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Communiqués de presse Organes conventionnels

Comité contre la torture : Le Canada répond aux questions du Comité

22 Mai 2012

APRÈS-MIDI

22 mai 2012


Le Canada est l'un des rares pays à ne pas respecter les demandes de mesures intérimaires qui lui sont adressées par le Comité, s'inquiètent plusieurs experts

Le Comité contre la torture a entendu, cet après-midi, les réponses de la délégation du Canada aux questions que lui ont posées les experts hier matin dans le cadre de l'examen du rapport initial présenté par le pays au titre de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. 

La délégation a notamment assuré que le Gouvernement canadien prend très au sérieux ses obligations de non-refoulement en vertu de la Convention.  Elle a indiqué qu'aucun cas de refoulement n'est intervenu depuis 2002 malgré la décision de la Cour suprême à l'époque selon laquelle, dans des circonstances exceptionnelles, une personne pouvait être refoulée si sa présence dans le pays constitue pour la sécurité du Canada une menace plus importante que celle à laquelle elle s'expose si elle est renvoyée.  Le projet de «loi visant à protéger le système d'immigration du Canada» vise à combattre l'entrée irrégulière au Canada et à protéger les clandestins eux-mêmes - qui sont souvent des victimes, a par ailleurs indiqué la délégation.  Elle a ajouté que la détention dans le contexte de l'immigration clandestine n'est pas une mesure punitive mais une mesure de protection de la sécurité du Canada.  S'agissant des conditions de détention la délégation a également déclaré que l'enfermement en isolement n'est pas une mesure punitive mais une mesure préventive visant à assurer la sécurité du personnel, du public et du détenu lui-même.  S'agissant des demandes de mesures de protection temporaires émanant du Comité, la délégation a assuré que le Canada prend au sérieux ses obligations en matière de droits de l'homme, mais a ajouté qu'à son avis, le point de vue du Comité n'est pas contraignant; le Canada s'efforce néanmoins de travailler en respectant ce point de vue.  Le Canada n'a pas remis de personnes à des États où elles encourent un risque réel de torture, a assuré la délégation. 

Outre les questions relatives à l'immigration et les questions carcérales, y compris les décès en détention et l'enfermement en isolement, la délégation a fourni aux membres du Comité des informations complémentaires ayant trait, entre autres, aux garanties diplomatiques contre la torture en cas de demande d'extradition; aux voies de recours dont disposent les victimes de torture pour obtenir réparation; à l'interdiction de l'utilisation des preuves et aveux obtenus sous la torture; à la lutte contre le terrorisme; à la traite de personnes; ou encore aux disparitions et décès de femmes autochtones.

Le rapporteur du Comité pour l'examen du rapport du Canada, M. Alessio Bruni, a déploré que le Canada soit l'un des rares pays à ne pas respecter les demandes de mesures intérimaires qui lui sont adressées par le Comité afin qu'il n'expulse pas certaines personnes dont il estime qu'elles risqueraient d'être soumises à la torture à leur retour dans leur pays d'origine.  Il a soulevé à cet égard le cas de Bachan Singh Sogi, expulsé du Canada vers un pays où il a, de fait, été torturé.  La corapporteuse du Comité, Mme Essadia Belmir, ainsi que d'autres membres du Comité, ont eux aussi tenu à rappeler le caractère absolu de l'article 3 de la Convention, relatif au principe de non-refoulement d'une personne vers un pays où elle court le risque d'être soumise à la torture.  Des règles doivent être respectées pour le traitement de toute personne privée de liberté, qu'elle se trouve au Canada en situation régulière ou non, a souligné Mme Belmir. 

Le Comité adoptera, dans le cadre d'une séance privée, des observations finales sur le rapport du Canada qui seront rendues publiques à l'issue de la session, le 1er juin prochain.

Demain après-midi, à 15 heures, le Comité entendra les réponses de la délégation cubaine aux questions que lui ont posées les experts ce matin.

Réponses de la délégation du Canada

La délégation canadienne a déclaré, s'agissant des questions relatives au cadre général d'application, que la Charte canadienne des droits et libertés constitue l'axe fondamental orientant l'action de l'État au Canada.  Ainsi, les établissements correctionnels canadiens sont tous soumis aux normes de droits de l'homme énoncées dans cette Charte.  Le Canada est partisan de la Convention contre la torture depuis sa naissance, à laquelle il a contribué, a souligné la délégation.  Le pays a en outre encouragé d'autres pays à rejoindre la Convention et à éliminer le phénomène de la torture.  Le Canada est encore en train de réfléchir à la question de savoir s'il souhaite devenir partie au Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture.  La délégation a souligné que la supervision des lieux de détention existe à plusieurs niveaux au Canada et que des consultations doivent donc être menées, dans le cadre de cette réflexion, à différents niveaux de gouvernement.  Des lieux de détention existent au Canada aux niveaux territorial, provincial et fédéral, a-t-elle indiqué.

Répondant aux questions des experts relatives à l'immigration et à la protection des réfugiés, la délégation a assuré que le Gouvernement canadien prend très au sérieux ses obligations de non-refoulement conformément à l'article 3 de la Convention.  La Cour suprême du Canada a statué en 2002 que dans des circonstances exceptionnelles, une personne pouvait être refoulée si sa présence dans le pays constituait, pour la sécurité du Canada, une menace plus importante que celle à laquelle elle s'expose si elle est renvoyée; néanmoins, a fait observer la délégation, aucun cas d'espèce ne s'est produit depuis cette décision de la Cour suprême il y a dix ans. 

La délégation a par ailleurs fait état d'un projet de loi, actuellement à l'étude du Parlement canadien, intitulé «Loi visant à protéger le système d'immigration du Canada».  L'origine de ce projet de loi tient à la volonté du Gouvernement de combattre l'entrée irrégulière au Canada et de protéger les clandestins eux-mêmes - qui sont souvent des victimes.  Ce projet de loi agit sur deux fronts, a précisé la délégation: il prévoit des peines pouvant aller jusqu'à l'emprisonnement à perpétuité pour les passeurs de clandestins et des mesures de dissuasion pour les individus qui seraient tentés de faire appel aux services d'un passeur de clandestins.

La détention dans le contexte de l'immigration clandestine n'est pas une mesure punitive mais une mesure de protection de la sécurité du Canada, a par ailleurs affirmé la délégation.  En effet, lorsqu'un groupe de clandestins est interpellé, il est difficile de savoir si des passeurs ou encore des terroristes présumés font partie de ce groupe.  Tout individu reconnu comme réfugié sera immédiatement libéré et le Ministre pourra à tout moment remettre une personne en liberté s'il estime que les mesures de détention ne sont plus valables; de plus, la décision de placement en détention devra faire l'objet d'un réexamen au bout de 14 jours et ensuite tous les six mois, a précisé la délégation.

S'agissant des conditions de détention dans les institutions pénitentiaires, la délégation a reconnu que l'abus de drogues dans la population carcérale est un problème récurrent, avant d'attirer l'attention sur les fortes sommes consacrées à la lutte contre la toxicomanie dans les établissements fédéraux.  Récemment, le Gouvernement canadien a annoncé la fermeture d'un certain nombre d'établissements pénitentiaires, dont celui de Kingston (Ontario), construit en 1835, a par ailleurs indiqué la délégation.  Le Canada dispose de 15 115 cellules fédérales et la population carcérale correspond quasiment à cette capacité totale au niveau fédéral, seules font défaut quelques centaines d'unités, a ajouté la délégation.  Entre 1999 et 2009, a poursuivi la délégation, quelque 533 criminels fédéraux et 185 criminels provinciaux sont morts en détention.  Lorsque de tels décès se produisent, des mesures sont prises et des enquêtes sont menées, a assuré la délégation.  Les services correctionnels du Canada sont attachés à fournir un environnement de vie suffisant et à assurer des services de santé adéquats aux détenus, a poursuivi la délégation.

L'enfermement en isolement est une mesure non pas punitive mais de prévention visant à assurer la sécurité du personnel, du public et du détenu lui-même, a par ailleurs indiqué la délégation.  L'écrasante majorité des personnes qui sont ainsi enfermées restent en isolement moins de 30 jours; 24% y restent entre 30 et 60 jours et 16% y restent moins de 120 jours, a-t-elle précisé.  Depuis 2007, a ajouté la délégation, le Canada a accordé une grande attention à la question de la détention en isolement; la santé mentale de la personne détenue est prise en compte lorsque son cas est examiné aux fins de la décision relative à son maintien ou non en isolement.  L'enfermement en isolement à titre de mesure disciplinaire peut être utilisé lorsqu'un reclus a gravement violé le règlement, mais en principe ce type de détention ne peut durer plus de 30 jours, a précisé la délégation.

Un expert s'étant inquiété du nombre élevé d'admissions dans les établissements de détention du Québec, la délégation a notamment indiqué que les prisons du Québec reçoivent environ 4000 détenus par an, ce chiffre comprenant les personnes condamnées, en détention provisoire ou en détention communautaire, et les personnes en liberté conditionnelle.  La législation a officialisé un partenariat entre le gouvernement du Québec et les organisations communautaires qui offrent des services dans les centres de détention dans des domaines tels que le logement ou le soutien psycho-social.  Ces organismes communautaires jouent un rôle dans l'intégration sociale des délinquants.  Plusieurs prisons du Québec sont en cours de modernisation, et une nouvelle institution de détention communautaire accueillera des détenus autochtones et sera dirigée par des membres de la communauté autochtone.

En matière de lutte contre le terrorisme, l'approche du Canada est proportionnelle à la menace, c'est-à-dire que le pays veille à ne pas sur-réagir comme à ne pas sous-réagir.  Le Canada s'oppose de manière stricte à toute maltraitance de la part d'agents de l'État, contre toute personne, quelle qu'en soit la raison.

Le Code pénal canadien interdit strictement l'utilisation de preuves et aveux obtenus sous la torture, a par ailleurs rappelé la délégation.

La protection des enfants est une priorité pour tous les organes gouvernementaux au Canada, a poursuivi la délégation. 

La traite de personnes est un crime terrible qui doit être abordé par des mesures à la fois préventives et répressives, a également déclaré la délégation.  Le Canada appuie les efforts déployés au niveau international contre ce phénomène et le pays lancera prochainement un plan national d'action contre la traite de personnes, a-t-elle indiqué.

La délégation a assuré que le Canada est fermement engagé à respecter l'obligation de poursuivre ou d'extrader l'auteur présumé d'actes de torture (article 7 de la Convention).  Le programme du pays en la matière se base sur la volonté du Canada de ne pas devenir un refuge pour les auteurs de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité et de contribuer parallèlement à prévenir et à combattre ces crimes au niveau international.

Après avoir rappelé que le Canada est attaché à la prévention des actes de torture, la délégation a souligné que si un agent de l'État commet un acte de torture, la victime dispose de toute une série de recours pour obtenir réparation.

En réponse aux préoccupations exprimées hier par plusieurs membres du Comité au sujet des disparitions et décès de femmes autochtones, la délégation a assuré que le Gouvernement canadien prend ces questions très au sérieux.  Il est vrai que les femmes et filles autochtones subissent la violence de manière disproportionnée par rapport aux autres femmes canadiennes, a reconnu la délégation.  Les autorités canadiennes axent leur politique en la matière sur la prévention, l'amélioration des enquêtes et des poursuites, l'amélioration des services aux victimes et à leurs familles, et le travail en partenariat avec les provinces et territoires dans lesquels vivent des autochtones, a-t-elle indiqué.  Ce type de violence n'apparaît pas dans la Convention contre la torture et a été abordée de manière globale par d'autres organes conventionnels de l'ONU, le Canada ayant fourni des informations sur ces questions au Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes, au Comité pour l'élimination de la discrimination raciale et à la Commission interaméricaine des droits de l'homme, a toutefois souligné la délégation.

Questions supplémentaires et observations des membres du Comité

M. Alessio Bruni, rapporteur du Comité pour l'examen du rapport du Canada, a déploré que le Canada n'ait pas respecté la demande que le Comité lui avait adressée de prendre des mesures intérimaires pour ne pas procéder à certaines expulsions.  Le rapporteur a cité à cet égard le cas de M. Bachan Singh Sogi, expulsé du Canada vers son pays d'origine (l'Inde) sur la base d'une mesure considérée comme mesure de sécurité pour le Canada, alors que le Comité avait demandé au Canada de ne pas procéder à cette expulsion au motif que M. Sogi risquait d'être torturé à son retour dans son pays, ce qui s'est d'ailleurs produit.  Le Canada est un des rares pays à ne pas respecter les demandes de mesures intérimaires qui lui sont adressées par le Comité relativement à des décisions d'expulsion, a souligné M. Bruni.

M. Bruni a par ailleurs relevé que, selon ce qu'a indiqué la délégation canadienne, des personnes sont placées en détention administrative au secret pendant une durée pouvant aller jusqu'à 120 jours, ce qui est beaucoup trop au regard des conséquences potentiellement irréversibles que peut entraîner une détention au secret de plus de 15 jours.

MME Essadia Belmir, corapporteuse du Comité pour l'examen du rapport du Canada, a rappelé le caractère absolu de l'article 3 de la Convention, relatif au principe de non-refoulement d'une personne vers un pays où elle court le risque d'être soumise à la torture.

Des règles doivent être respectée pour le traitement de toute personne privée de liberté, qu'elle se trouve au Canada en situation régulière ou non, a par ailleurs souligné Mme Belmir.

Un autre membre du Comité s'est enquis du protocole applicable aux garanties diplomatiques et de la possibilité d'engager un recours en justice lorsque ces garanties ne sont pas jugées suffisantes.  Un Canadien peut-il être privé de sa nationalité, par exemple, s'il est responsable d'un acte de terrorisme ou de crime contre l'humanité, a en outre demandé l'expert?

Une experte a souhaité savoir si les détenus – homme et femmes - sont surveillés par des personnes de même sexe.  La police engage-t-elle des enquêtes lorsque des femmes autochtones disparaissent ou sont assassinées et ces personnes sont-elles protégées de la même manière que tout autre individu au Canada, a par ailleurs demandé l'experte?  Qu'en est-il de l'intention des autorités canadiennes d'élaborer un plan d'action visant à réduire la violence contre les femmes et les filles, notamment dans les communautés autochtones?

Quelles sont les dispositions prévues pour incriminer la violence à l'encontre des femmes, a demandé une autre experte?

Le Président du Comité, M. Claudio Grossman, a souligné que les dispositions des articles 1er et 16 de la Convention habilitent le Comité à se pencher sur la violence contre la femme.  Le Canada a indiqué à plusieurs reprises qu'il considérait les mesures transitoires demandées par le Comité comme non contraignantes, comme en témoignent les cas de certaines personnes renvoyées en Iran - dont Mostafa Dadar en mars 2006 - ou en Inde, par exemple, a par ailleurs fait observer le Président.

Réponses complémentaires de la délégation

La délégation canadienne a rappelé qu'en vertu du projet de loi actuellement à l'étude et déjà mentionné durant ce dialogue («Loi visant à protéger le système d'immigration du Canada»), la révision des décisions de placement en détention se fera tout d'abord dans un délai de 14 jours et ensuite tous les six mois.
 
La loi sur la citoyenneté ne prévoit la révocation de la citoyenneté canadienne que si elle a été obtenue frauduleusement; par conséquent, la commission d'un acte de terrorisme n'est pas en soi une cause de révocation de la citoyenneté canadienne, a indiqué la délégation.

La délégation a par ailleurs souligné que la détention en isolement n'est qu'une mesure de dernier recours; c'est une mesure non pas punitive mais préventive visant à assurer la sécurité des codétenus, du personnel carcéral et du public dans son ensemble, a-t-elle de nouveau expliqué.

La délégation a en outre indiqué qu'en 2007, un groupe de travail avait été chargé par le Ministère de la justice de mener une étude sur l'utilisation du taser.  Le droit constitutionnel canadien prévoit que toute détention physique d'une personne est assortie d'un certain nombre de garanties relatives à l'intégrité physique de cette personne et la protégeant contre toute arrestation et détention arbitraires, a d'autre part fait valoir la délégation.

À quatre reprises seulement le Canada a eu recours à des garanties diplomatiques contre la torture pour un nombre total d'expulsions du pays qui se chiffre en milliers, a indiqué la délégation.  Lorsque ces garanties ne sont pas respectées, les États qui les avaient données s'exposent à ne pas obtenir à l'avenir le même degré de coopération de la part de l'État qui les avait sollicitées, a-t-elle fait observer.

S'agissant des demandes de mesures de protection temporaires émanant du Comité, la délégation a assuré que le Canada prend au sérieux ses obligations en matière de droits de l'homme.  Le point de vue du Comité n'est pas contraignant, mais le Canada s'efforce néanmoins de travailler en respectant le point de vue de cet organe, a-t-elle ajouté.  Le Canada n'a pas remis de personnes à des États où elles encourent un risque réel de torture, a par ailleurs assuré la délégation. 

Le Président du Comité, M. Claudio Grossman, s'est étonné que le Canada considère que les avis et points de vue du Comité ne sont que des recommandations à caractère non contraignant.

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