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Déclarations

Conférence "Cyril Foster" donnée par le Secrétaire général à l'Université d'Oxford sur le thème : pourquoi la démocratie est-elle une question d'intérêt international ?

19 juin 2001

19 juin 2001

On trouvera ci-après le texte de la Conférence donnée aujourd’hui par le Secrétaire général à l'Université d'Oxford :

Je vous remercie, Monsieur le Vice-Président, de vos paroles aimables.

C'est pour moi un grand plaisir d'être à nouveau à Oxford et un honneur encore plus grand d'avoir été invité par votre université à prendre la parole dans le cadre du cycle de conférences "Cyril Foster".

L'histoire de Cyril Foster et de son legs est à la fois émouvante et édifiante pour ceux qui travaillent dans le domaine des relations internationales.

Voilà un homme qui a vécu toute sa vie dans une caravane et dont on ne sait pratiquement rien, si ce n'est qu'il possédait plusieurs commerces dans la région londonienne. On ignore même la date précise de sa mort. Malgré cette existence obscure, la cause des relations internationales lui tenait tellement à cœur qu'il a laissé presque tout son argent à votre université, avec laquelle il n'avait aucune accointance, se fiant à vous pour l'utiliser au mieux au service de la paix.

Sa seule stipulation était que vous invitiez, une fois par an, une "personnalité éminente et sincère" à venir donner une conférence sur un thème "ayant trait à l'élimination de la guerre et à l'instauration d'une meilleure compréhension entre les nations du monde".

Depuis 1960, vous avez invité maints orateurs éminents, et je veux croire qu'ils étaient tous sincères; c'était certainement le cas de mes deux prédécesseurs à l'Organisation des Nations Unies -- Javier Perez de Cuellar et Boutros Boutros-Ghali -- qui ont donné une conférence Cyril Foster en 1986 et 1996, respectivement.

Pourtant, une omission saute aux yeux : aucune femme n'a encore jamais été invitée!

Une telle omission n'aurait sans doute pas frappé Cyril Foster, qui est mort en 1956. Mais aujourd'hui, elle a certainement de quoi surprendre et je doute qu'elle persiste encore bien longtemps, même dans cette gardienne de la tradition qu'est l'Université d'Oxford.

Mes deux prédécesseurs ont tous deux parlé du rôle de secrétaire général et je ne vois guère ce que je pourrais ajouter sur la question. C'est pourquoi j'ai choisi de vous entretenir d'un autre sujet.

C'est un sujet qui m'est cher, tout comme il l'était à Boutros Boutros-Ghali, dont le dernier rapport à l'Assemblée générale s'intitulait, vous vous en souviendrez, Agenda pour la démocratie.

Le thème que je vais aborder ce soir m'a été suggéré par votre président, le professeur O'Neill, bien que sous une forme légèrement différente, puisqu'il m'avait proposé le titre : "Démocratie et paix internationale."

En fait, je pense que l'importance de la démocratie va bien au-delà du lien direct qu'elle peut avoir avec la paix internationale. Une bonne partie de la conférence de ce soir portera sur une des tâches les plus difficiles auxquelles la communauté internationale doit faire face aujourd'hui, à savoir restaurer la paix au sein de sociétés qui ont implosé. La bonne gouvernance démocratique et le respect des droits de l'homme constituent des éléments essentiels de ce travail car, sans eux, il ne saurait y avoir de paix durable.

Je voudrais toutefois revenir au thème proposé par le professeur O'Neill.

L'idée qu'il existe un lien entre démocratie et paix internationale est vieille d'au moins deux siècles. On l'associe généralement à Emmanuel Kant, dont le Projet de paix perpétuelle a été publié en 1795.

Selon Kant, les "républiques", ce que nous appellerions aujourd'hui les démocraties libérales ou pluralistes, sont moins susceptibles de se faire la guerre que les autres formes d'organisation étatique.

D'une manière générale, les deux siècles qui viennent de s'écouler lui ont donné raison.

Cette période a certes été ponctuée par des guerres horribles, qui ont été rendues encore plus meurtrières par la technologie, et les démocraties libérales y ont joué un rôle considérable.

Mais dans la plupart des cas, celles-ci ne s'affrontaient pas mais combattaient dans le même camp.

Les états dynastiques se sont fait la guerre tout au long de l'histoire, de même que les états religieux, les états totalitaires et les dictatures militaires. Mais les démocraties recourent en général à d'autres moyens pour régler leurs différends.

Je voudrais toutefois nuancer mon propos, de crainte de susciter des espoirs non fondés.

Jusqu'à tout récemment, il n'existait que quelques démocraties dans le monde. Il est donc encore trop tôt pour se lancer dans des généralisations hâtives et des prédictions excessivement optimistes.


De plus, l'histoire a montré que les jeunes démocraties et celles qui viennent d'accéder au statut de grande puissance peuvent se montrer agressives. Dans ce cas, elles ont beau arguer du caractère non démocratique ou moins démocratique de leurs adversaires, la distinction n'est pas toujours perceptible pour les tiers.

Nous nous bornerons donc à dire que la survenance d'une guerre est moins probable entre "vieilles" démocraties.

Pourquoi en est-il ainsi ? L'explication la plus convaincante, ou plutôt l'élément qui me paraît le plus déterminant, c'est que les démocraties sont, par essence, des systèmes ouverts et transparents où il existe des garde-fous contre l'aventurisme militaire.

Les dirigeants de pays démocratiques peuvent difficilement mobiliser s'ils n'ont pas su convaincre la majorité de la population que la guerre est à la fois juste et nécessaire, c'est-à-dire, d'une part, que des intérêts nationaux supérieurs sont menacés ou des principes fondamentaux bafoués et, d'autre part, qu'il n'existe aucun moyen pacifique d'obtenir satisfaction.

Il est plus facile de convaincre si l'on parvient à dépeindre le gouvernement d'en face comme maléfique, agressif, réfractaire à la raison et à tout compromis. Or, les citoyens des pays démocratiques sont tout disposés à croire le pire si le pays en question a un système politique opaque. Lorsque les décisions sont prises à huis clos, comment savoir en effet si les raisons invoquées sont les vraies ou si quelque chose d'autre se trame ?

Parce qu'ils peuvent manipuler les médias plus ou moins à leur guise, les régimes autoritaires auront moins de mal à mobiliser la société pour la guerre, que "l'ennemi" soit une autre dictature ou une démocratie.

Dans les régimes démocratiques, il sera beaucoup plus difficile de convaincre les gens de la nécessité d'une guerre si l'autre pays est doté d'un système politique ouvert et transparent, plus ou moins semblable au leur.

Les peuples peuvent alors se rencontrer sur beaucoup d'autres terrains que la guerre ou la diplomatie. Chacun peut suivre le déroulement du processus politique chez l'autre, voire l'influencer.

On peut dire aussi que, d'une façon générale, plus les gouvernants sont tenus pour comptables et responsables de leurs actes par leurs concitoyens, moins ils ont tendance à recourir à la force, du moins contre des États ayant un système aussi ouvert que le leur.

C'est lorsque leurs gouvernants suivent des politiques ou des pratiques occultes, dont ils ne rendent pas compte, que les démocraties s'écartent le plus de leur idéal. Ainsi, il est arrivé que les démocraties les plus puissantes s'emploient à saper le gouvernement démocratiquement élu d'autres pays, en recourant à des moyens qu'ils n'auraient probablement pas utilisés si leurs actes avaient été soumis au regard public.

Kant lui-même était conscient de ce risque puisqu'il considérait la "publicité" comme un principe fondamental du bien.

Ces réserves étant faites, nous pouvons penser avec Kant qu'un monde entièrement composé de "républiques" -- ou, disons, d'États dotés d'un système de gouvernement démocratique-- serait plus pacifique que celui dans lequel nous vivons.

C'est là une corrélation importante entre démocratie et paix internationale. Mais comme nous ne vivons pas encore dans un monde en paix, la circonspection avec laquelle les démocraties se résolvent à se battre ou à prendre des risques peut être un handicap, dans les cas où il faudrait intervenir promptement au service d'une cause juste.

Le carnage qu'a été la seconde guerre mondiale aurait en grande partie pu être évité si les démocraties s'étaient montrées plus fermes et avaient réagi plus vite face à l'Allemagne nazie.

Aujourd'hui encore, dans le cadre de ses efforts de maintien de la paix et de la sécurité, l'Organisation des Nations Unies constate souvent que les "vieilles" démocraties rechignent à mettre à sa disposition les contingents dont elle a besoin.

Ce triste paradoxe est d'autant plus frappant que, depuis une quinzaine d'années, les opérations que les Nations Unies mènent un peu partout dans le monde comportent pour la plupart des éléments d'appui à la démocratie.

Mais la vérité est que la plupart du temps cela s'est produit pour des raisons qui ne sont pas directement liées à la paix internationale. Elles relèvent plutôt des affaires intérieures des États et en particulier de la prévention ou du règlement des conflits internes.

À la fin des années 80 et au début des années 90, l'ONU a commencé à aider à l'organisation et à la supervision d'élections dans toute une série de pays, du Cambodge au Mozambique en passant par El Salvador.

Il ne s’agissait pas d’opérations de maintien de la paix classiques. Par classiques, j'entends des opérations dans le cadre desquelles des soldats équipés d'armes légères s'interposent entre des forces armées régulières et maintiennent le cessez-le-feu, tandis que la recherche d'une solution politique se poursuit ailleurs.

Dans ces pays qui sortaient d'une cruelle et interminable guerre civile, il s'agissait d'opérations beaucoup plus complexes.

Notre mission n'était pas tant de maintenir la paix que de la construire, en aidant les ennemis d'hier à vivre à nouveau ensemble, dans une société où règnent la paix et l'ordre.

En fait, c'est le cas de la plupart des opérations de maintien de la paix que les Nations Unies mènent actuellement.

Parfois, comme au Kosovo et au Timor oriental, par exemple, notre mandat consiste à assurer l'administration transitoire, qui est chargée de la supervision de tout le processus politique.

Le plus souvent, notre mandat est moins ambitieux mais il s'agit néanmoins d'aider les autorités locales dans des tâches aussi diverses que l'assistance humanitaire, le déminage, le désarmement, la démobilisation et la réinsertion des soldats, la formation des personnels de police et des magistrats, la surveillance des droits de l'homme, la reconstruction de l'infrastructure physique mais aussi des institutions par lesquelles la vie collective est organisée et réglementée.

Inévitablement, cela signifie aussi les institutions politiques. Or, au cœur de pratiquement tous les conflits internes, il y a la question de la puissance publique, de savoir à qui elle échoit et comment elle s'exerce. Pour pouvoir régler quelque conflit que ce soit, il faut d'abord répondre à ces questions et de nos jours, les réponses doivent toujours être démocratiques ne serait-ce que dans les formes.

Il existe bien sûr d'autres sources de légitimité politique, plus traditionnelles : sanction divine, succession dynastique, autorité charismatique du chef ou poids de l'histoire, dans le cas de partis au pouvoir hautement organisés.

Il existe encore pas mal d'États qui fondent leur succès ou leur stabilité sur l'un ou l'autre de ces éléments, voire sur la combinaison de plusieurs d'entre eux. Mais ces États ne peuvent continuer à le faire en toute confiance qu'aussi longtemps que la population consent à ce qu'ils restent au pouvoir.

Une fois que ce consentement a disparu, que le conflit a éclaté et que la stabilité doit être rétablie par voie de négociation, il s'avère que la seule source de légitimité que toutes les parties jugent acceptable, du moins en principe, c'est la volonté du peuple.

Une bonne partie du travail des médiateurs consiste d'ailleurs à aider les parties à s'entendre sur les mécanismes grâce auxquels la volonté des peuples peut être évaluée, puis sur les mécanismes par lesquels elle peut s'exercer.

C'est ainsi que nous nous retrouvons à organiser des élections, ou du moins à veiller à ce que l'on en organise, selon des modalités acceptables pour toutes les parties. Souvent, nous apportons notre concours à l'élaboration du cadre constitutionnel dans lequel les élus exerceront le pouvoir dont le peuple les a investis.

Ce second point est important. La tenue d'élection ne suffit pratiquement jamais à mettre fin à un conflit lorsque les parties veulent à tout prix en découdre.

En 1992, nous avons appris cette dure leçon en Angola. Nous y avions organisé des élections jugées globalement libres et régulières, mais cela n'a pas empêché le conflit de reprendre, les perdants refusant d'accepter l'autorité d'un gouvernement exclusivement composé de membres du parti gagnant.

Je constate que vous avez aussi appris cette leçon ici au Royaume-Uni.

Pour les élections nationales, vous utilisez un système majoritaire, où le gagnant remporte tout. Pour controversé qu'il soit, ce système ne met pas la paix publique en danger car les partis se respectent mutuellement et ceux qui perdent les élections n'ont pas à craindre d'être emprisonnés ou assassinés.

Mais en Irlande du Nord, où vous avez dû gérer des dissensions communautaires qui ont souvent dégénéré en violence, et où la confiance entre les communautés n'est certes pas acquise, vous avez mis en place un système différent, fondé sur la représentation proportionnelle et le partage du pouvoir.

De tels arrangements, qui garantissent les droits des minorités et les protègent contre tout empiétement de la part de la majorité, font partie intégrante de pratiquement tous les accords de paix mettant fin à des guerres civiles.

Ils s'inscrivent dans le cadre d'une vision plus générale, qui est à présent largement partagée selon laquelle la démocratie n'est pas un système par lequel la majorité écrase la minorité. C'est un système au sein duquel chaque citoyen doit avoir l'impression que ses droits et ses idées sont respectés, et qu'il a son mot à dire dans toutes les décisions qui le concernent.

En d'autres termes, en démocratie, ce qui se passe entre les élections est au moins aussi important que ce qui se passe pendant le scrutin.

Les partis de l'opposition doivent avoir la possibilité de constituer des coalitions et de faire valoir leurs arguments, de sorte que lorsque vient le temps de se rendre aux urnes, les électeurs puissent choisir en toute connaissance de cause.

Nous devons nous garder de ce que j'appelle les "démocraties cosmétiques", qui voient des dirigeants tenter de légitimiser ou de perpétuer leur pouvoir en organisant des élections truquées, qui ne sont pas vraiment libres.

Pour être libres et régulières, les élections doivent se dérouler dans un climat de paix, dans lequel tous les partis peuvent rivaliser sur un pied d'égalité, et ont l'occasion de défendre leurs positions dans les médias, y compris ceux qui sont aux mains de l'État.

Elles doivent se tenir dans un contexte où des opinions impopulaires peuvent être exprimées, où des informations embarrassantes pour le pouvoir peuvent être divulguées et où la campagne et les meetings ne sont pas seulement autorisés mais aussi protégés de toute violence.

En d'autres termes, la démocratie a besoin de l'état de droit, à savoir une situation où la paix et l'ordre civils sont maintenus sans peur ni faveur par une police et des tribunaux impartiaux.

Il faut que toutes ces conditions soient réunies pour que le conflit puisse laisser la place à une paix durable ou, mieux encore, pour qu'il n'éclate pas.

Si l'on s'efforce de les remplir sans attendre que la violence se déclare, on a de meilleures chances de prévenir le conflit ou, en tout cas, de faire en sorte que les conflits qui surgissent inévitablement dans toute société soient réglés par des moyens non violents.

Je cite souvent une étude conduite par l'université des Nations Unies selon laquelle les risques de conflit sont les plus forts dans les pays où les disparités sociales coïncident avec des divisions ethniques ou religieuses. Je le fais aujourd'hui d'autant plus volontiers qu'une de ses auteurs est présente aujourd'hui. Je veux parler du professeur Frances Steward.

Elle dirige une institution, la Queen Elisabeth House, qui offre un des exemples les plus réussis, au sein de cette Université qui n'en manque pas, de coexistence et de collaboration fructueuse entre individus d'origines ethniques et culturelles très diverses.

Si seulement cela pouvait être plus souvent le cas dans le monde auquel l'ONU a affaire.

Depuis une dizaine d'années, dans diverses parties du monde, l'ONU a dû faire face à des conflits où la peur des groupes en présence était alimentée par des politiciens peu scrupuleux qui l'exploitait à leurs propres fins, peur qui s'est traduite par d'horribles actes de haine religieuse et raciale.

C'est essentiellement la raison pour laquelle j'attache une si grande importance à la Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance qui y est associée, qui se tiendra en Afrique du Sud dans deux mois.

J'espère que cette conférence sera l'occasion d'élaborer une stratégie globale, qui aide chacun d'entre nous à combattre ces odieux phénomènes dans la société dans laquelle il vit. Ils sont à la racine de bien des conflits un peu partout dans le monde, et nous devons nous y attaquer d'urgence, dans chaque société, si nous voulons empêcher que d'autres conflits, et de plus meurtriers, n'éclatent à l'avenir.

C'est sans doute une des raisons pour lesquelles l'ONU est de plus en plus appelée à intervenir à l'appui de la démocratisation, y compris en dehors du contexte du maintien et de la consolidation de la paix.

De plus en plus de pays se tournent vers l'ONU non plus seulement pour obtenir une assistance électorale mais pour toute une série de tâches ayant trait à la gouvernance et aux droits de l'homme.

Je suis convaincu que ce type de travail contribue vraiment à la prévention des conflits et qu'il favorise le développement de façon générale.

Les États qui respectent les droits de tous leurs citoyens et donnent à chacun voix au chapitre dans les décisions qui le concerne ont aussi davantage de chances de libérer les énergies créatrices de la population et de constituer un environnement social et économique propre à attirer les investissements.

C'est pourquoi l'on peut dire que la démocratie est déterminante non seulement pour la paix internationale, mais aussi pour le développement. Elle est donc au cœur de la mission de l'ONU et de l'espoir de l'humanité en un avenir meilleur.


La démocratie se pratique de bien des façons et aucune n'est parfaite. Mais dans le meilleur des cas, elle offre une méthode pour gérer et régler les différends sans violence dans un climat de confiance mutuelle. Rien n'est plus corrosif pour un tel climat que la peur et l'intolérance conjuguée à l'injustice et à la discrimination.

Il est vrai que par le passé bien des sociétés conjuguaient un certain degré de démocratie à la discrimination raciale. Mais celle-ci est aujourd'hui un des pires ennemis de la démocratie.

Pourquoi ? Parce que les gens cessent de croire dans les institutions démocratiques, et en quelque institution que ce soit, dès lors qu'ils ont l'impression qu'on les traite de façon injuste, et surtout s'ils se sentent menacés ou exclus du simple fait de leur appartenance à tel ou tel groupe ou catégorie.

En Europe, c'est aujourd'hui la xénophobie et la manipulation politicienne de la peur de l'étranger qui menacent le plus gravement la démocratie, ou en tout cas sa qualité. Comme nous célébrons demain la Journée mondiale des réfugiés, je ne résiste pas au plaisir de vous rappeler le fameux dessin où Einstein est représenté avec un baluchon sur l'épaule avec la légende suivante : un réfugié apporte parfois plus que quelques vêtements.

On a parfois l'impression que l'Europe a un peu oublié ce message. Au lieu d'être bien accueillis pour la contribution qu'ils apportent à l'économie et à la diversité culturelle, les immigrants sont trop souvent présentés comme une menace, et en raison des procédures destinées à détecter les "faux" réfugiés, les demandeurs d'asile authentiques font l'objet de harcèlement et sont détenus. Parfois on essaye même de les empêcher de s'approcher des pays où ils pourraient être en sécurité.

Cet état de fait déplaisant a un impact sur la politique étrangère aussi bien que sur les affaires intérieures, une raison supplémentaire de considérer la démocratie comme une question d'intérêt international et non simplement national.

Cet après-midi, j'ai surtout insisté sur l'importance de la démocratie au sein des États, d'une part, en ce qui concerne leurs relations avec les autres États et, d'autre part, sur le plan de l'harmonie et du développement intérieurs.

Mais faudrait également plus de démocratie au niveau mondial ; c'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles l'ONU a été créée, puisque la Charte se fonde sur le principe très démocratique de "l'égalité souveraine des tous les États Membres".

Il ne s'agit donc plus d'individus mais d'États souverains, qui sont bien sûr très inégaux, par la taille, la puissance et la richesse.

Il est peu probable que cela change dans un avenir proche, mais ce n'est pas une situation dont nous puissions nous satisfaire.

La stabilité ne va pas de soi dans un monde, où la plupart des êtres humains se voient dénier l'accès aux perspectives économiques ouvertes aux plus privilégiés et ne sont absolument pas consultés lorsqu'il s'agit de prendre des décisions affectant l'économie mondiale.

À mon sens, les États riches et puissants ont le devoir moral de tenir compte de l'avis de ceux qui ne le sont pas; ils ont d'ailleurs tout intérêt à le faire.

L'Organisation des Nations Unies fait ce qu'elle peut pour combler ce déficit démocratique entre les États. Elle doit à la fois, ce qui n'est pas toujours facile, tenir compte des inégalités existantes, par réalisme, et essayer de les éliminer ou du moins de les atténuer, en donnant une voix aux plus petits, aux plus pauvres et aux plus faibles.

Nous ne prétendrons pas que l'égalité la plus parfaite règne entre les Etats Membres, mais, somme toute, les petits États se sentent moins inégaux au sein des Nations Unies que dans d'autres instances internationales.

Bon nombre d'entre eux pensent, comme Dag Hammarskjöld, que la première tâche de l'ONU est de protéger les faibles contre les forts.

À terme, la vitalité et la pérennité de l'ONU dépendront de sa capacité de s'acquitter de cette tâche en s'adaptant aux réalités du moment. C'est sans doute sur ce plan là qu'elle devra avant tout faire ses preuves en ce nouveau siècle.

La plupart des États, et la plupart des gens en général, considèrent que l'ONU serait plus démocratique si l'on réformait le Conseil de sécurité pour le rendre plus représentatif.

Je partage cet avis, tout en reconnaissant que c'est une question que les États Membres doivent régler par eux-mêmes. Je constate toutefois que s'ils s'accordent presque tous sur la nécessité d'une réforme, les modalités de cette réforme sont encore loin de faire l'objet d'un accord.

Mais nous ne devrions pas nous limiter au Conseil de sécurité. Bien des décisions importantes, qui affectent la vie de milliards d'êtres humains sont prises par d'autres institutions telles que la Banque mondiale, le Fonds monétaire international, l'Organisation mondiale du commerce, le Groupe des Huit et même les bureaux des grandes multinationales.

Je crois que notre monde serait plus juste et plus démocratique si, dans toutes ces instances, on faisait une plus large place aux vues et aux intérêts des plus pauvres, qui constituent encore hélas la grande majorité de la race humaine

On oppose parfois à ce qui précède l'argument selon lequel ceux qui prétendent représenter les pauvres ne sont en fait pas représentatifs en raison du manque de démocratie dont souffrent les pays pauvres.

Si ceux qui l'avancent ne sont pas toujours de bonne foi, il reste que l'argument est valide, quoique de moins en moins, à mesure que la démocratie s'implante dans davantage de pays en développement.

L'Organisation de l'unité africaine a d'ores et déjà pris la courageuse décision de ne plus inviter à ses réunions au sommet les dirigeants qui se sont emparés du pouvoir par des moyens inconstitutionnels.

J'espère que le jour viendra où l'Organisation des Nations Unies suivra ce bel exemple. Car son crédit ne pourra qu'être renforcé par le fait que tous ses membres sont eux-mêmes indiscutablement représentatifs des peuples du monde, au nom desquels l'ONU a été créée voilà bientôt 56 ans.

Oui, Mesdames et Messieurs, la démocratie est sans conteste une question d'intérêt international !

Je vous remercie.







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