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Le Comité contre la torture examine le rapport du Burundi
12 novembre 2014
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12 novembre 2014
Le Comité contre la torture a examiné, hier matin et cet après-midi, le rapport du Burundi sur les mesures prises par le pays en application des dispositions de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Le rapport a été présenté par M. Augustin Nsanze, Conseiller principal au bureau chargé des questions politiques, diplomatiques et de coopération et Chancelier des ordres nationaux à la Présidence de la République. Il a souligné que la Constitution burundaise prévoyait une interdiction absolue de la torture. Il a aussi fait valoir que le Gouvernement avait entrepris de réviser le code pénal militaire afin d'ériger en infraction les actes de torture imputables à des militaires. M. Nsanze a assuré que la Commission nationale indépendante des droits de l'homme exerçait son mandat en toute indépendance avec des pouvoirs d'investigation étendus; elle a été saisie d'une trentaine de cas de torture depuis sa création il y a trois ans. Le tout nouveau code de procédure pénale prévoit pour sa part la création d'un fonds d'indemnisation des victimes de la torture. La loi sur la Commission vérité et réconciliation a été adoptée en mai dernier et le processus de sélection des commissaires est en cours; un tribunal spécial sur le Burundi sera mis en place après la publication du rapport de la Commission. S'agissant des conditions de détention, des mesures ont été prises afin de réduire la population carcérale. Bien que des travaux de réhabilitation et d'équipement des centres de détention aient été entrepris, «les conditions de détention sont encore préoccupantes et peu conformes à l'ensemble des règles minima internationales pour le traitement des détenus», a reconnu le chef de la délégation.
La délégation burundaise était également composée de M. Célestin Sindibutume, Assistant du Ministre de la solidarité nationale, des droits de la personne humaine et du genre, et de M. Léonidas Niyonzima, Directeur au département de l'éducation à la paix et à la réconciliation nationale, ainsi que de membres de la Mission du Burundi à Genève. Elle a répondu aux questions qui lui étaient adressées par les membres du Comité s'agissant, entre autres, de la définition de la torture; de l'impunité des forces de l'ordre; de l'indépendance de la justice; du contrôle de la société civile sur les lieux de détention. La délégation burundaise a assuré que la justice donnait «entière satisfaction à la population». Elle a aussi assuré que la liberté de candidature à la Commission vérité et réconciliation en voie de formation garantissait la représentation de membres de la société civile. La formation des forces de l'ordre est en cours et le professionnalisme de la police et de l'armée s'améliore en conséquence grâce à une assistance internationale. Le chef de la délégation a estimé que le Burundi pouvait apparaître comme un modèle parmi les pays sortant d'une longue guerre civile.
Les rapporteurs du Comité pour l'examen du rapport étaient M. Abdoulaye Gaye et Mme Essadia Belmir. Ils se sont notamment félicités de la création de la Commission nationale indépendante des droits de l'homme - -tout en appelant à ce qu'elle ait davantage de moyens -, mais ont déploré une démarche insuffisamment inclusive dans la mise en place de la Commission vérité et réconciliation. Les rapporteurs se sont par ailleurs félicités des efforts de formation et de sensibilisation de la police et des magistrats, mais ont déploré les lenteurs de la justice burundaise et un manque de formation de base, tant pour les juges que pour la police, alors même que celle-ci a entrepris d'intégrer les ex-rebelles. Les conditions déplorables d'incarcération et la possibilité de prorogation presque indéfinie de la gare de à vue ont été mises en cause. Les experts ont constaté un manque de protection des femmes, relevant que la séparation entre détenus hommes, femmes et mineurs n'existait que dans trois prisons sur onze. Ils ont d'autre part constaté une absence de suivi des affaires d'exécutions extrajudiciaires. Ils ont enfin souligné le caractère problématique de l'aveu comme élément de conviction alors que la torture semble être une pratique courante.
Le Comité adoptera en séance privée des observations finales sur le Burundi qui seront rendues publiques à la fin de la session, le 28 novembre prochain.
Le Comité entamera, le jeudi 13 novembre à 10 heures, l'examen du rapport de la Croatie (CAT/C/HRV/4-5), avant de conclure dans l'après-midi, en salle XVII du Palais des Nations, l'examen du rapport des États-Unis (CAT/C/USA/3-5).
Présentation du rapport du Burundi
Le Comité est saisi du rapport du Burundi (CAT/C/BDI/2) et de ses réponses (CAT/C/BDI/Q/2/Add.2) à la liste des points à traiter (CAT/C/BDI/Q/2 et CAT/C/BDI/Q/2/Add.1).
M. AUGUSTIN NSANZE, conseiller principal au bureau chargé des questions politiques, diplomatiques et de coopération et Chancelier des Ordres nationaux à la Présidence de la République, a indiqué d'emblée que le juge burundais pouvait se référer à la Constitution nationale pour transposer les dispositions de la Convention dans l'interprétation de la loi et rendre des jugements au niveau interne. En outre, l'article 25 de la Constitution prévoit une interdiction absolue de la torture et le Code pénal de 2009 incrimine la torture. M. Nsanze a aussi précisé que la loi du 8 mai 2003 portant sur le crime de génocide, les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre avait retenu les actes de torture comme entrant dans cette catégorie: «En légiférant ainsi, le Burundi a accepté que le droit de ne pas être soumis à la torture est un droit inaliénable. Il ne peut donc trouver aucune circonstance qui lui permettrait d'y déroger». Enfin, les peines encourues en vertu du Code pénal sont incompressibles.
En ce qui concerne l'application de ces textes, «quelques cas ont été enregistrés auprès de la Cour militaire et trois autres ouverts dans le cadre de l'enquête de la commission chargée de faire la lumière sur les allégations d'exécutions extrajudiciaires ou de torture». Par ailleurs, le Gouvernement a entrepris de réviser le Code pénal militaire adopté antérieurement à la ratification de la Convention contre la torture afin d'ériger en infraction les actes de torture imputables à des militaires.
M. Nsanze a assuré que la Commission nationale indépendante des droits de l'homme exerçait son mandat «en toute indépendance», ayant «des pouvoirs d'investigation des plus étendus». «Aucun organe étatique ne peut lui donner des injonctions dans l'accomplissement de ses missions. Par contre, elle peut requérir l'assistance de la police et d'autres services de l'État». La Commission dispose des ressources humaines et financières «lui permettant, dans les limites de ses moyens, de s'acquitter efficacement de son mandat après trois années d'existence». En matière de prévention, en plus des visites menées dans des prisons et cachots de la police judiciaire, la Commission organise des ateliers de sensibilisation et de formation en matière de lutte contre la torture à l'intention des «agents de l'État susceptibles de commettre ce crime».
S'agissant des allégations de cas de torture, le représentant a indiqué que la Commission nationale indépendante des droits de l'homme avait été saisie de dix cas en 2013, dont huit ont été «retenus comme ayant constitué effectivement des violations avérées». Depuis sa création, la Commission a été saisie d'une trentaine de cas au total. Par ailleurs, pour éviter les détentions secrètes, l'État a ouvert des postes d'officier de police judiciaire dans les 129 communes du pays. Le tout nouveau code de procédure pénale prévoit la création d'un fonds d'indemnisation des victimes de la torture. À ce stade, le pays ne dispose pas d'infrastructures de refuge ni de service de réadaptation des victimes de torture. La mise en place d'un fonds d'indemnisation est prévue.
En réponse à un certain nombre de cas soulevés dans un rapport de l'organisation Human Rights Watch, le représentant burundais a expliqué ce qu'il en était des procédures en cours dans ces affaires, précisant que la Constitution et le code de procédure pénale offraient des garanties à l'exercice du droit de la défense pour l'auteur présumé d'une infraction.
La loi sur la Commission vérité et réconciliation a été adoptée en mai dernier et le processus de sélection des commissaires est en cours. Le Tribunal spécial sur le Burundi sera mis en place après la publication du rapport de la Commission, a-t-il été précisé.
S'agissant de la violence à l'égard des femmes, le pays dispose d'un arsenal juridique, notamment une «déclaration de tolérance zéro» du Président de la République envers les crimes de violence sexuelle basée sur le genre. Il a aussi mentionné la création de chambres spéciales consacrées à ces délits dans les tribunaux de grande instance. En ce qui concerne les demandeurs d'asile et la protection des réfugiés, la loi intègre le principe de non-refoulement vers des territoires où les requérants seraient en danger d'être soumis à la torture, notamment.
Des mesures ont été prises afin de réduire la population carcérale. M. Nsanze a cité à titre d'exemple le décret de grâce présidentielle de 2012 en faveur de plusieurs catégories de détenus. Le Gouvernement a arrêté une série de mesures visant à régler le problème du surpeuplement des prisons et des détentions illégales, notamment par le réexamen des dossiers des prisonniers ou la libération provisoire des détenus ayant déjà purgé le quart de leur peine. Il a précisé qu'à la fin 2013, le taux des personnes en détention préventive parmi les détenus était de 51%, soit 3834 personnes sur une population carcérale totale de 8075 au premier trimestre de cette année, dont 4072 détenus condamnés. Le mois dernier, l'effectif des prisonniers dans les prisons s'élevait à 7393. La séparation des détenus, hommes, femmes et mineurs est effective dans trois prisons sur les 11 que compte le pays. «Le Burundi poursuit ses efforts pour généraliser cette séparation».
Bien que des travaux de réhabilitation et d'équipement des centres de détention aient été entrepris, «les conditions de détention sont encore préoccupantes et peu conformes à l'ensemble des règles minima internationales pour le traitement des détenus», a reconnu M. Nsanze. Des efforts restent à consentir pour améliorer le logement, les services de santé, d'hygiène et d'alimentation des détenus. «En vue d'une surveillance plus efficace, le Gouvernement autorise le libre accès des défenseurs tant nationaux qu'internationaux des droits humains aux milieux privatifs de liberté». Il a précisé que le phénomène des détentions en milieu hospitalier avait «presque disparu».
Les châtiments corporels dans les établissements scolaires ont été interdits par une ordonnance ministérielle et des campagnes de sensibilisation sur cette pratique sont organisées. Le représentant a assuré que les châtiments avaient aussi diminué au sein des familles. La justice juvénile est une priorité gouvernementale depuis 2009 dans le cadre de la réforme judiciaire en cours. En outre, un code de protection de l'enfance est en train de voir le jour. M. Nsanze a ajouté que des chambres spécialisées pour mineurs ont été mises en place dans le système de justice et que des actions de formation sont organisées à l'intention des magistrats.
Le chef de la délégation burundaise a évoqué «l'incident du 8 mars 2014», lorsque les forces d'ordre ont ouvert le feu dans le cadre d'une manifestation qui a dégénéré, «les forces de l'ordre ayant été surprises par l'ampleur des agressions» qui les visaient. M. Nsanze a enfin indiqué que le Protocole facultatif à la Convention avait été ratifié sans réserve en 2013.
Examen du rapport
Questions et observations des membres du Comité
M. ABDOULAYE GAYE, rapporteur du Comité pour l'examen du rapport du Burundi en ce qui concerne les articles 1 à 9 de la Convention, a d'abord noté que la délégation burundaise ne comptait pas de membres du Gouvernement, contrairement à ce qui prévaut généralement. Il s'est interrogé sur l'affirmation de la délégation selon laquelle la définition de la torture en vertu de la Convention avait été «intégrée» dans la loi. Cela signifie-t-il qu'une autre définition de la torture figurait déjà dans les textes et que deux définitions coexisteraient? S'agissant du caractère «incompressible» des peines encourues dans les cas de torture, selon le terme employé par la délégation, M. Gaye a demandé si le juge conservait sa latitude d'appréciation de la peine à infliger selon les cas. Il a en effet rappelé le principe de l'individualisation des peines.
Il a salué les efforts du Gouvernement burundais pour consacrer les moyens nécessaires à l'efficacité de la Commission nationale indépendante des droits de l'homme. Celle-ci fait un travail utile et intéressant, a estimé M. Gaye qui a appelé de ses vœux le renforcement de ses moyens. S'agissant de la mise en place de la Commission vérité et réconciliation, le rapporteur a déploré une démarche insuffisamment inclusive en constatant que celle-ci relevait entièrement des initiatives gouvernementales. Il s'est félicité des efforts de formation et de sensibilisation de la police et de la liberté reconnue à tout membre des forces de l'ordre de refuser d'accomplir un acte illégal.
S'agissant des cas d'exactions mentionnés par la délégation et des 14 procédures engagées, M. Gaye a observé que le Bureau des Nations Unies au Burundi en avait enregistré plus d'une centaine de tels cas. Il a demandé quelles étaient les intentions des autorités face aux procédures en cours et si une issue pouvait être attendue dans des délais raisonnables. M. Gaye s'est enquis de certains cas précis et demandé à la délégation de fournir dans l'avenir des données complètes et fiables des cas de torture, rappelant que les statistiques constituaient le meilleur moyen d'évaluer une situation. Il a constaté que la délégation n'avait pas répondu aux cas concernant les prévenus finalement acquittés et qui ne sont pas libérés. Il a estimé que se posait un problème plus général de lenteur des procédures judiciaires. Il a fait part enfin de sa satisfaction des mesures prises en faveur de la protection des femmes et des mineurs. Il a demandé s'il y avait des migrants sans papiers au Burundi.
MME ESSADIA BELMIR, rapporteuse pour l'examen du rapport de l'Australie en ce qui concerne les articles 10 à 16 la Convention, a déploré un manque de formation de base, tant pour les juges que pour la police, alors même que celle-ci a entrepris d'intégrer les ex-rebelles. Il faut également déplorer un problème de suivi et d'évaluation. S'agissant des garanties fondamentales, les lieux de détention ne bénéficient pas d'une protection systématique. Si la garde à vue n'est pas censée dépasser sept jours, des cas exceptionnels permettent de doubler cette durée. Dans les faits, ces prolongations peuvent être reconduites presque indéfiniment, Mme Belmir déplorant que les autorités elles-mêmes justifient en partie les dépassements de délai. «On est vraiment loin des normes en la matière», a-t-elle constaté. Elle a aussi relevé des conditions souvent déplorables d'incarcération, déplorant que les procureurs ne visitent pas régulièrement les lieux de détention. De nombreuses irrégularités illustrent des conditions très difficiles. Elle a constaté un manque de protection des femmes, relevant que la séparation entre détenus hommes, femmes et mineurs n'existait que dans trois prisons sur onze. Des viols ont couramment lieu, de nuit, sans que la victime ne puisse dire si elle a été agressée par un détenu ou un gardien, voire par un policier. Des mesures doivent être prises pour mettre fin à une telle situation, a-t-elle dit.
S'agissant des exécutions extrajudiciaires, la rapporteuse a constaté une absence de suivi des dossiers. Il est courant que les témoins aient manifestement peur de dire ce qu'ils savent. Elle a demandé ce qu'il en était de certains cas au sujet desquels les autorités gardent le silence, dont celui de trois religieuses italiennes assassinées et décapitées. Elle a constaté que les magistrats pouvaient être aisément révoqués, ce qui constitue une entrave à une justice sereine. Elle a souligné le caractère problématique de l'aveu comme élément de conviction alors qu'il semble que la torture soit une pratique courante. Elle a relevé que la délégation avait indiqué que la détention en milieu hospitalier avait «presque disparu», ce qui signifie qu'elle est toujours pratiquée. Si l'État a certes accompli des efforts, beaucoup reste à faire pour l'instauration de l'État de droit, a-t-elle conclu.
Parmi les autres membres du Comité, un expert a constaté que l'impunité demeurait un problème grave, la police agissant de manière partisane et en fonction de son affiliation politique face aux manifestations d'opposants notamment. Il a par ailleurs demandé si les autorités envisageaient de revenir sur la question de la pénalisation de l'homosexualité. Un autre expert a pris acte des intentions du Gouvernement de progresser tout en soulignant le fossé entre celles-ci et la réalité. Il a constaté que les défenseurs des droits de l'homme étaient couramment réprimés et demandé quel était le niveau de confiance de la population envers sa justice. Il a demandé qui était responsable des magistrats et des juges, souhaitant savoir quelles garanties sont prévues pour assurer l'indépendance de la magistrature, évoquant notamment la possibilité de représailles en procédant contre leur gré à des mutations.
Un membre du Comité a déploré que les réponses aux questions du Comité soient arrivées trop tard pour pouvoir être traduites en anglais. Jugeant excessive la durée de la garde à vue, il a demandé ce qu'il en était de la pratique actuelle dans les faits. Un autre a demandé si les ONG pouvaient se rendre dans les lieux de détention et si elles pouvaient s'entretenir confidentiellement avec les prisonniers. Un expert a relevé que le taux de surpopulation carcérale atteignait 180%. Une experte s'est inquiétée que - selon Amnesty International - le parti gouvernemental se soit doté d'une milice. Le Président du Comité, M. Claudio Grossman, a pour sa part soulevé le problème des meurtres d'albinos et mentionné 34 cas d'exécutions extrajudiciaires enregistrées par le Haut-Commissariat aux droits de l'homme qui n'ont donné lieu à l'ouverture de procédures judiciaires que dans trois cas.
Un expert a émis le vœu que la société civile soit représentée formellement au sein de la Commission vérité et réconciliation. S'agissant de la non-libération de personnes acquittées, il s'est dit convaincu qu'il s'agissait de dysfonctionnements plutôt que de problèmes de procédure et s'est félicité de l'intention affichée par les autorités d'y remédier.
Une experte a estimé que la confiance de la population dans sa justice était notoirement insuffisante, du fait même de la faiblesse du système judiciaire. Des actes de lynchage, des meurtres, le parti-pris de la police, l'absence d'enquête judiciaire, entraînent une forme de justice populaire spontanée, a-t-elle expliqué. Un autre expert a estimé que le Burundi devait absolument réformer son système judiciaire. Une experte a évoqué l'existence d'une milice aux ordres du Gouvernement qui interviendrait de façon arbitraire, commettant des abus des droits de l'homme.
Le Président du Comité, M. Claudio Grossman, a souligné l'importance de la surpopulation carcérale au Burundi, certaines prisons comptant cinq fois plus de détenus que leur capacité prévue. Il a plaidé pour des alternatives à la détention.
Réponses de la délégation
À l'observation de membres du Comité selon laquelle la délégation ne comportait pas de membres du Gouvernement, M. Nsanze a souligné qu'il avait lui-même rang de ministre et avait été ministre des relations extérieures dans un passé récent. C'est aussi le cas d'une représentante de la mission du Burundi à Genève participant à la réunion, qui a détenu un portefeuille au sein du Gouvernement. Le chef de la délégation a ensuite indiqué que, de par sa proximité avec le chef de l'État, il serait en mesure de lui transmettre directement les observations du Comité. Certes, sa délégation n'est pas nombreuse mais elle tout à fait «consistante», a assuré M. Nsanze.
La définition de la torture dans le Code pénal burundais s'inspire directement de la Convention, elle est «calquée» sur la définition figurant dans la Convention. De plus, la Constitution du Burundi garantit en son article 25 l'intégrité physique et psychique de tout individu. Le crime de torture étant sévèrement réprimé par le Code pénal, toute juridiction burundaise peut avoir à connaître des crimes de torture. Les peines encourues varient de dix ans de réclusion à la perpétuité, en fonction de la gravité des faits et de la condition de la victime; elles sont plus sévères s'agissant de femmes ou de mineurs. En cas de décès de la victime, le coupable est passible de la réclusion à perpétuité. En aucun cas, y compris l'état de guerre, la torture ne saurait être justifiée. L'obéissance à l'ordre d'un supérieur ne saurait non plus être invoquée valablement par les auteurs d'actes de torture.
La révision du code pénal militaire s'impose en raison du hiatus existant entre certaines dispositions de celui-ci et les engagements internationaux du Burundi. Avec l'assistance des Pays-Bas, la révision du code militaire est en cours.
S'agissant de la Commission nationale indépendante des droits de l'homme et du renforcement de ses moyens, la délégation a souligné que la Commission travaillait à la satisfaction de la population, en voulant pour preuve le nombre important de plaintes déposées.
En ce qui concerne la Commission vérité et réconciliation, au sujet de laquelle le Comité estime qu'elle serait insuffisamment inclusive, la délégation a mentionné plusieurs articles de ses statuts et précisé que, dès l'ouverture des candidatures, plus de 800 personnes avaient déposé un dossier pour 11 postes à pourvoir. Il s'agit de candidatures libres, personne n'étant exclu. C'est ensuite à l'Assemblée nationale d'élire les membres de la Commission, choix avalisé par le chef de l'État. En aucun cas la société civile n'a été tenue à l'écart.
Pour ce qui a trait à la formation des forces de l'ordre, la volonté de l'État est présente avec l'assistance des Pays-Bas et de la Belgique. Le professionnalisme de la police et de l'armée s'améliore en conséquence, a assuré la délégation.
S'agissant d'un certain nombre de cas de torture présumée soulevés par les membres de Comité, la délégation a déploré que les témoins préféraient s'exprimer dans les médias plutôt que dans l'enceinte d'un tribunal. Les retards dans l'instruction des affaires s'expliquent en bonne partie par l'absence des parties civiles qui privilégient les médias, a estimé la délégation.
En ce qui concerne la question du Comité sur la non-exécution du jugement rendu, en particulier s'agissant d'acquittements non suivis de la libération du prévenu, la délégation a indiqué que ce cas de figure se présentait lorsqu'était interjeté appel par le ministère public. Le Gouvernement du Burundi est toutefois conscient que des irrégularités se produisent, notamment pour des raisons de procédure. C'est pourquoi il a mis en place une commission visant à passer ces situations au crible. En 2012, une commission de magistrats a inspecté toutes les prisons du pays pour faire libérer toute personne détenue illégalement.
Le délai maximal de la garde à vue est de sept jours, sauf circonstances exceptionnelles permettant de le proroger d'autant et de le porter à 14 jours. Dans la pratique, la plupart du temps, la garde à vue dure moins d'une semaine. La personne mise en cause peut demander l'assistance d'un avocat ainsi que d'un médecin.
Le Gouvernement est conscient de la nécessité d'améliorer les conditions carcérales, des efforts étant entrepris dans ce domaine. Dans trois prisons, la séparation entre hommes, femmes et mineurs est réalisée, et elle est en cours dans une quatrième. Pour ce qui a trait des décès en prison, 263 morts naturelles se sont produites en détention depuis 2008, leur nombre passant de plus d'une quarantaine par an en moyenne à environ une quinzaine en 2013 et depuis le début de 2014. LA délégation a par la suite précisé que les autorités font des efforts pour désengorger les prisons, conscientes qu'elles sont du problème de surpopulation.
Les aveux obtenus par la torture ne sont pas pris en considération, a souligné la délégation. Dans l'attente de la mise en place d'un mécanisme national de prévention de la torture, c'est la Commission nationale indépendante des droits de l'homme qui joue ce rôle.
La délégation a évoqué le cas des trois religieuses italiennes assassinées mentionnées par un membre du Comité. Le meurtrier présumé, qui a été arrêté et avoué les faits, serait malade mental, selon les médias. Il a tenté de s'évader dimanche dernier, a précisé la délégation qui estime nécessaire une expertise médicale le concernant. Pour ce qui a trait à d'autres cas d'exécutions extrajudiciaires, notamment l'assassinat de membres du parti des Forces nationales de libération (FNL), la délégation a dit ne pouvoir répondre que sur des cas précis, refusant d'alimenter les rumeurs propagés par les médias locaux.
Les autorités de l'État ont pris diverses mesures pour garantir l'indépendance de la justice, notamment en matière de formation déontologique des magistrats. La délégation a par la suite précisé qu'outre la faculté de droit de l'université de Bujumbura et les campus privés apparus ces dernières années, un centre de perfectionnement judiciaire est prévu pour compléter la formation des magistrats. En outre, des institutions anticorruption – un parquet et un tribunal spécifiques - ont été mises en place. Les forces vives de la nation ont participé à des états-généraux de la justice en 2013. La délégation a assuré le Comité que la population avait pleine confiance en sa justice.
En réponse à la question sur l'incarcération au sein même des hôpitaux de patients incapables de payer leurs soins hospitaliers, la délégation a assuré que les populations vulnérables faisaient l'objet d'une attention particulière des autorités, avec notamment la prise en charge des soins. L'objectif est d'en finir avec ces cas d'incarcération pour non-paiement de factures hospitalières, dont le nombre a fortement diminué à la suite des mesures prises. À la suite de la révélation de ces cas, plusieurs personnes ont même volontairement réglé des factures en signe de solidarité.
Il n'existe pas de cas d'emprisonnement de migrants dépourvus de documents de voyage valable, ceux-ci étant systématiquement reconduits à la frontière sauf en cas de demande l'asile.
La délégation a démenti toute persécution de la minorité homosexuelle, tout en reconnaissant qu'il faudrait encore du temps pour que la société admette ces pratiques. Il s'agit d'une minorité très peu visible, concernant très peu d'individus, selon la délégation. Aucune poursuite n'a été intentée à l'encontre d'homosexuels à ce jour, ce qui signifie que la dépénalisation existe de fait, sinon en droit. La dépénalisation des textes devra être actée dans l'avenir, a reconnu la délégation.
Des campagnes d'information et de sensibilisation ont été menées en faveur des albinos, a indiqué la délégation. En cas de meurtre, des peines très sévères sont infligées pouvant aller jusqu'à la réclusion à perpétuité. Les mesures prises ont eu pour conséquence qu'aucune exaction contre des albinos n'a été enregistrée depuis près de deux ans.
Le chef de la délégation a rappelé que le pays avait connu une longue guerre civile ayant laissé des traces durables dans la société, notamment en matière de violence, parfois au sein même des familles, phénomène qui était inconnu auparavant. Un travail de reconstruction a été entrepris. L'armée elle-même a intégré les anciens rebelles, créant de fait une nouvelle armée ayant désormais la confiance de la population. Il en va de même avec la gendarmerie qui, auparavant, était aux ordres de l'armée. Il y a donc beaucoup à faire et cela prend du temps.
Les réformes se font avec l'assistance internationale, et l'on constate d'ores et déjà des progrès, au point où le Burundi peut apparaître comme un modèle parmi les pays sortant d'un conflit, a souligné M. Nsanze. Après un tel conflit, tout apparaît prioritaire, a-t-il constaté, appelant de ses vœux un appui du Comité pour trouver les ressources nécessaires en approchant les organismes compétents. La bonne volonté est là mais souvent les moyens manquent, a-t-il déclaré.
Le Comité contre la torture a examiné, hier matin et cet après-midi, le rapport du Burundi sur les mesures prises par le pays en application des dispositions de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Le rapport a été présenté par M. Augustin Nsanze, Conseiller principal au bureau chargé des questions politiques, diplomatiques et de coopération et Chancelier des ordres nationaux à la Présidence de la République. Il a souligné que la Constitution burundaise prévoyait une interdiction absolue de la torture. Il a aussi fait valoir que le Gouvernement avait entrepris de réviser le code pénal militaire afin d'ériger en infraction les actes de torture imputables à des militaires. M. Nsanze a assuré que la Commission nationale indépendante des droits de l'homme exerçait son mandat en toute indépendance avec des pouvoirs d'investigation étendus; elle a été saisie d'une trentaine de cas de torture depuis sa création il y a trois ans. Le tout nouveau code de procédure pénale prévoit pour sa part la création d'un fonds d'indemnisation des victimes de la torture. La loi sur la Commission vérité et réconciliation a été adoptée en mai dernier et le processus de sélection des commissaires est en cours; un tribunal spécial sur le Burundi sera mis en place après la publication du rapport de la Commission. S'agissant des conditions de détention, des mesures ont été prises afin de réduire la population carcérale. Bien que des travaux de réhabilitation et d'équipement des centres de détention aient été entrepris, «les conditions de détention sont encore préoccupantes et peu conformes à l'ensemble des règles minima internationales pour le traitement des détenus», a reconnu le chef de la délégation.
La délégation burundaise était également composée de M. Célestin Sindibutume, Assistant du Ministre de la solidarité nationale, des droits de la personne humaine et du genre, et de M. Léonidas Niyonzima, Directeur au département de l'éducation à la paix et à la réconciliation nationale, ainsi que de membres de la Mission du Burundi à Genève. Elle a répondu aux questions qui lui étaient adressées par les membres du Comité s'agissant, entre autres, de la définition de la torture; de l'impunité des forces de l'ordre; de l'indépendance de la justice; du contrôle de la société civile sur les lieux de détention. La délégation burundaise a assuré que la justice donnait «entière satisfaction à la population». Elle a aussi assuré que la liberté de candidature à la Commission vérité et réconciliation en voie de formation garantissait la représentation de membres de la société civile. La formation des forces de l'ordre est en cours et le professionnalisme de la police et de l'armée s'améliore en conséquence grâce à une assistance internationale. Le chef de la délégation a estimé que le Burundi pouvait apparaître comme un modèle parmi les pays sortant d'une longue guerre civile.
Les rapporteurs du Comité pour l'examen du rapport étaient M. Abdoulaye Gaye et Mme Essadia Belmir. Ils se sont notamment félicités de la création de la Commission nationale indépendante des droits de l'homme - -tout en appelant à ce qu'elle ait davantage de moyens -, mais ont déploré une démarche insuffisamment inclusive dans la mise en place de la Commission vérité et réconciliation. Les rapporteurs se sont par ailleurs félicités des efforts de formation et de sensibilisation de la police et des magistrats, mais ont déploré les lenteurs de la justice burundaise et un manque de formation de base, tant pour les juges que pour la police, alors même que celle-ci a entrepris d'intégrer les ex-rebelles. Les conditions déplorables d'incarcération et la possibilité de prorogation presque indéfinie de la gare de à vue ont été mises en cause. Les experts ont constaté un manque de protection des femmes, relevant que la séparation entre détenus hommes, femmes et mineurs n'existait que dans trois prisons sur onze. Ils ont d'autre part constaté une absence de suivi des affaires d'exécutions extrajudiciaires. Ils ont enfin souligné le caractère problématique de l'aveu comme élément de conviction alors que la torture semble être une pratique courante.
Le Comité adoptera en séance privée des observations finales sur le Burundi qui seront rendues publiques à la fin de la session, le 28 novembre prochain.
Le Comité entamera, le jeudi 13 novembre à 10 heures, l'examen du rapport de la Croatie (CAT/C/HRV/4-5), avant de conclure dans l'après-midi, en salle XVII du Palais des Nations, l'examen du rapport des États-Unis (CAT/C/USA/3-5).
Présentation du rapport du Burundi
Le Comité est saisi du rapport du Burundi (CAT/C/BDI/2) et de ses réponses (CAT/C/BDI/Q/2/Add.2) à la liste des points à traiter (CAT/C/BDI/Q/2 et CAT/C/BDI/Q/2/Add.1).
M. AUGUSTIN NSANZE, conseiller principal au bureau chargé des questions politiques, diplomatiques et de coopération et Chancelier des Ordres nationaux à la Présidence de la République, a indiqué d'emblée que le juge burundais pouvait se référer à la Constitution nationale pour transposer les dispositions de la Convention dans l'interprétation de la loi et rendre des jugements au niveau interne. En outre, l'article 25 de la Constitution prévoit une interdiction absolue de la torture et le Code pénal de 2009 incrimine la torture. M. Nsanze a aussi précisé que la loi du 8 mai 2003 portant sur le crime de génocide, les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre avait retenu les actes de torture comme entrant dans cette catégorie: «En légiférant ainsi, le Burundi a accepté que le droit de ne pas être soumis à la torture est un droit inaliénable. Il ne peut donc trouver aucune circonstance qui lui permettrait d'y déroger». Enfin, les peines encourues en vertu du Code pénal sont incompressibles.
En ce qui concerne l'application de ces textes, «quelques cas ont été enregistrés auprès de la Cour militaire et trois autres ouverts dans le cadre de l'enquête de la commission chargée de faire la lumière sur les allégations d'exécutions extrajudiciaires ou de torture». Par ailleurs, le Gouvernement a entrepris de réviser le Code pénal militaire adopté antérieurement à la ratification de la Convention contre la torture afin d'ériger en infraction les actes de torture imputables à des militaires.
M. Nsanze a assuré que la Commission nationale indépendante des droits de l'homme exerçait son mandat «en toute indépendance», ayant «des pouvoirs d'investigation des plus étendus». «Aucun organe étatique ne peut lui donner des injonctions dans l'accomplissement de ses missions. Par contre, elle peut requérir l'assistance de la police et d'autres services de l'État». La Commission dispose des ressources humaines et financières «lui permettant, dans les limites de ses moyens, de s'acquitter efficacement de son mandat après trois années d'existence». En matière de prévention, en plus des visites menées dans des prisons et cachots de la police judiciaire, la Commission organise des ateliers de sensibilisation et de formation en matière de lutte contre la torture à l'intention des «agents de l'État susceptibles de commettre ce crime».
S'agissant des allégations de cas de torture, le représentant a indiqué que la Commission nationale indépendante des droits de l'homme avait été saisie de dix cas en 2013, dont huit ont été «retenus comme ayant constitué effectivement des violations avérées». Depuis sa création, la Commission a été saisie d'une trentaine de cas au total. Par ailleurs, pour éviter les détentions secrètes, l'État a ouvert des postes d'officier de police judiciaire dans les 129 communes du pays. Le tout nouveau code de procédure pénale prévoit la création d'un fonds d'indemnisation des victimes de la torture. À ce stade, le pays ne dispose pas d'infrastructures de refuge ni de service de réadaptation des victimes de torture. La mise en place d'un fonds d'indemnisation est prévue.
En réponse à un certain nombre de cas soulevés dans un rapport de l'organisation Human Rights Watch, le représentant burundais a expliqué ce qu'il en était des procédures en cours dans ces affaires, précisant que la Constitution et le code de procédure pénale offraient des garanties à l'exercice du droit de la défense pour l'auteur présumé d'une infraction.
La loi sur la Commission vérité et réconciliation a été adoptée en mai dernier et le processus de sélection des commissaires est en cours. Le Tribunal spécial sur le Burundi sera mis en place après la publication du rapport de la Commission, a-t-il été précisé.
S'agissant de la violence à l'égard des femmes, le pays dispose d'un arsenal juridique, notamment une «déclaration de tolérance zéro» du Président de la République envers les crimes de violence sexuelle basée sur le genre. Il a aussi mentionné la création de chambres spéciales consacrées à ces délits dans les tribunaux de grande instance. En ce qui concerne les demandeurs d'asile et la protection des réfugiés, la loi intègre le principe de non-refoulement vers des territoires où les requérants seraient en danger d'être soumis à la torture, notamment.
Des mesures ont été prises afin de réduire la population carcérale. M. Nsanze a cité à titre d'exemple le décret de grâce présidentielle de 2012 en faveur de plusieurs catégories de détenus. Le Gouvernement a arrêté une série de mesures visant à régler le problème du surpeuplement des prisons et des détentions illégales, notamment par le réexamen des dossiers des prisonniers ou la libération provisoire des détenus ayant déjà purgé le quart de leur peine. Il a précisé qu'à la fin 2013, le taux des personnes en détention préventive parmi les détenus était de 51%, soit 3834 personnes sur une population carcérale totale de 8075 au premier trimestre de cette année, dont 4072 détenus condamnés. Le mois dernier, l'effectif des prisonniers dans les prisons s'élevait à 7393. La séparation des détenus, hommes, femmes et mineurs est effective dans trois prisons sur les 11 que compte le pays. «Le Burundi poursuit ses efforts pour généraliser cette séparation».
Bien que des travaux de réhabilitation et d'équipement des centres de détention aient été entrepris, «les conditions de détention sont encore préoccupantes et peu conformes à l'ensemble des règles minima internationales pour le traitement des détenus», a reconnu M. Nsanze. Des efforts restent à consentir pour améliorer le logement, les services de santé, d'hygiène et d'alimentation des détenus. «En vue d'une surveillance plus efficace, le Gouvernement autorise le libre accès des défenseurs tant nationaux qu'internationaux des droits humains aux milieux privatifs de liberté». Il a précisé que le phénomène des détentions en milieu hospitalier avait «presque disparu».
Les châtiments corporels dans les établissements scolaires ont été interdits par une ordonnance ministérielle et des campagnes de sensibilisation sur cette pratique sont organisées. Le représentant a assuré que les châtiments avaient aussi diminué au sein des familles. La justice juvénile est une priorité gouvernementale depuis 2009 dans le cadre de la réforme judiciaire en cours. En outre, un code de protection de l'enfance est en train de voir le jour. M. Nsanze a ajouté que des chambres spécialisées pour mineurs ont été mises en place dans le système de justice et que des actions de formation sont organisées à l'intention des magistrats.
Le chef de la délégation burundaise a évoqué «l'incident du 8 mars 2014», lorsque les forces d'ordre ont ouvert le feu dans le cadre d'une manifestation qui a dégénéré, «les forces de l'ordre ayant été surprises par l'ampleur des agressions» qui les visaient. M. Nsanze a enfin indiqué que le Protocole facultatif à la Convention avait été ratifié sans réserve en 2013.
Examen du rapport
Questions et observations des membres du Comité
M. ABDOULAYE GAYE, rapporteur du Comité pour l'examen du rapport du Burundi en ce qui concerne les articles 1 à 9 de la Convention, a d'abord noté que la délégation burundaise ne comptait pas de membres du Gouvernement, contrairement à ce qui prévaut généralement. Il s'est interrogé sur l'affirmation de la délégation selon laquelle la définition de la torture en vertu de la Convention avait été «intégrée» dans la loi. Cela signifie-t-il qu'une autre définition de la torture figurait déjà dans les textes et que deux définitions coexisteraient? S'agissant du caractère «incompressible» des peines encourues dans les cas de torture, selon le terme employé par la délégation, M. Gaye a demandé si le juge conservait sa latitude d'appréciation de la peine à infliger selon les cas. Il a en effet rappelé le principe de l'individualisation des peines.
Il a salué les efforts du Gouvernement burundais pour consacrer les moyens nécessaires à l'efficacité de la Commission nationale indépendante des droits de l'homme. Celle-ci fait un travail utile et intéressant, a estimé M. Gaye qui a appelé de ses vœux le renforcement de ses moyens. S'agissant de la mise en place de la Commission vérité et réconciliation, le rapporteur a déploré une démarche insuffisamment inclusive en constatant que celle-ci relevait entièrement des initiatives gouvernementales. Il s'est félicité des efforts de formation et de sensibilisation de la police et de la liberté reconnue à tout membre des forces de l'ordre de refuser d'accomplir un acte illégal.
S'agissant des cas d'exactions mentionnés par la délégation et des 14 procédures engagées, M. Gaye a observé que le Bureau des Nations Unies au Burundi en avait enregistré plus d'une centaine de tels cas. Il a demandé quelles étaient les intentions des autorités face aux procédures en cours et si une issue pouvait être attendue dans des délais raisonnables. M. Gaye s'est enquis de certains cas précis et demandé à la délégation de fournir dans l'avenir des données complètes et fiables des cas de torture, rappelant que les statistiques constituaient le meilleur moyen d'évaluer une situation. Il a constaté que la délégation n'avait pas répondu aux cas concernant les prévenus finalement acquittés et qui ne sont pas libérés. Il a estimé que se posait un problème plus général de lenteur des procédures judiciaires. Il a fait part enfin de sa satisfaction des mesures prises en faveur de la protection des femmes et des mineurs. Il a demandé s'il y avait des migrants sans papiers au Burundi.
MME ESSADIA BELMIR, rapporteuse pour l'examen du rapport de l'Australie en ce qui concerne les articles 10 à 16 la Convention, a déploré un manque de formation de base, tant pour les juges que pour la police, alors même que celle-ci a entrepris d'intégrer les ex-rebelles. Il faut également déplorer un problème de suivi et d'évaluation. S'agissant des garanties fondamentales, les lieux de détention ne bénéficient pas d'une protection systématique. Si la garde à vue n'est pas censée dépasser sept jours, des cas exceptionnels permettent de doubler cette durée. Dans les faits, ces prolongations peuvent être reconduites presque indéfiniment, Mme Belmir déplorant que les autorités elles-mêmes justifient en partie les dépassements de délai. «On est vraiment loin des normes en la matière», a-t-elle constaté. Elle a aussi relevé des conditions souvent déplorables d'incarcération, déplorant que les procureurs ne visitent pas régulièrement les lieux de détention. De nombreuses irrégularités illustrent des conditions très difficiles. Elle a constaté un manque de protection des femmes, relevant que la séparation entre détenus hommes, femmes et mineurs n'existait que dans trois prisons sur onze. Des viols ont couramment lieu, de nuit, sans que la victime ne puisse dire si elle a été agressée par un détenu ou un gardien, voire par un policier. Des mesures doivent être prises pour mettre fin à une telle situation, a-t-elle dit.
S'agissant des exécutions extrajudiciaires, la rapporteuse a constaté une absence de suivi des dossiers. Il est courant que les témoins aient manifestement peur de dire ce qu'ils savent. Elle a demandé ce qu'il en était de certains cas au sujet desquels les autorités gardent le silence, dont celui de trois religieuses italiennes assassinées et décapitées. Elle a constaté que les magistrats pouvaient être aisément révoqués, ce qui constitue une entrave à une justice sereine. Elle a souligné le caractère problématique de l'aveu comme élément de conviction alors qu'il semble que la torture soit une pratique courante. Elle a relevé que la délégation avait indiqué que la détention en milieu hospitalier avait «presque disparu», ce qui signifie qu'elle est toujours pratiquée. Si l'État a certes accompli des efforts, beaucoup reste à faire pour l'instauration de l'État de droit, a-t-elle conclu.
Parmi les autres membres du Comité, un expert a constaté que l'impunité demeurait un problème grave, la police agissant de manière partisane et en fonction de son affiliation politique face aux manifestations d'opposants notamment. Il a par ailleurs demandé si les autorités envisageaient de revenir sur la question de la pénalisation de l'homosexualité. Un autre expert a pris acte des intentions du Gouvernement de progresser tout en soulignant le fossé entre celles-ci et la réalité. Il a constaté que les défenseurs des droits de l'homme étaient couramment réprimés et demandé quel était le niveau de confiance de la population envers sa justice. Il a demandé qui était responsable des magistrats et des juges, souhaitant savoir quelles garanties sont prévues pour assurer l'indépendance de la magistrature, évoquant notamment la possibilité de représailles en procédant contre leur gré à des mutations.
Un membre du Comité a déploré que les réponses aux questions du Comité soient arrivées trop tard pour pouvoir être traduites en anglais. Jugeant excessive la durée de la garde à vue, il a demandé ce qu'il en était de la pratique actuelle dans les faits. Un autre a demandé si les ONG pouvaient se rendre dans les lieux de détention et si elles pouvaient s'entretenir confidentiellement avec les prisonniers. Un expert a relevé que le taux de surpopulation carcérale atteignait 180%. Une experte s'est inquiétée que - selon Amnesty International - le parti gouvernemental se soit doté d'une milice. Le Président du Comité, M. Claudio Grossman, a pour sa part soulevé le problème des meurtres d'albinos et mentionné 34 cas d'exécutions extrajudiciaires enregistrées par le Haut-Commissariat aux droits de l'homme qui n'ont donné lieu à l'ouverture de procédures judiciaires que dans trois cas.
Un expert a émis le vœu que la société civile soit représentée formellement au sein de la Commission vérité et réconciliation. S'agissant de la non-libération de personnes acquittées, il s'est dit convaincu qu'il s'agissait de dysfonctionnements plutôt que de problèmes de procédure et s'est félicité de l'intention affichée par les autorités d'y remédier.
Une experte a estimé que la confiance de la population dans sa justice était notoirement insuffisante, du fait même de la faiblesse du système judiciaire. Des actes de lynchage, des meurtres, le parti-pris de la police, l'absence d'enquête judiciaire, entraînent une forme de justice populaire spontanée, a-t-elle expliqué. Un autre expert a estimé que le Burundi devait absolument réformer son système judiciaire. Une experte a évoqué l'existence d'une milice aux ordres du Gouvernement qui interviendrait de façon arbitraire, commettant des abus des droits de l'homme.
Le Président du Comité, M. Claudio Grossman, a souligné l'importance de la surpopulation carcérale au Burundi, certaines prisons comptant cinq fois plus de détenus que leur capacité prévue. Il a plaidé pour des alternatives à la détention.
Réponses de la délégation
À l'observation de membres du Comité selon laquelle la délégation ne comportait pas de membres du Gouvernement, M. Nsanze a souligné qu'il avait lui-même rang de ministre et avait été ministre des relations extérieures dans un passé récent. C'est aussi le cas d'une représentante de la mission du Burundi à Genève participant à la réunion, qui a détenu un portefeuille au sein du Gouvernement. Le chef de la délégation a ensuite indiqué que, de par sa proximité avec le chef de l'État, il serait en mesure de lui transmettre directement les observations du Comité. Certes, sa délégation n'est pas nombreuse mais elle tout à fait «consistante», a assuré M. Nsanze.
La définition de la torture dans le Code pénal burundais s'inspire directement de la Convention, elle est «calquée» sur la définition figurant dans la Convention. De plus, la Constitution du Burundi garantit en son article 25 l'intégrité physique et psychique de tout individu. Le crime de torture étant sévèrement réprimé par le Code pénal, toute juridiction burundaise peut avoir à connaître des crimes de torture. Les peines encourues varient de dix ans de réclusion à la perpétuité, en fonction de la gravité des faits et de la condition de la victime; elles sont plus sévères s'agissant de femmes ou de mineurs. En cas de décès de la victime, le coupable est passible de la réclusion à perpétuité. En aucun cas, y compris l'état de guerre, la torture ne saurait être justifiée. L'obéissance à l'ordre d'un supérieur ne saurait non plus être invoquée valablement par les auteurs d'actes de torture.
La révision du code pénal militaire s'impose en raison du hiatus existant entre certaines dispositions de celui-ci et les engagements internationaux du Burundi. Avec l'assistance des Pays-Bas, la révision du code militaire est en cours.
S'agissant de la Commission nationale indépendante des droits de l'homme et du renforcement de ses moyens, la délégation a souligné que la Commission travaillait à la satisfaction de la population, en voulant pour preuve le nombre important de plaintes déposées.
En ce qui concerne la Commission vérité et réconciliation, au sujet de laquelle le Comité estime qu'elle serait insuffisamment inclusive, la délégation a mentionné plusieurs articles de ses statuts et précisé que, dès l'ouverture des candidatures, plus de 800 personnes avaient déposé un dossier pour 11 postes à pourvoir. Il s'agit de candidatures libres, personne n'étant exclu. C'est ensuite à l'Assemblée nationale d'élire les membres de la Commission, choix avalisé par le chef de l'État. En aucun cas la société civile n'a été tenue à l'écart.
Pour ce qui a trait à la formation des forces de l'ordre, la volonté de l'État est présente avec l'assistance des Pays-Bas et de la Belgique. Le professionnalisme de la police et de l'armée s'améliore en conséquence, a assuré la délégation.
S'agissant d'un certain nombre de cas de torture présumée soulevés par les membres de Comité, la délégation a déploré que les témoins préféraient s'exprimer dans les médias plutôt que dans l'enceinte d'un tribunal. Les retards dans l'instruction des affaires s'expliquent en bonne partie par l'absence des parties civiles qui privilégient les médias, a estimé la délégation.
En ce qui concerne la question du Comité sur la non-exécution du jugement rendu, en particulier s'agissant d'acquittements non suivis de la libération du prévenu, la délégation a indiqué que ce cas de figure se présentait lorsqu'était interjeté appel par le ministère public. Le Gouvernement du Burundi est toutefois conscient que des irrégularités se produisent, notamment pour des raisons de procédure. C'est pourquoi il a mis en place une commission visant à passer ces situations au crible. En 2012, une commission de magistrats a inspecté toutes les prisons du pays pour faire libérer toute personne détenue illégalement.
Le délai maximal de la garde à vue est de sept jours, sauf circonstances exceptionnelles permettant de le proroger d'autant et de le porter à 14 jours. Dans la pratique, la plupart du temps, la garde à vue dure moins d'une semaine. La personne mise en cause peut demander l'assistance d'un avocat ainsi que d'un médecin.
Le Gouvernement est conscient de la nécessité d'améliorer les conditions carcérales, des efforts étant entrepris dans ce domaine. Dans trois prisons, la séparation entre hommes, femmes et mineurs est réalisée, et elle est en cours dans une quatrième. Pour ce qui a trait des décès en prison, 263 morts naturelles se sont produites en détention depuis 2008, leur nombre passant de plus d'une quarantaine par an en moyenne à environ une quinzaine en 2013 et depuis le début de 2014. LA délégation a par la suite précisé que les autorités font des efforts pour désengorger les prisons, conscientes qu'elles sont du problème de surpopulation.
Les aveux obtenus par la torture ne sont pas pris en considération, a souligné la délégation. Dans l'attente de la mise en place d'un mécanisme national de prévention de la torture, c'est la Commission nationale indépendante des droits de l'homme qui joue ce rôle.
La délégation a évoqué le cas des trois religieuses italiennes assassinées mentionnées par un membre du Comité. Le meurtrier présumé, qui a été arrêté et avoué les faits, serait malade mental, selon les médias. Il a tenté de s'évader dimanche dernier, a précisé la délégation qui estime nécessaire une expertise médicale le concernant. Pour ce qui a trait à d'autres cas d'exécutions extrajudiciaires, notamment l'assassinat de membres du parti des Forces nationales de libération (FNL), la délégation a dit ne pouvoir répondre que sur des cas précis, refusant d'alimenter les rumeurs propagés par les médias locaux.
Les autorités de l'État ont pris diverses mesures pour garantir l'indépendance de la justice, notamment en matière de formation déontologique des magistrats. La délégation a par la suite précisé qu'outre la faculté de droit de l'université de Bujumbura et les campus privés apparus ces dernières années, un centre de perfectionnement judiciaire est prévu pour compléter la formation des magistrats. En outre, des institutions anticorruption – un parquet et un tribunal spécifiques - ont été mises en place. Les forces vives de la nation ont participé à des états-généraux de la justice en 2013. La délégation a assuré le Comité que la population avait pleine confiance en sa justice.
En réponse à la question sur l'incarcération au sein même des hôpitaux de patients incapables de payer leurs soins hospitaliers, la délégation a assuré que les populations vulnérables faisaient l'objet d'une attention particulière des autorités, avec notamment la prise en charge des soins. L'objectif est d'en finir avec ces cas d'incarcération pour non-paiement de factures hospitalières, dont le nombre a fortement diminué à la suite des mesures prises. À la suite de la révélation de ces cas, plusieurs personnes ont même volontairement réglé des factures en signe de solidarité.
Il n'existe pas de cas d'emprisonnement de migrants dépourvus de documents de voyage valable, ceux-ci étant systématiquement reconduits à la frontière sauf en cas de demande l'asile.
La délégation a démenti toute persécution de la minorité homosexuelle, tout en reconnaissant qu'il faudrait encore du temps pour que la société admette ces pratiques. Il s'agit d'une minorité très peu visible, concernant très peu d'individus, selon la délégation. Aucune poursuite n'a été intentée à l'encontre d'homosexuels à ce jour, ce qui signifie que la dépénalisation existe de fait, sinon en droit. La dépénalisation des textes devra être actée dans l'avenir, a reconnu la délégation.
Des campagnes d'information et de sensibilisation ont été menées en faveur des albinos, a indiqué la délégation. En cas de meurtre, des peines très sévères sont infligées pouvant aller jusqu'à la réclusion à perpétuité. Les mesures prises ont eu pour conséquence qu'aucune exaction contre des albinos n'a été enregistrée depuis près de deux ans.
Le chef de la délégation a rappelé que le pays avait connu une longue guerre civile ayant laissé des traces durables dans la société, notamment en matière de violence, parfois au sein même des familles, phénomène qui était inconnu auparavant. Un travail de reconstruction a été entrepris. L'armée elle-même a intégré les anciens rebelles, créant de fait une nouvelle armée ayant désormais la confiance de la population. Il en va de même avec la gendarmerie qui, auparavant, était aux ordres de l'armée. Il y a donc beaucoup à faire et cela prend du temps.
Les réformes se font avec l'assistance internationale, et l'on constate d'ores et déjà des progrès, au point où le Burundi peut apparaître comme un modèle parmi les pays sortant d'un conflit, a souligné M. Nsanze. Après un tel conflit, tout apparaît prioritaire, a-t-il constaté, appelant de ses vœux un appui du Comité pour trouver les ressources nécessaires en approchant les organismes compétents. La bonne volonté est là mais souvent les moyens manquent, a-t-il déclaré.
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