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Le Comité contre la torture examine le rapport du Pérou
14 novembre 2018
Comité contre la torture
14 novembre 2018
Le Comité contre la torture a examiné, hier matin et cet après-midi, le rapport du Pérou sur les mesures prises par ce pays pour appliquer la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Présentant ce rapport, M. Daniel Sánchez Velásquez, Vice-Ministre des droits de l’homme et de l’accès à la justice au Ministère de la justice et des droits de l’homme du Pérou, a déclaré que les observations finales adressées au pays par le Comité en 2012 avaient aidé le Gouvernement péruvien à concevoir et à appliquer des politiques concrètes contre la torture. Le Plan national pour les droits de l’homme 2018-2021, adopté cette année, fixe plusieurs objectifs stratégiques d’action contre la torture. À ce titre, le Gouvernement créera en 2019 un registre unique des cas de torture et adoptera un protocole de prévention et d’action contre les cas de torture sur des adolescents détenus dans les « centres de réhabilitation et de diagnostic » pour mineurs, a-t-il précisé.
S’agissant des garanties de protection des personnes privées de liberté, le Pérou a pris plusieurs mesures pour améliorer les conditions de détention, a poursuivi le Vice-Ministre, citant notamment l’aménagement des peines et les peines alternatives. D’autre part, a ajouté le chef de la délégation péruvienne, le Gouvernement a créé une commission chargée de proposer des mesures urgentes de prévention et de protection contre la violence envers les femmes.
M. Sánchez Velásquez a par ailleurs insisté sur le rôle important joué par le Mécanisme national pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, dirigé par le Bureau du Défenseur du peuple. Le Vice-Ministre a aussi fait observer que son pays accueillait actuellement plus d’un demi-million de Vénézuéliens fuyant la « grave crise humanitaire qui frappe leur pays » d’origine.
La délégation était également composée de M. Claudio Julio De la Puente Ribeyro, Représentant permanent du Pérou auprès des Nations Unies à Genève, avec plusieurs de ses collaborateurs; de M. Iván Alberto Sequeiros Vargas, juge à la Cour suprême de justice; et de M. Luis Antonio Landa Burgos, procureur principal, coordonnateur du parquet pénal national et des parquets pénaux supraprovinciaux.
La délégation a répondu aux questions et observations des membres du Comité s’agissant, notamment, de la définition de la torture et des peines prévues pour ce crime; du traitement des plaintes pour stérilisations forcées; des conditions carcérales, de la détention préventive et des peines alternatives; des questions relatives à l’état d’urgence; des violences commises dans les années 1980-2000; des différents registres – de personnes détenues et de victimes – que compte le Pérou; de la politique d’asile, notamment pour ce qui est des réfugiés vénézuéliens; ou encore des questions de formation aux droits de l'homme et d’utilisation de la force par les agents des forces de l’ordre.
M. Claude Heller Rouassant, corapporteur du Comité pour l’examen du rapport du Pérou, a fait observer que la qualification de la torture figurant dans le Code pénal péruvien ne fait pas mention de la douleur infligée « pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu'elle soit », ce qui est un élément central de l’article premier de la Convention. Cela est d’autant plus important dans le cas du Pérou qu’il s’agit d’un pays multiethnique, a souligné le corapporteur. M. Heller Rouassant a aussi regretté que le Code pénal sanctionne la torture par des peines qui ne sont pas proportionnelles à la gravité de ce crime.
Le Mécanisme national de prévention de la torture a posé un diagnostic de surpopulation carcérale - laquelle atteint 224% - mais les recommandations du Défenseur du peuple et du Mécanisme en matière d’amélioration des conditions de détention sont restées lettre morte, a poursuivi M. Heller Rouassant. Le corapporteur a ensuite cité plusieurs cas de torture et de mauvais traitements subis par de jeunes délinquants dans les centres de détention pour mineurs. Il a en outre relevé que la loi péruvienne limitait toujours la responsabilité pénale du policer qui utilise la force de manière arbitraire.
M. Heller Rouassant a ensuite rappelé que la Commission de vérité et de réconciliation avait reçu des milliers de plaintes pour actes de torture, dont 75% ont été attribués à des agents de l’État ou à des personnes agissant avec son consentement. Il a par ailleurs regretté que le parquet de Lima ait décidé de classer les plaintes de plus de 2000 femmes paysannes et autochtones victimes de stérilisation forcée dans le cadre du programme de santé procréative et de planification familiale mené dans le pays entre 1994 et 2001.
M. Diego Rodríguez-Pinzón, corapporteur pour l’examen du rapport du Pérou, a lui aussi fait part de la préoccupation du Comité s’agissant de la loi 30151 qui, selon le Haut-Commissariat aux droits de l’homme, accorde l’impunité aux membres des forces de l’ordre qui usent de force létale de manière illégale. Il a en outre relevé que le registre des féminicides montre une augmentation des cas entre 2012 et 2015. Le corapporteur a également souhaité en savoir davantage au sujet de la thérapie par électrochocs qui est encore appliquée dans les hôpitaux psychiatriques péruviens.
Le Comité adoptera ultérieurement, lors de séances à huis clos, ses observations finales sur le rapport du Pérou et les rendra publiques à l'issue de la session, le 7 décembre prochain.
Le Comité se réunira demain après-midi, à 15 heures, pour entendre les réponses de la délégation du Viet Nam aux questions qui lui ont été posées ce matin par les experts.
Présentation du rapport
Le Comité est saisi du septième rapport périodique du Pérou (CAT/C/PER/7), établi sur la base d’une liste de points à traiter qui avait préalablement été communiquée par le Comité.
M. DANIEL SÁNCHEZ VELÁSQUEZ, Vice-Ministre des droits de l’homme et de l’accès à la justice au Ministère de la justice et des droits de l’homme du Pérou, a assuré le Comité de l’engagement ferme de l’État péruvien en faveur de la prévention et de la répression de la torture, ainsi que de son ouverture au dialogue.
M. Sánchez Velásquez a ensuite indiqué que les observations finales adressées au pays par le Comité en 2012 avaient aidé le Gouvernement péruvien à concevoir et à appliquer des politiques concrètes contre la torture. Dans ce contexte, le Plan national pour les droits de l’homme 2018-2021, adopté cette année, fixe plusieurs objectifs stratégiques d’action contre la torture. À ce titre, le Gouvernement créera en 2019 un registre unique des cas de torture et adoptera un protocole de prévention et d’action contre les cas de torture sur des adolescents détenus dans les « centres de réhabilitation et de diagnostic » pour mineurs, a-t-il précisé.
S’agissant des garanties de protection des personnes privées de liberté, le Pérou a pris plusieurs mesures pour améliorer les conditions de détention, a poursuivi le Vice-Ministre, citant notamment l’aménagement des peines, les peines alternatives, la surveillance électronique ou encore le travail d’intérêt collectif. En outre, pour remédier au problème de la surpopulation carcérale, deux « méga-prisons » seront construites pour accueillir 6500 détenus, a ajouté M. Sánchez Velásquez. Il a aussi fait savoir que son Gouvernement avait renforcé les services médicaux en milieu pénitentiaire, en particulier dans le domaine de la lutte contre la tuberculose. Le Gouvernement entend aussi consolider le programme d’activités productives en vue de la réinsertion des détenus, alors que 10% des détenus sont déjà inscrits dans 304 « ateliers productifs ».
D’autre part, a poursuivi le Vice-Ministre, le Gouvernement péruvien a créé une commission chargée de proposer des mesures urgentes de prévention et de protection contre la violence envers les femmes. Cette commission se concentre sur onze actions urgentes, parmi lesquelles la validation d’un protocole de dénonciation des féminicides; la préparation d’un programme d’« écoles sûres » pour les jeunes filles; et le recensement des violences sexistes commises dans tous les commissariats péruviens. Toutes ces mesures, parmi d’autres, s’inscrivent dans la « croisade contre la culture machiste » que le Président de la République, M. Martín Vizcarra, a appelée de ses vœux dans son message à la nation en 2018, a précisé M. Sánchez Velásquez.
Le Vice-Ministre a aussi fait savoir que le ministère public avait déposé hier, 12 novembre 2018, une plainte pénale devant le pouvoir judiciaire pour des « crimes contre la vie, le corps et la santé » commis au détriment de plus de deux mille victimes présumées de stérilisations forcées entre 1996 et 2000.
M. Sánchez Velásquez a par ailleurs insisté sur le rôle important joué par le Mécanisme national pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, dirigé par le Bureau du Défenseur du peuple. Il a fait part de l'engagement de l'État péruvien à appliquer les recommandations faites par ce Bureau relativement à la prévention de la torture dans un rapport paru en juin 2018. Le Gouvernement, a ajouté le Vice-Ministre, a déjà pris les mesures qui s’imposaient pour supprimer les obstacles qui s’opposaient aux visites de prisons par le Mécanisme, a souligné le Vice-Ministre.
En outre, a fait savoir M. Sánchez Velásquez, les victimes de violence sexuelle dans les années 1980-2000 vont bénéficier de mesures de réparation, le Conseil des réparations ayant identifié à cet égard 4624 femmes victimes. Par ailleurs, les dépouilles de 1188 personnes disparues dans cette même période ont été remises à leurs proches, a précisé le Vice-Ministre. L’État péruvien a réitéré son engagement à retrouver les restes de toutes les personnes disparues et à leur donner des funérailles dignes, a-t-il ajouté.
M. Sánchez Velásquez a ensuite assuré que la définition de la torture fournie par le Code pénal péruvien était conforme à la Convention.
Le Vice-Ministre a par ailleurs fait observer que son pays accueillait actuellement plus d’un demi-million de Vénézuéliens fuyant la « grave crise humanitaire qui frappe leur pays » d’origine. Le Pérou a adopté des mesures créatives pour garantir l'exercice des droits de ces personnes sur son territoire, principalement par le biais de l’octroi d’un permis de séjour temporaire et en accordant l'asile dans les cas appropriés, a précisé M. Sánchez Velásquez.
En conclusion, le Vice-Ministre péruvien des droits de l'homme et de l’accès à la justice a affirmé que l’État péruvien était conscient des défis qu’il lui restait à relever et était prêt à collaborer avec les mécanismes de protection des droits de l’homme des Nations Unies, et en particulier avec le Comité contre la torture, le Sous-Comité de prévention de la torture, le Fonds de contributions volontaires pour les victimes de la torture et le Groupe de travail sur les disparitions forcées.
Examen du rapport
Questions et observations des experts
M. CLAUDE HELLER ROUASSANT, corapporteur du Comité pour l’examen du rapport du Pérou, a relevé que la définition de la torture adoptée au Pérou posait des problèmes non seulement du point de vue du Comité mais aussi de celui de nombreuses organisations non gouvernementales; en particulier, la qualification de la torture figurant dans le Code pénal péruvien ne fait pas mention de la douleur infligée « pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu'elle soit », ce qui est un élément central de l’article premier de la Convention [lequel stipule notamment qu’« aux fins de la présente Convention, le terme "torture" désigne tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d'obtenir d'elle ou d'une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d'un acte qu'elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d'avoir commis, de l'intimider ou de faire pression sur elle ou d'intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu'elle soit »]. Cela est d’autant plus important dans le cas du Pérou qu’il s’agit d’un pays multiethnique, a souligné le corapporteur. M. Heller Rouassant a aussi regretté que le Code pénal sanctionne la torture par des peines qui ne sont pas proportionnelles à la gravité de ce crime.
Le corapporteur a ensuite regretté que la définition de la torture retenue par le Pérou ne concerne pas les personnes morales. Il a fait observer, à ce propos, que dans l’affaire de l’entreprise Rio Blanco (ex-Majaz) – accusée d’avoir fait procéder en 2005 à l’enlèvement et à la torture, par des agents non étatiques, de 28 opposants à un projet d’exploitation minière – seul le procureur de l’époque avait été condamné, dix ans après les faits, pour n’avoir pas poursuivi les actes de torture infligés à ces personnes.
M. Heller Rouassant a par ailleurs regretté que le rapport soumis par le Pérou ne fournisse aucune explication sur le budget du Défenseur du peuple, qui équivaut à environ 53 000 dollars des États-Unis et dont il semble qu’il soit insuffisant pour permettre au Défenseur de s’acquitter de son mandat. Le Mécanisme national de prévention de la torture n’est, quant à lui, composé que de deux avocats et doit solliciter l’aide des organisations de la société civile pour remplir sa mission, a ajouté l’expert. En outre, ce Mécanisme ne couvre pratiquement que Lima et non l’ensemble du territoire péruvien, a-t-il déploré. Il n’en demeure pas moins que ledit Mécanisme a posé un diagnostic de surpopulation carcérale - laquelle atteint 224% - et qu’il a réussi à faire fermer le centre de rééducation pour malades mentaux d’Iquitos, ce qui constitue un progrès en vue de la désinstitutionalisation des personnes atteintes dans leur santé mentale, a fait observer le corapporteur. En revanche, a déploré l’expert, les recommandations du Défenseur du peuple et du Mécanisme en matière d’amélioration des conditions de détention sont restées lettre morte.
M. Heller Rouassant a relevé que Plan national sur les droits de l’homme (2018-2021) prévoit l’adoption d’un protocole de prévention et de gestion des cas de torture ainsi que la création d’un registre des cas de torture. Toutefois, a regretté le corapporteur, ce Plan semble concerner uniquement les centres de détention pour mineurs.
Constatant par ailleurs que, face aux flux migratoires, l’intégration des migrants et des réfugiés était toujours une source de difficultés, pour le Pérou comme pour d’autres pays, M. Heller Rouassant a voulu savoir si le risque de torture encouru dans le pays d’origine était un critère pour l’octroi de l’asile aux requérants. L’expert a en outre relevé que la loi péruvienne sur l’asile de 2018 obligeait les requérants d’asile à présenter un passeport, alors que de nombreux migrants sont dépourvus d’un tel document.
Le corapporteur a ensuite cité plusieurs cas de torture et de mauvais traitements subis par de jeunes délinquants dans les centres de détention pour mineurs. Il a également relevé que le rapport du Mécanisme national de prévention de la torture faisait état de la mort, voire de l’assassinat, de personnes dans les « salles de méditation » des commissariats de Lima. L’expert a jugé regrettable que très peu de condamnations aient été prononcées pour de tels faits et que, lorsque les procédures n’ont pas abouti à des acquittements, les peines effectivement prononcées aient été relativement légères.
S’agissant de la réglementation de l’utilisation de la force par les fonctionnaires d’État, l’expert a relevé que la loi péruvienne limitait toujours la responsabilité pénale du policer qui utilise la force de manière arbitraire. M. Heller Rouassant s’est interrogé sur la possibilité qu’ont les tribunaux civils de connaître des plaintes relatives à des violences exercées par des militaires. Il a voulu savoir où en étaient le procès d’un général accusé de vingt exécutions judiciaires entre 2009 et 2015 et celui des responsables du massacre commis par des soldats en 1986 dans la prison d’El Fronton.
Le corapporteur a jugé positif que le Plan national des droits de l’homme évoque le besoin de protéger les LGBTI en tant que groupe vulnérable. Il a cependant recommandé que le Pérou élabore et adopte, avec la participation des personnes concernées, une loi de protection des LGBTI.
La Commission de vérité et de réconciliation a établi que plus de 70 000 personnes sont mortes ou ont été victimes de disparition forcée durant la période allant de 1980 à 2000, a poursuivi M. Heller Rouassant, avant de constater que la plupart d’entre elles ont été victimes des atrocités du Sentier lumineux et d’autres groupes rebelles, alors que d’autres ont été victimes de violations des droits de l’homme commises par des agents de l’État. La Commission a aussi reçu des milliers de plaintes pour actes de torture, dont 75% ont été attribués à des agents de l’État ou à des personnes agissant avec son consentement, et 23% au Sentier lumineux, a ajouté le corapporteur. Il a déploré que le « Plan national de recherche » qui devait être élaboré conformément à la loi de 2016 sur la recherche des personnes disparues durant la période de violence n’ait toujours pas été adopté.
M. Heller Rouassant a par ailleurs relevé que l’ancien Président Fujimori avait été condamné en 2009 à 25 ans de prison pour crimes contre l’humanité; le corapporteur a donc souligné que la Cour suprême du Pérou avait donc eu raison d’annuler la grâce dont M. Fujimori avait bénéficié en 2017.
M. Heller Rouassant a ensuite regretté que le parquet de Lima ait décidé de classer les plaintes de plus de 2000 femmes paysannes et autochtones victimes de stérilisation forcée dans le cadre du programme de santé procréative et de planification familiale mené dans le pays entre 1994 et 2001. L’expert a déploré que la seule personne inquiétée dans cette affaire ait été un médecin, aucun responsable politique n’ayant en revanche été inquiété.
D’autres questions de M. Heller Rouassant ont porté sur la compétence du Pérou pour juger des actes de torture commis dans des pays tiers; sur l’application de la loi relative à la traite de personnes; et sur le recours, fréquent, à la loi relative à l’état d’urgence.
M. DIEGO RODRÍGUEZ-PINZÓN, corapporteur pour l’examen du rapport du Pérou, a jugé excellent le processus inclusif qui a présidé à l’élaboration du rapport péruvien.
L’expert a déploré que le rapport ne contienne pas de données statistiques – ventilées par âge, par sexe et par origine ethnique – sur le nombre de personnes privées de liberté et sur le nombre de demandes de protection judiciaire déposées par les justiciables. Le corapporteur a insisté sur l’importance du respect des garanties procédurales au profit des justiciables. Il a notamment demandé si les détenus bénéficiaient bien d’examens médicaux gratuits.
M. Rodríguez-Pinzón a ensuite fait part de la préoccupation du Comité s’agissant de la loi 30151 qui, selon le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, accorde l’impunité aux membres des forces de l’ordre qui usent de force létale de manière illégale.
Le corapporteur a en outre relevé que le rapport soumis par le Pérou ne contenait pas d’information sur les enquêtes menées, les jugements prononcés et les sanctions prises contre les auteurs de violence sexiste au Pérou, alors que le registre des féminicides montre une augmentation des cas entre 2012 et 2015. L’expert a insisté sur le fait que si l’adoption de lois et règlements contre la violence sexiste était une bonne chose, il était tout aussi important d’assurer un suivi statistique détaillé de l’action de la justice dans ce domaine, de manière à pouvoir former un jugement quant à la manière dont l’État assume sa responsabilité en matière de répression de la violence sexiste.
M. Rodríguez-Pinzón s’est d’autre part enquis de la formation suivie par les agents de l’État (plus particulièrement les policiers et les magistrats) concernant le contenu de la Convention. Depuis 2014, on constate une diminution notable du nombre de personnes ayant suivi une telle formation, dont le contenu n’est par ailleurs pas décrit par le rapport, a-t-il fait observer. Le corapporteur a insisté sur les lacunes du Pérou en matière d’évaluation de l’efficacité des programmes de formation, affirmant que cette « déficience structurelle » affecte tous les efforts de formation.
Quant à la surpopulation carcérale, elle s’est aggravée de 4% depuis 2017, a fait observer M. Rodríguez-Pinzón. Il a prié la délégation de donner des informations sur les mesures prises pour améliorer la situation en ce qui concerne la détention préventive prolongée, le manque de personnels spécialisés et le traitement différencié des détenus appartenant à des catégories vulnérables, comme les LGBT et les peuples autochtones.
M. Rodríguez-Pinzón a d’autre part demandé à la délégation de dire dans quelle mesure les personnes détenues dans les centres pénitentiaires de Lurigancho, de Trujillo, de Chiclayo, de Challapalca, de Puno et de Callao étaient traitées conformément à l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus. L’expert a voulu savoir si le Pérou allait, comme le Comité l’avait déjà recommandé, fermer les centres de Challapalca et de Puno (Yanamayo).
D’autres questions de l’expert ont porté sur les réparations octroyées aux victimes de la torture; sur la protection des défenseurs des droits de l’homme et des journalistes; et sur l’interdiction des châtiments corporels sur les enfants et les adolescents.
Au cours du dialogue, M. Rodríguez-Pinzón s’est en outre enquis des mesures prises pour gérer la situation des femmes devant être emprisonnées avec leurs enfants en bas âge.
Le corapporteur a également souhaité en savoir davantage au sujet de la thérapie par électrochocs qui est encore appliquée dans les hôpitaux psychiatriques péruviens, faisant observer qu’elle risque d’entraîner des préjudices pour les patients concernés.
D’autres membres du Comité ont fait observer, entre autres, que les policiers péruviens refusent souvent d’enquêter sur les actes de violence familiale et préfèrent, tout comme de nombreux magistrats, recourir à des « mesures de conciliation » qui empêchent que justice soit dûment rendue au profit des victimes de cette violence. Une experte a prié la délégation de commenter les allégations de violences systématiques contre les transsexuels au Pérou. Cette experte a aussi attiré l’attention sur l’écart entre les 25 000 plaintes déposées pour crimes sexuels, dont est saisi le parquet, et les 9000 affaires qui sont finalement effectivement traitées par les tribunaux.
Une experte a regretté qu’il n’existe pas de méthode permettant de trier les primo-délinquants afin qu’ils soient détenus à l’écart des autres criminels. L’experte s’est ensuite enquise des mesures concrètes prises pour réduire la surpopulation carcérale et pour faire baisser le taux d’incarcération au Pérou, qui est l’un des plus élevés de la région.
Un expert a souligné que le Sous-Comité des Nations Unies pour la prévention de la torture avait relevé, dans un récent rapport de visite, que certains détenus au Pérou sont enfermés à l’isolement 23 heures sur 24, avec des conséquences graves sur leur santé. Une autre experte a fait état de problèmes d’alimentation, d’accès limité aux soins de santé, de corruption du personnel pénitentiaire et de violence entre détenus dans les prisons péruviennes. Cette experte a en outre recommandé que le Pérou évalue systématiquement l’efficacité des programmes de formation sur la réduction du nombre d’actes de torture.
Pendant le débat, plusieurs experts ont déploré les mauvaises conditions de détention régnant dans le pénitencier de Challapalca, réservé aux criminels les plus dangereux.
Un membre du Comité a demandé à la délégation de préciser le taux exact de surpopulation carcérale, les chiffres cités à ce propos par le rapport et par les autorités péruviennes variant de 129% à plus de 200%. L’expert a aussi regretté que seulement 2% des prévenus soient soumis à la surveillance électronique en tant que peine alternative à la détention préventive.
Une experte a dit avoir constaté, à la lecture de statistiques établies par des organisations non gouvernementales, une augmentation du nombre de cas de féminicides et de violences sexuelles au Pérou beaucoup plus importante – jusqu’à dix fois plus – que ce qui est annoncé par les autorités.
Un autre expert s’est inquiété des informations contenues dans un rapport du Sous-Comité pour la prévention de la torture qui fait état de la mise à l’isolement cellulaire de certains détenus pendant plus de trente jours, parfois même « à titre préventif ».
Réponses de la délégation
S’agissant des stérilisations forcées, la délégation a déclaré qu’en effet, des plaintes avaient été classées en 2004 et 2009. En 2012, le parquet a rouvert ces dossiers, estimant que les plaintes étaient suffisamment étayées pour être requalifiées en renvoyant à des crimes constitutifs de crimes contre l’humanité et de génocide. La procédure est donc ouverte contre de hauts responsables et non plus seulement contre des médecins, comme cela avait été le cas à l’origine, a indiqué la délégation.
S’agissant de la définition de la torture, la délégation a précisé que le Code pénal prévoit que la torture renvoie aussi (outre à une douleur ou des souffrances graves, physiques et mentales) à des méthodes tendant à altérer la personnalité de la personne ou à diminuer ses capacités physiques et mentales, conformément aux dispositions de [l’article 2 de] la Convention interaméricaine pour la prévention et la répression de la torture.
Quant aux peines prévues, elles vont de 15 à 20 pour les cas de lésions graves et pour la torture commise sur des personnes appartenant à des groupes vulnérables, a indiqué la délégation. Lorsqu’elle entraîne la mort de la victime, la torture est passible de 25 ans de détention, a-t-elle ajouté. Le juge peut majorer la peine de moitié (pour un total maximal de 35 ans de détention) si le responsable a agi dans le cadre de ses fonctions de membres des forces armées, de la police ou d’une autre fonction étatique.
S’agissant du mécanisme national de prévention de la torture, la délégation péruvienne a fait valoir que cette instance jouissait de l’autonomie budgétaire; son budget était de 65 millions de soles en 2017 et le Congrès doit encore se prononcer sur le budget pour 2019, a-t-elle précisé.
La délégation a ensuite souligné que l’augmentation de la criminalité au Pérou avait entraîné une augmentation parallèle des placements en détention préventive, ce qui explique la surpopulation carcérale constatée par plusieurs experts. Pour remédier à ce problème, les autorités ont agrandi plusieurs prisons existantes, ouvert deux nouveaux établissements et lancé la construction de deux « méga-prisons ». Au total, 22 420 nouvelles unités de logement devraient être disponibles, a précisé la délégation. Des mesures ont en outre été prises pour ne pas détenir au même endroit des personnes ayant des statuts juridiques très différents; en tout état de cause, les criminels les plus dangereux sont logés dans des ailes séparées des autres détenus. Par ailleurs, les femmes ne sont pas détenues dans les mêmes prisons que les hommes, a souligné la délégation.
Les prévenus qui n’encourent pas de peine supérieure à huit ans de privation de liberté peuvent, plutôt qu’être placés en détention préventive, être soumis, sur appréciation du juge, à la surveillance électronique. En 2018, 805 personnes ont bénéficié de mesures substitutives à la privation de liberté, a indiqué la délégation.
La délégation a précisé qu’en 2018, sur les près de 90 000 personnes détenues au Pérou – dont un peu moins de 85 000 hommes – 54 451 avaient été jugées et condamnées, parmi lesquelles 2965 femmes.
S’agissant du centre pénitentiaire de Yanamayo, la délégation a indiqué qu’il accueillait essentiellement des détenus originaires de la même région, ce qui facilite les relations des quelque 700 détenus avec leurs familles; la prison n’est pas en situation de surpeuplement. Quant au pénitencier de Challapalca, d’une capacité de 214 places, il accueille 188 détenus très dangereux. La Cour constitutionnelle péruvienne a, dans plusieurs arrêts, jugé que les conditions de vie dans ces deux établissements ne constituaient pas des violations des droits fondamentaux des personnes détenues, a souligné la délégation.
S’agissant de la justice pour les mineurs, la délégation a précisé que les adolescents en conflit avec la loi bénéficiaient de mesures alternatives à la privation de liberté, sous forme notamment de travaux d’intérêt général et de régime de « liberté restreinte », outre des mesures socioéducatives.
La délégation a d’autre part assuré que le recours à la loi sur l’état d’urgence se faisait de manière rationnelle, uniquement lorsque les circonstances l’exigent. L’état d’urgence s’applique en cas de troubles internes et de situation de catastrophe naturelle. Certains droits fondamentaux peuvent être suspendus dans ce contexte, a admis la délégation; elle a rappelé que toute personne affectée pouvait se tourner vers les tribunaux pour défendre ses droits fondamentaux, si elle estime qu’ils sont bafoués. L’état d’urgence est instauré par décret, pour une période de 60 jours reconductible par le biais d’un nouveau décret.
Une experte ayant souligné que l’état d’urgence ne pouvait en aucun cas justifier qu’il soit porté atteinte à un certain nombre de droits fondamentaux, en particulier le droit à la vie, la délégation a expliqué que l’état d’urgence – qui se limite toujours à une région précise – a uniquement pour but de contenir des situations qui risquent d’avoir des répercussions sur la vie des citoyens. Cependant, le droit de recours en habeas corpus, par exemple, n’est jamais remis en question par l’état d’urgence, a insisté la délégation.
L’utilisation de la force par les agents des forces de l’ordre est encadrée par un arsenal juridique conforme au droit international des droits de l’homme, a par ailleurs assuré la délégation. Il n’est pas correct d’affirmer, dans ce contexte, que la notion de « groupe hostile » – dont l’existence justifierait effectivement l’engagement des forces militaires pour des missions de maintien de l’ordre – englobe les mouvements sociaux au Pérou, a assuré la délégation, citant un arrêt de la Cour constitutionnelle en ce sens.
Évoquant plusieurs cas précis, la délégation a notamment indiqué que le tribunal pénal avait condamné à dix ans de prison et à une amende de 250 000 soles un policier convaincu d’actes de torture aggravés ayant entraîné la mort (affaire Gerson Falla). La délégation a également évoqué l’affaire de la prison El Frontón, dans laquelle plusieurs militaires de la marine ont été accusés de crimes contre l’humanité.
En 2016 et 2017, a ajouté la délégation, quatre condamnations en tout ont été prononcées pour des faits de torture – et aucune en 2018.
La délégation a par ailleurs assuré que les tribunaux péruviens respectaient le principe selon lequel les preuves obtenues par la torture ou suite à une violation des droits fondamentaux de la personne ne sont pas admissibles.
Le Pérou dispose déjà d’un Registre national des personnes détenues et condamnées à une peine privative de liberté effective (RENADESPPLE), qui contient les noms de huit personnes détenues après avoir été condamnées pour actes de torture.
Le « Registre unique des victimes », s’agissant des violences commises dans les années 1980-2000, compte 35 383 personnes ayant été victimes d’actes de torture, y compris 1261 personnes également victimes de violences sexuelles, a indiqué la délégation. La loi interdit aux anciens membres d’organisations terroristes de revendiquer le statut de victime et de bénéficier des plans de réparation qui ont été introduits par l’État en faveur des victimes, a-t-elle précisé. Quant à la politique de recherche des personnes disparues pendant cette période de violence, elle donne la priorité à la dimension humaine, ce qui fait que son efficacité est évaluée à l’aune de la prise en charge des familles et non au nombre de dépouilles retrouvées, a indiqué la délégation.
Le Pérou est le pays qui accueille le deuxième plus grand nombre de réfugiés vénézuéliens, a d’autre part souligné la délégation. Elle a ajouté que le Pérou respectait le principe de non-refoulement, qui lui interdit de renvoyer une personne vers un pays où elle risquerait de subir la torture. Plus de 130 000 Vénézuéliens ont reçu un permis de séjour temporaire au Pérou, 200 000 autres ayant fait les démarches pour obtenir ce document, a en outre précisé la délégation. En dépit de l’exigence de présentation d’un passeport imposée par les autorités péruviennes afin de garantir une identification adéquate des personnes déplacées de force, personne ne s’est encore vu refuser l’accès au territoire péruvien faute de papiers d’identité, a assuré la délégation.
La délégation a ensuite indiqué que 7113 plaintes pour violences sexuelles avaient été reçues en 2017 et 3491 au premier semestre 2018. Elle a ajouté que le Gouvernement prévoyait de débloquer, en 2019, un budget conséquent à l’appui du Plan d’action conjoint contenant des mesures concrètes et urgentes pour prévenir et mettre un terme à la violence contre les femmes et prendre en charge les victimes. La délégation a insisté sur le fait que l’action des pouvoirs publics était centrée sur les changements de comportement, notamment la recherche d’une nouvelle forme de masculinité qui ne soit pas fondée sur la violence.
La délégation a aussi indiqué que son Gouvernement entendait créer un mécanisme national de protection des défenseurs des droits de l’homme.
S’agissant enfin des questions relatives à la formation aux droits de l’homme et au renforcement des compétences dans ce domaine, la délégation a notamment indiqué que les membres des forces armées reçoivent un enseignement portant sur la Convention, en particulier sous l’angle des limites au recours à la force. De même, l’école de police dispense une formation continue sur le thème des droits de l’homme et du recours à la force. À la date de septembre 2018, 3714 policiers représentant 236 commissariats ont suivi cette formation, a précisé la délégation.
Toujours dans le domaine de la formation, et plus précisément en ce qui concerne les personnes LGBTI, le manuel des droits de l’homme à l’intention des policiers exige qu’ils évitent tout acte discriminatoire, cruel, humiliant ou dégradant, de caractère sexuel ou non, qui constituerait une atteinte à la dignité ou à l’intimité de la personne, a en outre souligné la délégation. Elle a par ailleurs indiqué que l’académie du Ministère de l’intérieur avait organisé des formations spécialisées portant sur la violence familiale, la violence sexiste, les droits de l’homme, la traite des êtres humains et les droits des peuples autochtones.
Remarques de conclusion
M. SÁNCHEZ VELÁSQUEZ s’est dit convaincu que le dialogue franc et cordial noué avec le Comité aiderait son pays à mieux appliquer la Convention. Le Pérou collabore activement avec le système international des droits de l’homme, de même qu’avec le système interaméricain des droits de l’homme, dont les décisions sont contraignantes, a souligné le chef de la délégation péruvienne. Il a insisté sur le fait que son pays contribuait financièrement à plusieurs mécanismes dépendant du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, et a rappelé que le Pérou avait reçu plusieurs visites du Sous-Comité pour la prévention de la torture.
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