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Communiqués de presse Organes conventionnels

Le Comité pour l'Élimination de la discrimination à l'égard des femmes tient un débat général sur les femmes et l'accès à la justice

19 Février 2013

Comité pour l'élimination de la discrimination
à l'égard des femmes

18 février 2013

Le Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes a tenu, ce matin, un débat général d'une demi-journée consacré au thème de l'accès à la justice par les femmes.

Dans une déclaration liminaire, Mme Nicole Ameline, Présidente du Comité, a rappelé que les droits juridiques n'ont de sens que lorsqu'ils peuvent être défendus. Elle a appelé les États parties à la Convention à veiller au plein respect de l'accès des femmes à la justice. Elle a indiqué que la consultation de ce jour serait une première étape dans le processus de formulation d'une observation générale par le Comité.

Ont également fait des déclarations liminaires Mme Mona Rishmawi, Chef de la Division de l'état de droit, de l'égalité et de la non-discrimination au Haut-Commissariat aux droits de l'homme; Mme Lee Waldorf, de l'Entité des Nations Unies pour l'égalité des sexes et l'autonomisation des femmes (ONU-Femmes); et M. Zanofer Ismalabbe, conseiller en droits de l'homme au Programme des Nations Unies pour le développement. Mme Silvia Pimentel membre du Comité et Présidente de son groupe de travail sur les femmes et l'accès à la justice a présenté l'observation générale que le Comité prépare sur la question.

Plusieurs experts invités ont donné au Comité des explications sur les obstacles juridiques, procéduraux et institutionnels rencontrés par les femmes dans l'accès de la justice: Mme Frances Raday, Vice-Présidente du Groupe de travail des Nations Unies sur la question de la discrimination à l'égard des femmes dans la législation et dans la pratique; Mme Sara Hossain, directrice honoraire du Bangladesh Legal Aid Service Trust; et M. Wilder Tayler, Secrétaire général de la Commission internationale de juristes.

Trois autres experts ont décrit les difficultés sociales, économiques et pratiques qui empêchent les femmes d'accéder à la justice: Mme Simone Cusack, responsable de la recherche et des politiques à la Commission australienne des droits de l'homme; Mme Magdalena Sepúlveda Carmona, Rapporteur spécial sur l'extrême pauvreté et les droits de l'homme; et Mme Karen Vertido, qui a témoigné de la plainte dont elle a saisi le Comité en vertu du Protocole facultatif. Enfin, Mme Shaheen Sardar Ali, Vice-Présidente du Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire, a décrit les problèmes spécifiques auxquels sont confrontées les femmes issues de milieux défavorisés.

Ont participé au débat la Norvège (au nom du Danemark, de la Finlande, de l'Islande, de la Norvège et de la Suède), l'Argentine, la Suisse, l'Australie, Sri Lanka, Bahreïn, la Slovénie et le Brésil. Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et l'Organisation internationale du travail ont aussi fait des interventions.

Les organisations non gouvernementales suivantes ont pris la parole: International Women's Rights Action Watch Asia Pacific, Widows for Peace, International Disability Alliance, REDRESS et Strategic Initiative for Women in the Horn of Africa, Amnesty International, Avocats sans Frontières, Centre for Reproductive Rights, International Gay and Lesbian Human Rights Commission (au nom de 43 organisations d'Afrique, d'Asie, d'Europe et d'Amérique latine), Global Action to Prevent War and Armed Conflict, Ban Ying, FIAN – pour le droit à une alimentation adéquate, Harm Reduction International et CLADEM. Mme Lilian Hofmeister, juge à la Cour de Vienne, a également pris la parole.

Le Comité se réunira à 15 heures cet après-midi pour une réunion publique informelle avec des représentants d'organisations non gouvernementales et d'institutions nationales de droits de l'homme de la Grèce, de l'Angola et de l'ancienne République yougoslave de Macédoine. Les rapports de ces pays seront examinés par le Comité cette semaine.

Débat général sur les femmes et l'accès à la justice

Déclarations liminaires

MME NICOLE AMELINE, Présidente du Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes, a déclaré que l'accès à la justice semble être une chose éloignée pour de nombreuses femmes. Pourtant, les droits juridiques n'ont de sens que lorsqu'ils peuvent être défendus. Elle a remercié le groupe de travail pour avoir donné l'idée d'une observation générale sur ce thème et rappelé que le Comité avait été saisi de plus de cinquante contributions écrites. Elle a également salué les efforts du Haut-Commissariat aux droits de l'homme, dont plusieurs représentants participeront au débat, ainsi que la présence des panélistes. Elle a appelé les États parties à la Convention de veiller au plein respect de l'accès des femmes à la justice et a attiré l'attention sur son article 21, qui vise à fournir des indications détaillées aux États parties. La consultation de ce jour est une première étape dans le processus de formulation d'une observation générale, après quoi le Comité entamera la rédaction de cette observation générale n° 29 du Comité.

MME MONA RISHMAWI, Chef de la Division de l'état de droit, de l'égalité et de la non-discrimination au Haut-Commissariat aux droits de l'homme, s'est félicitée de l'initiative du Comité de tenir cette discussion générale qui servira le programme quinquennal conjoint de l'ONU sur l'accès à la justice. Occasion exceptionnelle de promouvoir la mise en œuvre de normes juridiques garantissant un tel accès. En septembre 2012, l'Assemblée générale a pour la première fois organisé une réunion de haut niveau sur l'état de droit aux niveaux national et international au terme de laquelle les États ont adopté une Déclaration sur l'état de droit. L'Assemblée générale a également adopté un ensemble de principes et lignes directrices sur l'accès à l'assistance juridique dans le système de justice pénale, autre outil pertinent en la matière. Selon ces principes, les États doivent fournir une assistance voulue aux victimes et prendre des mesures pour remédier aux préjudices et les protéger contre toute forme d'intimidation. Le Haut-Commissariat se félicite du fait que l'observation générale envisagée par le Comité traitera de tous ces aspects. La représentante a souligné que les systèmes traditionnels de justice continuent d'être appliqués dans plusieurs régions du monde et que les tribunaux coutumiers portent souvent atteinte aux droits des femmes. Elle a aussi attiré l'attention sur la responsabilité à l'égard des victimes des violences sexuelles lorsque les auteurs ne sont pas facilement identifiables; ces victimes peuvent être réticentes à porter plainte, a-t-elle souligné.

MME LEE WALDORF, représentante de l'Entité des Nations Unies pour l'égalité des sexes et l'autonomisation des femmes (ONU-Femmes), a affirmé pour sa part que les systèmes judiciaires de par le monde ne répondent pas suffisamment aux besoins des femmes, du fait d'une discrimination systémique à leur égard. Des études récentes sur des cas de viols montrent une forte réticente des femmes victimes, ce qui prouve que le manque de justice, notamment dans les situations de conflit, résulte d'une crainte des représailles. Le développement du système judiciaire afin de permettre l'accès des femmes à la justice doit constituer une priorité des États parties dans le cadre de l'application de la Convention. Une approche compartimentée ne suffit pas dans ce domaine, a-t-elle insisté, en appelant de ses vœux une orientation du Comité dans ce domaine.

M. ZALOFER ISMALABBE, conseiller au Programme des Nations Unies pour le développement, a souligné le défi particulier posé par l'accès des femmes à la justice. Pour les femmes qui viennent de contextes pauvres et marginalisées, la possibilité de revendiquer leurs droits s'avère très difficile, surtout si les responsables de violations sont puissants. Le manque d'accès à la justice aggrave leur situation. Ces problèmes existent à tous les niveaux de la justice, dès l'intervention de la police, et sont compliqués par des causes structurelles et une inégalité fondée sur le sexe. Le système de justice doit traiter des violences sexuelles qui sont de plus en plus fréquentes. L'accès des femmes à la justice exige une réforme radicale du système judiciaire, en soutenant les capacités du personnel de la justice, en veillant à l'égalité des droits et, au respect des garanties, à l'accès aux recours et aux réparations. M. Ismalabbe a espéré que le Programme conjoint contribuera à une refonte du système national et international à cet égard.

MME SILVIA PIMENTEL, membre et ancienne Présidente du Comité et Présidente du groupe de travail du Comité sur les femmes et l'accès à la justice, a déclaré que le débat marque la culmination de deux années d'efforts et de réflexion sur l'accès des femmes à la justice. Soulignant l'enthousiasme des membres du Comité au cours de ce processus, elle a salué le niveau élevé des participants au débat général, et des contributions reçues par les parties prenantes, notamment les organisations non gouvernementales. Mme Pimentel a mentionné l'importance de la participation du Comité de América Latina y el Caribe para la Defensa de los Derechos de la Mujer (CLADEM) et de l'Association des femmes du Pacifique et d'Asie du Sud-Est, qui ont particulièrement contribué aux phases de préparation. L'importance de l'observation générale sur les femmes et l'accès à la justice est essentielle pour faire disparaître les injustices, en droit et dans la pratique, et pour se pencher davantage sur les stéréotypes économiques, sociaux et culturels dont sont l'objet les femmes dans ce contexte.

Obstacles juridiques, de procédure et institutionnels à l'accès des femmes à la justice

MME FRANCES RADAY, Vice-Présidente du Groupe de travail de l'ONU sur les discrimination à l'égard des femmes en droit et dans la pratique et Professeur de droit à l'Université hébreue de Jérusalem, a indiqué que l'accès à la justice doit être garanti et efficace. Cela suppose une reconfiguration de l'ensemble du système de justice, conformément aux normes internationales, en particulier la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes et son Protocole facultatif, qu'il s'agisse des tribunaux nationaux ou des autres systèmes formels et informels de justice. Une égalité constitutionnellement garantie assure un examen judiciaire efficace, a-t-elle ajouté. Cette garantie constitutionnelle est une expression indispensable de la volonté politique. Les dispositions constitutionnelles doivent dès lors être concrètes et définir les priorités de l'égalité dans tous les documents législatifs. Dans de nombreuses constitutions rédigées récemment en Afrique subsaharienne et en Amérique, un soin particulier a été consenti pour intégrer l'égalité entre les sexes. Le processus est également en cours au Maghreb, avec la Constitution marocaine adoptée en juillet 2011 qui énonce explicitement l'égalité des droits pour les femmes, ainsi que dans le cadre des débats en cours en vue de la rédaction de nouvelles constitutions dans les pays de la région en transition politique. Mme Raday a insisté sur la garantie des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels des femmes, sur l'applicabilité des garanties constitutionnelles dans le domaine pénal, sur l'interdiction de la violence, sur l'égalité des chances dans la représentation dans la vie politique, sur les mesures spéciales tels que les quotas.

Mme Raday a souligné que lorsque le droit des femmes est garanti dans la Constitution, elles peuvent contester des politiques et comportements discriminatoires devant les tribunaux. Il importe d'affirmer les droits des femmes en se basant sur les normes internationales qu'il convient de faire primer sur le droit interne, a-t-elle ajouté. Elle a fourni plusieurs exemples comme l'affaire Doe au Botswana, l'avortement autorisé par la Cour constitutionnelle de Colombie, et un viol conjugal puni par un tribunal aux Pays-Bas. Les décisions juridiques régionales et internationales doivent servir l'accès des femmes à la justice en tant que précédents. Le Comité a très souvent engagé les États parties à lever les réserves qu'ils ont émises à l'égard de la Convention qui pourraient en particulier entraver l'accès des femmes aux tribunaux, a-t-elle rappelé. La dérogation et l'exclusion au nom de principes coutumiers ou religieux entraînent une discrimination à l'égard des femmes. Dans certaines régions, ces principes sont solidement ancrés dans le système judiciaire, notamment dans les législations de républiques islamiques ou arabes. Il y a cependant une bonne pratique en Asie du Sud-Est et en Afrique subsaharienne qui prévoit que les valeurs et les coutumes ne priment pas sur les normes juridiques et l'accès à la justice. Mme Raday a invité à se pencher enfin sur l'impunité pour les crimes d'honneur, le mariage forcé d'enfants et le viol.

MME SARA HOSSAIN, directrice honoraire du Bangladesh Legal Aid and Services Trust (BLAST) a examiné les systèmes de justice traditionnels en Asie du Sud, soulignant qu'il existe des systèmes juridiques parallèles aussi variés que les communautés autochtones ou ethnique considérées. En réalité, ces systèmes créent des états d'exception au regard du système judiciaire national. En outre, ils ne sont parfois pas du tout reconnus, ce qui pose aussi problème. Il faut faire la distinction entre les lois appliquées et les instances dans un système de justice plurielle ainsi que la capacité de réceptivité et de changement. Ce débat touche aux questions touchant la liberté d'expression et de choix dans les mesures de justice. Il pose aussi le défi de l'accès, du coût et de la distance pour l'accès des femmes à la justice. L'article 5 de la Convention offre un cadre idoine pour ces questions, mais elle ne dit rien sur les systèmes de justice traditionnelle. Les processus et les décisions dans ce contexte peuvent violer la dignité et les droits fondamentaux des femmes. Dans certains cas, cependant, ces tribunaux traditionnels peuvent jouer un rôle important en cas de faiblesse ou d'impossibilité d'accès aux systèmes judiciaires nationaux. Il faudrait aller dans le sens d'une réforme des pratiques discriminatoires sur la base du principe de l'égalité entre les sexes. Les lois traditionnelles discriminatoires concernent généralement le mariage, la famille, l'héritage et les droits fonciers. Elles limitent souvent le droit des femmes de choisir, le droit de succession, le choix du mari et d'autres discriminations d'ordre économique. Mme Raday a proposé de mettre l'accent sur l'égalité entre les sexes, sur la nécessité de changement et sur l'appui aux femmes afin de leur permettre une participation au système de justice pour garantir une égalité de fond dans la justice traditionnelle.

M. WILDER TAYLER, Secrétaire général de la Commission internationale des juristes, a attiré l'attention sur l'obstacle institutionnel à l'accès des femmes à la justice que représente la façon dont le secteur judiciaire et son personnel réagissent aux plaintes des femmes, souvent caractérisée par une insensibilité et un rejet. Les femmes sont systématiquement renvoyées chez elles, verbalement agressées et brimées. Dans la plupart des cas, les procédures ne sont pas suivies d'effet et les femmes sont encouragées à régler leurs problèmes en dehors du système de justice. D'autre part, l'exécution des décisions judiciaires, comme la garde des enfants, est un autre casse-tête pour les femmes. Les fonctionnaires semblent aussi ne pas disposer de références quant à leur responsabilité et à leur comportement. De ce fait, l'importance et la valeur à tirer les leçons de cette situation ne sont plus à rappeler, a-t-il déclaré. Souvent les États abordent les problèmes d'une manière cloisonnée et pêchent par défaut, s'agissant en particulier du suivi des cas de viol. Ainsi, la façon dont le suivi des preuves médicales est pratiquée perpétue d'autres stéréotypes sur la virginité et la vie sexuelle de la femme. Les voies d'accès à la justice peuvent être inaccessibles pour de nombreuses femmes. Une femme migrante clandestine sans pièces d'identité risque aussi d'être poursuivie, ce qui fait qu'elle recherchera rarement des recours juridiques si elle est victime d'agression. Les lesbiennes, bisexuelles et transexuelles sont aussi confrontées aux risques de rejet ou de représailles si elles ont recours à la justice, a souligné le panéliste.

Défis sociaux, économiques et pratiques dans l'accès des femmes à la justice

MME SIMONE CUSACK, Avocate et chercheuse auprès de la Commission australienne des droits de l'homme, a examiné la question des stéréotypes empêchant les femmes de signaler des atteintes à leurs droits. À Ciudad Juárez, au Mexique, les autorités n'ont pas répondu comme il se doit aux séries de meurtres de femmes et de jeunes, précisément en raison de stéréotypes sur les femmes. Mme Cusack a par ailleurs souligné que les stéréotypes sont particulièrement ancrés à l'égard des handicapées ou d'autres catégories sociales. Dans certains cas, les femmes doivent satisfaire la soumission de preuves qui ne sont pas exigées des hommes. Des clichés entravent aussi la participation des femmes au personnel judiciaire. Mme Cusack a souligné la complexité des manifestations résultant d'une vision stéréotypée fondée sur le sexe. Dans cet esprit, elle a estimé que l'application de la Convention est susceptible de jouer un rôle vital dans la suppression des stéréotypes et dans la nécessité pour l'État partie de prendre en compte leur existence. L'observation générale du Comité doit insister sur l'obligation des États de faire valoir les droits des femmes en droit et dans la pratique. Ils devraient aussi se garder de maintenir des normes inflexibles sur le comportement des femmes. Il s'agit donc de détailler, dans l'observation générale, toutes les obligations de l'État partie en droit et dans la pratique.

MME MAGDALENA SEPÚLVEDA CARMONA, Rapporteuse spéciale du Conseil des droits de l'homme sur l'extrême pauvreté et les droits de l'homme, a rappelé qu'en novembre 2012, elle avait soumis à l'Assemblée générale un rapport sur l'accès à la justice, en soulignant que les femmes qui vivent dans des conditions de pauvreté font face à des discriminations multiples, ce qui risque d'avoir des effets dévastateurs tant pour elles que pour leurs enfants. Les femmes qui ne peuvent avoir accès à la justice pour cause de pauvreté sont souvent dépendantes du point de vue économique et courent le péril d'être empêchées de saisir la justice, justement par leurs maris ou partenaires qui abusent d'elles. Le coût prohibitif de l'accès à la justice est également une discrimination majeure dans l'égalité des armes. Souvent, l'époux peut recourir à un bon avocat alors que la femme n'en a pas les moyens. Ces coûts ne sont pas les seuls car il faut aussi y ajouter les taxes, le coût de transport, de logement, d'absence du travail, autant de raisons qui rendent les femmes réticentes à recourir à la justice. Une femme qui risque de perdre son emploi pour se rendre au tribunal ou dans une administration choisira de ne pas s'absenter de son travail. La corruption demeure aussi un problème majeur. Mme Sepúlveda a préconisé l'accès gratuit à la justice, l'adoption de politiques favorables qui prennent en considération la sexospécificité, l'assistance juridique compétente, notamment dans les affaires civiles, l'assistance gratuite par des avocats qualifiés et sensibles aux considérations de genre.

MME KAREN VERTIDO, pétitionnaire des Philippines qui a déposé une plainte auprès du Comité au titre du Protocole facultatif, est venue témoigner de son expérience suite à un viol et de sa quête de justice. Violée le 29 mars 1997 sur son lieu de travail dans une ville de Mindanao, elle a souligné que cette souffrance indicible n'était rien comparée aux difficultés durant les dix années qui ont suivi alors qu'elle cherchait à obtenir justice. Elle a expliqué être devenue autodidacte pour tenter de se battre avec des arguments juridiques tout en s'exposant à l'opinion publique, et elle a reçu des lettres de soutien et des dons anonymes pour poursuivre son combat. Mais faute d'argent, beaucoup de femmes ne peuvent en faire autant. Aux Philippines, une femme indépendante qui cherche à défendre ses droits est considérée comme arrogante alors qu'un homme, dans les mêmes circonstances, est perçu comme un héros. L'homme qui l'a violée a été acquitté car il a été considéré qu'«une femme dans ces conditions doit être très stupide pour s'être laissé faire». Dans son témoignage, Mme Vertido a fustigé la corruption généralisée aux Philippines et invité à prendre des mesures déterminées contre ce fléau. En dépit de l'arsenal législatif de protection des droits des femmes, il y a un manque de sensibilité généralisée sur ces questions dans la société. «J'ai cru mourir au tribunal lorsque mon violeur a été acquitté», a-t-elle déclaré, avant de rappeler que la procédure de plainte auprès du Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes a été sa planche de salut. Mme Vertido a fait part de sa perplexité du fait que son gouvernement ait ratifié la Convention mais n'en applique pas les dispositions. Enfin, sous les applaudissements de la salle, elle s'est déclarée «heureuse de se retrouver avec des personnes qui partagent le même rêve».

Défis rencontrés par les groupes de femmes défavorisées dans l'accès à la justice

MME SHAHEEN SARDAR ALI, Vice-Présidente du Groupe de travail de l'ONU sur la détention arbitraire et Professeur de droit à l'Université de Warwick, a indiqué que dans les situations de crise et de conflit, le secteur judiciaire constitue un garde-fou pour les administrés, d'où la nécessité d'assurer la stabilité du secteur public, garantie de la stabilité de l'administration de la justice et de la survie. La justice n'est pas simplement une branche du gouvernement: elle est le socle sur lequel reposent la survie des individus, des communautés et des pouvoirs publics, en particulier en période de crise et au sortir d'un conflit.

Débat

La Norvège, au nom également du Danemark, de la Finlande, de l'Islande et de la Suède, a indiqué que les barrières à l'accès à la justice se déclinaient au pluriel, comme les raisons économiques, la pauvreté, la discrimination, le manque d'informations sur les droits individuels ainsi que sur les procédures de recours, sans compter les obstacles physiques. À cet égard, l'observation générale devrait inclure un compendium de toutes les difficultés auxquelles les femmes se heurtent dans leur accès à la justice, en accordant également une attention particulière aux groupes vulnérables et aux femmes défavorisées comme les pauvres, les handicapées et les femmes autochtones.

L'Argentine a préconisé de faire ressortir les pratiques judiciaires, conformément à la Convention, et répertorié les bonnes pratiques quant à l'accès des femmes à la justice.

La Suisse a souligné l'importance cruciale de la future observation générale du Comité. Elle a rappelé que la nouvelle Commission européenne sur les femmes. L'étude devrait mettre en évidence les obstacles spécifiques rencontrés par les migrantes, les handicapées, les lesbiennes ou autres groupes affectés dans leurs droits. En 2006 l'évaluation de la loi suisse sur l'égalité entre les sexes dans le domaine professionnelle a mis en lumière huit facteurs auxquelles il faut accorder la priorité, parmi lesquels le degré de preuves, l'existence de sentences efficaces et proportionnées, les moyens de recours des travailleuses et le droit d'action en justice et l'intégration d'une formation spécifique pour les professionnels du droit sur la discrimination des femmes dans l'accès à la justice.

L'Australie a appelé pour sa part à créer un environnement porteur pour rendre la justice aux femmes. Des commissions d'aide juridique sont ainsi mises en place en Australie en particulier pour aider les femmes à porter plainte et à avoir un recours judiciaire suite à un incident de violence. D'autres services d'ouverture sont mis en place dans les zones rurales et pour les femmes autochtones, a-t-elle encore informé. L'Initiative de l'égalité de genre dans la région du Pacifique est au centre des efforts australiens dans le domaine de l'accès des femmes à la justice.

Sri Lanka a déclaré que plusieurs mesures concrètes ont été mises en œuvre pour appliquer une loi sur la violence à l'égard des femmes, qui a été adoptée à l'issue de consultations avec des organisations féminines et de défense des droits de l'homme. Un plan de sensibilisation complet pour l'appareil judiciaire est également prévu dans le cadre du plan de protection de la femme et de l'enfant. Il est également prévu d'établir un plan national sur les droits de la femme et la législation est entrain d'abroger les mesures discriminatoires à l'égard des femmes, comme dans le cas de l'héritage et l'égalité des chances sur le lieu de travail.

Bahreïn a déclaré que la Constitution nationale et le Pacte national du travail contiennent différentes normes également consacrées dans la Convention et au Protocole. La loi sur l'emploi a été amendée pour le secteur privé, ainsi que la loi sur le logement et, bientôt, le Code de la famille. Des efforts ont aussi été déployés pour réduire l'écart entre les textes et leur application pratique. Des séminaires ont été organisés pour sensibiliser et garantir l'égalité des femmes dans la loi et dans la pratique.

La Slovénie a lancé un appel aux États qui n'ont pas ratifié la Convention de le faire sans tarder. L'égalité dans l'accès à la justice signifie que le personnel judiciaire, y compris au plus haut niveau, en garantisse l'accès sans sexisme. Les crimes fondés sur le sexe ne doivent pas être ignorés et les femmes doivent être encouragées à embrasser des carrières dans la justice afin qu'elles y soient de plus en plus nombreuses. Tout le personnel doit être sensibilisé à l'égalité dans l'accès à la justice, a conclu l'intervenante.

Le Brésil a félicité Mme Pimentel pour le travail remarquable accompli au sein du Comité et souhaité succès à la nouvelle présidente. L'accès à la justice demeure inégal aussi bien dans les pays développés que dans les pays en développement; cela est d'autant plus vrai pour les femmes appartenant à des groupes vulnérables. En 2006, le Brésil a adopté la Loi Maria Da Pena contre la violence à l'égard des femmes et la Cour suprême a décidé que des requêtes pénales peuvent être engagées même en l'absence de la personne concernée. Une rencontre de haut niveau composée de femmes dirigeantes et hautement qualifiées sera organisée au Palais des Nations en mars prochain, a-t-elle annoncé en conclusion.

Une représentante du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a déclaré que le HCR et ses partenaires sont amenés à fournir une assistance aux victimes de violences sexistes et sexuelles. Dans ce cadre, ils doivent veiller à faciliter l'accès des femmes à des systèmes de justice efficaces. Il faut en outre trouver des solutions pour lutter contre l'impunité.

Une représentante de l'Organisation internationale du travail a indiqué que le nombre et le rôle des organes chargé de l'égalité dans le travail augmente, et qu'il est important que les syndicats puissent porter plainte, car cela réduit les risques de représailles. S'agissant de certaines catégories de femmes ayant des difficultés particulières dans l'accès à la justice, il est vital d'établir des statistiques spécifiques et de mettre en place des systèmes d'inspection pour éviter les abus sur le lieu de travail.

International Women's Rights Action Watch - Asie et pacifique a recommandé l'intégration systématique du principe d'égalité dans tous les textes législatifs relatifs à la justice. Elle a considéré que l'observation générale du Comité devra proposer une approche intégrée des droits de l'homme, expliciter la base juridique et les normes régissant la responsabilité étatique et non étatiques, ratifier promptement le Protocole facultatif à la Convention, et appliquer des normes souples et appropriées en ce qui concerne les voies de recours et de recevabilité.

L'organisation Widows for Peace a rappelé que les veuves viennent seulement d'être reconnues comme un groupe vulnérable; elles sont l'objet de nombreuses injustices et abus. La situation d'une veuve est aggravée dans les situations de conflit, de catastrophes et d'urgence, a-t-elle souligné, en recommandant aux Gouvernements de combler le manque de données et de veiller aux droits des veuves à réparation. La représentante a en effet souligné que les veuves sont souvent spoliées de leurs biens légitimes.

International Disability Alliance a souligné, de son côté, le risque plus élevé de violences sexistes infligées à des handicapées. Il est fait obstacle à leur accès à la justice en raison de stéréotypes, de manque d'accessibilité et d'accueil. Les femmes placées dans des institutions sont également intimidées et ne portent pas plainte de crainte de représailles. L'observation générale doit demander aux États de favoriser l'accessibilité et la consultation avec les handicapées pour l'accès à la justice.

Les organisations REDRESS et Strategic Initiative for Women in the Horn of Africa ont mis l'accent sur la non-reconnaissance de la violence faite aux femmes en général. Les femmes doivent avoir la possibilité de faire des choix individuels et éclairés, a-t-elle souligné, demandant que les besoins essentiels soient assurés, notamment en termes d'accessibilité et de traduction. Soulignant la gravité du sujet, elle a rappelé qu'une femme violée était parfois forcée à épouser son violeur.

Amnesty International s'est réjouie de voir se développer le concept d'accès à la justice. Les femmes et jeunes filles accusées d'activités criminelles ont aussi à faire face à des injustices fondées sur les stéréotypes. Elle a engagé le Comité à se pencher sur les lois relatives aux comportements sexuels.

L'organisation Avocats sans frontières, forte de vingt années d'expérience de travail avec les femmes dans le système judiciaire sur la base d'une approche reposant sur les droits de l'homme, a souligné que les femmes sont victimes non seulement de l'absence de législation les concernant mais également de la non-application des législations existantes. Il a recommandé de s'atteler à l'application des dispositifs juridiques dans les États en conflit. Les États doivent être encouragés à veiller au fonctionnement effectif de la justice dans les situations fragiles. Il s'agira d'établir des priorités et de consacrer des budgets conséquents à cet effet. Les États devraient aussi avoir une approche concrète et œuvrer de concert avec les représentants de la justice coutumière. Cet engagement ne doit pas être perçu comme un écart de la justice mais comme une contribution.

L'organisation Center for Reproductive Rights a indiqué que l'observation générale qu'adoptera le Comité devra prendre en considération les discriminations multiples dans le domaine de la santé reproductive. Les États doivent réformer les lois sur certains services pénalisant les femmes qui ont recours à certaines interventions liées à la santé, ou qui les privent de certains traitements.

La Commission internationale des droits de l'homme pour les droits de l'homme des gays et lesbiennes, qui s'exprimait au nom de 43 autres organisations dans le monde, a énuméré les obstacles auxquels se heurtent les groupes qu'elle représente. Dans bien des cas, les autorités publiques sont complices dans la discrimination. La plupart des États parties à la Convention ne protègent pas les individus ayant des relations avec une personne du même sexe. Elle a rappelé l'observation générale n.28 adoptée par le Comité et émis le désir que l'observation no.27 soit aussi appliquée aux homosexuels et lesbiennes.

L'organisation Global Action to Prevent War and Armed Conflict a attiré l'attention sur une série de conclusions et de recommandations adoptées à l'occasion d'un séminaire qu'elle a récemment organisé au Guatemala sur les défis structurels et pratiques au système de justice. Elle a recommandé au Comité d'encourager la transparence, la communication de données et d'informations appropriées aux femmes quant à leur accès à leur justice, l'octroi aux femmes d'un espace de sécurité stable et continu durant toutes les étapes de la procédure, la sensibilisation des femmes des communautés sur leurs droits, et l'appui du Comité aux communautés de femmes.

L'organisation Ban Ying, établie en Allemagne, est préoccupée par la situation des migrantes et des travailleuses domestiques qui proviennent de pays du sud. Elles ont été exploitées et violées par des diplomates dans le monde entier et n'ont aucun recours du fait du problème de l'immunité diplomatique. Aucune employée de maison n'a été en mesure d'avoir gain de cause face à un diplomate dans les cas d'abus, a-t-elle résumé. Se gardant de dire que tous les diplomates profitent de leurs employées, elle a toutefois signalé que certains abusent de leur immunité.

FIAN – pour le droit à une alimentation adéquate a affirmé qu'une femme peut rechercher justice par l'entremise de sa communauté mais que cela posait également des problèmes dans le cas où les chefs sont des hommes. Nombre de femmes marginalisées rencontreront d'autres obstacles si elles choisissent de s'adresser directement aux organes judiciaires.

L'organisation Harm Reduction International a encouragé, de son côté, à adopter des mesures claires pour l'accès à la justice des femmes pour des infractions non violentes liées aux stupéfiants. Ce type d'infractions, suivies de détention, ne répond pas à la nécessité de protection de la société, a-t-elle estimé, en dénonçant les abus dont sont objet les détenues dans de nombreux pays. Elle a émis le vœu que le Comité inclut la question des stupéfiants dans l'étape préparatoire de l'observation générale.

Comité de América Latina y el Caribe para la Defensa de los Derechos de la Mujer (CLADEM) a proposé au Comité de recommander aux États parties d'inclure dans le système de justice les normes des instruments internationaux, en particulier la Convention. Elle a attiré l'attention sur le processus de réformes en cours dans les pays de la région, qui se fait au détriment des femmes.

MME LILIAN HOFMEISTER, Juge à la cour de Vienne, a rappelé qu'en vertu de la Déclaration et du Programme d'action de Beijing, il incombe aux États parties de faire respecter la loi mais d'en offrir aussi les éléments à tous les acteurs. En Autriche, le droit du travail notamment a été modifié pour prendre en compte la dimension de genre; de nouvelles dispositions juridiques de protection des victimes et de protection contre le harcèlement ont été adoptées. Elle a encouragé l'adoption de nouvelles mesures pour renforcer l'accès, définir le fémicide en droit pénal national, établir des centres de médiation pour les cas de fémicides, de viols et de mutilations génitales féminines.

Conclusions

Clôturant le débat de la matinée, Mme AMELINE, Présidente du Comité, a déclaré que les interventions vont indéniablement contribuer à élargir la portée de l'examen en vue de l'observation générale du Comité sur l'accès des femmes à la justice. Dans le cadre du suivi des communications, le Comité veillera aussi à ce que les contributions d'aujourd'hui apportent des propositions concrètes.

MME PIMENTEL a pour sa part souligné qu'en dépit des différences et particularités entre pays, il existe des dominateurs communs dans les obstacles sociaux, institutionnels et structurels. Dans ce contexte, les femmes vivant dans la pauvreté sont d'autant plus handicapées par ces barrières et subissent souvent des violences aux mains de proches et de membres de leur famille. Le pouvoir judiciaire est un élément essentiel pour réparer une injustice mais la justice est aussi réalisée lorsque les droits fondamentaux sont reconnus aux femmes dans l'accès à l'éducation, aux soins de santé, à l'emploi et dans tous les autres domaines de la vie. Les États parties, dans certains cas, rechignent à faire appliquer les lois qu'ils ont promulguées, a-t-elle encore déclaré, en insistant sur l'importance de la formation du personnel judiciaire pour que le système réponde aux besoins prioritaires des femmes en tant que sujets de droit. L'accès à la justice ne se limite pas à un système de justice formel. En effet, le système coutumier et traditionnel de justice est également un autre moyen de rendre justice, notamment aux femmes, mais l'effet nocif de systèmes judiciaires pluriels qui ne répondent pas aux préoccupations des femmes a maintes fois été souligné. Compte tenu des réalités spécifiques et des obstacles de nature sexiste s'agissant de l'accès à la justice, les femmes sont présentées comme le pilier de la famille et doivent accepter toutes les formes de charges sociales, ce qui contribue à limiter leur accès à la justice. Enfin, Mme Pimentel a chaleureusement salué les participants, en particulier Mme Vertido, qui a partagé avec les participants au débat ses souffrances personnelles.

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