Communiqués de presse Organes conventionnels
Comité contre la torture : les actes de violence commis dans le contexte de la crise politique de 2019-2020 et la surpopulation carcérale sont au cœur de l’examen du rapport de la Bolivie
26 novembre 2021
À l’occasion de l’examen, hier et aujourd’hui, du rapport soumis par la Bolivie au titre de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, les membres du Comité contre la torture ont particulièrement attiré l’attention sur la surpopulation carcérale – qui, selon le Sous-Comité pour la prévention de la torture (SPT), atteint dans certains établissements 550% voire 700% - ainsi que sur les actes de violence commis dans le pays dans le contexte de la crise politique qui a suivi les élections présidentielles contestées en 2019, la démission et l'exil d'Evo Morales et la formation d'un gouvernement intérimaire par Jeanine Añez.
Dans la période la plus turbulente [de cette crise], le comportement erratique et partisan de la police est frappant qui, à maintes occasions, a permis l'action violente de groupes opposés au gouvernement d'Evo Morales, a affirmé M. Claude Heller, corapporteur du Comité pour l’examen de la Bolivie – et par ailleurs Président du Comité. Une analyse des faits révèle que l'institution policière avait été manipulée durant les conflits politiques, a-t-il ajouté. En outre, a poursuivi l’expert, dans le contexte de polarisation et de confrontation politique depuis 2019, l’on a accusé des responsables gouvernementaux de « sédition » et de « terrorisme » prétendument commis avant et après la démission de l'ancien Président Evo Morales. Ces infractions pénales, telles que définies à l’article 135 du Code pénal, sont vagues et abstraites et ne respectent pas le principe de légalité, a affirmé M. Heller, avant de faire observer que l’instrumentalisation politique du système de justice avait affaibli son indépendance.
M. Heller a rappelé que le 15 novembre 2019, Mme Añez, à la tête du Gouvernement intérimaire, publiait un décret autorisant les militaires à utiliser la force contre les manifestants dans le cadre du maintien de l'ordre public, mais exonérant les militaires de toute responsabilité pénale. Des violations du droit à la vie et à la sécurité des personnes ont été enregistrées au cours de cette période, notamment quelque 36 morts lors de manifestations (dont au moins 21 partisans du parti gouvernemental, MAS), la plupart dues aux forces de l'ordre, principalement à Sacaba et Senkata, a précisé l’expert.
Un autre membre du Comité a fait observer que quatre filles sur cinq en Bolivie subiraient des violences sexuelles avant l'âge de 18 ans et qu’au cours des cinq premiers mois de 2020, quelque 352 viols de mineurs ont été signalés, dans un climat général d'impunité. Aussi, cet expert a-t-il souhaité savoir si le Gouvernement envisageait de modifier la qualification du crime de viol dans le Code pénal.
Selon certaines informations, les pratiques de torture et de mauvais traitements sont fréquemment utilisées par la police et l'administration pénitentiaire comme méthodes d'enquête ou de sanction disciplinaire, a-t-il par ailleurs été relevé.
Présentant le rapport de son pays, M. César Adalid Siles Bazán, Vice-Ministre de la justice et des droits fondamentaux de l’État plurinational de Bolivie, a expliqué que la période de rupture de l’ordre constitutionnel, entre 2019 et 2020, a été marquée par des violations systématiques et graves des droits de l'homme. La communauté internationale et plusieurs rapports indépendants ont très vite compris qu’il n’y avait pas eu de fraude électorale, mais bien coup d'État en Bolivie, avec la complicité des forces armées et de la police boliviennes, a-t-il ajouté.
Les violations des droits de l'homme qui se sont produites pendant la crise politique et sociale de 2019 et 2020 ont entraîné la mort de dizaines de personnes ainsi que des centaines de blessés et autres cas de détention, de torture et de persécution politique, a poursuivi le Vice-Ministre. L'État bolivien s'est alors retrouvé face à une situation d'impunité. L'état de droit ayant été rétabli après des élections transparentes, des enquêtes pénales ont été ouvertes contre ceux qui, abusant de l'exercice du pouvoir, ont été responsables d’actes de torture et de traitements inhumains et dégradants, a-t-il indiqué.
Une fois la démocratie restaurée, le Ministère de la justice et de la transparence institutionnelle s’est employé à adapter le délit pénal de torture, d’une part en considérant l'inclusion de tous les comportements sanctionnés par les normes internationales et, d'autre part, en veillant à ce que les sanctions reflètent la gravité des faits. La nouvelle structure de la définition de cette infraction pénale sera bientôt approuvée, a assuré le Vice-Ministre. Dans le contexte de la pandémie de COVID-19, a-t-il ajouté, ce même Ministère est en train d’élaborer, pour remédier à la surpopulation carcérale, une nouvelle proposition de décret présidentiel autorisant l’octroi de grâces et d'amnisties pour des raisons exclusivement humanitaires.
La délégation bolivienne était également composée, entre autres, de M. Ivan Manolo Lima Magne, Ministre de justice et de la transparence institutionnelle et chef de la délégation ; de M. Eduardo del Castillo del Carpio, Ministre du Gouvernement ; de Mme Miriam Julieta Huacani Zapana, Vice-Ministre de l’égalité des chances ; de M. Nelson Marcelo Cox Mayorga, Vice-Ministre de l’intérieur et de la police ; ainsi que de Mme Maira Mariela Macdonal Alvarez, Représentante permanente de la Bolivie auprès des Nations Unies à Genève.
Mardi prochain, à 15 heures, Le Comité discutera du suivi des articles 19 et 22 de la Convention et de la question des représailles.
Examen du rapport de la Bolivie
Le Comité était saisi du troisième rapport périodique de la Bolivie (CAT/C/BOL/3), ainsi que des réponses du pays à une liste de points à traiter préalablement soumise par le Comité.
Présentation du rapport
Présentant le rapport de son pays, M. CÉSAR ADALID SILES BAZÁN, Vice-Ministre de la justice et des droits fondamentaux de l’État plurinational de Bolivie, a tout d’abord souligné que la norme constitutionnelle bolivienne accordait rang constitutionnel aux instruments et conventions internationaux ratifiés par le pays et qui, lorsqu’ils reconnaissent des droits ou des garanties plus favorables, doivent être appliqués de préférence à la Constitution nationale. Il a ensuite rappelé que le Sous-Comité des Nations Unies pour la prévention de la torture avait effectué deux visites officielles en Bolivie en 2010 et 2017, à l’issue desquelles il avait émis plusieurs recommandations dont certaines sont en cours de mise en œuvre.
Le Vice-Ministre a présenté les travaux menés pour rendre la qualification pénale de la torture dans la législation nationale conforme aux normes internationales, soulignant que cet effort avait été consacré par l'article 87 de la loi n°1005 (2017) relative au Code pénal. Cependant, à la suite de mobilisations et d'une grève injustifiée des législateurs de l'opposition politique locale, cette loi a été abrogée par une loi du 25 janvier 2018, a expliqué le Vice-Ministre.
Malgré cela, le Gouvernement a déployé des efforts pour appliquer cet amendement. Mais ces efforts ont été contrecarrés par la rupture de l'ordre constitutionnel entre 2019 et 2020, toutes les propositions ayant été écartées par ceux qui ont gouverné temporairement et de manière illégitime et illégale pendant cette période, a poursuivi le Vice-Ministre.
Ladite période, a précisé le Vice-Ministre, a été marquée par des violations systématiques et graves des droits de l'homme, qui ont culminé avec la persécution et la détention des plus hautes autorités du Tribunal suprême électoral et des membres des tribunaux électoraux départementaux dans le cadre d'enquêtes pénales arbitraires qui ont finalement été classées faute de preuves. La communauté internationale et plusieurs rapports indépendants ont très vite compris qu’il n’y avait pas eu de fraude électorale, mais bien coup d'État en Bolivie, avec la complicité des forces armées et de la police boliviennes, a ajouté le Vice-Ministre.
Une fois la démocratie restaurée, a-t-il poursuivi, le Ministère de la justice et de la transparence institutionnelle s’est employé à adapter le délit pénal [de torture] pour le rendre conforme aux paramètres recommandés, d’une part en considérant l'inclusion de tous les comportements sanctionnés par les normes internationales et, d'autre part, en veillant à ce que les sanctions reflètent la gravité des faits. La nouvelle structure de la définition de cette infraction pénale sera bientôt approuvée, a assuré le Vice-Ministre, avant de faire valoir que le Gouvernement bénéficiait du soutien du Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations Unies dans cette démarche.
D’autre part, l'État bolivien a promulgué, en septembre 2021, la loi n°1397 désignant le Défenseur du peuple comme Mécanisme national de prévention (MNP) de la torture au titre du Protocole facultatif à la Convention contre la torture. Cet organe est doté de pouvoirs et d’une liberté d'action plus étendus que le Service de prévention de la torture (SEPRET), qui était l’ancien mécanisme. La transition entre les deux institutions est en cours, a indiqué le Vice-Ministre.
Les violations des droits de l'homme qui se sont produites pendant la crise politique et sociale de 2019 et 2020 ont entraîné la mort de dizaines de personnes ainsi que des centaines de blessés et autres cas de détention, de torture et de persécution politique, a ensuite indiqué le Vice-Ministre. L'État bolivien s'est alors retrouvé face à une situation d'impunité. L'état de droit ayant été rétabli après des élections transparentes, des enquêtes pénales ont été ouvertes contre ceux qui, abusant de l'exercice du pouvoir, ont été responsables d’actes de torture et de traitements inhumains et dégradants. Des rapports de la Haute-Commissaire et d'autres organismes internationaux, de même que d'organisations de la société civile et du Médiateur du peuple lui-même, ont confirmé que des massacres avaient eu lieu à Sacaba et Senkata, a précisé le Vice-Ministre.
D’autre part, l'État bolivien a accueilli favorablement le rapport final de la Commission de la vérité, qui avait été créée pour élucider les assassinats, disparitions forcées, tortures, détentions arbitraires et violences sexuelles, fondés sur des motifs politiques et idéologiques, qui avaient eu lieu en Bolivie entre 1964 et 1982. Les recommandations de la Commission sont à l’examen. Elles portent, entre autres, sur des réformes législatives et sur des mesures de réparation, a fait savoir le Vice-Ministre.
Le Vice-Ministre a par ailleurs indiqué que, dans le contexte de la pandémie de COVID-19, le Ministère de la justice et de la transparence institutionnelle était en train d’élaborer, pour remédier à la surpopulation carcérale, une nouvelle proposition de décret présidentiel autorisant l’octroi de grâces et d'amnisties pour des raisons exclusivement humanitaires.
Questions et observations des membres du Comité
M. CLAUDE HELLER, corapporteur du Comité pour l’examen du rapport de la Bolivie, a dit que le Comité était conscient que le rapport aurait dû être présenté il y a quatre ans, mais que les circonstances avaient obligé de reporter sa présentation.
M. Heller a constaté que la Constitution promulguée en 2009 définissait la torture, les traitements cruels, inhumains et dégradants en tant violations du droit à l'intégrité physique, psychologique et sexuelle, interdisait ces actes et déclarait nulles les déclarations obtenues par la torture, la coercition, la contrainte ou toute forme de violence.
Cependant, malgré cette importante évolution constitutionnelle, la législation pénale n'a pas été mise en conformité avec les normes fixées par la Convention, a regretté l’expert, qui a prié la délégation de dire si des initiatives législatives avaient été prises pour créer une infraction pénale conforme aux dispositions de l'article premier de la Convention.
S’agissant des sanctions, M. Heller a relevé que l’article 295 du Code pénal (relatif aux mauvais traitements et à la torture) prévoyait, entre autres, une peine de dix ans d’emprisonnement en cas de blessures causant la mort – alors même, a souligné l’expert, que d’autres crimes, tels que les lésions corporelles très graves et l'homicide, sont passibles d'une peine pouvant atteindre, respectivement, 12 ans et 25 ans d’emprisonnement. Le Comité et le Sous-Comité pour la prévention de la torture (SPT), a rappelé M. Heller, ont déjà insisté sur le fait que les peines prévues [pour actes de torture] devraient être révisées pour refléter la gravité des actes.
M. Heller a aussi constaté que le Code pénal ne décrivait pas les actes constitutifs d'humiliation, de tourment et de torture et n'envisageait pas les actes commis par une personne autre qu'un agent public. D’autre part, la torture et les mauvais traitements semblent être un problème majeur au sein des forces armées mais, en raison du manque de transparence et d'enquêtes sur les plaintes, il est difficile de déterminer l'étendue du problème, a relevé le corapporteur.
Concernant le Défenseur du peuple [qui fait office de mécanisme de prévention de la torture], M. Heller a rappelé que le SPT s'était inquiété que l'indépendance du mécanisme national de prévention soit remise en question par le fait qu'il est juridiquement lié au Ministère de la justice.
S’agissant des conditions de détention, M. Heller a par ailleurs rappelé que le SPT, lors de sa visite dans le pays, avait observé une situation de surpopulation extrême, atteignant 550% voire 700% dans certains établissements. Le SPT a également noté que les conditions matérielles dans l'environnement carcéral étaient extrêmement précaires. Selon d’autres informations, les pratiques de torture et de mauvais traitements sont fréquemment utilisées par la police et l'administration pénitentiaire comme méthodes d'enquête ou de sanction disciplinaire, a ajouté le corapporteur.
M. Heller a voulu savoir si des progrès avaient été réalisés pour assurer le bon fonctionnement du registre officiel des détentions, afin d'y faire dûment figurer tous les cas de privation de liberté, l'identité du détenu, l'heure et les circonstances de l'arrestation, la cause de l'arrestation et le lieu de détention.
M. Heller a ensuite félicité la Bolivie d’avoir appuyé le Pacte mondial sur les réfugiés, adopté par les Nations Unies en décembre 2018, et d’avoir souscrit au Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières. M. Heller a ensuite a prié la délégation de donner des renseignements sur les mesures législatives ou autres prises en vertu de ces accords internationaux, notamment en vue d’éviter le refoulement d’une personne vers un pays où elle risque d'être soumise à la torture.
Selon le paragraphe 32 du rapport, a poursuivi M. Heller, le décret suprême no 1440 du 19 décembre 2012 « prévoit la possibilité, dans des cas exceptionnels, de procéder, pour des raisons tenant à la sûreté de l’État ou à l’ordre public, à l’expulsion d’une personne réfugiée ». Aussi, le corapporteur a-t-il voulu connaître les raisons de cette exception et a souhaité savoir combien de fois et dans quels cas elle a été appliquée.
Le corapporteur a par ailleurs souhaité disposer de statistiques actualisées et ventilées par nationalité, sexe et âge concernant les requérants d’asile, les réfugiés, les apatrides et les migrants en Bolivie. Il a également demandé des explications sur les nouvelles exigences établies pour l’entrée sur le territoire bolivien de ressortissants vénézuéliens. Relevant que selon certaines informations, la présentation et la formalisation des demandes d’asile n’est pas possible à la frontière ni dans les locaux de la Commission nationale pour les réfugiés (CONARE) à Santa Cruz de la Sierra, M. Heller a souhaité en savoir davantage sur cette situation.
De nombreuses questions de M. Heller ont porté sur les actes de violence commis en Bolivie dans le contexte de la crise politique qui a suivi la tenue de l'élection présidentielle contestée en 2019, la démission et l'exil d'Evo Morales et la formation d'un gouvernement intérimaire par Jeanine Añez.
Le 15 novembre 2019, a rappelé le corapporteur, Mme Añez publiait un décret autorisant les militaires à utiliser la force contre les manifestants dans le cadre du maintien de l'ordre public, mais exonérant les militaires de toute responsabilité pénale. Des violations du droit à la vie et à la sécurité des personnes ont été enregistrées au cours de cette période, notamment quelque 36 morts lors de manifestations (dont au moins 21 partisans du parti gouvernemental, MAS), la plupart dues aux forces de l'ordre, principalement à Sacaba et Senkata, a poursuivi M. Heller. Il a demandé si la création d'une commission indépendante chargée d'enquêter sur toutes les allégations de torture après les élections de 2019 avait été envisagée, et si l’État adopterait des protocoles visant à encadrer l’action des forces de l’ordre lors de manifestations sociales.
Dans la période la plus turbulente, le comportement erratique et partisan de la police est frappant qui, à maintes occasions, a permis l'action violente de groupes opposés au gouvernement d'Evo Morales, a poursuivi le corapporteur. Une analyse des faits révèle que l'institution policière avait été manipulée durant les conflits politiques, a-t-il insisté. Aussi, la délégation a-t-elle été priée d’indiquer si des mesures spécifiques ont été prises pour que la police et les forces armées boliviennes soient régies par des critères strictement professionnels.
En outre, dans le contexte de polarisation et de confrontation politique depuis 2019, l’on a accusé des responsables gouvernementaux de « sédition » et de « terrorisme » prétendument commis avant et après la démission de l'ancien Président Evo Morales. Ces infractions pénales, telles que définies à l’article 135 du Code pénal, sont vagues et abstraites et ne respectent pas le principe de légalité, a affirmé M. Heller, avant de faire observer que l’instrumentalisation politique du système de justice a affaibli son indépendance. Le corapporteur a souhaité connaître le nombre de personnes accusées, poursuivies et condamnées en application de la législation antiterroriste en vigueur, ainsi que les mesures de recours et les garanties légales disponibles pour les personnes soumises à des mesures de lutte contre le terrorisme. Il a en outre demandé à la délégation de commenter les informations relatives aux actes de harcèlement et de surveillance extrême dont ont fait l’objet des missions diplomatiques à La Paz de la part de forces militaires et paramilitaires.
M. DIEGO RODRÍGUEZ-PINZÓN, corapporteur pour l’examen du rapport de la Bolivie, a souligné que l’examen du rapport est un exercice de coopération entre le Comité et l'État partie, ainsi qu’avec tous les acteurs impliqués dans ce processus, afin de rechercher des solutions aux problèmes prioritaires identifiés à cette occasion.
S’agissant des garanties juridiques fondamentales, M. Rodríguez-Pinzón a dit apprécier les informations fournies par l'État partie indiquant que le droit de la personne d'être informée des raisons de sa détention est garanti par l'article 23 de la Constitution. Cependant, les réponses données dans le rapport laissent le Comité dans le doute quant à savoir si les personnes détenues bénéficient de ces garanties dès le moment de leur détention, ou seulement dès le premier moment de la procédure. D’autres questions se posent au sujet de la manière dont les garanties juridiques s’appliquent dans la pratique, s’agissant notamment du droit de signaler son arrestation à une tierce personne, a ajouté le corapporteur.
La Commission interaméricaine des droits de l'homme et le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme ont pu vérifier que, lors des événements qui se sont déroulés entre septembre et décembre 2019, de nombreuses personnes n'ont pas eu accès à un avocat dans les premières heures de leur détention et ont été contraintes de faire des aveux sans la présence d'un avocat, a-t-il insisté.
M. Rodríguez-Pinzón s’est également enquis de l’existence de dispositions et de services spécifiques garantissant le droit essentiel à des soins médicaux dès le moment de la détention, non seulement en prison mais aussi au commissariat. D’autres questions de l’expert ont porté sur la tenue des registres des détenus et sur l’offre d’une assistance juridique gratuite de qualité.
Tout en saluant l’arsenal législatif qui a été adopté pour lutter contre la violence à l’égard des femmes, le corapporteur a néanmoins constaté des lacunes dans la formation des agents de santé au sujet du consentement éclairé, de la discrimination fondée sur le genre et les stéréotypes, et de la violence sexiste. Il s’est interrogé sur les raisons de l’augmentation constatée du nombre de cas de violence contre les femmes de 2016 à 2018. Il a demandé des chiffres actualisés, de 2019 à ce jour, afin que le Comité puisse vérifier si la tendance est toujours à la hausse ou si elle s'est inversée.
D’autre part, des institutions telles que l'Organisation panaméricaine de la santé ont documenté que la Bolivie a l'un des taux les plus élevés de violence sexuelle au niveau régional, avec des niveaux élevés d'impunité. Quatre filles sur cinq subiraient des violences sexuelles avant l'âge de 18 ans ; au cours des cinq premiers mois de 2020, 352 viols de mineurs ont été signalés, dans un climat général d'impunité. L’expert a demandé si le Gouvernement envisageait de modifier la qualification du crime de viol dans le Code pénal. M. Rodríguez-Pinzón a aussi prié la délégation de commenter des informations selon lesquelles, dans la pratique, l'accès à des services d'avortement sûrs n'est toujours pas garanti en Bolivie.
Par ailleurs, M. Rodríguez-Pinzón a dit apprécier les informations fournies sur les nouvelles lois et mesures adoptées pour lutter contre la traite des personnes, s’agissant notamment du Protocole unique sur les soins spécialisés pour les victimes de la traite et du trafic de personnes et du Programme d'intégration professionnelle pour les victimes de la traite et du trafic de personnes. Cependant, a indiqué le corapporteur, le Comité est préoccupé par des informations selon lesquelles il existe des actes de corruption de la part des autorités chargées de la mise en œuvre des mesures relatives à la traite des personnes.
Réponses de la délégation
S’agissant de la définition de la torture, la délégation a indiqué que l’État avait engagé en 2018 de nouvelles procédures pour amender le Code pénal en vue de modifier la qualification pénale de la torture et de la rapprocher des normes internationales, y compris sous l’angle des sanctions. Le Gouvernement s’appuie, ce faisant, sur les recommandations de plusieurs groupes d’experts nationaux et internationaux, dont le Comité et le SPT, a-t-elle précisé. Ces recommandations portent aussi sur des modifications des définitions de la sédition, du terrorisme, du génocide et du viol, entre autres, a précisé la délégation. Le Gouvernement envisage actuellement, à titre de « plan B », de faire adopter une loi d’urgence pour appliquer toutes ces recommandations, a-t-elle indiqué. Un important travail de communication est nécessaire autour de cette loi, au vu des derniers événements et face à l’opposition politique, a-t-elle expliqué, avant d’assurer que son Gouvernement avait à cœur de se conformer aux normes internationales.
Le Gouvernement lutte également contre la surpopulation carcérale, un problème dû en grande partie au recours à la détention préventive, a ensuite souligné la délégation. En 2021, a-t-elle précisé, quelque 7800 personnes sont privées de liberté en Bolivie, soit un taux de surpopulation de 166%, en baisse par rapport à la situation de 2017 – date de la dernière visite du SPT quand ce taux atteignant plus de 250%. La baisse est imputable à l’octroi de grâces présidentielles et à la libération, pour raisons humanitaires, de personnes fragiles et très vulnérables, a expliqué la délégation. Depuis le début de la pandémie de COVID-19, des audiences virtuelles - dont de nombreux détenus ont profité - sont organisées pour éviter les retards dans les procès.
Pour remédier aux conditions inhumaines dans certaines unités carcérales, constatées par le SPT en 2017 mais aussi dénoncées par le SEPRET, les autorités ont décidé de fermer les cellules concernées, a fait valoir la délégation. Un numéro vert est à la disposition des familles de détenus qui veulent dénoncer des conditions de détention indignes. Une nouvelle prison doit être ouverte d’ici peu et le Gouvernement a procédé à la rénovation de certains établissements, a ajouté la délégation.
Suite aux nombreuses plaintes déposées, auprès du Ministère de la défense, contre le comportement des forces armées, le Gouvernement a mis au point des formations et formulé des recommandations relatives au respect des droits de l’homme et du droit international humanitaire, a d’autre part indiqué la délégation. Elle a ensuite précisé que toutes les personnes accusées d’actes de torture ou de mauvais traitements, même les militaires, étaient jugées par la justice civile.
Le nouveau mécanisme national de prévention de la torture (à savoir le Défenseur du peuple) a été conçu pour être totalement autonome et libre de son action, a assuré la délégation. Avec le Défenseur, les procédures doivent pouvoir aboutir plus rapidement, a-t-elle indiqué, avant de rappeler que la transition [du mandat de mécanisme national de prévention] entre le SEPRET et le Défenseur du peuple est en cours.
La délégation a par ailleurs admis qu’il existait des lacunes dans la tenue des registres de détenus.
Concernant les garanties procédurales, la délégation a notamment précisé que la loi imposait que nul ne soit détenu plus de huit heures avant d’être entendu par un juge. En outre, tout prévenu peut faire appel au ministère public pour bénéficier d’une aide juridictionnelle.
Il existe maintenant un protocole de prise en charge médicale du détenu dès sa privation de liberté, a par ailleurs indiqué la délégation. Un très grand nombre de détenus sont décédés en prison faute d’accès aux soins et aux médicaments durant la pandémie de COVID19, a-t-elle ajouté. Le nouveau Gouvernement a essayé de remédier à ce problème grâce aux conseils des diverses organisations internationales, a poursuivi la délégation, faisant valoir que 90% des détenus ont ainsi pu être vaccinés contre la COVID-19.
Très peu de plaintes ont été reçues depuis 2019 concernant des faits de torture et de mauvais traitements, a indiqué la délégation. Le Gouvernement travaille actuellement à un recensement des victimes des événements de 2019 et 2020 pour pouvoir leur accorder des réparations, en particulier quand elles ont été victimes de torture ou de détention préventive injustifiée. Une base de données nationale a été créée à cet effet, a précisé la délégation. Le Gouvernement entend poursuivre en justice et sanctionner les auteurs des délits perpétrés, a-t-elle ajouté.
Concernant Mme Añez, plusieurs procédures judiciaires sont ouvertes pour établir ses responsabilités dans les faits survenus ainsi que sa légitimité, ou son absence de légitimité, en tant que Présidente, de même que pour faire la lumière sur les complicités dont elle aurait bénéficié pour parvenir à cette fonction, a indiqué la délégation. Mme Añez bénéficie de la présomption d’innocence et de toutes les garanties procédurales fondamentales, a-t-elle assuré.
La Bolivie a entamé des procédures judiciaires pour abroger les décrets d’exception pris par la Présidente Añez et qui ont permis aux forces de l’ordre de se rendre responsable de nombreux actes de torture et de mauvais traitements, a par la suite indiqué la délégation.
Plusieurs grâces et amnisties ont été prononcées uniquement pour des raisons humanitaires, a en outre précisé la délégation.
L’État est tenu d’appliquer des mécanismes pour venir en aide efficacement et rapidement aux requérants d’asile et réfugiés. Il doit également veiller à ce que les requérants et réfugiés jouissent des droits garantis par la Constitution, a souligné la délégation.
Depuis le début de la pandémie de COVID-19, quelque 173 féminicides ont été commis, ce qui représente une augmentation sensible par rapport aux années précédentes, a ensuite indiqué la délégation. Dès lors, l’Etat a redoublé d’efforts pour prévenir les violences faites aux femmes et soutenir les victimes, notamment en veillant à résorber l’arriéré judiciaire dans ce domaine. Des formations ont aussi été programmées à l’attention des forces de l’ordre pour leur permettre de prendre en charge correctement les victimes. Différents foyers sont également en cours de construction afin de pouvoir accueillir les victimes, avec un programme de soutien global adapté.
Il n’existe pas de données ventilées et détaillées sur la traite des êtres humains en Bolivie, a d’autre part indiqué la délégation, avant de souligner qu’une loi de 2017 veille à lutter contre ce phénomène en sanctionnant tous les délits qui y sont liés. Six centres d’accueil ont été construits en Bolivie pour prendre en charge les victimes de traite, a ajouté la délégation. En outre, une ligne téléphonique a été ouverte pour recueillir toutes les plaintes, a-t-elle souligné.
La législation a été renforcée dans le domaine de la lutte contre la corruption. Une ligne téléphonique a là aussi été ouverte pour dénoncer tout acte de corruption. Il existe en outre un organe indépendant de la police chargé d’enquêter sur toute allégation d’acte de corruption commis par un agent de police ou des forces de l’ordre, a indiqué la délégation.
Après un arrêt de ses activités, le Conseil plurinational des droits de l’homme est maintenant fonctionnel grâce au soutien des organisations non gouvernementales, a en outre indiqué la délégation. Le 10 décembre prochain, Journée internationale des droits de l’homme, ce Conseil sera pleinement opérationnel, a-t-elle précise.
Remarques de conclusion
M. CLAUDE HELLER a souligné que ce dialogue avait été fructueux et a relevé la bonne interaction entre les différents membres de la délégation présents à Genève et en Bolivie. Il a en outre rappelé la possibilité pour la délégation de répondre par écrit aux questions laissées en suspens.
M. CÉSAR ADALID SILES BAZÁN a rappelé que le Haut-Commissariat aux droits de l’homme avait invité à se rendre en Bolivie afin de faire la lumière sur les événements de 2019. Le pays va travailler à la transformation du système judiciaire et aussi pour apporter un meilleur soutien aux victimes, a-t-il ensuite indiqué. La Bolivie accorde la plus grande importance aux crimes tels que la torture, le détournement de mineurs ou les violences faites aux femmes, entre autres, a souligné le Vice-Ministre. Un très grand nombre de dispositions législatives vont être amendées de ce point de vue, avec le soutien de la société civile, a-t-il indiqué.
Mots-clés
VOIR CETTE PAGE EN :