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Déclarations

Allocution du Secrétaire général à l'occasion de la Conférence au sommet de l'Organisation de l'unité africaine

09 Juillet 2001



9 juillet 2001




Lusaka, 9 juillet – La déclaration suivante a été faite aujourd'hui par le Secrétaire général des Nations Unies, M. Kofi Annan au Sommet de l'Organisation de l'unité africaine, à Lusaka (Zambie) :

«C’est pour moi un privilège spécial d’avoir de nouveau l’occasion de me joindre à vous pour la Conférence au sommet de l’Organisation de l’unité africaine. Je tiens à rendre hommage au Président Chiluba qui accueille cette réunion à Lusaka à ce stade crucial où l’Afrique cherche à prendre un nouveau départ sur la voie de la paix et du développement durable. Je voudrais aussi vous remercier vivement de vous être prononcés fermement dès le début pour ma réélection au poste de Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies. Je prends l’engagement de consacrer à l’Afrique pendant mon deuxième mandat tout autant d’énergie que pendant le premier, et d’oeuvrer avec vous pour donner à notre continent la priorité qu’il mérite dans l’action de la communauté internationale.

Cette conférence au sommet porte en elle une grande promesse pour les peuples d’Afrique, la promesse qu’elle restera gravée dans les mémoires pour avoir lancé l’Union africaine et avoir résolument engagé le continent tout entier sur la voie de la paix et du développement. Il ne sera pas facile pourtant de donner corps à cette promesse. Si vous ne vous y attelez pas avec la plus grande détermination, vous, les dirigeants de l’Afrique en ce début du XXIe siècle, elle ne deviendra pas réalité. Cette entreprise historique exigera du dynamisme, du courage et une disposition à abandonner les voies du passé pour être aussi fructueuse pour l’Afrique que l’Union européenne l’a été pour l’Europe. Tel doit être notre but – reconstruire, comme l’Europe l’a fait, après une série de guerres dévastatrices, en nous unissant par delà les divisions d’antan pour créer un continent caractérisé par la paix, la coopération, le progrès économique et la primauté du droit.

Les obstacles que nous devrons surmonter pour atteindre ces objectifs sont énormes. Certains sont dus à la géographie ou à des siècles d’histoire. D’autres sont le résultat d’une mauvaise gestion politique et économique au cours des dernières décennies. Et aujourd’hui, nous nous heurtons à un nouvel obstacle : une maladie fatale qui frappe nos peuples et qui menace d’enlever à notre continent sa ressource la plus précieuse – sa jeunesse. Heureusement, chaque dirigeant, dans chaque société, est conscient maintenant des conséquences et des menaces que représente le VIH/sida.

Le partenariat international contre le sida en Afrique – qui réunit gouvernements africains, ONU, donateurs, organisations non gouvernementales et secteur privé – a maintenant démarré et constitue un cadre d’action extraordinaire qui porte déjà ses fruits. Lors de la récente Conférence au sommet de l’OUA à Abuja, les pays africains se sont engagés à accroître la part de leur budget consacrée à la santé, en particulier à la lutte contre le VIH/sida. Un nombre croissant de donateurs – publics et privés – se sont engagés à verser des contributions au Fonds mondial pour la lutte contre le sida et pour la santé qui devrait être opérationnel d’ici à la fin de l’année.

À la session extraordinaire historique sur le VIH/sida qui vient de se tenir à New York le mois dernier, le monde s’est engagé à lutter contre cette maladie, en Afrique et ailleurs, en y consacrant les ressources nécessaires.

Le sida est aujourd’hui la cause principale de mortalité en Afrique. On estime actuellement à plus de 25 millions le nombre total d’Africains séropositifs ou atteints du sida. C’est en Afrique que vivent près de 70 % des adultes et 80 % des enfants séropositifs du monde, c’est là que sont décédés les trois quarts des plus de 20 millions de personnes qui sont mortes du sida dans le monde depuis le début de l’épidémie. Cette maladie est partout – dans nos communautés, nos familles, nos foyers – et elle mettra en échec tous nos efforts de paix et de développement si nous ne réussissons pas à la mettre en échec en premier.

Nous ne mettrons pas en échec le sida, la tuberculose, le paludisme ni aucune des autres maladies contagieuses qui frappent l’Afrique tant que nous n’aurons pas gagné la bataille pour les soins de santé de base, l’eau potable et l’assainissement. Nous ne les vaincrons pas tant que nous n’aurons pas vaincu la malnutrition, tant que nous n’aurons pas surmonté l’ignorance des précautions élémentaires, qui expose tant de pauvres à l’infection. Ce qui est essentiel donc, pour guérir ces maux, c’est un processus soutenu de croissance économique et de développement pour tous.

La session extraordinaire sur le VIH/sida n’est qu’un exemple de l’attention qu’ont retenue au cours de l’année écoulée dans le monde entier les problèmes qui se posent à l’Afrique. Bien que l’aide publique au développement reste à un niveau d’une faiblesse inacceptable, la communauté internationale cherche de nouveaux moyens d’aider l’Afrique à exploiter toutes ses possibilités. Du commerce à l’allégement de la dette, en passant par l’emploi des jeunes et la scolarisation des filles, nous avons un vaste programme de travail que soutiennent nos partenaires dans le monde développé. Pour s’atteler à ces tâches essentielles, il faut cependant que l’Afrique rejette les voies du passé et s’engage à bâtir un avenir où triompheront la gouvernance démocratique et la primauté du droit.

Cet avenir sera la nôtre, j’en suis convaincu, à une condition cependant : que l’Afrique mette un terme à ses conflits, sinon l’aide ou le commerce, l’assistance ou les conseils ne changeront rien à rien. À la Conférence au sommet de l’OUA qui s’est tenue à Alger il y a deux ans, vous vous êtes engagés à faire de 2000 l’« Année de la paix » en Afrique. Lorsque j’ai publié mon rapport sur l’Afrique il y a trois ans, j’ai dit que pendant trop longtemps le conflit en Afrique a été considéré comme inévitable ou insoluble, voire les deux. Le conflit en Afrique, comme partout, est causé par l’action des hommes et il peut être arrêté par l’action des hommes. C’est tout aussi vrai aujourd’hui, et pourtant les guerres d’Afrique continuent de sévir et de semer l’instabilité.

Il y a eu des progrès, grâce aux efforts déployés par l’OUA et différents dirigeants, travaillant souvent avec l’ONU pour promouvoir la paix. En Éthiopie/Érythrée, une opération de maintien de la paix de l’ONU patrouille la ligne de cessez-le-feu et aide à renforcer les relations pacifiques après une guerre tragique. En République démocratique du Congo, nous avons maintenant la perspective de négociations entre toutes les parties qui pourraient commencer à apporter la stabilité et la sécurité dans ce vaste pays.

Cependant, au Burundi, en Sierra Leone, en Angola, au Soudan et au Sahara occidental, nous nous heurtons à des conflits et des crises de gouvernance et de sécurité qui persistent et menacent de faire échouer nos espoirs d’une Union africaine pour la paix et la prospérité.

Pour mettre un terme à ces conflits, il nous faut reconnaître deux vérités essentielles : ils mettent en danger la paix de l’Afrique tout entière et ils sont en grande partie le résultat d’une direction mal avisée qui ne veut ou ne peut pas placer les intérêts de la population au premier rang. Il est évident que ces conflits doivent être le souci de tous, lorsqu’on voit comment la crise en Sierra Leone a gagné la Guinée et le Liberia, ou quand on considère le grand nombre d’États qui sont engagés dans le conflit en République démocratique du Congo, et qui seront affectés par son règlement.

Ces crises sont la responsabilité de chaque dirigeant africain. Il n’y a pas de guerre qui ne perturbe pas les pays voisins, et qui ne compromette pas leur stabilité et leur prospérité. Ce qui commence souvent comme un conflit interne, une lutte pour le pouvoir ou des ressources, peut rapidement gagner toute une région, provoquer des mouvements de réfugiés et retarder encore l’aide et les apports d’investissements. L’impulsion donnée par chaque dirigeant est déterminante ici – que ce soit dans le sens de la guerre ou de la paix, de la réconciliation ou de la division, de l’enrichissement de quelques-uns ou du développement de toute une société.

À la clef de ces conflits il y a souvent des préjugés et des haines liés à des différences ethniques et raciales, exploités par des dirigeants à des fins destructrices. Avec le génocide au Rwanda, le conflit au Soudan et les tensions au Burundi, notre continent subit les conséquences les plus dévastatrices du racisme et de l’intolérance. Si l’Afrique et les Africains ont terriblement souffert, ces derniers siècles, de l’esclavage et du colonialisme, si les individus d’origine africaine font encore l’objet d’une discrimination dans bien des sociétés, nous ne pouvons dissimuler le fait qu’aujourd’hui certaines de nos propres sociétés sont elles aussi défigurées par la haine et la violence ethniques.

Le mois prochain à Durban, l’Afrique accueillera une conférence visant à éliminer ces fléaux dans le monde entier. La Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée devrait adopter une déclaration et un programme d’action contenant des recommandations précises, prospectives et pratiques sur la façon dont les gouvernements et la société civile peuvent libérer le siècle nouveau du fléau du racisme.

Il nous faut un document qui examine résolument chaque société dans le monde et les défauts qui aggravent les conflits ayant une origine raciale ou ethnique, au lieu de les éliminer. Il nous faut un document qui admet le passé et s’en inspire sans en être prisonnier. Il nous faut un document que tous reconnaissent. Il nous faut enfin un document qui incite tous les peuples, et pas seulement les gouvernements, à jouer leur rôle pour comprendre le passé et construire un avenir meilleur.

L’enjeu de l’Afrique dans le succès de la Conférence est immense, en grande partie parce qu’elle est accueillie par une Afrique du Sud démocratique post-apartheid et parce que l’Afrique a tant à enseigner au monde sur la manière de surmonter les divisions tribales et ethniques et d’arriver à gérer la diversité. Chacun de vous a un rôle critique à jouer pour que cette conférence soit prospective, créatrice, attachée non pas à ressasser les arguments du passé mais à améliorer notre avenir commun. Nous ne devons pas laisser les différends concernant le passé nous distraire de cette entreprise cruciale.

Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de partager avec vous mes espoirs pour l’avenir de l’Afrique, et je prends aujourd’hui devant vous l’engagement que l’ONU sera un partenaire résolu et constructif dans cette entreprise. L’Union africaine que vous avez lancée à l’occasion de ce sommet peut offrir à notre continent le cadre, les outils et l’intention commune qui sont nécessaires pour réussir au XXIe siècle. Je vous souhaite le plus grand succès.»



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