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Déclarations Haut-Commissariat aux droits de l’homme

DECLARATION AU NOM DE MME LA HAUT COMMISSAIRE AUX DROITS DE L'HOMME AU SEMINAIRE D'EXPERTS DE HAUT NIVEAU SUR LES DROITS ECONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS

05 Septembre 2005

Nantes, le 5 septembre 2005

Chèr(e)s Délégué(e)s,
Mesdames et Messieurs,


Au nom du Haut Commissaire aux Droits de l’Homme, permettez-moi tout d’abord de remercier le Gouvernement français, l’Organisation Internationale de la Francophonie, la Ville et l’Université de Nantes et la Fondation Charles Léopold Meyer, pour avoir convié le Haut Commissariat à participer à cette importante conférence. La Haut Commissaire regrette sincèrement de ne pas pouvoir être présente aujourd’hui. J’ai cependant le plaisir de faire la déclaration suivante en son nom.

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La lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale constitue l’un des défis majeur auquel les Nations Unies doivent actuellement faire face. Au sein du système international des Droits de l’Homme, les droits économiques, sociaux et culturels sont porteurs de nombreuses exigences à satisfaire pour construire, sur la base de l’état de droit, des sociétés solidaires. Or, 40 ans après l’adoption des deux Pactes, les droits économiques, sociaux et culturels ne font toujours pas l’objet d’un traitement adéquat, et certains, encore aujourd’hui, en contestent le statut juridique.Heureusement, nous constatons depuis quelques années une certaine évolution à ce sujet..

Les discussions actuelles sur la réforme de la Commission des Droits de l’Homme ont mis l’accent sur le fait que tous les droits de l’homme - civils, culturels, économiques, politiques et sociaux - doivent recevoir un traitement égal au sein du futur système de protection des droits de l’homme. Le Plan d’Action présentant ma vision pour l’avenir de mon Bureau, élaboré à la demande du Secrétaire-Général et qui s’inscrit dans ses propositions de réforme du système des Nations Unies, souligne la nécessité d’un engagement renouvelé en faveur des droits économiques sociaux et culturels afin de réaffirmer leur statut juridique et renforcer la reconnaissance de leur justiciabilité.

Le groupe de travail chargé d’examiner les options en ce qui concerne l’élaboration d’un protocole facultatif se rapportant au Pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels tient, à cet égard, un rôle primordial. Le séminaire auquel nous participons constitue la continuité des discussions du groupe de travail, et procure une occasion unique de réfléchir sur les moyens de renforcer la mise en œuvre des droits économiques, sociaux et culturels et d’assurer un traitement égal à tout les droits de l’homme dans le processus en cours de réforme des Nations Unies. Permettez-moi à cet effet de partager avec vous les quelques réflexions suivantes :

Bien que certains droits économiques, sociaux et culturels - comme les droits des travailleurs - sont depuis longtemps l’objet d’actions devant les tribunaux, on a pu constater depuis une dizaine d’années le développement de jurisprudences nationales et régionales de plus en plus sophistiquées/élaborées au sujet d’autres droits économiques et sociaux. Des décisions en Argentine, en Afrique du Sud, en Colombie, en Inde, et dans nombre d’autres pays ont démontré comment le pouvoir judiciaire peut jouer un rôle important en procurant une assistance aux individus et en poussant les gouvernements à faire respecter ces droits garantis constitutionellement.

Les décisions judiciaires ont contribuer de manière significative à une meilleure mise en œuvre des droits économiques, sociaux et culturels. Certaines décisions ont permis notamment de faciliter l’accès de milliers de femmes aux traitements contre le SIDA et ainsi de stopper la transmission du virus de la mère à l’enfant, de limiter les expulsions arbitraires, d’améliorer l’approvisionnement en eau et les infrastructures sanitaires des banlieues pauvres, de garantir un repas à midi aux enfants dans les écoles, d’empêcher la famine par le contrôle des programmes alimentaires et d’identifier les besoins primaires pour une éducation adéquate.

Bien sûr, ces améliorations reposent également sur d’autres facteurs comme l’existence d’une société civile dynamique, le volontarisme des gouvernements et le respect des droits civils et politiques. Il faut aussi rappeler que le pouvoir judiciaire ne peut pas résoudre tous les problèmes sociaux – ni même la majorité d’entre eux-, et que l’éradication de la pauvreté exige des efforts concertés de la part des autorités gouvernementales, des parlements et de bien d’autres acteurs. Néanmoins, le pouvoir judiciaire, dans un nombre grandissant de pays, démontre qu’il a un rôle à jouer dans une stratégie plus globale de soutien aux droits de l’homme et donc de combat contre la pauvreté et l’exclusion sociale - un rôle aussi bien valable dans les pays pauvres que dans les pays plus développés économiquement..

Les progrès réalisés au niveau international en matière de protection des droits humains sont bien sûr à l’origine de ces récents développements ; l’adoption du Pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels en 1966 et la construction de systèmes régionaux de droits de l’Homme ont, en particulier, servi de moteur à la reconnaissance judiciaire des droits économiques, sociaux et culturels. Dans certaines pays, le Pacte reçoit même un statut constitutionnel ce qui a permis de renforcer le statut juridique des droits économiques, sociaux et culturels et donnerde nouvelles justifications à la recevabilité des plaintes devant les juridictions nationales. En effet, certaines des décisions judiciaires nationales les plus significatives se réfèrent directement aux provisions du Pacte voire aux commentaires généraux du Comité chargé de surveiller sa mise en œuvre, signe que le travail réalisé au niveau international a un réel impact à l’échelle nationale.

Bien qu’il appartient indiscutablement aux Etats de prendre les décisions fianles, je suis convaincue que le temps est aujourd’hui venu d’adopter un protocole facultatif comportant un système de communications individuelles permettant la saisine du Comité sur les droits économiques, sociaux et culturels par tout personne se considérant victime des droits protégés par le Pacte ; Une telle avancée aiderait les Etats parties aux Pactes à respecter leurs engagements internationaux, en complétant et en étendant les moyens de recours existant dans les systèmes régionaux européen, interaméricain et africain de droits de l’homme, et affirmant ainsi un engagement plus fort de la communauté internationale en faveur de la réalisation pour tous d’une vie digne et libérée du besoin. Inversement, la décision de ne pas adopter un tel dispositif aura elle aussi des répercussions susceptibe de ralentir les développements importants au niveau national que nous avons pu constater jusqu’à ce jour.

En définitive, l’impact effectif d’un tel instrument à l’échelle nationale dépendra largement de la procédure adoptée. Les Etats doivent encore faire face à de nombreuses questions et j’espère que les discussions d’aujourd’hui aideront à trouver des réponses appropriées. Le programme de travail de ce séminaire aborde un certain nombre de ces questions ; permettez-moi d’attirer votre attention plus particulièrement sur quatre d’entre elles.

La première concerne la garantie d’un accès effectif à une telle procédure aux personnes qui souffrent le plus de la pauvreté et de l’exclusion sociale. Bien que toute procédure en matière de droits de l’homme devrait avant tout se concentrer sur des requêtes présentées par les individus eux-mêmes, n’y aurait-il pas un intérêt à également recevoir des plaintes de la part d’organisations d’intérêt public qui agirait au nom de ces individus ? Quelles pourraient être les modalités propres à permettre cela ?

Une seconde problématique tient aux plaintes pour violations graves ou systématiques des droits économiques, sociaux et culturels. Dans quelle mesure serait-il également approprié d’inclure dans le protocole facultatif la possibilité pour les membres du Comité sur les droits économiques, sociaux et culturels d’entreprendre in situ des investigations avec l’accord des gouvernements concernés ?

Une troisième question concerne la relation entre le protocole facultatif et la coopération internationale. Les Etats parties au Pacte ont décidé de prendre des mesures pour la réalisation progressive des droits économiques, sociaux et culturels, aussi bien à titre individuel qu’au travers de la coopération internationale. Par quels moyens une procédure de communications individuelles pourrait-elle servir à identifier les domaines dans lesquels la coopération internationale serait souhaitée ou nécessaire ?

La quatrième problématique concerne les modalités de suivi des vues et recommandations du Comité sur les droits économiques sociaux et culturels. Alors que l’adoption d’un protocole facultatif fourni les moyens d’identifier les responsabilités gouvernementales et les possibilités de réparations pour les individus, l’impact dune telle procédure au niveau national sera souvent limitée si aucun mécanisme de suivie de la mise en œuvre de ses recommandations n’est établi. Quel serait alors le mécanisme de suivi approprié pouvant être inclus dans le protocole facultatif ?

En conclusion, j’aimerais rappeler que nous nous trouvons à la croisée des chemins. La protection des droits économiques, sociaux et culturels n’est pas uniquement une obligation légale, c’est également le moyen de combattre la pauvreté et l’injustice sociale où qu’elles se produisent dans le monde. Bien que cette protection doit avoir lieu en premier à l’échelle nationale et même locale, l’action au niveau international peut avoir et a effectivement un impact. Notre expérience montre que les procédures de communications individuelles peuvent avoir un effet positif sur les individus et les Etats. Dans le contexte actuel de la réforme du système international des droits de l’homme, nos réflexions sur un protocole facultatif au Pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels fournissent une opportunité pour un changement réel pour les individus et améliorer la mise en œuvre des droits économiques, sociaux et culturels pour tous.

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