Skip to main content

Communiqués de presse Organes conventionnels

Le Comité contre la torture examine le rapport de l'Iraq

30 Juillet 2015

30 juillet 2015

Le Comité contre la torture a examiné, hier matin et cet après-midi, le rapport présenté par l'Iraq sur les mesures qu'il a prises pour mettre en œuvre les dispositions de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Le rapport était présenté par M. Abdulkareem Al-Janabi, Vice-Ministre des droits de l'homme de l'Iraq. M. Al-Janabi a déclaré qu'après la chute de la dictature en 2003, les autorités se sont progressivement dotées d'institutions fortes garantes des droits fondamentaux des hommes et des femmes en Iraq. La Constitution protège les droits de l'homme et garantit l'intégration dans le droit iraquien des dispositions des instruments internationaux dans le domaine des droits de l'homme que le pays a ratifiés. La population iraquienne est victime des activités terroristes de l'État islamique, a rappelé le Vice-Ministre, ajoutant que le Comité était conscient des défis auxquels l'Iraq est confronté et que le pays souhaitait recevoir du Comité des conseils techniques pour l'aider à respecter ses obligations. M. Dindar Zebari, représentant du Gouvernement régional du Kurdistan, a notamment indiqué que les citoyens kurdes pouvaient saisir les tribunaux s'ils estimaient leurs droits bafoués dans le cadre des procédures judiciaires. Il a précisé que le ministère kurde de l'intérieur et les organes chargés de la sécurité ne procèdent à aucune arrestation qui n'ait été validée par les tribunaux.

La délégation iraquienne était en outre composée de plusieurs représentants des ministères des droits de l'homme, du travail et des affaires étrangères, ainsi que du gouvernement régional du Kurdistan. Elle a répondu aux questions des experts du Comité au sujet du fonctionnement du système judiciaire iraquien; des conditions de détention; des poursuites engagées contre des fonctionnaires pour faits de torture ainsi que des condamnations prononcées; de la diligence des autorités à mener une enquête impartiale chaque fois qu'il y a des motifs raisonnables de croire qu'un acte de torture a été commis.

Le rapporteur du Comité pour l'examen du rapport de l'Iraq, M. Alessio Bruni, a fait état d'informations selon lesquelles des milliers de personnes seraient actuellement détenues au secret en Iraq tandis que près de 40 000 détenus attendraient toujours que la justice statue sur leur sort; il a demandé des précisions sur les conditions matérielles de détention et en particulier la forte surpopulation carcérale. Il a voulu savoir dans quelle mesure la commission nationale des droits de l'homme pouvait réaliser librement et inopinément des visites de lieux de détention. M. Bruni a demandé à la délégation de commenter les informations concordantes faisant état d'une pratique généralisée de la torture dans les infrastructures contrôlées par le Ministère de la défense et par le Ministère de l'intérieur. La corapporteuse, Mme Essadia Belmir, a notamment regretté que les enquêtes sur le fonctionnement de la police ne soient pas confiées à des instances indépendantes, ajoutant que l'impunité risquait dans ces conditions de devenir la norme. L'experte a demandé à l'État iraquien d'assurer la primauté de la justice, d'interdire l'obtention d'aveux par la torture, de garantir des conditions de détention décentes et de dédommager les victimes de la torture.

Le Comité adoptera, dans le cadre de séances privées, des observations finales sur le rapport de l'Iraq et les rendra publiques à l'issue de la session, qui se termine le vendredi 14 août.

Le Comité entamera lundi 3 août, à 10 heures, l'examen du rapport de la Suisse (CAT/C/CHE/7).

Présentation du rapport

Le Comité est saisi du rapport initial de l'Iraq (CAT/C/IRQ/1).

M. ABDULKAREEM AL-JANABI, Vice-Ministre des droits de l'homme de l'Iraq, a déclaré qu'après la chute de la dictature en 2003, et sur la base d'un engagement résolu en faveur de la séparation des pouvoirs, les autorités se sont progressivement dotées d'institutions fortes garantes des droits fondamentaux des hommes et des femmes en Iraq. Des institutions de justice transitionnelle ont été créées pour régler le sort des prisonniers ou les conflits fonciers, tandis que les tribunaux d'appel ont été dotés de chambres spéciales pour les affaires familiales. Au plan normatif, la Constitution iraquienne protège les droits de l'homme et garantit, par son article 4, l'intégration dans le droit iraquien des dispositions des instruments internationaux que le pays a ratifiés dans le domaine des droits de l'homme. La Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants est le premier instrument de ce type ratifié, sans réserve, après la chute de la dictature. La définition de la torture en Iraq, qui figure dans le code pénal de 1969, doit encore être alignée sur les exigences de la Convention, a précisé le Vice-Ministre.

Le rapport initial de l'Iraq a été préparé par un comité interministériel et mis à disposition sur le site Internet du Gouvernement. La société civile a été appelée à le commenter. La délégation a par ailleurs indiqué que l'Iraq s'était engagé de manière volontaire à présenter un rapport intermédiaire au Conseil des droits de l'homme dans le cadre de l'Examen périodique universel. Il a aussi lancé des invitations à plusieurs titulaires de mandats du système des droits de l'homme des Nations Unies. Le Gouvernement organise des formations aux droits de l'homme destinées aux fonctionnaires. Après les élections démocratiques d'avril 2014, le Gouvernement a préparé un programme de gouvernance et de protection des droits fondamentaux visant à éviter la répétition d'erreurs commises par le passé.

Le Gouvernement mène une lutte contre le terrorisme dans le respect des droits de l'homme et en particulier de la Convention contre la torture. La population iraquienne est victime des activités terroristes de l'État islamique, a rappelé le Vice-Ministre, soulignant que le point culminant en a été atteint en 2014, lorsque les terroristes de Daech, sous couvert de l'islam et par leurs crimes contre l'humanité, ont pris le contrôle de plusieurs régions de l'Iraq. Une mission d'enquête des Nations Unies a déterminé les faits et a identifié les responsables de crimes abominables contre les populations civiles. Le Comité sait quels défis l'Iraq doit relever dans ce contexte, a déclaré le Vice-Ministre, demandant aux experts de donner à son pays des conseils techniques pour l'aider à respecter ses obligations.

M. DINDAR ZEBARI, représentant du Gouvernement régional du Kurdistan, a déclaré que les autorités du Kurdistan veillent au respect, par leurs forces de sécurité, de l'interdiction de la torture, conformément aux dispositions de la Constitution iraquienne qui garantit le respect des droits fondamentaux de chacun. Les citoyens peuvent saisir les tribunaux s'ils estiment leurs droits bafoués dans le cadre des procédures judiciaires. Sept plaintes pour torture en cours de détention sont actuellement instruites par les tribunaux kurdes. Les organisations non gouvernementales, la Croix-Rouge et les institutions des Nations Unies peuvent visiter les prisons. Le Ministère de l'intérieur et les organes chargés de la sécurité ne procèdent à aucune arrestation qui n'ait été validée par les tribunaux. Le Gouvernement du Kurdistan est engagé à pleinement respecter les droits de l'homme.

Examen du rapport

Questions et observations des membres du Comité

M. ALESSIO BRUNI, rapporteur pour l'examen du rapport de l'Iraq, a constaté que la Constitution iraquienne prévoyait que les instruments internationaux des droits de l'homme devaient être transposés dans le droit interne par l'adoption de nouvelles lois. Or, le rapport montre que la définition de la torture dans les textes législatifs iraquiens n'était toujours pas conforme à la Convention et l'expert a voulu savoir quelles mesures sont envisagées par le Gouvernement à cet égard. L'Iraq aurait tout intérêt à légiférer pour combler une lacune qui empêche ses magistrats de qualifier et de sanctionner ce crime comme il se doit, a insisté le rapporteur.

M. Bruni a demandé à la délégation de dire comment et à quelles conditions sont nommés les membres du Conseil judiciaire suprême, seul organe habilité à surveiller l'activité des membres du pouvoir judiciaire et à prendre contre eux des sanctions, le cas échéant. Le Conseil n'a pas autorité sur les membres du Tribunal fédéral de cassation: qui donc supervise cette instance?

Le rapporteur a rappelé que de nombreuses allégations d'actes de torture commis dans le cadre des procédures judiciaires n'ont pas encore obtenu de réponse. Il a fait état également du non-respect du principe de présomption d'innocence dans nombre d'instructions. Il a regretté la multiplication des exécutions judiciaires en Iraq, la peine de mort s'appliquant, souvent, à des délits dont la gravité ne justifie pas ce châtiment. Le rapporteur a voulu savoir où en étaient les efforts du Gouvernement pour revoir les conditions d'application de la peine de mort; et si le gouvernement avait l'intention de ratifier le Protocole facultatif se rapportant à la Convention, permettant la visite d'établissements pénitentiaires par les membres du Sous-Comité pour la prévention de la torture.

M. Bruni a voulu savoir si une personne arrêtée et placée en garde à vue bénéficiait de garanties juridiques minimales, notamment le droit d'informer des proches et de faire appel à un avocat. De même, un prévenu qui affirme avoir été torturé a théoriquement le droit de réclamer un examen médical pour confirmer ses dires: la question est de savoir si ce droit est respecté et si la personne prévenue a accès à un praticien de son choix, à ses frais éventuellement.

Il semble par ailleurs que des milliers de personnes sont actuellement détenues au secret en Iraq, a indiqué M. Bruni en faisant référence à des rapports portés à la connaissance du Comité, tandis que près de 40 000 détenus attendraient toujours que la justice statue sur leur sort. Le rapporteur a demandé des précisions sur les conditions matérielles de détention, marquées actuellement par une forte surpopulation carcérale. Il a voulu savoir dans quelle mesure la commission nationale des droits de l'homme pouvait réaliser librement et inopinément des visites de lieux de détention, comme le prévoit son mandat.

M. Bruni a demandé à la délégation de commenter les informations recoupées faisant état d'une pratique généralisée de la torture dans les infrastructures contrôlées par le Ministère de la défense et par le Ministère de l'intérieur. Il s'agirait de 500 à 600 cas par an selon les sources, parmi lesquelles les Ministères iraquiens de l'information et des droits de l'homme.

La délégation a été priée de donner des exemples concrets d'application de l'article 3 de la Convention, qui impose aux États de ne renvoyer personne vers un pays où existe un risque de torture. En particulier, M. Bruni a voulu savoir si ce principe s'appliquait aux personnes vivant dans le camp d'Ashraf et si l'Iraq envisageait de ratifier la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés.

S'agissant de la lutte contre le terrorisme, le rapporteur a souligné qu'un rapport exhaustif établi à la demande du Conseil des droits de l'homme par le Haut-Commissariat aux droits de l'homme faisait état d'atrocités commises par l'État islamique mais aussi par des milices proches du gouvernement. Les auteurs de tous ces actes doivent être traduits en justice au terme d'enquêtes diligentées par les autorités iraquiennes, a insisté M. Bruni, qui a demandé si le avait l'intention de se lancer sur cette voie?

Posant des questions de suivi, M. Bruni a noté que de nombreux éléments de la nouvelle définition de la torture proposée par l'Iraq semblent correspondre aux exigences de la Convention. La question est maintenant de savoir à quelle échéance cette définition sera adoptée. Le rapporteur a souligné que le fait d'être en transition ne signifie pas que l'Iraq peut négliger de lutter contre la torture.

Le rapporteur a par ailleurs voulu connaître l'action du Conseil judiciaire suprême en cas d'incapacité du système judiciaire à faire la lumière sur les centaines de cas de torture dénoncés par le Ministère des droits de l'homme, entre autres. M. Bruni a aussi demandé à la délégation de dire si l'institution nationale de droits de l'homme était autorisée à visiter des prisons sans autorisation préalable.

MME ESSADIA BELMIR, corapporteuse pour l'examen du rapport de l'Iraq, a souligné qu'il était impossible d'évoquer le cas de l'Iraq sans une pensée pour toutes les personnes qui ont souffert et souffrent encore dans ce pays. L'experte a salué les efforts consentis par les autorités dans le domaine de la formation aux droits de l'homme: aujourd'hui, le Gouvernement ne donne plus d'ordres de torture et les cas enregistrés représentent désormais des cas isolés. Reste que les fonctionnaires ne sont pas assez formés à cette problématique, a déclaré Mme Belmir, surtout dans les centres de détention gérés par l'armée et la police: la torture y est très répandue et prend des formes multiples, comme le montrent les plaintes enregistrées.

La corapporteuse a demandé à la délégation de confirmer ou d'infirmer les allégations selon lesquelles la police iraquienne serait totalement corrompue. Mme Belmir a regretté que les enquêtes sur le fonctionnement de la police ne soient pas confiées à des instances indépendantes. L'impunité risque dans ces conditions de devenir la norme, a-t-elle mis en garde.

L'Iraq doit encore libérer certaines régions soumises aux terroristes: il bénéficie pour ce faire de l'aide de milices qui doivent, elles aussi, respecter les normes de droit fondamentales, a insisté Mme Belmir. L'experte a demandé aux autorités iraquiennes de prendre en charge les femmes libérées de l'emprise de l'État islamique et victimes d'atrocités.

Enfin, la corapporteuse a déploré que la loi antiterroriste adoptée en 2003 ait été utilisée pour éliminer rapidement un certain nombre de personnes dans une volonté manifeste de vengeance. Elle a demandé à l'État iraquien d'assurer la primauté de la justice, d'interdire l'obtention d'aveux par la torture, de garantir des conditions de détention décentes et de dédommager les personnes victimes de la torture.

Mme Belmir a noté que l'Iraq avait rejeté dix recommandations issues de l'Examen périodique universel du Conseil des droits de l'homme, dont celles portant sur la peine de mort. L'Iraq est l'un des pays qui appliquent le plus souvent la peine de mort, a-t-elle souligné. L'experte a par ailleurs estimé que le système judiciaire iraquien était cohérent. Néanmoins, selon des études de la Mission des Nations Unies en Iraq, plusieurs dizaines de personnes allèguent avoir été victimes de torture pendant leur garde à vue. Mme Belmir a estimé que le problème se situait dans la surveillance insuffisante des activités de plusieurs services de police et dans la procédure de renvoi des accusés devant les tribunaux. L'Iraq doit régulariser ce système, en dépit des difficultés qu'il rencontre, conformément à ses obligations de protection de ses citoyens.

D'autres membres du Comité ont souligné l'importance de documenter les traces d'éventuels actes de torture: cet élément peut faire toute la différence dans une procédure contre l'État. L'accès à un médecin doit donc être garanti dès les premières étapes de la procédure judiciaire. Un expert a souligné l'importance de former aux droits fondamentaux des justiciables les médecins appelés à intervenir dans une procédure de justice. Dans tous les cas, l'absence de trace n'est pas une preuve de l'absence de torture, a-t-il souligné.

Un autre expert a relevé qu'il importait que l'Iraq assure une justice de transition effective et s'abstienne de reproduire les erreurs passées. Pour cela, le principe de l'état de droit doit prévaloir et la torture doit être interdite en toutes circonstances. Les juges doivent recevoir la formation leur permettant de reconnaître des cas de torture et de les poursuivre en toute indépendance.

Un expert a fait état de très nombreuses allégations de violations des droits fondamentaux des personnes détenues par des fonctionnaires de police et des forces armées et regretté que les autorités ne tiennent pas de statistiques à ce sujet. L'expert a notamment rapporté des informations émanant d'organisations non gouvernementales selon lesquelles les femmes détenues sont régulièrement brutalisées et ont rarement accès à un avocat. Le système judiciaire iraquien semble totalement dysfonctionnel et plutôt enclin à bafouer les droits fondamentaux qu'à les défendre; il s'avère donc difficile de formuler des recommandations à l'État partie, a regretté l'expert.

Une experte a prié la délégation de dire quelle avait été la contribution du public ou d'autres sources à la rédaction du rapport de l'Iraq. Elle a demandé des précisions sur le nombre de fonctionnaires poursuivis et condamnés pour des faits de torture, de contrainte ou de menaces. L'experte a relevé que le rapport présenté par l'Iraq au Comité des droits de l'enfant faisait état de dysfonctionnements dans la justice, notamment dans la répression des pratiques traditionnelles néfastes pour les femmes. L'experte a voulu savoir enfin si l'assassinat de 56 lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres par une milice avait fait l'objet d'une enquête.

Le code pénal ne précise pas la peine qu'il faut infliger à un fonctionnaire coupable d'actes de torture, a observé un expert, demandant comment le juge détermine la peine dans ces circonstances. Il s'est dit préoccupé par certaines conditionnalités de nature à restreindre la portée de l'article 12 de la Convention, qui prévoit que les autorités compétentes procèdent immédiatement à une enquête impartiale chaque fois qu'il y a des motifs raisonnables de croire qu'un acte de torture a été commis sur tout territoire sous sa juridiction.

Le Président du Comité, M. Claudio Grossman, s'est dit conscient de la situation difficile à laquelle l'Iraq est confronté à l'heure actuelle. Il a toutefois rappelé qu'il importait de ne jamais accepter ni justifier la torture. L'Iraq devrait adopter une définition de la torture conforme à la Convention et former ses juges et fonctionnaires de sécurité aux exigences du Protocole d'Istanbul (manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitement cruels, inhumains ou dégradants). M. Grossman a enfin voulu savoir combien de personnes étaient détenues en Iraq pour des faits de torture et si des victimes avaient reçu un dédommagement pour le préjudice subi.

Un expert a demandé des précisions sur les conditions d'accès à un médecin lors de la garde à vue dans un local de police. Une experte a demandé des informations sur le sort réservé aux femmes qui ont fui les régions contrôlées par Daech, notamment sur l'existence ou non de programmes de réintégration sociale et économique à leur intention.

Un autre membre du Comité a relevé avec satisfaction qu'un projet de loi à l'étude avait pour objet d'interdire également les mauvais traitements. Il a demandé quelles peines d'emprisonnement sont prévues pour les fonctionnaires convaincus d'avoir ordonné de torturer des personnes. L'expert a recommandé par ailleurs que le droit interne contienne un texte qui interdise expressément le refoulement d'une personne vers un pays où elle risquerait d'être torturée.

Une experte a fait état d'informations émanant d'organisations non gouvernementales selon lesquelles la situation des femmes en Iraq s'était quelque peu améliorée, ce dont elle s'est félicitée. Mais il est toujours difficile pour les femmes iraquiennes d'obtenir une carte d'identité, ce qui les empêche non seulement de voyager mais aussi de saisir la justice. L'experte a aussi constaté que de nombreuses femmes sont victimes de violences et de violences sexuelles par Daech. Elle a demandé à la délégation de dire si l'Iraq dispose de statistiques sur les violences infligées aux femmes.

Le Président du Comité a assuré la délégation que le Comité comprenait très bien les problèmes que rencontre actuellement l'Iraq. Le Président a rappelé à la délégation que le Comité n'a pas le rôle d'un tribunal mais bien de conseil et de soutien par le biais du dialogue. M. Grossman a demandé à la délégation de dire si elle disposait de statistiques sur les aveux extorqués sous la torture ou par des mauvais traitements, et sur les poursuites judiciaires engagées contre les auteurs de tels faits. Il a précisé que plusieurs rapports d'organisations non gouvernementales concordants semblent confirmer ces faits et que la Mission des Nations Unies en Iraq livre des constatations semblables.

Réponses de la délégation

Le Vice-Ministre a déclaré que les violations des droits de l'homme auxquelles le peuple iraquien était confronté du fait de Daech pourraient être assimilées à des crimes contre l'humanité: plus de 71 000 martyrs ont ainsi été recensés entre 2004 et 2013. Le nombre des victimes témoigne du danger qui menace l'Iraq. La fatwa lancée par le grand ayatollah Ali al-Sistani contre Daech est tombée à point nommé pour empêcher la poursuite d'un véritable génocide en suscitant un véritable élan parmi la population iraquienne. C'est dans ce cadre que le Gouvernement de l'Iraq doit agir pour renforcer sa structure institutionnelle. Il collabore, en même temps, avec les organes conventionnels des Nations Unies et avec le mécanisme d'Examen périodique universel. Le Gouvernement actuel rejette totalement toutes les formes de torture, quel qu'en soit l'auteur, et met tout en œuvre pour en traduire les responsables en justice, a assuré le chef de la délégation. L'Iraq espère tirer des enseignements positifs du dialogue de ce jour.

La délégation a regretté d'une manière générale les nombreux rapports politisés qui déforment la réalité de la situation en Iraq. Il est ainsi faux de dire que des femmes sont obligées de se prostituer dans des prisons iraquiennes.

Répondant aux questions sur la définition de la torture dans la loi iraquienne, la délégation a précisé que son gouvernement avait lancé des consultations avec des partenaires internationaux pour élaborer une définition qui corresponde aux principes énoncés dans la Convention et dans le Protocole d'Istanbul. Le Gouvernement prépare actuellement un projet de définition qui correspond en tous points à ces exigences. La torture est ainsi définie comme le fait d'infliger délibérément des souffrances physiques ou mentales pour obtenir des aveux ou des informations, ou pour infléchir le comportement. La définition tient compte des effets physiques et psychologiques immédiats et à plus long terme de la torture, ainsi que des traitements inhumains et dégradants. Ce projet de texte sur la définition de la torture doit encore être évalué par le Conseil de Chura avant d'être examiné en dernière lecture par le Parlement. Le délai ne peut être précisé à ce stade.

Les membres de la Cour de cassation et des principaux organes judiciaires de l'Iraq sont nommés par le Conseil des ministres, a précisé par ailleurs la délégation. La compétence du Conseil judiciaire suprême sur les autres instances judiciaires est de nature administrative.

La peine de mort est prévue par la loi iraquienne, a confirmé la délégation, comme elle l'est dans nombre d'autres pays et sociétés. L'Iraq n'est pas encore en mesure d'abolir cette peine, sa situation n'étant pas comparable à celle d'autres pays où la criminalité est moins forte. Quoi qu'il en soit, la peine de mort n'est plus appliquée que dans des cas impliquant quatre types de délits, et ce selon des critères stricts. La peine de mort étant inscrite dans le code pénal, et les procédures qui l'entourent étant particulièrement complexes, on ne peut pas dire qu'elle soit utilisée comme une mesure de vengeance, a souligné la délégation.

La loi sur la résidence des étrangers (1978) comportait jusqu'à récemment des dispositions qui allaient à l'encontre de la Constitution actuelle: ces dispositions, qui permettaient à certains fonctionnaires de prendre des décisions arbitraires, ont été abrogées. La révision du code pénal est en cours.

L'application du principe de non-refoulement est garantie: depuis 2003, personne n'a été expulsé d'Iraq vers un pays où existerait un risque pour son intégrité physique. Les autorités n'ont jamais tenté non plus d'expulser de force des personnes résidant dans le camp d'Ashraf. Le Ministère de la santé a ouvert un centre médical à l'intérieur du camp qui a remplacé le camp d'Ashraf et qui accueille des ressortissants iraniens. La délégation a également indiqué qu'un grand nombre de ressortissants turcs vivent au Kurdistan sans difficulté; la situation des nombreux ressortissants syriens installés en Iraq témoigne elle aussi du respect du principe de non-refoulement.

Le retard dans le traitement des plaintes pour torture n'est pas lié au fait que ces procédures concernent justement la torture. Le problème réside dans des problèmes techniques de traitement des nombreux dossiers et dans la pénurie de personnel judiciaire: la formation des magistrats est longue et difficile et les candidats sont peu nombreux.

La loi iraquienne prévoit des indemnisations pour les victimes de la torture aussi bien que du terrorisme. Les dédommagements sont proportionnels au tort subi. Les personnes ayant subi des préjudices pendant la dictature, notamment pour des motifs politiques, sont couverts par cette loi, adoptée en 2003 dans le cadre des mesures destinées à assurer la justice transitionnelle. L'ouverture de centres de réadaptation physique pour victimes de la violence s'inscrit dans le même mouvement et est conforme à l'esprit de l'article 14 de la Convention.

Le Ministère des droits de l'homme a examiné de manière approfondie la question de l'obtention des aveux. La délégation a assuré que les allégations d'organisations non gouvernementales, en particulier, selon lesquelles des aveux sont extorqués sous la torture en Iraq, sont infondées. Les seuls aveux ne suffisent en effet pas à étayer un jugement: ils doivent être corroborés par d'autres éléments de preuve – témoignages, empreintes, traces d'ADN, entre autres. Par contre, il est vrai que les aveux de terroristes sont pris en compte s'ils revendiquent librement et de manière convaincue leurs actes – voire menacent leurs juges de représailles. D'autre part, la procédure pénale n'oblige pas l'inculpé à témoigner et interdit les pressions indues sur les justiciables telles que les pressions psychologiques, ou encore l'utilisation de substances chimiques.

Toutes les procédures de justice sont intégralement soumises au contrôle des magistrats, a souligné la délégation, et il est toujours possible d'interjeter appel. Il est possible de filmer des accusés après un procès, moyennant permission des autorités de justice. L'objectif est d'assurer la publicité des débats et de rassurer la population.

Le Gouvernement regrette les violations des droits de l'homme commises pendant les soulèvements populaires contre Daech, tout en estimant qu'il s'agissait d'incidents individuels qui ne sauraient être mis sur le même plan que des actes terroristes: il s'agissait en effet de défendre la substance même de l'État iraquien, sans laquelle la délégation n'aurait pas pu se présenter devant le Comité. D'autre part, les forces populaires concernées ont été progressivement intégrées aux forces armées régulières.

D'une manière générale, la lutte contre le terrorisme est encadrée par les nombreux garde-fous prévus par la loi en général. Ils concernent, par exemple, le traitement des femmes enceintes ou des personnes souffrant de handicap mental; la présomption d'innocence, les principes de traitement équitable et de non-rétroactivité des lois s'appliquent également de manière régulière.

S'agissant de la prise en charge médicale, cent quinze médecins généralistes, 38 dentistes et 40 pharmaciens sont affectés aux centres de détention. Les personnes détenues subissent un examen médical approfondi dans les 48 heures suivant l'incarcération.

Suite à des visites d'inspection par le Ministère des droits de l'homme, plusieurs prisons gérées par le Ministère de la défense ont été fermées car elles ne respectaient pas les normes internationales. Les détenus concernés ont été transférés dans des établissements dépendant du Ministère de la justice. Vu la surpopulation carcérale, et les conditions de vie très difficiles qu'elle suscite parfois, les autorités iraquiennes ont lancé un programme de construction de nouveaux établissements. Il est vrai que certains détenus particulièrement dangereux peuvent être mis à l'isolement. Les mineurs ne sont pas détenus dans les mêmes locaux, ni dans les mêmes conditions, que les adultes.

Le Gouvernement iraquien collabore avec les institutions des Nations Unies présentes en Iraq, notamment le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme. Toutes les institutions gouvernementales sont dotées, depuis 2006, d'unités ou de divisions responsables des aspects relatifs au respect des droits de l'homme. Les fonctionnaires concernés, en particulier les officiers de police et des forces armées, reçoivent une formation aux droits de l'homme assurée par le Ministère de l'intérieur. Ils sont sensibilisés, par la même occasion, à la nécessité de refuser tout acte de torture et de disparition forcée, comme étant contraire aux principes constitutionnels de l'Iraq. La situation sécuritaire complique cependant l'organisation de ces formations, a noté la délégation.

La délégation a aussi précisé que les crimes dits d'honneur sont réprimés par la loi depuis 2010.

Le rapporteur ayant regretté que de nombreux cas de torture ne fassent l'objet d'aucune enquête ni mesure corrective, et que de nombreux plaignants soient empêchés de déposer plainte par la police, le chef de la délégation a assuré que les personnes soupçonnées d'avoir ordonné des actes de torture sont systématiquement poursuivies.

La délégation a précisé que la visite de certaines prisons dépend effectivement d'une autorisation préalable: les autorités s'efforceront de lever cet obstacle à l'action des défenseurs des droits de l'homme.

M. DINDAR ZEBARI, représentant du Gouvernement régional du Kurdistan, a donné des informations sur la lutte contre la torture menée par les autorités kurdes. Il a indiqué que 1500 magistrats, avocats et autres intervenants du secteur judiciaire ont participé à un séminaire destiné à les sensibiliser à la nécessité de dénoncer systématiquement les actes de torture. Les autorités s'efforcent, de plus, d'améliorer le sort des femmes kurdes ou issues de minorités libérées de l'emprise de Daech.

Toujours dans la région du Kurdistan, la loi criminalise la violence domestique depuis 2011. Une ligne d'appel gratuite a été ouverte pour recueillir les plaintes; 36 hommes ont été condamnés pour des faits de violence domestique entre 2011 et 2012. Le représentant kurde a ajouté que le parlement régional réservait 30 % de ses sièges à des femmes.

Le parlement kurde a récemment adopté une loi prévoyant le dédommagement des personnes emprisonnées à tort ou pendant une période excessive. Après les atrocités commises par Daech en 2014, plus de 300 personnes suspectes ont été détenues. Plusieurs dizaines ont été libérées entretemps et 239 sont encore emprisonnées. Ces personnes reçoivent des visites de la Croix-Rouge et d'organisations non gouvernementales. Le représentant kurde a aussi fait savoir que plus de 3000 personnes sont détenues dans les prisons de la région. Pour remédier à la surpopulation carcérale, cinq nouveaux établissements seront ouverts d'ici à trois ans, ainsi que deux centres de réadaptation.

Conclusion

Le chef de la délégation iraquienne, M. AL-JANABI, a remercié le Comité de son écoute et de son soutien, ainsi que les organisations non gouvernementales pour leur contribution aux travaux. Le Vice-Ministre a espéré que les observations du Comité aideraient l'Iraq à mieux s'acquitter de ses obligations en matière de droits de l'homme. Il a indiqué que son Gouvernement créerait une commission nationale chargée de rédiger une feuille de route pour l'application de ces recommandations.

__________________

Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas un document officiel

VOIR CETTE PAGE EN :