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Communiqués de presse Organes conventionnels

Comité contre la torture : la délégation de l'Albanie répond aux questions des Experts

09 Mai 2012

APRÈS-MIDI

9 mai 2012

Le Comité contre la torture a entendu, cet après-midi, les réponses de la délégation de l'Albanie aux questions que lui ont posées les experts hier matin et fourni des renseignements supplémentaires.

Dirigée par M. Avenir Peka, Vice-Ministre de l'intérieur, la délégation a indiqué que l'Albanie est désormais une démocratie fonctionnelle, fondée sur l'État de droit et aspirant à l'adhésion à l'Union européenne. Dans leur lutte contre les crimes d'honneur et les vendettas, des problèmes anachroniques dont a souffert le pays, les autorités se conforment aux recommandations de l'ancien Rapporteur spécial du Conseil des droits de l'homme sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, M. Philip Alston. S'agissant des allégations de trafic d'organes contenues dans un rapport du Conseil de l'Europe, les autorités albanaises estiment qu'il s'agit là de pures spéculations et elles ont confiance dans l'enquête actuellement en cours.

M. Claudio Grossman, Président du Comité et rapporteur pour l'examen du rapport de l'Albanie, a déclaré que le Comité est conscient du rôle fondamental de la police dans la vie sociale, mais on constate que les policiers coupables d'actes de torture bénéficient souvent d'une mansuétude indue. Dans le cas de l'Albanie, plusieurs officiers de police condamnés pour des actes arbitraires ont été condamnés à payer une amende de quinze dollars seulement, s'est étonné M. Grossman. Il semble d'autre part que les sanctions contre les auteurs de violences domestiques ou conjugales soient insuffisantes. En particulier, il ne semble pas que l'Albanie criminalise le viol conjugal. Le corapporteur, M. Abdoulaye Gaye, a observé que les fonctionnaires soupçonnés d'actes de torture sont rarement poursuivis au pénal. Il faut à cet égard prendre en compte la situation des victimes, qui ne pourront pas être indemnisées par une décision de justice si les coupables, en étant soumis aux seules sanctions disciplinaires, échappent à la justice. M. Gaye s'est aussi interrogé sur la possibilité pour les victimes de torture de s'adresser directement aux tribunaux, vu la préférence des autorités pour un règlement par la voie disciplinaire.

Le Comité présentera en fin de session ses observations finales sur le rapport de l'Albanie.

Demain à 10 heures, le Comité entamera l'examen du troisième rapport périodique de l'Arménie (CAT/C/ARM/3).

Réponses de la délégation

La délégation de l'Albanie a apporté des réponses aux questions posées hier matin par les membres du Comité. Elle a indiqué qu'aucune plainte pour faits de torture n'est actuellement examinée en Albanie. Elle a aussi confirmé que les dispositions de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants sont transcrites dans le droit national par le biais d'amendements et d'adoption de nouveaux textes. La Convention est donc appliquée directement en Albanie. La délégation a également indiqué que l'article 86 du Code pénal albanais contient une définition de la torture pleinement conforme aux exigences de la Convention.

La délégation a fourni des précisions sur les poursuites et les peines encourues par les auteurs d'actes de violence conjugale, indiquant qu'une peine de cinq ans d'emprisonnement peut être prononcée. Elle a fait savoir que le bureau du procureur chargé des crimes graves recensait, en 2011, 56 procédures contre des auteurs de traite des êtres humains (femmes et enfants), cinq personnes ayant été traduites en justice, treize affaires étant encore jugées. La délégation a fait état aussi de l'action des forces de police contre des réseaux de trafics entre l'Albanie et la Grèce.

Suite à la ratification de la Convention relative aux droits de l'enfant, les droits des enfants sont au cœur du programme de développement de l'Albanie et des cadres juridiques et politiques du pays. La perception des enfants par les parents et les autorités a beaucoup changé. Les collectivités et les familles accordent désormais la priorité à la protection et à l'amélioration des conditions de vie des enfants. L'institution nationale de protection des enfants a pour objectif de coordonner toutes les politiques relatives aux enfants. Toutes les ambassades et consulats albanais assurent l'enregistrement des naissances d'enfants albanais à l'étranger. La loi a été modifiée pour interdire les mauvais traitements des enfants par leurs proches, y compris leurs parents. Des peines d'emprisonnement de deux ans peuvent être infligées aux contrevenants. L'Agence nationale de protection de l'enfance est chargée du suivi de cette loi. Le système pénitentiaire dispose maintenant d'une structure de prise en charge des jeunes délinquants, visant leur insertion sociale.

La délégation a assuré qu'aucun mineur n'est incarcéré en Albanie en l'absence d'une décision de justice. Les jeunes sont détenus dans des lieux réservés; la direction générale des prisons a ouvert un centre spécialisé dans la prise en charge de jeunes condamnés.

La délégation a également précisé que les personnes arrêtées et interrogées bénéficient de la présence d'un avocat. Les procédures de détention prévoient une visite sanitaire d'entrée et la tenue d'un dossier médical pendant tout le séjour de la personne détenue. Les autorités s'apprêtent à inaugurer un nouveau centre de détention à Elbasan, tandis que plusieurs commissariats ont été remis à neuf. La délégation a donné d'autres précisions sur les exigences minimales en matière de conditions de détention. Elle a informé également de la procédure de mise en détention préventive et assuré que la surveillance électronique des détenus assignés à domicile ne porte que sur leur localisation géographique, sans enregistrement vidéo ni audio.

Les autorités examinent en ce moment la possibilité de limiter l'application de la mise à l'isolement. La direction de la police est dotée d'une structure spécialisée dans la prise en charge des victimes de la violence domestique. La délégation a confirmé que le médiateur du peuple peut visiter tous les lieux de détention sans préavis. Le bureau du médiateur, en tant qu'organe institué de par la Constitution, dispose d'une ligne budgétaire ordinaire. Il gère ses fonds de manière indépendante.

La surpopulation carcérale est en voie de résorption, a affirmé la délégation, d'une part grâce à la construction de nouvelles prisons, d'autre part grâce au recours à des peines alternatives. Les décès s'étant produits en prison ont fait l'objet d'enquêtes ayant conclu à leur origine naturelle. Les lieux de détention sont placés sous surveillance vidéo.

Les policiers qui se rendent coupable d'actes arbitraires dans l'exercice de leurs fonctions sont soumis à des sanctions et mesures disciplinaires dont la gravité dépend des faits incriminés, a assuré la délégation. Les peines vont de la suspension temporaire à l'expulsion des forces de police.

La formation des forces de police comprend un enseignement relatif au respect des droits de l'homme des personnes arrêtées. Des formations continues sont régulièrement organisées à leur intention. Les forces de police nationale ont largement étendu le recrutement aux membres des minorités nationales et aux femmes.

L'Albanie n'a pas encore été confrontée à des demandeurs d'asile qui risquent d'être torturés s'ils sont renvoyés dans leur pays d'origine, a fait observer la délégation. Elle a par ailleurs indiqué que l'Albanie a accueilli onze personnes anciennement détenues à Guantanamo. Neuf d'entre elles bénéficient aujourd'hui du droit d'asile en Albanie et, à ce titre, de mesures spécifiques d'intégration.

Le Parlement a adopté, avec l'appui de nombreuses organisations non gouvernementales, une législation complète sur la non-discrimination. Cependant, eu égard à l'évolution dynamique des droits des minorités, les autorités sont conscientes qu'elles devront perfectionner sans cesse la loi dans ce domaine.

La législation albanaise a prévu des dédommagements pour les victimes du régime communiste et leurs familles s'agissant des faits survenus de 1944 à 1991. La délégation a aussi indiqué que les proches des manifestants tués le 21 janvier 2011 pourront réclamer des dédommagements devant les tribunaux saisis de cette affaire. Les autorités n'ont pas d'information au sujet de la disparition, à Athènes, de 502 enfants Roms d'Albanie dont il a été fait mention de la part de membres du Comité. Elles invitent l'organisation non gouvernementale grecque qui a soulevé cette affaire à leur transmettre des renseignements complémentaires.

L'Albanie est désormais une démocratie fonctionnelle, fondée sur l'État de droit et aspirant à l'adhésion à l'Union européenne, a souligné la délégation. Dans leur lutte contre les crimes d'honneur et les vendettas, qui sont des problèmes anachroniques, les autorités se conforment aux recommandations du professeur Philip Alston, ancien Rapporteur spécial du Conseil des droits de l'homme sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires. S'agissant des allégations de trafic d'organes contenues dans le rapport le rapport (Dick) Marty du Conseil de l'Europe, les autorités albanaises estiment qu'il s'agit là de pures spéculations. Elles ont pleinement confiance dans l'enquête réalisée actuellement par le procureur John Clint Williamson.

Questions complémentaires

M. CLAUDIO GROSSMAN, Président du Comité et rapporteur pour le rapport de l'Albanie, a voulu savoir si un justiciable peut invoquer directement, devant un tribunal albanais, une disposition de la Convention. Le Comité est conscient du rôle fondamental de la police dans la vie sociale. Il n'en observe pas moins que l'on observe souvent que les policiers coupables d'actes de torture bénéficient d'une mansuétude indue. Dans le cas de l'Albanie, plusieurs officiers de police condamnés pour des actes arbitraires ont été condamnés à payer une amende de quinze dollars seulement, s'est étonné M. Grossman. Il semble d'autre part que les sanctions contre les auteurs de violences domestiques ou conjugales soient insuffisantes, surtout qu'il n'est certain en l'état que l'Albanie criminalise le viol conjugal. Le Comité souhaite comprendre comment les peines sont déterminées et appliquées en Albanie. Le rapporteur a relevé que le poste de médiateur est désormais pourvu après deux ans de vacance, ce dont il s'est félicité: mais cette institution doit aussi disposer d'un budget lui permettant de remplir sa mission. M. Grossman a voulu savoir si l'Albanie s'était dotée des garde-fous destinés à prévenir les internements de patients psychiatriques contre leur gré.

M. ABDOULAYE GAYE, corapporteur pour l'examen du rapport albanais, a demandé des précisions sur la formation des personnels chargés de l'application des lois et notamment si les personnels médicaux et policiers sont formés à la détection de traces d'actes de torture. Il a par ailleurs déclaré que les poursuites pénales ne sont pas toujours engagées comme elles le devraient. Il faut tenir compte de la situation des victimes: comment pourraient-elles recevoir des indemnités par une décision de justice si les coupables, en étant soumis à des sanctions disciplinaires, échappent à la justice? L'expert a voulu savoir par ailleurs si la loi impose une durée maximale à l'incarcération avant jugement. M. Gaye a voulu avoir l'avis de la délégation sur les critiques formulées s'agissant du fonctionnement de l'appareil judiciaire, notamment la nécessité d'impliquer les acteurs du pouvoir judiciaire dans des formations et le renforcement de l'indépendance du système. M. Gaye a enfin demandé si les victimes de torture peuvent s'adresser directement aux tribunaux, vu la préférence des autorités pour un règlement par la voie disciplinaire.

D'autres experts ont voulu savoir si, en l'absence d'accord bilatéral, la Convention peut constituer la base juridique pour l'extradition de personnes convaincues de crimes au sens de la Convention. Un expert a demandé si la loi albanaise prévoit la possibilité de placer certains détenus au secret, par exemple des personnes soupçonnées de terrorisme. Une experte a demandé si des fonctionnaires ont été jugés pour défaut de protection de victimes de violence familiale. La délégation a aussi été priée de communiquer des statistiques sur le nombre de victimes de crimes d'honneur.

Des commentaires et questions ont porté sur la définition de l'enfant dans la législation et sa conformité avec les dispositions de la Convention relative aux droits de l'enfant; sur la différence entre arrestation et détention en droit albanais et sur les responsabilités de l'État à l'égard des justiciables; sur le financement du médiateur; et sur la nécessité de réduire la durée de l'isolement des jeunes détenus.

Réponses complémentaires de la délégation

La délégation a fait savoir que le Médiateur, chargé d'une mission publique, bénéficie de cinq postes de travail et d'un budget annuel, approuvé par le Parlement, couvrant ses frais annexes (enquêtes, déplacements). L'Albanie s'est inspiré des expériences et meilleures pratiques des pays nordiques s'agissant de l'institution du médiateur.

Le dédommagement des victimes du communisme est régi depuis vingt ans par des dispositifs prévoyant, entre autres, des formations supérieures ou continues gratuites et une aide au logement. À l'heure actuelle, les autorités accordent des compensations aux personnes ayant passé de nombreuses années en détention sous le communisme.

L'indépendance de la justice ne peut pas se faire à n'importe quel prix, le Gouvernement et le Parlement ne pouvant pas outrepasser leurs compétences. Le sentiment général est que le système judiciaire albanais travaille en toute indépendance des autorités. Le Gouvernement ne peut concrètement rien faire pour influencer les verdicts. Certes, le système judiciaire albanais est loin d'être parfait. Reste que l'Albanie a fait des progrès importants dans ce domaine aussi bien que dans le domaine de l'état de droit en général. La loi albanaise n'autorise pas la détention au secret, pour quelque motif que ce soit, a assuré le chef de la délégation. L'Albanie est par ailleurs engagée à améliorer l'état de son système carcéral et à assurer la formation aux droits de l'homme de son personnel.

Répondant à d'autres demandes de précision, la délégation a assuré que les neuf anciens détenus de Guantanamo mentionnés ont été accueillis en Albanie sur une base entièrement volontaire, de part et d'autre. Ces personnes bénéficient des prestations sociales et sanitaires usuelles. La délégation a assuré que les autorités mettent tout en œuvre pour éclaircir le sort des 502 enfants qui auraient disparu, d'autant plus que ces enfants sont des ressortissants albanais. En 2011, 495 cas de violences conjugales ont été dénoncés et les tribunaux ont prononcé, la même année, 1345 ordres d'éloignement du domicile conjugal. Le viol conjugal n'est pas un délit en soi, il relève de la définition générale du viol. Enfin, l'amendement du Code pénal en mars dernier introduit un délit de mauvais traitement sur un enfant par des proches.

Le cas échéant, toute victime de torture serait indemnisée en vertu de la loi, a assuré la délégation, rappelant qu'à sa connaissance, aucune plainte pour torture n'est à l'heure actuelle traitée par les tribunaux du pays. Enfin, l'Albanie n'exclut pas d'invoquer un jour la Convention à l'appui d'une décision en matière d'extradition, mais ce cas ne s'est encore jamais présenté.

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Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas un document officiel

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