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Communiqués de presse Organes conventionnels

Comité contre la torture: La délégation du Sénégal répond aux questions des experts

07 Novembre 2012

Comité contre la torture 

  7 novembre 2012

La délégation assure que l'instruction dans l'affaire Hissène Habré commencera avant la fin de l'année

Le Comité contre la torture a entendu, cet après-midi, les réponses de la délégation du Sénégal aux questions qui lui avaient été posées par les experts hier matin s'agissant de la mise en œuvre des dispositions de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

La délégation a notamment assuré que l'instruction de l'affaire Hissène Habré allait démarrer avant la fin de cette année, comme s'y est engagé le Président Macky Sall.  Quant à la demande d'extradition de l'ancien Président tchadien émanant de la Belgique, elle est soumise à l'appréciation de la chambre d'accusation; dans les faits, la chambre d'accusation pourrait donner un avis favorable à l'extradition, mais c'est au chef de l'État sénégalais que reviendra la décision finale.  Dirigée par M. Fode Seck, Représentant permanent du Sénégal auprès des Nations Unies à Genève, la délégation sénégalaise a assuré que, de manière générale, tous les militaires de la gendarmerie et des armées impliqués dans des allégations de torture font systématiquement l'objet de poursuites judiciaires.    Elle a aussi fait valoir que l'administration pénitentiaire projette la construction d'une prison de 1500 places près de Dakar et que la construction de six prisons d'une capacité de 500 places chacune est envisagée dans des capitales régionales. 

La délégation a également répondu aux questions des experts en ce qui concerne, entre autres, les dispositions relatives à la garde à vue et à la détention préventive; l'interdiction de l'extorsion d'aveux; les conditions de détention; situation s'agissant de la traite de personnes, y compris pour ce qui a trait aux apprenants coraniques; l'interdiction des châtiments corporels; et des mutilations génitales féminines; la rétention administrative des étrangers.  Elle a également fourni des renseignements s'agissant de plusieurs cas spécifiques ayant fait l'objet d'allégations de torture.

Le Comité adoptera, en séance privée, des conclusions et recommandations qui seront rendues publiques à la fin de la session, le vendredi 23 novembre prochain.


Demain matin, à 10 heures, le Comité entamera l'examen du rapport initial du Gabon (CAT/C/GAB/1).






Réponses de la délégation

La délégation du Sénégal, répondant aux questions posées par les experts suite à la présentation de son rapport (CAT/C/SEN/3), a souligné que chaque fois qu'un délai de garde à vue est prolongé, avec l'accord du Procureur de la République, notification en est faite au mis en cause qui est informé, en même temps, de ses droits de se faire examiner par un médecin de son choix et de se faire assister par un avocat.  Elle a ajouté qu'il pourrait être envisagé de réfléchir à la possibilité de permettre l'intervention d'un avocat dès le début de la garde à vue.

Le Sénégal compte au total 364 avocats – 331 titulaires et 33 stagiaires, a par ailleurs indiqué la délégation.  Si, dans la pratique, les avocats sont portés les uns vers le pénal et les autres vers le civil, il n'y a pas de distinction nette et rigoureuse qui permette de dire que les uns sont pénalistes et les autres civilistes.  À la base, ils reçoivent tous une formation générale qui embrasse toutes les branches du droit, a souligné la délégation. 

Au moment de son indépendance, le Sénégal comptait 30 prisons et en compte aujourd'hui 37, a en outre indiqué la délégation.  L'administration pénitentiaire projette la construction d'une prison de 1500 places à Sébikotane, à 40km de Dakar.  Elle a en outre attiré l'attention sur un projet de construction de six prisons dotées chacune d'une capacité de 500 places dans plusieurs capitales régionales.

Répondant aux questions sur la détention en cellules disciplinaires, la délégation a indiqué qu'en vertu de la réglementation, il en existe dans tous les établissements pénitentiaires, mais a souligné qu'à ce jour, personne n'y a été soumis, le placement en cellule disciplinaire étant une mesure exceptionnelle qui n'est prise que pour des faits extrêmement graves.

La délégation a par ailleurs indiqué qu'un seul cas de suicide en prison a été enregistré au Sénégal au cours des cinq dernières années.

Au total, on dénombrait au 30 juin dernier un total de 3351 personnes en détention préventive, a en outre indiqué la délégation.

En ce qui concerne la question de l'extorsion d'aveux, la délégation a souligné que s'il n'y a pas de texte en la matière, dans la pratique, les juges écartent les preuves obtenues sous la torture.

Faisant part des mesures prises par les autorités pour la protection des groupes vulnérables contre les actes de torture, la délégation a notamment attiré l'attention sur la nouvelle stratégie nationale de protection sociale des groupes vulnérables et a rappelé qu'en septembre 2012, une direction chargée de la promotion des personnes en situation de handicap et une direction de promotion des groupes vulnérables ont été créées au sein du Ministère de la santé et de l'action sociale.  La délégation a par ailleurs mis l'accent sur le projet d'éducation à la vie familiale dans les écoles coraniques (ou daraas), qui contribue aussi à l'amélioration des conditions de vie et d'apprentissage des jeunes apprenants, les talibés.

S'agissant des allégations de torture, la délégation a indiqué, s'agissant du cas de Dominique Lopy, que son autopsie effectuée le 18 avril 2007 par le docteur Gisèle Woto Gaye de l'hôpital Aristide Le Dantec suite à son décès en garde à vue le 14 avril, avait conclu que la mort était due à «un œdème cérébral survenu chez un sujet porteur d'une cardiopathie préexistante qui se serait décomposée en raison d'une part du stress occasionné par la détention et d'autre part par des coups reçus».  Une information judiciaire contre X a été ouverte au premier cabinet d'instruction pour violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner.  En outre, des mesures administratives conservatoires de déplacement d'office ont été prises par le Ministre de l'intérieur à l'encontre du commissaire, chef de service; de l'officier de police principal; de l'inspecteur de police chargé de l'enquête; du commandant du corps urbain; et de trois brigadiers des gardiens de la paix cités dans l'affaire.  Il s'agit de mesures conservatoires prises sur un plan purement disciplinaire et qui ne portent en rien atteinte à la procédure judiciaire en cours, laquelle permettra d'identifier les véritables auteurs des faits, a souligné la délégation.  La délégation a également répondu, entre autres, aux allégations relatives aux cas d'Abdoulaye Wade Yinghou, relatif à un soupçon de torture ayant entraîné la mort et dont l'instruction est en cours; de Yatma Fall, relatif à un soupçon d'extorsion d'aveux et dont l'instruction est en cours; de Modou Bakhoum, retrouvé mort le 23 janvier 2009 dans la gendarmerie de Karang et pour lequel une enquête a été ouverte pour élucider les causes de la mort; d'El Hadj Konaté, au sujet duquel l'enquête a conclu à une mort par noyade de la victime qui s'est jetée menottée dans le fleuve après son interpellation; et de Malik Ba, pour lequel les deux gendarmes impliqués sont actuellement inculpés de coups et blessures volontaires.  «De manière générale, tous les militaires de la gendarmerie et des armées impliqués dans des allégations de torture font systématiquement l'objet de poursuites judiciaires nonobstant les sanctions disciplinaires et professionnelles», a assuré la délégation.

«Les cas d'allégations de torture sont exceptionnels eu égard au comportement exemplaire dans l'exécution des missions de sécurité publique comme celles accomplies sous la bannière des forces de maintien de la paix au niveau régional ou international», a déclaré la délégation.

Interrogée sur la notion d'«exception d'inconstitutionnalité», la délégation a expliqué que le droit sénégalais organise le contrôle de constitutionnalité des lois selon deux voies distinctes: une voie d'action qui n'implique pas le recours du citoyen et une voie d'exception qu'un requérant peut emprunter dans le cadre d'un procès arrivé au niveau du Conseil d'État ou de la Cour de cassation.  Dans le cas où le Conseil constitutionnel statue en déclarant inconstitutionnelle une loi, il ne sera pas fait application de cette loi contestée au requérant, a indiqué la délégation.  En déclarant la loi anticonstitutionnelle après avoir été saisie par voie d'exception, le Conseil constitutionnel n'annule pas la loi mais en neutralise l'application, a-t-elle précisé.  La loi n'en continuera pas moins d'exister et pourrait s'appliquer, sauf nouveau recours en exception d'inconstitutionnalité, dans le cadre d'autres affaires soumises aux hautes juridictions sénégalaises compétentes, a-t-elle ajouté. 

En ce qui concerne la lutte contre la traite de personnes, la délégation a notamment rappelé qu'en 2009, a été adopté un plan d'action national de lutte contre la traite des personnes.  Pour la période 2010-2011, quelque 2293 enfants talibés ont été soustraits à la mendicité à travers un système de parrainage.  La délégation a rendu compte d'un certain nombre de poursuites judiciaires engagées contre des auteurs de traite, citant notamment le cas d'un maître coranique qui a été condamné à un an d'emprisonnement ferme par le tribunal des flagrants délits en juin 2010 pour mauvais traitements commis à l'encontre de deux enfants talibés.  La délégation a également évoqué l'affaire de 13 personnes arrêtées et poursuivies à Dakar du chef d'exploitation économique d'enfants par la mendicité; 12 des 13 personnes ont été condamnées en septembre 2010 à une peine de six mois d'emprisonnement et 100 000 francs CFA d'amende et la treizième personne a été condamnée à une peine d'emprisonnement ferme d'un mois et 100 000 francs CFA d'amende.

La délégation a indiqué que selon l'article 18 de la Constitution, «le mariage forcé est une violation de la liberté individuelle».  Le mariage forcé est interdit et puni dans les conditions fixées par la loi.  Le taux de mariages forcés a considérablement diminué, surtout dans les zones de forte prévalence, a assuré la délégation.

Les châtiments corporels sont formellement interdits en tous lieux au Sénégal, a poursuivi la délégation.  Le Code pénal sénégalais sanctionne tout fait ou acte attentatoire à l'intégrité physique de la personne, a-t-elle précisé.  Même quand ils sont le fait des parents ou des éducateurs, les châtiments corporels sont sanctionnés de la même manière; d'ailleurs, dans certains cas, l'autorité sur la victime peut constituer une circonstance aggravante.

S'agissant du phénomène des mutilations génitales féminines, la délégation a indiqué qu'au niveau national, entre 2009 et 2011, 4452 communautés sur les 5000 recensées en 1997 ont procédé à des déclarations publiques d'abandon de la pratique de l'excision, grâce à l'impact du programme de renforcement des capacités communautaires fondé sur l'éducation aux droits humains, qui a favorisé l'éveil des consciences des populations.

La délégation a par ailleurs indiqué que le délai de placement en rétention administrative des étrangers est de 15 à 30 jours et il est donc impossible qu'une personne ait été placée en rétention pendant cinq ans comme certaines allégations l'ont prétendu.

Un avant-projet de loi devant modifier la loi de 1961 relative à la nationalité sénégalaise prévoit une disposition phare en vertu de laquelle «est Sénégalais l'enfant dont l'un des parents est Sénégalais», a d'autre part fait valoir la délégation; si ce texte est adopté, cela signifierait que la femme sénégalaise peut transmettre la nationalité sénégalaise à son enfant, a-t-elle souligné.

En ce qui concerne l'affaire Hissène Habré, l'ancien Président tchadien, la délégation a rappelé que les nouvelles autorités sénégalaises issues des élections du 25 mars 2012, en particulier le Président Macky Sall, font de la lutte contre l'impunité une «sur-priorité».  C'est ainsi que le Président Sall a dit devant la communauté internationale qu'il entendait faire juger Hissène Habré avant la fin de l'année 2012, a rappelé la délégation, ce qui veut dire que l'instruction va démarrer avant la fin de l'année, a-t-elle indiqué.  Quant à la demande d'extradition de la Belgique, elle est soumise à l'appréciation des autorités judiciaires sénégalaises et aucune intervention des autorités exécutives ne sera tolérée dans ce contexte, a souligné la délégation.

Questions supplémentaires de membres du Comité

M. FERNANDO MARIÑO MENÉNDEZ, rapporteur du Comité pour l'examen du rapport du Sénégal, a souligné l'importance internationale que revêt l'affaire Hissène Habré.  Il a souhaité savoir si les principaux auteurs des délits commis au Tchad, et non pas seulement M. Habré, allaient bien être jugés par les «chambres africaines extraordinaires», dont un accord signé avec l'Union africaine a prévu la création au sein des juridictions sénégalaises.  Le rapporteur a en outre insisté pour savoir si l'emprisonnement pour dettes était toujours possible au Sénégal.  M. Mariño Menéndez s'est par ailleurs enquis du rôle du Comité sénégalais des droits de l'homme.

M. CLAUDIO GROSSMAN, corapporteur du Comité pour l'examen du rapport sénégalais, a salué l'intervention du Président sénégalais Macky Sall, au mois d'août dernier, demandant à la Gambie de ne pas procéder à l'exécution de neuf personnes, ainsi que sa condamnation lorsque la Gambie y a procédé.  M. Grossman a ensuite insisté sur l'importance d'appliquer des sanctions adéquates, c'est-à-dire proportionnelles à la gravité de l'acte, aux personnes reconnues coupables d'actes de torture.  Il a aussi demandé si ce sont les tribunaux ordinaires ou des tribunaux militaires qui sont chargés de juger les accusés.

Un autre membre du Comité a indiqué comprendre que le Sénégal allait juger tous les auteurs de crimes internationaux perpétrés au Tchad entre 1982 et 1990 et non pas seulement M. Hissène Habré.  En revanche, les réponses semblent moins claires en ce qui concerne la demande d'extradition présentée par la Belgique, a poursuivi cet expert, estimant que si la décision a été prise de juger, cela signifie qu'a été écartée la décision d'extrader.  Plusieurs experts ont souhaité savoir quelles garanties permettent d'assurer l'indépendance de l'appareil judiciaire.  Une experte a demandé des renseignements quant à l'application du Protocole d'Istanbul au Sénégal.  Elle s'est en outre enquise du suivi de la situation sur le terrain en ce qui concerne l'interdiction des mutilations génitales féminines.

Réponses complémentaires de la délégation

Revenant sur l'affaire Hissène Habré, la délégation a souligné que l'accord conclu entre le Sénégal et l'Union africaine prévoit que les chambres africaines extraordinaires créées au sein des juridictions sénégalaises sont compétentes pour juger «le ou les principaux responsables» des crimes internationaux commis au Tchad entre 1982 et 1990.  L'instruction de l'affaire sera confiée exclusivement à des magistrats sénégalais, a en outre rappelé la délégation.  Or, le Code de procédure pénale permet de saisir un juge d'instruction in rem, qui doit instruire sur les faits matériels; aujourd'hui, Hissène Habré est le seul responsable présumé connu et identifié de ces crimes.  Il revient aux magistrats instructeurs sénégalais de dire si d'autres individus sont soupçonnés d'avoir commis les crimes en cause.

Pour ce qui est de la demande d'extradition de la Belgique, la délégation a rappelé que selon la législation sénégalaise, l'examen de toute demande d'extradition est confié à la chambre d'accusation, laquelle donne un avis qui permet de rédiger un décret ensuite soumis à la signature du Président de la République.  À ce stade, eu égard au fait que certains éléments de la demande d'extradition avaient été transmis par copie par la Belgique alors que la chambre d'accusation doit statuer sur la base d'originaux, une quatrième demande d'extradition de M. Habré a été déposée, la Belgique ayant désormais transmis les originaux requis. 

Dans les faits, la chambre d'accusation pourrait éventuellement donner un avis favorable à l'extradition de M. Habré, «mais c'est au chef de l'État sénégalais que reviendra la décision finale de signer ou de ne jamais signer le décret d'extradition», a déclaré la délégation.

S'agissant des talibés, la délégation a fait état d'un accord en vertu duquel les daraas (écoles coraniques) se sont engagées à renoncer à toute forme de mendicité par les enfants.

Actuellement, a ensuite indiqué la délégation, 22 militaires de la gendarmerie font l'objet de poursuites judiciaires dans le cadre de leur mission d'officiers de police judiciaire.

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