande Instance de Brazzaville d’ouvrir une enquête au sujet de vingt-trois cas de disparitions forcées qui n’ont pas été pris en compte lors du procès de 2005.
Le Groupe de travail regrette également que le droit à la vérité des familles quant au sort de leur proche n’ait pas pu être satisfait. En effet, le droit des proches de connaître la vérité sur le sort des personnes disparues et le lieu où elles se trouvent est un droit absolu qui ne peut souffrir d’aucune limitation ou dérogation.
Quant au droit à réparation, le Groupe de travail relève avec satisfaction l’octroi aux familles des parties civiles au procès de 2005 d’une indemnisation au titre de la responsabilité pour faute de l’Etat. Le Groupe de travail estime cependant que cette indemnisation devrait être complétée par d’autres formes de réparation, incluant une assistance psychologique et sociale aux parents, souvent plongés dans de grandes difficultés en raison de la disparition de leurs proches.
Les familles des disparus ont par ailleurs exprimé le souhait d’être reçues par le Président de la République en signe de reconnaissance de leur douleur. Elles ont également demandé à être autorisées à organiser une cérémonie en hommage aux disparus au Beach de Brazzaville, le 5 mai de chaque année. Le Groupe de travail encourage le Gouvernement à accéder à ces demandes légitimes, qui découlent du droit à réparation reconnu dans la Déclaration de 1992.
III. Le droit et la pratique en République du Congo au regard de la Déclaration de 1992
Dans le cadre du mandat qui lui a été confié de promouvoir la Déclaration des Nations Unies de 1992 sur les disparitions forcées, le Groupe de travail a été conduit à se pencher plus généralement sur le droit et la pratique du Congo en matière de prévention et de répression du crime de disparitions forcées, ainsi qu’en matière de droits des victimes à la vérité et à la réparation.
1. La répression du crime de disparition forcée
Le Groupe de travail se réjouit de ce que le droit pénal congolais définisse la disparition forcée en tant que crime contre l’humanité. En effet, la loi 8-98 du 31 octobre 1998 a intégré dans le Code pénal les définitions du génocide, des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre, telles qu’elles résultent du Statut de Rome portant création de la Cour pénale internationale. Parmi les actes qualifiables de crimes contre l’humanité aux termes de cette définition se trouvent les disparitions forcées, lorsque celles-ci sont commises dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique contre la population civile.
Cependant, le Code pénal congolais ne contient pas à l’heure actuelle d’incrimination autonome de la disparition forcée, indépendamment de sa qualification de crime contre l’humanité. L’article 4 § 1 de la Déclaration stipule :
« Tout acte conduisant à une disparition forcée est un crime passible de peines appropriées, qui tiennent compte de son extrême gravité au regard de la loi pénale. »
Le Groupe de travail invite par conséquent la République du Congo à intégrer dans son Code pénal une incrimination autonome de la disparition forcée.
2. La prévention des disparitions forcées
La législation nationale en matière de procédure pénale prévoit les garanties nécessaires à la prévention des disparitions forcées. Selon les différents interlocuteurs du Groupe de travail, les personnes placées en garde à vue ou en détention provisoire ne rencontrent en général pas d’obstacle pour contacter leurs familles ou leurs avocats (art. 10 § 2). Par ailleurs, des registres d’écrou sont tenus dans chaque lieu de détention, permettant de s’assurer de la présence d’une personne dans ce lieu ou de garder la trace de son passage (art. 10 § 3 et 11 de la Déclaration). Des dépassements du délai de garde à vue ont pu être signalés, qui semblent essentiellement imputables au manque de moyens mis à la disposition de la police et de la justice. En général, toutefois, les fonctionnaires de police et les magistrats que nous avons rencontrés semblaient déterminés à agir de concert pour favoriser la présentation à un juge des personnes gardées à vue dans les délais légaux. Le Groupe de travail encourage par conséquent la République du Congo à améliorer substantiellement les moyens mis à la disposition de la police et de la justice.
Le Groupe de travail se félicite à cet égard des programmes d’assistance financés par l’Union européenne.
Le Groupe de travail est toutefois gravement préoccupé par la détention de plusieurs personnes, originaires de la R.D.C., dans les locaux de la Direction centrale du renseignement militaire à Brazzaville, et cela depuis presque huit ans, hors de tout contrôle légal et sans avoir jamais été présentés à un juge, faisant ainsi peser sur ces personnes le risque d’être soumis à une disparition forcée. Selon les autorités, ces personnes seraient détenues en vue d’assurer leur sécurité en attendant l’aboutissement de leur demande d’asile.
Toutefois, le Groupe de travail rappelle que l’article 10 § 1 de la Déclaration stipule :
« Toute personne privée de liberté doit être gardée dans des lieux de détention officiellement reconnus et être déférée à une autorité judiciaire, conformément à la législation nationale, peu après son arrestation. »
Le Groupe de travail prie par conséquent les autorités de la République du Congo de prendre sans délai toutes les mesures nécessaires en vue de remédier à la présente situation et de la rendre conforme à la Déclaration.
3. Le droit à réparation des victimes
Selon l’article 19 de la Déclaration, le droit à réparation comprend le droit de bénéficier « des moyens d’une réadaptation aussi complète que possible ». Cela couvre les soins de santé physique et mentale et les services de réadaptation en cas de préjudice corporel ou mental quelle qu'en soit la nature, ainsi que la réhabilitation juridique et sociale, la garantie de non-répétition, le rétablissement des libertés personnelles, de la vie familiale et de la citoyenneté, la réintégration dans l’emploi, la restitution des biens, le retour au lieu de résidence et d'autres mesures similaires de remise en état et de réparation susceptibles d'éliminer les conséquences de la disparition forcée.
Le Groupe de travail estime que si l’on peut se réjouir que des mesures positives d’assistance soient prises à l’égard de certains secteurs de la population par différents ministères et dans le cadre de différents programmes gouvernementaux, il n’existe pas un programme intégré et exhaustif de réparation à raison des préjudices causés aux personnes civiles durant les différents conflits.
Un tel programme pourrait être mis en place sur la base de la reconnaissance de la responsabilité de l’Etat en la matière, en prenant pour base la jurisprudence de la Chambre criminelle de la Cour d’appel de Brazzaville dans l’affaire des « disparus du Beach ». Dans cette affaire, la Chambre criminelle a reconnu la responsabilité de l’Etat pour faute à raison d’un dysfonctionnement de l’Etat qui a été incapable d’assurer la sécurité de ses citoyens. D’autres actions similaires pourraient être engagées devant les tribunaux nationaux par différentes catégories de victimes, y compris par les familles des disparus dont les cas n’ont pas été pris en compte lors du procès de 2005.
Plus généralement, le Groupe de travail est conscient des efforts déployés par le Gouvernement de la République du Congo pour rétablir la confiance entre les différentes composantes de la population congolaise. Le Groupe de travail a remarqué toutefois que continuait à prévaloir parmi cette population une certaine crainte à témoigner et à revendiquer ses droits légitimes. Le Groupe de travail encourage par conséquent le Gouvernement à poursuivre dans cette voie du rétablissement de la confiance, en prenant les mesures nécessaires pour que chaque citoyen congolais se sente protégé par la loi, en toute égalité et sans discrimination fondée notamment sur son origine géographique ou ethnique.
4. Le droit à la vérité des victimes
Le droit à la vérité est à la fois un droit collectif et un droit individuel. Si la vérité doit être dite à l’échelle de la société, en tant que garantie de non répétition des violations, chaque victime a également le droit de connaître la vérité sur les violations qui lui ont causé un préjudice.
La République du Congo a pris ces dernières années des mesures positives pour la réalisation du droit à la vérité à l’échelle de la société. La société congolaise est consciente de son passé et de l’ampleur des conflits qui ont déchiré son tissu social. En revanche, la question de la réalisation du droit individuel à la vérité ne semble pas encore avoir été intégrée parmi les politiques et programmes de l’Etat.
Le droit individuel de connaître la vérité sur le sort réservé à une personne victime de disparition forcée est un droit absolu. Ce droit comporte des obligations procédurales à la charge de l’Etat, et notamment l’accès à un organe compétent et indépendant, ainsi qu’une obligation d’enquêter jusqu’à ce que la lumière ait été faite sur le sort réservé à la personne disparue.
Le droit à la vérité doit être reconnu comme un droit autonome, distinct en particulier du droit à la justice. Le Groupe de travail souligne en particulier que le droit à la vérité peut être réalisé par d’autres moyens que celui d’un processus judiciaire. Dans certaines situations, la réalisation du droit à la vérité peut affecter le droit à la justice, lorsque l’action pénale est considérée comment allant à l’encontre du but de réconciliation poursuivi par l’Etat et les composantes de la société congolaise. Le Groupe de travail rappelle toutefois que le pardon ne devrait être accordé qu'après un processus de paix authentique et des négociations de bonne foi avec les victimes, produisant pour résultat des excuses et l’expression de regrets de la part de l'État ou des auteurs des faits et des garanties pour prévenir les disparitions dans l'avenir.
Le procès de 2005 a certes constitué un premier pas dans la réalisation du droit à la vérité. Cette démarche nécessite toutefois d’être élargie à travers un programme plus large visant le rétablissement de la vérité et la réconciliation pour donner satisfaction à chaque victime et couvrant l’ensemble des violations graves des droits de l’Homme intervenues sur tout le territoire du Congo.
IV. Recommandations
Sur la base de ses conclusions préliminaires, le Groupe de travail recommande à la République du Congo d’adopter en priorité les mesures suivantes :
- Continuer à rechercher la vérité sur le sort réservé aux personnes disparues.
- Intégrer dans le Code pénal une incrimination autonome de disparition forcée.
- Prendre les mesures pour lutter contre l’impunité des responsables de ce crime.
- Augmenter les moyens mis à la disposition de la police et de la justice, pour permettre une meilleure prévention des disparitions forcées.
- Généraliser les programmes de formation des personnels de la police, de la justice et de l’armée dans le domaine des droits de l’Homme et du droit humanitaire, comprenant en particulier des éléments relatifs aux disparitions forcées.
- Elaborer un programme intégré et exhaustif de réparation à raison des préjudices causés aux personnes civiles durant les différents conflits qui ont endeuillé la République du Congo.
- Renforcer davantage les institutions de la République du Congo chargées de la réparation et de la réconciliation nationale.
Le Groupe de travail lance un appel à la Communauté internationale pour qu’elle apporte à la République du Congo l’assistance appropriée en matière de renforcement des capacités techniques pour la promotion et la protection des droits de l’homme.
*
Les conclusions et les recommandations préliminaires qui précèdent seront développées en détail dans le rapport qui sera présenté au Conseil des droits de l’homme en 2012.
FIN
(*) Le Groupe de travail est composé de cinq experts de toutes les régions du monde. Le Président-Rapporteur est M. Jeremy Sarkin (Afrique du Sud), le Vice-Président est M. Olivier de Frouville (France), et les autres membres sont M. Ariel Dulitzky (Argentina), Mme. Jasminka Dzumhur (Bosnie-Herzégovine), et M. Osman El-Hajjé (Liban).
Le Groupe de travail a été établi par la Commission des droits de l'homme des Nations Unies en 1980 pour aider les familles à déterminer le sort de leurs proches disparus. Il s'efforce d'établir un canal de communication entre les familles et les gouvernements concernés, afin de s'assurer que les cas individuels sont examinés, avec l'objectif de clarifier le sort des personnes qui, ayant disparu, sont placées en dehors de la protection de la loi. Compte tenu du mandat humanitaire du Groupe de travail, la clarification survient lorsque le sort ou le lieu où la personne disparue se trouve sont clairement établis. Le Groupe de travail continue à traiter les cas de disparitions jusqu'à ce qu'ils soient résolus.
Le Groupe de travail fournit également une assistance dans la mise en œuvre par les États de la Déclaration des Nations Unies sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.
Pour des renseignements supplémentaires sur le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires, connectez vous sur: http://www2.ohchr.org/french/issues/disappear/index.htm
BCNUDH, Droits de l´homme par pays - Congo: http://www.ohchr.org/fr/countries/congo
Pour de plus amples informations et les demandes de la part des medias : Secrétariat du Groupe de travail (+41 79 201 0122 / mpellado@ohchr.org / wgeid@ohchr.org)
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