Déclarations et discours Haut-Commissariat aux droits de l’homme
Volker Türk appelle à un changement radical de la politique mondiale de lutte contre la drogue
14 mars 2024
Prononcé par
Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, débat de haut niveau tenu à Vienne
À
Soixante-septième session de la Commission des stupéfiants des Nations Unies
Lieu
Vienne
Monsieur le Président,
Excellences,
Mesdames et Messieurs les délégués,
Chers collègues,
Je suis heureux de pouvoir m’adresser à cette Commission.
À un moment aussi crucial pour l’action internationale contre le problème de la drogue dans le monde.
Après des décennies d’une approche largement punitive, nous constatons que cela ne fonctionne tout simplement pas.
Quel que soit l’indicateur utilisé.
Le nombre de personnes consommant des drogues a fortement augmenté.
La criminalisation, y compris le recours à la peine de mort, n’a pas réduit la consommation de drogue ni dissuadé les crimes liés à la drogue.
Au contraire, de plus en plus de vies sont gâchées, non seulement par la consommation de ces drogues, mais aussi par les retombées de politiques contre-productives.
Les incarcérations de masse ; des communautés stigmatisées, appauvries et en proie à la violence ; la détention arbitraire ; l’escalade de la force létale pouvant aller jusqu’aux exécutions extrajudiciaires en toute impunité.
La liste est longue.
Elle illustre la misère et les violations des droits humains subies.
Il pourrait en être autrement.
Nous avons des preuves de ce qui marche.
Et les moyens de mettre en œuvre ces solutions.
Dans la perspective de l’examen à mi-parcours de 2024, le HCDH a publié en août dernier un rapport sur les enjeux en matière de droits de l’homme liés au problème mondial de la drogue.
Il expose clairement les graves conséquences de la « guerre contre les drogues » sur les droits humains.
Il met également en évidence des évolutions positives en faveur d’approches stratégiques en matière de drogues axées sur la santé et les droits.
Des approches qui n’ont pas recours à la condamnation des personnes qui consomment des drogues comme des criminels.
Au contraire, elles permettent de voir leur situation sous l’angle de la dignité humaine et des droits humains.
Plusieurs pays se sont engagés dans cette voie, en appliquant une approche de réduction des risques fondée sur des données probantes et en dépénalisant l’usage de certaines drogues.
Au Portugal et en Suisse, par exemple, des décennies de dépénalisation de la consommation et de la possession personnelles ont permis de réduire la consommation de drogues, les overdoses et les infections par le VIH.
En Colombie, une nouvelle politique nationale de lutte contre la drogue est ancrée dans les droits de l’homme et le développement.
Elle vise à améliorer les conditions de vie des communautés qui dépendent de l’économie de la drogue.
Elle permet aussi de cibler les poursuites sur les personnes qui profitent le plus des activités criminelles tout en démantelant les réseaux criminels.
L’année dernière, le Pakistan a mis fin à la peine capitale pour les délits liés à la drogue.
J’invite tous les pays à profiter de ce changement positif pour faire évoluer leurs propres approches.
Notre rapport présente des recommandations sur la manière d’y parvenir.
Il repose sur les directives mondiales concernant les droits de l’homme et la traite des êtres humains.
Nous avons besoin de politiques de lutte contre la drogue inclusives et tenant compte des questions de genre, qui garantissent l’accès, sur une base volontaire, aux soins médicaux, au traitement de la toxicomanie et aux services de réduction des risques.
Et qui sont conçues, mises en œuvre et évaluées par le biais de processus qui facilitent la coopération significative des personnes qui consomment des drogues, des communautés touchées, des jeunes et des organisations de la société civile.
Il est urgent d’agir pour mettre fin à la discrimination dans l’application de la loi contre les personnes d’ascendance africaine, les peuples autochtones et les populations marginalisées.
En outre, alors que nous redynamisons les efforts en faveur du Programme 2030, nous devons cesser de laisser de côté les personnes qui consomment des drogues, leurs familles et les communautés touchées.
Cela signifie, comme l’a reconnu la Commission, qu’il faut investir dans d’autres modèles de développement.
Nous devons également nous attaquer à la pauvreté, au manque de perspectives, à l’insécurité de l’environnement, toute une série de facteurs sous-jacents, structurels et socioéconomiques, qui augmentent le risque que les gens consomment de la drogue ou soient impliqués dans le commerce de la drogue.
Quant à la dépénalisation de l’usage personnel, si elle est bien conçue et mise en œuvre, elle peut également constituer un instrument puissant pour assurer une meilleure protection des droits des personnes qui consomment des drogues.
Excellences, Chers collègues,
Cet examen à mi-parcours est une occasion unique.
De déclencher le changement transformateur nécessaire à l’échelle mondiale en matière de politiques de lutte contre la drogue.
Je me félicite de l’engagement renouvelé en faveur des droits de l’homme dans la déclaration de haut niveau adoptée aujourd’hui, ainsi que des engagements formulés en faveur de politiques fondées sur des données probantes, de l’intégration des perspectives d’âge et de genre, et de la santé des individus, des familles et des communautés.
En ce qui concerne les lacunes identifiées par la Déclaration dans le respect des engagements internationaux, j’invite instamment les États, la société civile et les autres parties prenantes à mettre en œuvre les recommandations formulées dans le rapport du HCDH.
Je les encourage aussi fortement à travailler avec nous et avec le système des droits de l’homme des Nations Unies pour progresser ensemble dans la mise en place d’une approche de la situation mondiale de la drogue qui soit aussi humaine qu’efficace.
Merci.