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Communiqués de presse Organes conventionnels

Le Comité des droits de l'homme examine le rapport du Paraguay

12 Mars 2013

12 mars 2013

Le Comité des droits de l'homme a examiné, hier après-midi et ce matin, le rapport présenté par le Paraguay sur les mesures prises par ce pays en application des dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Mme María Lorena Segovia Azucas, Ministre de la justice et du travail du Paraguay, a notamment attiré l'attention sur les mesures novatrices prises par le Gouvernement paraguayen, citant notamment l'approbation du Code d'éthique de la fonction publique et la création d'un Secrétariat national de lutte contre la corruption. La ministre a ensuite déclaré que l'État paraguayen condamne les faits de violence qui se sont produits à Curuguaty et regrette profondément la perte de vies humaines dans ces circonstances. Le pouvoir judiciaire et le Ministère public, dans le cadre de leurs compétences constitutionnelles et légales, sont en train de procéder aux enquêtes nécessaires afin de dégager les responsabilités pénales et de sanctionner les coupables, a-t-elle indiqué. Pour ce qui est de la situation des personnes détenues, le Ministère de l'intérieur est en train d'appliquer les recommandations du Sous-Comité de la prévention de la torture par le biais du Projet de systématisation du registre de détention dans les commissariats du Paraguay. La délégation a ensuite fourni des réponses à une liste de questions que lui avait adressée le Comité.

Outre la Ministre de la justice et du travail, l'importante délégation paraguayenne était également composée de M. Antonio Rivas Palacios, Vice-Ministre des relations extérieures; de M. Carlos Maria Aquino, Vice-Ministre de la justice et des droits de l'homme; de Mme María Teresita Silvero Salgueiro, Vice-Ministre de la protection des droits des femmes; de M. Blas Imás, Vice-Ministre des affaires politiques au Ministère de l'intérieur; de M. Víctor Núñez, Ministre de la Cour suprême de justice; de M. José Orué, Ministre du Secrétariat national de l'enfance et de l'adolescence; de M. Miguel Abdón Saguier Carmona, Sénateur de la République et Président de la Commission des affaires constitutionnelles, de la défense nationale et des forces publiques du Sénat; de M. Javier Díaz Verón, Procureur général de l'État; ainsi que de représentants du Ministère de la justice et du travail, du Ministère de l'intérieur, de la Cour suprême de justice et du bureau du Procureur général et du Ministère des relations extérieures, dont le Représentant permanent du Paraguay, M. Juan Esteban Aguirre. Elle a répondu aux questions qui lui étaient adressées par les experts s'agissant notamment des conséquences de l'interdiction de l'avortement; de la violence contre les femmes; de la traite de personnes; de l'état d'urgence; des questions relatives aux autochtones; des garanties de droits de l'homme des personnes privées de liberté, y compris l'incrimination de la torture; des conditions carcérales; de la détention préventive; ou encore des réparations en faveur des victimes de la dictature de Stroessner.

Le Président du Comité, M. Nigel Rodley, s'est félicité des mesures prises par le pays pour donner suite aux recommandations émanant d'instances et organes internationaux tels que le Comité. Le Paraguay a pris des mesures pour mieux répondre aux besoins des communautés autochtones et il conviendra de voir comment les choses évoluent en la matière. Les membres du Comité ont fait part de leurs préoccupations s'agissant du très grand nombre d'avortements clandestins qui ont lieu dans le pays. Le rapporteur du Comité pour l'examen du rapport du Paraguay, M. Fabian Omar Salvioli, s'est pour sa part enquis de l'instruction des affaires relatives aux deux exécutions extrajudiciaires perpétrées en janvier et février 2013 par des tueurs à gage qui ont tué deux dirigeants paysans. Il a aussi fait état d'informations sur les difficultés rencontrées dans l'application de la Convention n°169 de l'OIT, en particulier pour ce qui a trait au droit de consultation effective des populations autochtones. Il s'est en outre étonné que l'Institut national des autochtones (INDI) ait décidé de vendre et donc de transférer à un propriétaire privé au nord du Chaco près d'une trentaine d'hectares de terres ancestrales autochtones, ce qui donne l'impression que l'INDI fait exactement l'inverse de ce que l'on attend de lui.

Le Comité adoptera des observations finales sur le rapport du Paraguay au cours de la session, qui s'achèvera le vendredi 28 mars prochain.

Cet après-midi, à 15 heures, le Comité entamera l'examen du rapport de la Région administrative spéciale (RAS) de Hong Kong de la République populaire de Chine (CCPR/C/CHN-HKG/3).

Présentation du rapport

Présentant le rapport du Paraguay (CCPR/C/PRY/3), MME MARÍA LORENA SEGOVIA AZUCAS, Ministre de la justice et du travail du Paraguay, a déclaré, comme l'a fait récemment devant l'Assemblée générale le Président de la République, M. Luis Federico Franco Gómez, que le Paraguay vit en paix, dans la démocratie et le plein respect des libertés publiques. Le 21 avril prochain, les Paraguayens vont de nouveau se rendre aux urnes pour accomplir leur devoir civique d'élection des autorités qui vont présider au destin du pays, en présence d'observateurs de l'Organisation des États américains – dont l'ancien Président et prix Nobel de la paix Oscar Arias – , de l'Union européenne et du Centre Carter.

Faisant valoir les importants progrès réalisés par son pays, la Ministre de la justice et du travail a notamment fait état de la restructuration qu'a subie la Commission interinstitutionnelle exécutive pour l'application des décisions et recommandations internationales, désormais présidée par le Vice-Président de la République et coordonnée par le Ministère de la justice et du travail, ce qui témoigne de la ferme volonté du Paraguay d'établir un mécanisme spécifiquement dédié à asseoir la relation de l'État avec le système universel associé aux obligations contractées par le pays au niveau international. Mme Segovia Azucas a ensuite souligné que le Réseau des droits de l'homme que le pays a mis en place à partir de 2009 a abouti à l'élaboration et l'approbation du Plan national des droits de l'homme, approuvé cette année par décret du pouvoir exécutif. L'une des contributions importantes de ce Réseau a également été d'impulser l'utilisation d'indicateurs permettant d'évaluer les politiques publiques, la Cour suprême de justice étant à cet égard en train d'élaborer des indicateurs d'accès à la justice et de jugement équitable. Le Gouvernement paraguayen a en outre œuvré au renforcement des institutions clefs en matière de lutte contre la discrimination entre hommes et femmes et de protection des groupes vulnérables.

Mme Segovia Azucas a par ailleurs attiré l'attention du Comité sur un certain nombre de mesures novatrices prises par le Gouvernement paraguayen, citant notamment l'approbation du Code d'éthique de la fonction publique et la création d'un Secrétariat national de lutte contre la corruption, ayant rang ministériel.

La Ministre de la justice et du travail a ensuite déclaré que l'État paraguayen condamne les faits de violence qui se sont produits à Curuguaty (dans le nord-est du pays) et regrette profondément la perte de vies humaines dans ces circonstances. Le pouvoir judiciaire et le Ministère public, dans le cadre de leurs compétences constitutionnelles et légales, sont en train de procéder aux enquêtes nécessaires afin de dégager les responsabilités pénales et de sanctionner les coupables.

Pour ce qui est de la situation des personnes détenues et de leur protection adéquate, le Ministère de l'intérieur est en train d'appliquer les recommandations du Sous-Comité de la prévention de la torture par le biais du Projet de systématisation du registre de détention dans les commissariats du Paraguay, a indiqué Mme Segovia Azucas.

La Ministre a par ailleurs rappelé que le Paraguay avait ratifié la Convention n°189 de l'Organisation internationale du travail sur le travail décent pour les travailleurs domestiques et figure ainsi parmi les tout premiers pays du monde à avoir ratifié cet instrument.

Apportant des réponses aux questions soulevées dans la liste des points à traiter adressée au Paraguay par le Comité, la délégation paraguayenne a ensuite souligné qu'au Paraguay, toute violation des droits de l'homme peut trouver réparation par le biais de procédures judiciaires.

La délégation a en outre indiqué que depuis 2004, le Défenseur du peuple du Paraguay a reçu le statut A de la part du Comité international de coordination des institutions nationales de droits de l'homme.

La délégation a par ailleurs souligné que le Paraguay a adopté une politique publique pour le développement social 2010-2020 qui prévoit la résolution des demandes territoriales autochtones. L'Institut paraguayen des autochtones (Instituto Paraguayo del Indigena – INDI) respecte les dispositions de la Convention n°169 de l'Organisation internationale du travail (OIT) s'agissant de la consultation des communautés autochtones, et a habilité le CENADI (Centro de Atencion al Indígena) à répondre à toutes les demandes spécifiques des communautés autochtones.

La délégation a d'autre part indiqué que le Paraguay a ratifié la Convention sur les droits des personnes handicapées et présentera au mois d'avril prochain son rapport initial au titre de cet instrument. En matière de droit de vote, l'État paraguayen reconnaît la nécessité d'harmoniser la législation nationale avec les dispositions de cette Convention. En dépit de cette difficulté actuelle, le Tribunal supérieur de justice électorale appliquera la campagne «Élections accessibles» comme plan pilote visant à garantir la participation des personnes handicapées aux élections.

Répondant à une question sur la lutte contre la discrimination à l'encontre des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transsexuelles (LGBT), la délégation a d'autre part indiqué que le Paraguay a engagé des travaux d'incorporation des normes pertinentes dans le Plan national des droits de l'homme récemment approuvé.

Les déclarations d'état d'exception des mois d'avril 2010 et octobre 2011 ont été adoptées conformément au cadre constitutionnel paraguayen et en respectant les exigences de fond comme de forme requises, a poursuivi la délégation. Durant la période d'application de ces états d'exception, les services d'accès aux garanties constitutionnelles sont restés pleinement en vigueur et les magistrats des zones affectées exerçaient le contrôle de la légalité des détentions, a-t-elle fait valoir.

Le droit positif paraguayen dispose depuis 2000 de la Loi 1600 pour protéger toute personne contre la violence domestique et sanctionner ce type de violence, a en outre souligné la délégation, ajoutant que le Congrès national est en train d'étudier un projet de loi intégrale de protection des femmes en situation de violence fondée sur le genre (violencia basada en asimetrías de género). En 2012, le Ministère de la femme a construit et habilité quatre centres régionaux de soins aux femmes victimes de violence et engagé cette année la construction de deux Maisons de la femme dans des zones frontalières du pays. Au niveau pénal, la violence familiale est sanctionnée d'une peine privative de liberté pouvant aller jusqu'à trois ans, conformément à l'amendement apporté à l'article 229 du Code pénal.

Si l'avortement reste pénalisé au Paraguay, a d'autre part indiqué la délégation, cette situation est abordée sous la perspective de la prévention. Au Paraguay, l'avortement reste l'une des principales causes de mortalité maternelle et c'est pourquoi le Gouvernement accorde une attention prioritaire à cette question. Une réglementation sur les soins humanisés post-avortement a en outre été adoptée (Norma de Atención Humanizada post aborto).

La délégation a également fait état de l'approbation, en 2012, d'une Politique nationale pour la prévention et la lutte contre la traite de personnes.

La délégation a en outre souligné qu'au Paraguay, n'est pas autorisé le recrutement forcé d'enfants, lequel est interdit et sanctionné en vertu d'un cadre juridique constitutionnel. À ce jour, aucune plainte n'a été déposée concernant une telle pratique, a précisé la délégation.

La délégation a également attiré l'attention sur la Stratégie nationale de prévention et d'éradication du travail infantile et de protection du travail adolescent dont le Paraguay s'est doté pour les années 2010-2015. Dans le Chaco paraguayen, des inspections du travail ont été menées dans les établissements ruraux, a ajouté la délégation.

La délégation a en outre fait valoir que le principal obstacle qui entravait la poursuite et le jugement adéquats des cas de torture – à savoir l'incompatibilité de la définition pénale de la torture retenue par le pays avec celle établie par le Pacte et par la Convention contre la torture – a été levé avec l'amendement apporté aux articles 236 et 309 du Code pénal.

Au Paraguay, le droit à l'objection de conscience est reconnu par la Constitution et c'est une loi de 2010 qui régit l'exercice de l'objection de conscience, a par ailleurs indiqué la délégation.

L'exercice du droit de manifestation pacifique est sans restriction au Paraguay, a enfin souligné la délégation, assurant que les organes de sécurité, loin de le réprimer, garantissent l'exercice de ce droit.

Examen du rapport

Questions et observations des membres du Comité

M. FABIAN OMAR SALVIOLI, rapporteur du Comité pour l'examen du rapport du Paraguay, a relevé que certaines questions qui préoccupent le Comité n'ont pu être traitées dans le cadre des réponses apportées par la délégation à la liste des points à traiter qui lui avait été adressée, du fait que ces sujets portent sur des faits qui sont ultérieurs à l'élaboration de ladite liste. Il s'agit en particulier de deux exécutions extrajudiciaires perpétrées en janvier et février 2013: des tueurs à gage ont tué deux dirigeants paysans qui revendiquaient des droits de l'homme collectifs. Il faut œuvrer à l'identification et au jugement des responsables matériels et idéologiques de ces «exécutions», a souligné le rapporteur, qui a voulu connaître l'état d'avancement de l'instruction dans cette affaire.

M. Salvioli a ensuite attiré l'attention sur le retard que prend la nomination du médiateur des droits de l'homme. Il en va de même pour les lois de lutte contre la discrimination dont il semble que l'adoption accuse un certain retard.

Le rapporteur a en outre souhaité s'assurer que le Paraguay dispose bien d'un mécanisme de suivi des décisions et recommandations du Comité similaire à celui dont il dispose pour celles que lui adresse la Cour interaméricaine des droits de l'homme.

S'agissant des questions autochtones, M. Salvioli a fait état d'informations qu'il a reçues d'organisations non gouvernementales qui indiquent être très préoccupées quant aux difficultés d'application de la Convention n°169 de l'Organisation internationale du travail, en particulier pour ce qui a trait au droit de consultation effective des populations autochtones. De telles consultations ont-elles été appliquées au Paraguay et quelle méthode a été employée dans ce contexte? Les communautés autochtones semblent très critiques quant à l'Institut national des autochtones (INDI) et sa nouvelle direction, a poursuivi le rapporteur, qui a souhaité connaître son fonctionnement et la manière dont il traite les plaintes et doléances des autochtones. M. Salvioli s'est étonné que l'INDI ait décidé de vendre et donc de transférer à un propriétaire privé du nord du Chaco près d'une trentaine d'hectares de terres ancestrales, ce qui donne l'impression que l'Institut fait exactement l'inverse de ce que l'on attend de lui.

Un autre membre du Comité a relevé que selon ce qu'explique le Paraguay, l'état d'urgence qui avait été décrété à certains moments l'avait été pour combattre un tout petit groupe armé; mais quels sont exactement les droits dont l'exercice est modifié par la déclaration d'un tel état d'exception? Pour ce qui est du recrutement d'enfants soldats – et tout en se félicitant de l'amendement apporté à la loi s'agissant de cette question – cet expert a rappelé qu'il existe au Paraguay une longue tradition de recrutement d'adolescents et que beaucoup d'enfants pauvres sont aussi employés dans le pays dans des travaux domestiques. L'adoption d'une législation ne suffit pas; encore faut-il en contrôler l'application, a souligné l'expert. Il semble en outre y avoir un problème d'enregistrement des naissances au Paraguay.

Après avoir elle aussi déploré le retard pris dans l'adoption d'une législation contre la discrimination, une experte a soulevé le problème de la servitude pour dettes dans la région du Chaco et s'est enquise des mesures prises par les autorités paraguayennes afin de s'assurer que ce type de servitude n'existe plus dans le pays.

Une autre experte s'est enquise des mesures prises par le Paraguay pour assurer l'application des dispositions de la Convention n°189 de l'Organisation internationale du travail relative au travail décent pour les travailleurs domestiques.

Le règlement du code électoral au Paraguay prévoit l'accompagnement des aveugles qui souhaitent voter, mais pas celui des autres personnes handicapées; il faudrait donc que le pays assure l'accessibilité des bureaux de vote pour toutes les personnes handicapées ainsi que leur accompagnement adéquat, le cas échéant, a souligné une experte.

Revenant sur la question des exécutions extrajudiciaires de chefs paysans, un membre du Comité a insisté sur la nécessité de tout mettre en œuvre pour faire la lumière sur ce qui s'est passé.

S'agissant de la question de l'avortement, un expert s'est inquiété que la sanction encourue soit plus importante si la femme ayant eu recours à un avortement a demandé de l'aide que si elle a avorté seule; cela incite les femmes à avorter seules sans solliciter l'aide d'un professionnel lorsqu'elles décident d'interrompre leur grossesse.

Un membre du Comité a souhaité savoir s'il est vrai que dans certaines prisons paraguayennes, en particulier dans celle de Tacumbu dans la capitale (Asunción), la surpopulation carcérale prévaut encore. Qu'en est-il au Paraguay des peines alternatives à la privation de liberté, a-t-il en outre demandé? Selon certaines informations, a poursuivi cet expert, il semble qu'un tiers des personnes emprisonnées au Paraguay soient en attente de leur procès et se trouvent donc en fait placées en détention provisoire, laquelle devrait être l'exception et non la règle. Ceci est particulièrement vrai pour les délinquants mineurs; on trouve dans les centres de détention paraguayens davantage de mineurs en détention provisoire que de mineurs condamnés, s'est inquiété cet expert. Il a en outre fait observer que le refus généralisé du droit de vote à tous les condamnés n'est pas conforme au Pacte. Qu'en est-il exactement de la réglementation applicable au droit de vote des personnes privées de liberté, a demandé l'expert?

Ce même expert a en outre fait part de sa préoccupation face au taux encore très élevé de non-enregistrement des naissances au Paraguay. Il semble ici que l'isolement de certaines communautés doive être invoqué, mais il semble également que les mères mineures n'aient pas la possibilité de faire enregistrer leur enfant, a-t-il souligné.

La torture est aujourd'hui érigée en infraction pénale au Paraguay et un plan national de lutte contre la torture a été mis en place, conformément au Protocole à la Convention contre la torture, s'est félicité un autre expert; néanmoins, le Paraguay ne semble pas avoir été aussi efficace en matière de condamnations pour actes de torture – une seule affaire ayant abouti à une condamnation pour ce délit, a-t-il fait observer. Qu'en est-il des recours dont disposent les victimes de torture, a-t-il demandé? Évoquant par ailleurs les critères qui doivent être satisfaits pour pouvoir prétendre à une indemnisation à titre de victime de la dictature de Stroessner, cet expert a souhaité savoir qui détermine ces critères et dans quelle mesure est appliqué le principe d'impartialité dans ce contexte. Ce même expert a en outre déploré la lenteur de l'enquête sur le massacre de Curuguaty, laquelle se penche d'ailleurs exclusivement sur la responsabilité éventuelle des paysans alors que des plaintes pour actes de torture et exécutions extrajudiciaires ont également été déposées dans cette affaire. Qu'en est-il de la reconnaissance d'éventuelles violations des droits de l'homme de la part de l'État dans le cadre de cette affaire, a insisté l'expert?

La législation paraguayenne prévoit-elle une durée limite de la garde à vue et celle-ci peut-elle intervenir pour des raisons administratives, c'est-à-dire en dehors du cadre strictement pénal, a pour sa part demandé une experte? Au regard de l'importante proportion de personnes placées en détention avant jugement, cette experte s'est enquise des obstacles qui s'opposent à l'application de mesures alternatives à la privation de liberté. Il semble qu'il y ait de grandes disparités, notamment d'une région à l'autre du pays, en termes de respect des garanties fondamentales, notamment pour ce qui a trait au droit de recours à un avocat pour toute personne arrêtée, a poursuivi l'experte. Il semble que des personnes restent détenues alors qu'elles ont purgé leur peine, s'est-elle en outre inquiétée, faisant observer que ce phénomène a été dénoncé par le Comité contre la torture.

Il semblerait que la détention administrative d'une personne puisse durer des heures avant que cette personne soit déférée devant un tribunal et il semble en outre que des individus puissent rester détenus dans les commissariats de police pendant des mois, s'est pour sa part inquiété un expert, faisant lui aussi part de sa préoccupation face à la grande proportion de personnes placées en détention préventive dans le pays. Ce même expert a par ailleurs souhaité savoir comment le Paraguay garantit le droit à la liberté d'expression pour les groupes qui descendent dans la rue pour manifester. Attirant l'attention sur les décès que certaines manifestations ont pu engendrer, tant parmi les manifestants que parmi les forces de l'ordre, cet expert a relevé qu'il ne semble pas que des enquêtes aient été diligentées pour faire la lumière sur ces incidents.

Réponses de la délégation

L'état de droit règne au Paraguay, a tenu à rappeler la délégation. Elle a souligné qu'il existe une abondante jurisprudence dans ce pays du point de vue de l'application du Pacte, y compris pour ce qui a trait à l'objection de conscience.

La délégation a assuré qu'il n'y a pas de vacance de fonction en ce qui concerne l'institution du Médiateur (Défenseur du peuple). Le fait est que la majorité des deux tiers des députés est nécessaire pour l'élection du défenseur du peuple, faute de quoi il y a reconduction tacite de l'ancien titulaire de cette fonction, a expliqué la délégation; or, pour l'heure, il n'a pas été possible de réunir cette majorité des deux tiers. Suite aux élections du 21 avril prochain, peut-être la modification des rapports de force parlementaires permettra-t-elle de disposer de cette majorité des deux tiers, a fait observer la délégation.

Des groupes représentant des secteurs très conservateurs de la société s'opposent avec virulence à toute adoption du projet de loi antidiscrimination, arguant qu'un tel texte ouvrirait la voie à une loi sur le mariage homosexuel, ce qui est absolument faux puisque la Constitution n'autorise pas une telle possibilité, a expliqué la délégation en réponse aux préoccupations exprimées par plusieurs membres du Comité s'agissant du retard qu'accuse l'adoption de ce projet de loi.

L'approbation du plan national des droits de l'homme est la preuve concrète que le Paraguay a pris en compte toutes les recommandations émanant du Comité des droits de l'homme, de la Cour interaméricaine des droits de l'homme ainsi que des débats nourris au sein de la société civile, a en outre déclaré la délégation.

Dans le contexte de la Commission interinstitutionnelle exécutive pour l'application des décisions et recommandations internationales (CICSI), depuis juin 2012, on a constaté que les procédures de suivi étaient extrêmement lentes; il a donc été décidé d'accorder la priorité aux recommandations des autochtones, a par ailleurs souligné la délégation. Jusqu'à il y a peu, a-t-elle rappelé, était encore discutée la question de savoir ce qui pouvait être considéré comme terres ancestrales; mais suite à une décision de justice, il a été décidé que seraient désormais fixés les prix d'acquisition de ces terres – prix qui, bien entendu, ne dépasseraient jamais les prix du marché. Il a en outre été décidé de mettre en place sur ces terres (ancestrales) des infrastructures, comme des écoles, par exemple. La délégation a d'autre part attiré l'attention sur la restructuration et le renforcement de la CICSI qui ont été opérés.

La délégation a par ailleurs indiqué que le Gouvernement est en train de consulter la société civile car il souhaiterait octroyer un statut ministériel à l'Institut national des autochtones (INDI). Le Paraguay est un pays pluriethnique et veille à ce titre à la mise en œuvre des dispositions de la Constitution qui prévoient que les terres autochtones ne doivent pas être soumises à des activités commerciales.

L'avortement est illégal au Paraguay, mais certaines pratiques illégales persistent en la matière, a reconnu la délégation, admettant qu'il existe des chiffres cachés concernant l'avortement puisque des femmes y ont recours sans solliciter aucune aide extérieure alors que d'autres décèdent en avortant. Les médecins ne peuvent pas exercer leur objection de conscience dans ce contexte car la Constitution prévoit qu'ils doivent apporter leur soutien à toute personne qui le requiert, a en outre indiqué la délégation.

S'agissant de la violence contre les femmes, la délégation a assuré que l'État paraguayen a beaucoup progressé dans le traitement de cette question, notamment pour ce qui est des sanctions infligées pour de tels actes et des soins apportées aux victimes. Une ligne téléphonique disponible 24H/24 et 7 jours/7 permet d'apporter un soutien et des conseils aux femmes victimes, a-t-elle indiqué. En outre, des campagnes de prévention ont été lancées en vue d'éradiquer le fléau des violences conjugales, a souligné la délégation, faisant état de l'existence d'une loi – aboutissement d'un long processus ayant duré deux ans – qui traite de la question aux niveaux pénal et civil.

Pour ce qui est de la traite de personnes, la délégation a indiqué qu'elle s'apparente à une forme moderne d'esclavage et a fait valoir qu'en 2011, un programme national de lutte contre la traite a été adopté qui est axé autour de la prévention, de la poursuite des cas de traite et de l'assistance aux victimes. La traite de personnes est un délit à caractère transnational, de sorte que la lutte contre ce fléau exige une coordination avec l'étranger, a souligné la délégation. En 2012, a-t-elle précisé, une centaine de citoyennes paraguayennes victimes de la traite ont été rapatriées. Des condamnations ont été prononcées contre des responsables de traite, les personnes reconnues coupables s'étant vu infliger des peines allant de 4 à 8 années d'emprisonnement, a indiqué la délégation.

Au cours des cinq années couvertes par le présent rapport, l'état d'urgence a été proclamé à deux reprises, a rappelé la délégation. Les garanties constitutionnelles sont très strictes pour veiller à ce qu'il n'y ait aucun abus dans ce contexte, a-t-elle assuré. En 2010, a expliqué la délégation, l'état d'urgence a été proclamé dans quatre provinces pour faire face aux agissements de groupes criminels. En période d'état d'exception, le pouvoir judiciaire a communiqué à tous les citoyens que l'accès aux garanties constitutionnelles était maintenu et que les magistrats des régions concernées étaient habilités à contrôler la légalité de toute détention durant la période visée.

Au Paraguay, il n'y a pas de recrutement forcé de mineurs de moins de 18 ans dans les forces armées, a en outre souligné la délégation. Il n'y a de recrutements que volontaires, a-t-elle insisté.

S'agissant des garanties de droits de l'homme des personnes privées de liberté, la délégation a souligné que le Ministère public, en tant qu'organe en charge des enquêtes et poursuites pénales, a pris l'engagement de défendre les droits de l'homme. La Loi de mai 2012 portant modification du Code pénal a permis d'adapter la définition du terme de torture pour la mettre en conformité avec l'article premier de la Convention contre la torture, a rappelé la délégation. Ainsi, le Ministère public va-t-il être en mesure de mener des enquêtes beaucoup plus approfondies sans rencontrer d'obstacles, c'est-à-dire sans que les enquêtes ne soient classées en raison d'obstacles auxquels la loi susmentionnée à mis fin.

En ce qui concerne les conditions carcérales, la délégation a indiqué que la prison de
Tacumbu à Asunción était à l'origine prévue pour 600 personnes, après quoi elle a été agrandie pour accueillir 1200 détenus. Or, aujourd'hui, cette prison compte malheureusement plus de 3700 détenus, a annoncé la délégation, précisant avoir obtenu cette information de la capitale ce matin-même à huit heures. Le Gouvernement a donc décidé de saisir les mécanismes compétents pour tenter de débloquer des fonds permettant de construire une nouvelle prison. Le centre pénitentiaire de Tacumbu, cela va sans dire, ne peut plus continuer de fonctionner ainsi, a insisté la délégation. Le Gouvernement a choisi de construire une nouvelle prison dans la ville d'Emboscada, à 140 km d'Asunción, afin de désengorger la prison de Tacumbu, a-t-elle indiqué.

Aujourd'hui 17 enfants vivent avec leurs mères en prison, a poursuivi la délégation, faisant état de l'existence d'un plan pilote d'accompagnement de ces femmes et de leurs enfants.

Jusqu'à récemment, la priorité n'était pas accordée aux personnes privées de liberté, loin de là, a reconnu la délégation; néanmoins, de grands progrès ont maintenant été réalisés, grâce à la volonté politique du Gouvernement qui s'est engagé, entre autres, à améliorer la capacité d'accueil des institutions pénitentiaires, a-t-elle souligné.

La délégation a ensuite rappelé que la Constitution paraguayenne prévoit que la détention préventive doit revêtir un caractère exceptionnel. Le Code de procédure pénale limite à deux ans la durée de la détention préventive, a-t-elle précisé.

Jusqu'en 1998, le concept de mesures alternatives (à la privation de liberté) n'existait pas dans le Code procédure pénale; mais il est maintenant possible de remplacer les mesures de détention préventive par d'autres mesures, a par ailleurs indiqué la délégation, soulignant que le public exerçait des pressions considérables pour que les personnes accusées d'un délit restent en prison. Quoi qu'il en soit, il y a deux ans, une loi est donc venue limiter aux homicides et autres crimes graves les circonstances dans lesquelles une personne peut être placée en détention préventive. En 1998, 80% des prisonniers au Paraguay n'avait pas encore été condamnés; aujourd'hui, ce taux est tombé à 30%, a fait valoir la délégation.

Une personne ne peut être placée en détention sur simple mandat de la police; elle ne peut l'être que par une décision de justice, c'est-à-dire après avoir été déférée à un juge, a poursuivi la délégation. En outre, nul n'est tenu de faire une déclaration en dehors de la présence d'un avocat, a-t-elle souligné. Par ailleurs, le recours en habeas corpus permet à l'individu de saisir n'importe quelle instance judiciaire pour statuer de la légalité de sa détention.

S'agissant des critères pour l'application des mesures de réparation en faveur des victimes de la dictature de Stroessner, la délégation a rappelé que les personnes qui ne s'estiment pas satisfaites peuvent avoir recours à la justice. La loi prévoit que des réparations peuvent également être versées aux descendants ou héritiers des victimes, a précisé la délégation. En 1996, a-t-elle rappelé, la Cour suprême a pris une décision emblématique concernant des victimes de la dictature qui non seulement avaient été détenues mais aussi torturées.

En ce qui concerne «l'affaire» de Curuguaty, la délégation a rappelé qu'il y a eu assassinat de 17 compatriotes dans cette affaire et qu'il incombe au Ministère public d'établir la réalité des faits, en toute objectivité. Le Ministère public a émis des hypothèses et l'une d'elles a été renforcée sur la base de preuves et de conclusions scientifiques, a expliqué la délégation. Pour le reste, le Ministère public a reçu des plaintes d'abus présumés commis par des agents de police et une enquête a donc été ouverte qui est menée non pas par le Procureur mais par les municipalités concernées par les 17 décès, cette enquête – qui bénéficie de tout l'appui nécessaire – est en cours et doit parvenir à des conclusions conformément à la loi, a ajouté la délégation.

Conclusion

M. NIGEL RODLEY, Président du Comité, s'est dit impressionné par la taille et la qualité de la délégation de haut niveau que le Paraguay a présentée devant le Comité et a souligné que cela a permis de nourrir un dialogue aussi fructueux que le souhaitait le Comité. Il s'est félicité des mesures prises par le pays pour donner suite aux recommandations émanant d'instances et organes internationaux tels que le Comité. Le Paraguay a pris des mesures pour mieux répondre aux besoins des communautés autochtones et il conviendra de voir comment les choses évoluent en la matière, a poursuivi M. Rodley. Il conviendra également de voir dans quelle mesure le plan national d'action pour les droits de l'homme sera suivi d'effet par les différents ministères concernés.

Les membres du Comité ont fait part de leurs préoccupations s'agissant du très grand nombre d'avortements clandestins qui ont lieu dans le pays, a par ailleurs rappelé M. Rodley. Il ressort clairement que le Paraguay s'est engagé à lutter contre le phénomène de la corruption, s'agissant notamment de l'administration de la justice, s'est en outre félicité le Président du Comité. M. Rodley a enfin indiqué que les observations finales que le Comité adoptera ultérieurement inviteront le Paraguay à fournir des informations complémentaires, dans un délai d'un an, afin de rendre compte des mesures prises par le pays pour répondre à des questions qui préoccupent particulièrement les experts.

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